Texte intégral
Je suis très heureux de recevoir mon collègue le ministre des Affaires étrangères du Tchad, M. Allam-mi. Je suis satisfait de sa visite et heureux d'avoir pu prendre des nouvelles de ce pays.
En fait, nous n'avons fait que cela depuis trois jours et trois nuits, et nous sommes satisfaits que les combats aient cessé, hier, et que ces combats n'aient pas repris ce matin, d'après nos informations, même si, probablement, dans la périphérie de N'Djamena, et un peu au-delà, il y ait pu s'y produire quelques troubles.
Comme vous le savez, la France a fait ce qu'elle pouvait pour évacuer un certain nombre de ressortissants français et de ressortissants étrangers qui se trouvaient dans la ville de N'Djamena et pour protéger les autres.
Un troisième avion est arrivé dans la nuit et, si mes chiffres sont bons, il y a plus de mille personnes qui ont été évacuées, certaines en France, d'autres à Libreville - et qui ont souhaité y rester - et environ quelques centaines qui sont encore à N'Djamena, soit à l'aéroport - où ils sont protégés par l'armée française -, soit chez eux car certains n'ont pas voulu partir.
Avec la fin des combats, que nous espérons définitive, des personnes ont voulu retourner voir leur maison et leurs biens.
Nous nous sommes également beaucoup occupés des blessés. En effet, avant hier, plus de 200 blessés ont été transportés dans les hôpitaux par les militaires français, dont je salue le courage, le calme, le dévouement et l'efficacité.
Il y a certainement d'autres blessés qui, à l'heure où je vous parle, sont secourus. Je remercie aussi les médecins militaires qui ont travaillé dans ces hôpitaux ainsi que toutes les ONG qui ont distribué leurs soins.
Vous savez - mais le ministre des Affaires étrangères du Tchad vous en parlera mieux que moi - qu'il y a eu une déclaration du président du Conseil de sécurité, dès hier, ainsi que plusieurs déclarations au Sommet de l'Union africaine, avec aussi une saisine de la Commission paix et sécurité dont je n'ai pas le résultat pour le moment. J'imagine que mon ami et collègue pourra vous les fournir.
Une dernière chose : une mission de paix, qui devrait arriver rapidement dans la capitale du Tchad, a été décidée à l'initiative de la Libye et du Congo Brazzaville. Cette mission a demandé l'aide de la France, en particulier pour l'accès à l'aéroport - mais pas seulement. Nous verrons bien ce que cela signifie et ce qui nous est demandé.
Voilà, nous sommes dans une meilleure situation et, surtout, les populations tchadiennes se trouvent dans une meilleure situation qu'il y a quatre jours, lorsque tout cela a commencé et que cette attaque a été portée contre le gouvernement légal et contre le président élu du Tchad.
Q - L'armée française n'intervient pas militairement contre les rebelles, l'accord de coopération et de défense avec le Tchad ne le stipule-t-il pas ? Partagez-vous l'avis du ministre des Affaires étrangères du Tchad concernant l'intervention soudanaise à côté des rebelles ?
R - Monsieur, je l'ai déjà dit, je le répète, je ne sais pas quelle est l'ampleur, ni la force précise de l'aide soudanaise, mais les rebelles qui ont attaqué N'Djamena venaient du Soudan.
La communauté internationale entière le dit et l'a constaté.
Par ailleurs, nous avons appliqué scrupuleusement l'accord de coopération technique qui nous lie avec le Tchad. Nous l'avons fait et nous n'avons pas l'intention de dépasser cela.
N'interprétez pas de façon agressive ce que j'ai dit - ce qu'a dit hier le Conseil de sécurité des Nations unies -, c'est-à-dire que tous les gouvernements de la région devaient faire tout leur possible pour aider le gouvernement légitime du Tchad. Nous le faisons.
Q - Y compris militairement ?
R - Pour le moment, nous n'avons pas l'intention de le faire et, d'ailleurs, il n'y a aucune raison de le faire maintenant que la paix est plus ou moins rétablie. Si la paix était définitive, je vous dirais définitivement non.
Si par hasard il y a - ce que je ne souhaite pas - de nouvelles attaques, nous ferons comme nous l'avons déjà fait : notre rôle a été de protéger les populations, d'apporter du secours aux blessés, de fournir l'aide élémentaire. Nous n'avons pas participé militairement à l'action et nous n'avons pas l'intention de le faire.
Q - Les Mirages français avaient-ils repéré et informé le président Déby de l'arrivée de la colonne rebelle ?
R - Ce ne sont pas les Mirages français qui l'ont fait. En effet, tout le monde le savait et le président était informé.
Q - Considérez-vous que la déclaration présidentielle du Conseil de sécurité vous donne un cadre légal pour intervenir directement dans un conflit ?
R - La déclaration du Conseil de sécurité conforte les pays qui apporteraient leur soutien, quel qu'il soit, au gouvernement légal et sous les formes qui ont été définies par cette déclaration. Voilà tout ce que je peux dire.
Mais, si vous souhaitez me faire dire que nous allons partir en guerre contre les rebelles, je vous dis non, il n'en est pas question, surtout maintenant, puisque la paix semble être plus à l'ordre du jour qu'elle ne l'était il y encore très peu de temps.
C'est assez simple, toute la communauté internationale a conforté l'action de la France. Lorsqu'il a fallu aller chercher nos amis allemands ou nos amis égyptiens, chinois, c'était une opération qui avait nettement un caractère militaire et qui aurait pu être blâmé par la communauté internationale. C'est le contraire qui s'est produit car nous les avons difficilement dégagés - et encore une fois, il faut remercier nos soldats et l'ambassade qui nous a procuré les moyens d'être en communication avec eux -, et nous avons rempli ce qui est tout simplement notre devoir.
Q - Comment réagissez-vous à l'arrestation d'opposants depuis le retrait des rebelles ?
R - Nous avons des noms de personnes qui seraient arrêtées mais il est impossible de vérifier quoique ce soit pour le moment. C'est notre ambassade qui est chargée de cela si, toutefois, il s'avérait que ces noms sont ceux de personnes qui seraient détenues, en particulier, certains responsables de l'accord du 13 août, dont mon collègue et ami vient de parler.
Nous avons informé le Comité international de la Croix Rouge, qui nous a indiqué qu'il s'efforcerait de visiter ces gens qui seraient en prison, si ces noms peuvent être contrôlés et s'il y a eu des arrestations.
Nous avons communiqué tout cela à N'Djamena. S'il y a des prisonniers, nous nous efforcerons de demander des visites par les représentants de la Croix Rouge internationale. Nous nous tenons très bien informés et nous sommes particulièrement attentifs aux suites de ce conflit, où non seulement le chaos a régné pendant très longtemps, non seulement des pillages ont eu lieu, mais, certainement, y a-t-il eu des exactions et des arrestations. Nous ne pouvons pas les contrôler car, pour l'heure, nous n'avons pas accès à tous les quartiers de N'Djamena - ce disant, je parle des Français.
Q - Pendant le week-end, nous avons remarqué un certain flottement dans la position de la France suivie d'une fermeté. Entre-temps, vous aviez parlé d'un droit d'ingérence et de poursuite des rebelles au Soudan. Pensez-vous que cette menace a contribué à apaiser les ardeurs des rebelles ?
R - Il ne m'a pas semblé que nous étions allés d'une position timide vers une position beaucoup plus musclée. Nous avons eu des contacts quotidiens, plusieurs fois par jour avec le président Déby, en particulier le président de la République française, et je n'ai pas noté de flottement dans notre détermination à soutenir les populations et à jouer pleinement notre rôle, ainsi que nous avons tenté de le faire.
Q - Pensez-vous qu'il soit possible que la France donne des armes à l'armée tchadienne ?
R - Je ne l'imagine pas. Il y a des accords techniques qui ont été scrupuleusement suivis. Interrogez les militaires, mais je ne crois pas que ce soit exactement la politique que nous avons suivie.
Nous avons, au contraire, tenté d'apaiser ce qui était un conflit violent, brutal, une guerre. Vous imaginez l'assaut donné par plusieurs centaines de véhicules en même temps dans la capitale tchadienne. Vous connaissez la ville et il vous faut comprendre que nous en sommes à peine sorti.
Ces questions théoriques sont les bienvenues mais lorsque l'on parle aux Tchadiens, ils ne sont pas sortis du chaos, ils cherchent les leurs qui ont fuit, ou non, la capitale, qui sont peut-être dans des maisons écroulées ou bombardées.
Tout cela fera évidemment l'objet d'attentions précises mais cela fait trois jours seulement. Nous sommes allés vite et la communauté internationale - merci de le dire - a réagi au mieux.
Vous savez que nous n'avions jamais organisé une réunion du Conseil de sécurité un dimanche, sur un sujet qui, théoriquement, n'est pas un sujet international car il ne mêle pas deux pays. C'est exceptionnel et nous l'avons obtenu avec l'appui, le soutien et la détermination de tous les pays africains.
Q - Vous disiez que cette situation est chaotique, peut-on vraiment envisager un déploiement de l'EUFOR ?
R - Non seulement nous pouvons l'envisager mais nous allons le mettre en place. Son utilité se renforce tous les jours. Il y a eu deux réunions, hier et avant-hier, à Bruxelles. Personne ne remet rien en cause. On comprend encore mieux pourquoi aujourd'hui. Ce sont les populations civiles que l'EUFOR doit protéger, ce n'est pas une opération de guerre. Il faut sécuriser la zone où se trouvent les personnes déplacées.
Nous étions hier avec le Haut commissaire aux Réfugiés des Nations unies, c'est lui qui l'explique le mieux. Si nous n'intervenons pas, des centaines de milliers de personnes sont en danger de morts, d'autant plus qu'à présent, la situation est plus chaotique que précédemment, comme Ahmad Allam-mi vient de le dire.
Dans cette région, la mission EUFOR est très claire. Il s'agit de sécuriser la zone où l'on trouve à la fois des réfugiés qui sont assistés par le HCR des Nations unies et des réfugiés qui ne sont pas assistés. Le HCR fait ce qu'il peut mais ce n'est pas son mandat. Cela concerne des centaines de milliers de Tchadiens déplacés.
Ceux-là ont encore plus besoin de l'EUFOR qu'auparavant. Les premiers éléments de cette mission EUFOR sont déjà arrivés. Il faut demander au général irlandais Nash, qui commande la mission et dont l'état-major se trouve à Paris. Les délais vont être repoussés de quelques jours mais l'EUFOR s'impose.
Il faut absolument que cette mission se mette en place car s'il n'y a pas de pourparlers de paix, s'il n'y a pas de solutions politiques, tout cela demeurera évidemment dans une grande pagaille et un grand danger. Au Soudan devait se déployer la force hybride, mais cette dernière est, elle aussi, finalement retardée. J'espère que malgré les événements, malgré cette attaque contre N'Djamena, l'EUFOR sera en place dans les jours et les semaines qui viennent.
Personne ne remet cela en question.
Q - La mission de l'Union africaine arrive en principe aujourd'hui à N'Djamena. En plus de l'autorisation d'accéder à l'aéroport, la France l'accompagnera-t-elle pendant son séjour, notamment pour le domaine sécuritaire ? Juste pour revenir à l'EUFOR, il existe malgré tout quelques doutes et quelques critiques émises par les pays européens qui doivent participer à cette force. N'avez-vous pas l'inquiétude de défections de vos partenaires européens, ce qui obligerait la France à s'engager encore davantage au sein de l'EUFOR, comme elle a dû le faire lorsqu'il n'y avait pas suffisamment de matériel pour assurer la mission ?
R - Pour le moment, tout le monde a manifesté son soutien et sa volonté de participer. Il y a une vingtaine de pays et si quelques-uns pensent que la situation se dégrade au point qu'ils jugent de ne pas y participer, je le regretterais beaucoup mais, pour le moment, il n'en est pas question.
Franchement, aux yeux du monde, la nécessité d'aider ces populations se fait plus grande encore - ou bien alors je ne comprends rien, ni à l'aide humanitaire ni à l'implication humaine -, sans qu'il soit nécessaire de préciser qu'elle s'impose à nous. Cette situation nous oblige à faire quelque chose. C'est une opération qui est prévue pour une durée d'un an, peut-être renouvelable une fois. C'est un vote à l'unanimité, au titre du chapitre VII du Conseil de sécurité des Nations unies. Si nous ne faisons plus cela, on peut aussi ne plus s'intéresser aux gens, mais cela m'étonnerait beaucoup.
Pour le moment, l'opération est maintenue. J'ai eu encore un coup de téléphone de M. Louis Michel ce matin. Non seulement tout le monde y participe, non seulement tout le monde exige que cela aille plus vite, mais il y a des aides - je l'ai dit à mon collègue - pour la population, en dehors de l'EUFOR, car la mise en place de l'EUFOR prendra du temps. Il faut reconstruire les villages, il faut que les habitants reconstruisent leurs villages qui sont dans cette zone pénétrée par les Janjaweed, en particulier, et qui sont les conséquences directes du conflit du Darfour.
Cela prendra donc un certain temps et si, en attendant, il y a une aide à apporter, la Commission et le Commissaire Louis Michel se montreront attentifs. J'espère que cela se fera au plus vite mais je ne peux pas faire plus.
Q - Etes-vous d'accord avec la situation qui est décrite par votre collègue indiquant qu'il y a encore des génocides au Darfour ?
R - Je n'ai jamais employé le mot génocide sauf une fois, cela m'a été montré, en signant une pétition.
Q - Au moment où la France a proposé à M. Déby de l'évacuer, est-ce parce que Paris pensait que les rebelles pouvaient prendre la ville et gagner cette bataille ?
R - Nous l'avons proposé au Président parce que nous ne souhaitions pas qu'il soit la cible directe des tirs. Nous lui avons donc demandé si nous pouvions faire quelque chose pour lui, ce qui était, vis-à-vis d'un ami, la moindre des choses. Il nous a tout de suite répondu non. Nous ne lui avons donc plus posé la question ensuite.
Bien sûr, cela a fait partie de nos démarches comme d'ailleurs, à ce moment-là, nous avons demandé au président Déby s'il souhaitait que nous travaillions à un cessez-le-feu et il nous a alors répondu oui.
Q - Aurait-il préféré une aide militaire plus directe de la France ?
R - Demandez-le lui.
Q - Que peut-on attendre d'une médiation africaine conduite par Denis Sassou N'Guesso et M. Kadhafi ?
R - Je crois qu'il y a un cadre. Si cela peut obliger ou faciliter le retour dans ce cadre national que le ministre des Affaires étrangères tchadien vient d'indiquer, c'est très bien. Ce n'est pas à moi de juger cela, c'est une décision de l'Union africaine qui s'est réunie.
Si nous avons protégé l'aéroport, c'est parce que c'était le lieu d'où partaient les personnes qui souhaitaient quitter le pays pour se mettre à l'abri. En dehors de cela, on ne nous a rien demandé. Si on nous demandait d'accompagner et de protéger ces deux délégations, nous le ferions sans doute. Le Tchad est un pays souverain, qui a été l'objet d'une attaque mais où le président Déby est toujours en charge de la sécurité. Si le président du Tchad nous le demande, si la mission de l'Union africaine le demande, je pense que nous le ferons, avec l'accord des autorités.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 février 2008