Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec le quotidien palestinien "Al Quds" le 16 février 2008 à Ramallah, sur le suivi du versement des fonds promis à l'Autorité palestinienne par les pays donateurs, à la Conférence de Paris, la mise en oeuvre du processus de paix israélo-palestinien prévue par la Conférence d'Annapolis, la création d'un Etat palestinien et les relations franco-palestiniennes.

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Circonstance : Voyage de Bernard Kouchner au Proche-Orient les 16 et 17 février 2008 : déplacement en Palestine le 16 à Ramallah

Texte intégral

Q - Y a-t-il un engagement des pays donateurs de transférer les fonds promis, lors de la Conférence de Paris, à l'Autorité palestinienne ?
R - Les promesses des donateurs (7, 7 milliards de dollars) doivent naturellement se traduire dans les faits. La France, dès les tout premiers jours de janvier, a versé directement au budget palestinien, 35 millions de dollars qui ont permis de passer une période difficile et contribuer à assurer le salaire de janvier des fonctionnaires. Je comprends par ailleurs que de nombreux pays ont avancé leurs missions d'évaluation pour répondre au plus vite aux besoins palestiniens.
La France, avec les trois co-présidents de la conférence, veillera au respect des promesses des donateurs. Naturellement, celles-ci se transformeront d'autant plus facilement en versements que l'Autorité palestinienne respectera le programme économique de réformes qui a été validé à Paris et qui donne confiance à la communauté internationale.
L'idée même qu'il y ait un suivi régulier d'une conférence des donateurs réussie est une innovation majeure. Nous nous sommes engagés à le faire : nous poursuivons cet objectif.

Q - Pensez-vous que le nouveau projet européen de financement (PEGASE) de l'Autorité palestinienne pourrait contribuer à améliorer la conditions économique ?
R - Je rappelle que l'Union européenne est, de très loin, le premier donateur aux Territoires palestiniens. Je souhaite féliciter la Commission qui a su très rapidement définir et mettre en place un mécanisme successeur du TIM (Temporary International Mechanism). PEGASE présente l'avantage d'être adapté au programme de réformes palestinien, d'inclure divers secteurs d'intervention au-delà des secteurs sociaux et d'offrir des canaux divers de versements qui peuvent contribuer à rassurer les donateurs. J'estime donc que le mécanisme PEGASE peut effectivement contribuer à améliorer la situation économique. Il est complémentaire et non concurrent des autres mécanismes de transfert de fonds. La France, pour sa part, a versé directement son aide budgétaire bilatérale au ministère des Finances, mais elle contribue pour une part non négligeable (environ 17 %) au budget européen et donc indirectement à PEGASE.

Q - Avez-vous constaté une certaine amélioration des conditions économiques après la Conférence de Paris ?
R - Le fait que le gouvernement de l'Autorité palestinienne paye les salaires et les arriérés (à l'égard des entreprises et des fonctionnaires) a permis une reprise de la consommation, une hausse des dépôts bancaires, une diminution de l'endettement des ménages... D'autres signes tels que la consommation de ciment ou le taux de remplissage des hôtels confortent l'idée que la Conférence de Paris a en quelque sorte créé un choc de confiance.
Mais la situation économique et humanitaire à Gaza est particulièrement mauvaise. Les mesures de blocus mises en oeuvre affectent directement l'ensemble de l'économie et des conditions de vie. D'autre part, les Territoires palestiniens souffrent, comme le reste de l'économie mondiale, d'une reprise de l'inflation (notamment de l'énergie et des produits alimentaires), ainsi que de la dépréciation du dollar.
Bien évidemment, une amélioration des conditions de circulation en Cisjordanie et vers Gaza est une condition nécessaire à une véritable reprise économique durable, comme le soulignent le FMI et la Banque mondiale. Nous appelons à la levée du blocus de Gaza. Il faut que les marchandises et les hommes puissent circuler. Je discuterai avec des représentants du secteur privé palestinien des difficultés auxquelles ils sont confrontés.

Q - Quel est le rôle de l'Europe en général, et de la France en particulier, dans la mise en place des décisions issues de la Conférence d'Annapolis pour résoudre le conflit entre Palestiniens et Israéliens ?
R - L'Union européenne et la France invitent très directement le gouvernement israélien et l'Autorité palestinienne à respecter leurs engagements pris à Annapolis pour que la réalité sur le terrain change et que le processus de paix soit crédible. Les peuples doivent pouvoir y croire. Ces engagements sont simples.
Il s'agit principalement pour Israël de geler totalement la colonisation en Cisjordanie comme à Jérusalem-est, de démanteler toutes les colonies dites "illégales" et de rouvrir les institutions palestiniennes de Jérusalem-est, notamment la Maison d'Orient et la Chambre de commerce. On ne le redira jamais assez : la colonisation constitue un obstacle à la paix ; elle est contraire au principe de "l'échange de la terre contre la paix". L'Etat palestinien doit être viable pour exister véritablement. Le président George Bush l'a reconnu avec force, en soulignant qu'un Etat en "forme de gruyère" n'était pas envisageable. Les responsables israéliens le savent bien.
Pour l'Autorité palestinienne, il s'agit de faire des efforts très importants pour lutter contre les mouvements terroristes et réformer les services de sécurité pour qu'ils soient plus efficaces. Des progrès très encourageants ont été réalisés, à Naplouse notamment. Mais il faut aller plus loin. Les responsables palestiniens en sont conscients qui ont fait de la reprise en mains sécuritaire l'une de leurs toutes premières priorités.
L'Union européenne est un acteur majeur, en tant notamment que premier soutien financier aux Palestiniens. La France, en tant que présidente de l'Union européenne, à partir du 1er juillet 2008, se fixera des objectifs ambitieux pour aboutir à une résolution du conflit.

Q - A votre avis, la création d'un Etat palestinien aura-t-elle lieu au cours de l'année 2008 ?
R - La France espère qu'un Etat palestinien verra bien le jour en 2008. Mais la France ne fait pas qu'espérer, elle agit pour que ce projet, ce rêve voie le jour très rapidement. Beaucoup de conditions favorables sont réunies pour qu'un Etat palestinien viable soit établi rapidement. Nous avons - des deux côtés - des dirigeants responsables et compétents qui partagent le même objectif, nous avons un plan de réforme des institutions et de développement économique qui est soutenu par la communauté internationale, nous avons enfin le financement nécessaire et le soutien politique, grâce à la Conférence de Paris, pour mener à bien ce projet de création d'un Etat viable.
Je ne vois pas quelle seraient les raisons qui retarderaient la réalisation de cet objectif. Israël doit se rendre compte que c'est maintenant son intérêt. Je n'oublie pas Gaza, mais je pense qu'une amélioration rapide des conditions de vie en Cisjordanie et la perspective d'un accord de paix permettront de faire évoluer positivement la situation à Gaza.

Q - Comment jugez-vous les relations entre la France et l'Autorité palestinienne ? Quelle aide la France peut-elle apporter aux Territoires palestiniens ?
R - La relation entre la France et l'Autorité palestinienne est excellente. C'est d'ailleurs pourquoi le président Abbas et le Premier ministre Fayyad nous ont demandé d'organiser la conférence des donateurs à Paris. Nous avons travaillé en parfaite entente pour la préparation de cette conférence et continuons à le faire. Le succès de la conférence des donateurs est un succès conjoint.
L'aide française prend des formes très variées en réponse aux demandes palestiniennes : aide budgétaire directe, aide aux projets (dans le secteur de l'électricité, de l'eau, de la gestion municipale, de l'agriculture, etc.), aide technique (en matière de gestion des finances publiques ou dans le domaine de la sécurité), aides alimentaire et humanitaire destinées en premier lieu à Gaza. Entre 2007 et 2008 la France a sensiblement augmenté le niveau de son aide aux Territoires palestiniens. De 2008 à 2010, cette aide s'élèvera à 300 millions de dollars. Nous sommes l'un des tout premiers bailleurs bilatéraux aux Territoires palestiniens.
Nous sommes très présents sur le terrain, à travers notamment le réseau de nos centres culturels, à Jérusalem-est, Ramallah et Naplouse ; à travers l'Alliance française de Bethléem que j'ai prévu de visiter pendant ma visite ou l'Association d'échanges culturels Hébron-France que nous soutenons ; à travers enfin notre Centre culturel de Gaza, dont le prochain déménagement dans un nouveau bâtiment que nous allons construire constitue en soi un message d'espoir, culturel et politique, pour tous les Palestiniens. Avec notre appui, la langue française qui progresse est en train de s'imposer comme l'une des premières langues étrangères enseignées dans les écoles.
Cette articulation entre présence sur le terrain au plus près des populations et soutien structurel à l'Autorité palestinienne est ce qui fait la spécificité de la coopération française.

Q - Pensez-vous que le déploiement d'une force internationale dans la bande de Gaza puisse résoudre les problèmes palestiniens ?
R - Non, je ne pense pas qu'une force internationale déployée à Gaza soit aujourd'hui la solution aux problèmes de Gaza. Ce n'est pas ainsi que la France conçoit l'idée de force internationale.
Je vous rappelle les mots que le président de la République a utilisés lors de la Conférence des donateurs pour l'Etat palestinien, le 17 décembre : "La France propose le déploiement, le moment venu et lorsque les conditions en seront réunies, d'une force internationale qui viendrait en appui aux services de sécurité palestiniens."
Aux yeux de la France, le déploiement d'une force internationale doit s'inscrire dans la perspective d'un accord de paix, accompagner un retrait de l'armée israélienne des Territoires palestiniens et aider au renforcement des services de sécurité palestiniens. Elle est un facteur déterminant de la résolution du conflit israélo-palestinien.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 février 2008