Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec France Inter le 3 mars 2008, sur les conséquences de la reprise des bombardements sur le processus de paix israélo-palestinien, l'élection présidentielle en Russie, le sort des otages colombiens, dont Ingrid Betancourt, suite à la mort du numéro deux des FARC.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.- L'opération de bombardements israéliens a été arrêtée aujourd'hui, cette opération qui a fait 70 morts ces derniers jours, beaucoup de civils, de femmes. C'est la fin, l'enterrement du très fragile processus de paix entamé à Annapolis ?

R.- J'espère que non, je ne le crois pas. Mais regardez le monde tel que B. Guetta, en particulier, vient de le décrire : redoublement de violence inspirée, souvent, par le nationalisme, par des idéologies périmées ; le monde est dangereux et le monde n'est pas très joli, ce matin. A Gaza, il n'y aura pas de solution militaire, nous l'avons dit depuis deux jours, certes il faut que cessent parallèlement les tirs de fusées sur Israël. B. Guetta ne l'a pas dit mais il y avait plus que des Qassam, il y avait des fusées GRAD, ce qui est beaucoup plus dangereux.

Q.- De plus longue portée...

R.- De plus longue portée, d'ailleurs, c'est pour cela qu'Ashkelon a été visé. Et donc, c'est un cercle vicieux dont on ne peut pas sortir : des fusées, des tirs sur ces fusées qui d'ailleurs n'ont pas cessé pendant les deux jours d'attaque sur Gaza, les tirs de fusées continuaient. Et donc, il n'y a qu'une solution, pour répondre à votre question, c'est, bien sûr, la reprise des pourparlers, l'achèvement des pourparlers, la paix avec la création d'un Etat palestinien.

Q.- C'est possible ?

R.- Indispensable. Et la France est très partie prenante puisque nous avons fait la conférence de Paris avec des projets précis, avec de l'argent. Nous sommes en train de le développer. Et la petite victoire que nous avions remportée à Gaza était le passage du ciment pour faire enfin cette station d'épuration qui remise depuis longtemps, et dont et Gaza et Israël ont besoin, sinon, les risques d'épidémies sont grands. Ca marchait, et puis, à nouveau, cet acharnement qui n'aura aucun résultat. Il n'y a pas de solution militaire, je le répète, et il faut de la sagesse et des pourparlers.

Q.- "Processus de paix ruiné", a dit M. Abbas.

R.- Non, je crois qu'il ne le pense pas d'ailleurs. Entre le Hamas et le Fatah, il y a aussi des divergences qui n'ont pas disparu par ces bombardements effrayants.

Q.- Est-ce que vous comprenez la violence extrême de ces bombardements ? Les photos dans la presse, ce matin, sont absolument terribles, notamment à la Une de l'Humanité. Condamnez-vous cette violence ?

R.- Evidemment, nous l'avons fait, un communiqué officiel du ministère des Affaires étrangères. Les images de guerre sont toujours horribles, on peut toujours en opposer une à une plus grave encore et puis une plus insupportable encore que plus grave, etc. Ce n'est pas le problème, il faut la paix parce qu'il n'y a pas d'autre... Tout le monde le sait, y compris d'ailleurs le Hamas. Je pense qu'il faut aussi ouvrir des pourparlers avec le Hamas, pas nous particulièrement mais certainement l'Autorité palestinienne, qui d'ailleurs, le faisait.

Q.- La France va-t-elle prendre une initiative en particulier dans ce contexte ?

R.- La France a pris plein d'initiatives, Monsieur ! Nous avons approuvé, même si ce n'était pas très populaire, ce qui s'est passé à Annapolis et cette idée, enfin, de la création réelle d'un Etat palestinien qui est la seule façon d'assurer la sécurité d'Israël, par un Etat démocratique, vivant à côté de son voisin, tout le monde le sait, cela finira comme ça. Quand, je n'en sais rien. Mais nous avons tenu à faire cette conférence de Paris, qui était une conférence pour trouver de l'argent sur des projets précis qui changerait la vie des Palestiniens, aussi bien à Gaza qu'en Cisjordanie. Et les projets qui ont été mis sur pied par le Premier ministre, Salam Fayad, le Premier ministre palestinien avec le Quartet - T. Blair, l'Union européenne, la France, etc. -, ce sont des projets qui visent à la fois Gaza et la Cisjordanie. Il y en a huit qui sont plein d'espoir et en tout cas, nous devrions passer à l'action. Le premier était cette station d'épuration, et ça commençait à marcher.

Q.- Ils se sont rendus aux urnes ce week-end, ils ont voté, ils ont élu à 70 % leur nouveau Président, monsieur Medvedev ; est-ce que vous félicitez ce matin chaleureusement le nouveau Président russe pour sa large victoire ?

R.- Ce n'est pas à un ministre des Affaires étrangères de féliciter mais enfin, le scrutin s'est déroulé à la russe, n'est-ce pas, avec une victoire qui était annoncée. Et les deux hommes sur la Place Rouge, c'était un spectacle assez édifiant de la nouvelle Russie. Quelles que soient les critiques qui puissent être portées contre la pratique de monsieur Poutine, pas encore de monsieur Medvedev - nous verrons bien -, il faut que nous trouvions un langage, nous, la France, mais surtout l'Union européenne avec la Russie. Un langage particulier parce que notre avenir, une part de notre avenir, pas seulement pour l'énergie mais pour l'énergie aussi, se trouve en Russie. Et ça, il faut le trouver, il faut que la Russie occupe la place qui lui revient. Elle ne l'avait plus dans ce que l'on appelle le concert des Nations. Elle a beaucoup d'importance, et d'ailleurs, vous venez de parler de l'Iran : c'est avec la Russie et avec la Chine que nous avons porté cet après-midi au Conseil de sécurité ce texte qui deviendra, j'espère, une résolution des Nations unies. Résolution contraignante mais résolution aussi de dialogue, pour ouvrir le dialogue avec l'Iran. Là, nous avons des intérêts communs avec la Russie. Encore une fois, la Russie souffre de ne pas être à sa place, face à l'Union européenne en particulier ; nous n'avons pas trouvé le bon langage.

Q.- Comment qualifieriez-vous ce vote d'hier ?

R.- Massif, Monsieur...

Q.- Oui, mais précisément c'est quoi ? C'est une parodie de démocratie ?

R.- Non, je ne crois pas.

Q.- Quel est le régime de la Russie aujourd'hui ?

R.- C'est un régime parlementaire. Je vous signale qu'en Russie, le salaire, depuis l'an 2000 a été multiplié par trois ou par quatre, sinon plus. Par rapport à ce qu'était le communisme, n'oublions pas d'où ils sortent, c'est, pour les Russes, sans aucun doute, même si je connais les opposants, je les rencontre, même si je sais qu'il n'y avait pas de vraie compétition dans cette élection, je crois qu'il est incontestable que la Russie vote très majoritairement, et avec des chiffres très étonnants, pas encore staliniens, mais 70 %, ce n'est pas mal. Et donc, je ne peux que constater cela. Il y a des gens qui critiquent à l'intérieur, qui ne sont pas assez entendus, qui sont parfois malmenés d'être critiques, dont on n'autorise pas les manifestations, etc. Et cela, à chaque fois, nous le déplorons, il faut que les droits de l'homme, qui sont une valeur universelle, soient respectés en Russie, nous le disons très clairement.

Q.- Autre dossier important dans l'actualité internationale - elle est riche en ce moment -, c'est la mort du numéro 2 des FARC ; est-ce une mauvaise nouvelle pour les otages, notamment pour I. Betancourt ?

R.- Vous voyez monsieur comme le monde est laid ce matin. C'est une mauvaise nouvelle, je le crains. En tout cas, cela doit nous faire redoubler d'effort parce que pour parler d'I. Betancourt d'abord, c'est une urgence, c'est un cri de désespoir. Nous devons sortir, elle doit sortir, I. Betancourt, parce que c'est une urgence médicale et humaine, ce n'est même plus d'un accord humanitaire dont nous avons besoin, mais d'un geste de la part des FARC. Alors, dans cette mesure, évidemment, ce n'est pas une bonne nouvelle que le numéro 2, c'est-à-dire R. Reyes, l'homme avec qui nous parlions, l'homme avec qui nous avions des contacts, ait été tué. Bien sûr, il est dans la guérilla depuis quarante ans, on ne peut pas s'étonner qu'il y ait des manoeuvres militaires. Je vous parlais d'idéologies périmées, en voilà un exemple, mais ce n'est pas le problème. Le problème pour nous, c'est de sortir les otages, tous, tous, tous, mais d'abord Ingrid. Et nous sommes tendus vers cela, aussi bien à travers le Venezuela de monsieur Chavez, la Colombie de monsieur Uribe et l'Equateur aussi de monsieur Correa. Nous avons parlé hier de tout ça, le président de la République, N. Sarkozy, est impliqué nuit et jour dans cette affaire. Allons-nous réussir ? Je le veux, mais voilà...

Q.- Allez, on change de sujet, de registre. Dernière question B. Kouchner : la nomination de votre compagne, C. Ockrent, à la direction générale de l'audiovisuel extérieur français a suscité la polémique, vu les fonctions que vous occupez. Etait-ce une si bonne idée que ça ? Votre sentiment sur toute cette affaire.

R.- Nous verrons. Je crois qu'elle a un talent reconnu, une expertise internationale indiscutable. Elle a travaillé dans toutes les chaînes de télévision du monde. C'est un bon choix. S'il y avait conflit d'intérêts, je serai le premier à le reconnaître, je ne mêlerai pas du tout d'audiovisuel extérieur. J'en fais le serment, et puis je ne vois pas pourquoi c'est toujours les femmes qui devraient démissionner.

Q.- Alors vous, c'est quand ?!

R.- Je vous en parlerai. Croyez-moi, je serai attentif.

Q.- Mais ce genre de choses pourrait s'imaginer un jour ?

R.- Honnêtement oui, très honnêtement oui. Je ne vois pas pourquoi nous avons mené depuis vingt-six ans, quel que soit l'amour que je lui porte, des vies parallèles. Je la sais très indépendante, je suis bien placé pour le savoir, et depuis vingt-six ans, elle ne m'a pas interviewé une seule fois. Je crois que ça va continuer et je ne me mêlerai pas de tout ça, l'argent n'est plus au Quai d'Orsay, je pense que ça se passera très bien. Si ça ne se passe pas, je serai là pour répondre à vos critiques et prendre les décisions qui s'imposent.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 3 mars 2008