Point de presse de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur les défis et priorités de la politique étrangère de la France, à Paris le 7 mars 2008.

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Circonstance : Réunion de Bernard Kouchner avec la presse le 7 mars 2008 à Paris

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, je vous remercie, comme toujours, d'être venus si nombreux. Je vous annonce que j'ai pris la décision de vous affronter, ou de vous parler, en tout cas de vous rencontrer, tous les 15 jours environ. Si vous insistez, je pourrais le faire toutes les semaines !
Je vous rencontrerai donc tous les 15 jours afin de dialoguer pour qu'à travers vous, grâce à vous, l'opinion publique puisse apprécier, critiquer, peut-être, sait-on jamais, louanger une politique extérieure de la France qui, malgré tout, change, parfois considérablement et parfois un petit peu.
La prochaine réunion de presse - car je pense qu'il doit s'agir d'une réunion et pas de vérités assénées - pourrait avoir lieu le 18 mars prochain.
Alors, de temps en temps, je vous ferai faux bond mais, sauf contre-ordre de dernière minute, - parce que je suis appelé à partir souvent -, je voudrais vous rencontrer tous les 15 jours.
Je pense que cela ne doit pas durer plus d'une demi-heure. Si donc nous commençons à 12h30, à 13 heures, vous serez libres. Je voudrais, non pas, - je viens de le dire - vous exprimer la vérité révélée mais développer un certain nombre de problèmes devant vous et peut-être même, de succès ou d'insuccès.
Aujourd'hui, et c'est la dernière phrase que je prononcerai devant vous avant de répondre à vos questions, c'est la Journée internationale de la femme et nous célébrons cela toute la journée. C'est vrai que ce n'est pas par déférence, et simplement pour consacrer ces journées qui sont obligatoires. Non, c'est vraiment l'occasion - parce que ce ministère est, vous le savez sans doute mieux que je ne le savais, un ministère plein de richesses - d'entendre les femmes, et en particulier les femmes qui se sont exprimées tout à l'heure, qui se sont exprimées toute la matinée, qui s'exprimeront cet après-midi et avec lesquelles nous allons déjeuner. C'est formidable de les entendre car cela nous change de la "langue de bois". Dans cet établissement doré, la "langue de bois", nous connaissons. Maintenant, concernant les femmes, à propos du temps de travail, de la difficulté d'être conjoint de diplomate, dans les deux sens, femme ou homme, des choses viennent d'être dites sur l'aménagement nécessaire des horaires par exemple, sur des choses essentielles. Ici, par exemple, il n'y a pas de crèche et il y en aura une, je l'espère, dans le nouveau bâtiment rue de la Convention. Ce sont des choses élémentaires.
Bref, les femmes ont beaucoup de choses à dire et en particulier concernant la carrière diplomatique. Il y a 47 % de femmes dans ce ministère mais il y en a 12 % seulement au niveau des ambassadeurs, voyez comme il y a du boulot !
Il y a donc beaucoup de travail et il faut rétablir l'équilibre. D'ailleurs, le président de la République le demande très fermement. Lorsque l'on désigne des directeurs ou des directrices au Département, des ambassadeurs ou des ambassadrices, on ne trouve évidemment pas suffisamment de femmes dans le fichier parce que cela vient de beaucoup plus en amont.
C'est l'une des choses que je voulais vous dire mais la journée n'est pas terminée.
Nous écoutons avec bonheur, non seulement les femmes françaises, et celles de ce ministère, mais pas seulement : vous avez là un chirurgien de la République Démocratique du Congo qui vient d'arriver. Son hôpital - il y a deux hôpitaux dans le monde en réalité - mais en Afrique, est le seul hôpital qui prenne en charge les mutilations sexuelles, les viols, les conséquences de l'oppression sauvage dont depuis 14 ans le Kivu est le théâtre et je vous assure qu'il y a des choses à dire. Mais la seule affirmation que je peux énoncer, c'est que l'avenir passe par les femmes.
Dans notre pays bien sûr, - je viens de l'entendre - mais surtout dans le tiers-monde. Il n'y aura, dans le monde en développement, de réformes - et ce ministère est aussi celui du Développement - que si cela passe par les femmes.
Un dernier mot pour vous indiquer que ce soir, nous organisons un séminaire sur la Présidence française de l'Union européenne. Deux jours de travail nous attendent avec toutes les personnes concernées.
Voilà, vous pouvez maintenant me poser toutes les questions que vous voulez, je vous écoute.''
Q - M. Ban Ki-moon n'a pas appelé la mission de l'Union européenne pour remplacer la mission de l'ONU sur place. Cela pose toujours le problème de la légalité de ces missions. Quelle est votre opinion ?
R - Je suppose que vous parlez du Kosovo. Le problème de la légalité ne se pose pas parce que, selon notre analyse, et celle de M. Ban Ki-moon, il y aura une transition qui est prévue dans le statut final de la résolution 1244. Il y aura une transition douce. La mission EULEX se met en place. Elle commence son déploiement. Déjà, il y a beaucoup de fonctionnaires de tous les pays européens, des 27 pays européens, qui sont arrivés. C'est toujours la résolution 1244 qui s'applique. Le déploiement d'EULEX ira jusqu'au mois de juin. La mission de la MINUK, que j'ai eu l'honneur de diriger pendant deux ans, et la mission EULEX agiront donc en parallèle, pendant un certain temps.
Maintenant, sur le fond, je vais vous dire une chose : je voudrais dire à mes amis serbes que ce n'est pas une défaite pour eux, c'est, au contraire, un tremplin, une espérance.
Je sais que c'est un grand changement mais j'ai plus que de l'amitié, j'ai de l'affection pour ce grand peuple. Je les connais bien et je sais ce que nous leur devons, nous les Européens, dans l'Histoire. Je comprends leur raidissement mais, en même temps, je voudrais faire preuve du plus d'ouverture possible. Il n'y avait pas d'autre solution. Nous avons cherché, vraiment cherché. Nous ne pouvions pas maintenir 25 ans comme à Chypre, des milliers de soldats sur place. Un pays qui, sur son territoire maintient une protection internationale d'une partie de sa population ne peut pas rentrer dans l'Union européenne.
Je le leur dis et je les supplie de nous croire. Non seulement, ce n'est pas une décision tournée contre eux mais je suis persuadé qu'ils vont savoir se convertir et en profiter, même si, pour beaucoup de générations, moins pour les jeunes, c'est une épreuve très douloureuse et je comprends leur douleur.''
Q - L'Iran a annoncé, par la voix de son président qu'il avait arrêté toute négociation en dehors du cadre de l'AIEA. Comment comptez-vous gérer cette situation, comment parviendrez-vous à maintenir le dialogue avec les Iraniens si les négociations avec M. Solana sont arrêtées ?
Les négociations avec M. Solana étaient pratiquement arrêtées, par épuisement des uns et des autres. C'est Javier Solana qui le dit, pas moi. En revanche, nous ne souhaitons pas arrêter le dialogue, au contraire. Comme vous le savez, la résolution 1803, qui a été acceptée et votée au Conseil de sécurité par 14 voix et une abstention, celle de l'Indonésie, lundi, comporte, pour la première fois, l'obligation du dialogue à côté de sanctions que nous avons tous décidées.
Vous me posez la question parce que vous êtes là. Je vous réponds parce que je suis là mais vous pourriez poser votre question aussi aux Chinois et aux Russes.
Nous avons tous décidé qu'il y avait un danger à voir, ou à supposer, que se poursuive la fabrication d'un arsenal militaire nucléaire.
Les dernières déclarations de l'Agence - dont le président iranien indique maintenant que c'est seulement à travers elle que nous pourrons nous parler - ces déclarations, en particulier celles du comité technique qui s'est réuni ces derniers jours, ne sont pas encourageantes. Je souhaite infiniment que le dialogue soit la règle, l'obligation et le succès.''
Q - Après les déclarations du président D??by concernant les membres de l'Arche de Zoé, qui réglera l'indemnité de 6 millions d'euros ?
R - Je n'en sais rien et vous qu'en savez vous ?
Q - Ah moi, je ne suis pas membre du gouvernement français !
R - Mais, Monsieur, ce n'est pas au gouvernement que cela s'adresse ! C'est évidemment une sanction pénale qui pèse sur les têtes des membres de l'Arche de Zoé et il faudra bien que nous trouvions une solution. Moi, je n'en sais rien, et ce n'est pas au gouvernement que cette demande s'adresse.
Il y a toujours des difficultés, vous les soulignez tout le temps, mais il y a aussi, quand même, une évolution qui me paraît heureuse. Ce n'est pas au gouvernement de payer et en même temps, il faudra trouver une solution. Je ne peux pas vous en dire plus parce que je n'en sais pas plus.
Je me trouvais avec le président Sarkozy lorsque M. Déby, le président tchadien nous l'a dit. Quant à l'Arche de Zoé, nous n'allions pas au Tchad, sur le chemin de l'Afrique du Sud, pour connaître le sort de ses membres.
Je suis heureux si cela se règle, comme on vient de le dire, dans le mois qui vient. Si le président tchadien, comme il l'a dit hier, leur accorde la grâce, j'en serai ravi pour eux.
Q - Mais le Président Sarkozy a dit qu'il allait prêter son assistance pour aider à régler ce problème !
R - Eh bien vous voyez, c'est ce que je dis.
Q - Et vous ne pouvez pas nous dire de quelle façon ?
R - Non, parce que je n'en sais rien du tout. Mais nous allons prêter notre assistance en effet.
Q - Concernant la question de l'ARYM, la Grèce va opposer son veto s'il n'y a pas un autre nom que la Macédoine. Quelle est la position de la France à ce sujet ?
R - Vous connaissez la position de la France. Nous avons été parmi ceux qui soutenaient la position de la Grèce, et tout en maintenant cette position hier au Sommet des ministres des Affaires étrangères de l'OTAN à Bruxelles, nous en avons parlé. Mon ami Dora Bakoyanni - qui d'ailleurs est une ministre des affaires étrangères très souple et très inventive - a proposé une série de solutions et de noms.
Franchement, moi, je pense qu'il faut trouver une solution entre la "Macédoine" et la Grèce. Nous n'allons pas bloquer tout le processus pour cela. Pourtant, encore une fois, je comprends le poids historique. Nous avons pris des engagements, nous allons trouver une solution. Je pense qu'il y aura peut-être une solution avec un nom utilisé à l'extérieur et un autre utilisé à l'intérieur mais je n'en sais rien, ce n'est pas à moi de le dire. Je sais qu'il y a des propositions qui sont vraiment très acceptables par l'un et l'autre. Il faut un peu de bonne volonté ! Si on se bloque dans une affirmation partagée de ténacité, d'obstination et de non-évolution, nous sommes fichus ! Ce serait quand même un peu bête, surtout d'ailleurs pour la Macédoine, car ce sont eux franchement qui demandent à adhérer.
Je pense que cela va se régler, mais ce n'est pas à moi de le dire.
Q - D'abord un premier commentaire : il y a un certain temps que l'on ne vous a pas vu à Beyrouth.
R - J'y ai passé du temps tout de même !
Q - Il y a trois mois ou presque que la présidence de la République est vacante. L'initiative arabe pour aider à élire un président piétine. La situation devient de plus en plus urgente et de plus en plus grave. Lors du prochain sommet arabe, pour la première fois, on risque de ne pas voir un représentant de l'Etat libanais, un président libanais. Est-ce que l'initiative française, dont vous êtes à l'origine, est toujours d'actualité ou existe-t-il d'autre initiative ou projet ? Va-t-on vous voir bientôt à Beyrouth ? L'Europe va-t-elle lancer une autre initiative ?
R - Et vous les Libanais avez-vous pris des initiatives ? Moi je fais ce que je peux, c'est le moins que l'on puisse dire. Et quand je lis dans la presse, la presse dont vous êtes responsable, "l'échec de Kouchner au Liban"...Non mais, vous plaisantez, c'est l'échec des Libanais ! "L'échec de la ligue arabe au Liban". Ce n'est pas l'échec de la Ligue arabe, c'est l"échec des Libanais ! D'accord, les Libanais ne sont pas seuls, nous le savons. Mais, franchement, j'espère et je souhaite qu'il y ait à nouveau une initiative française.
Mais de toute façon, l'initiative française, l'initiative de la Ligue arabe, l'initiative du prince Saoud ont toutes convergé vers les trois points que nous avions fait accepter, nous les Français, moi votre serviteur, par M. Nabih Beri et par M. Hariri. Et pourtant c'est bloqué. Les choses ont évolué. Je souhaite qu'il y ait une initiative, mais par pitié, il faudrait que les Libanais manifestent un tout petit peu d'unité nationale. Si par hasard quelques personnes de la société civile pouvaient répéter ce qui a été fait une fois, un dimanche, quand ils ont distribué des tracts dans les stations essence. Si ça pouvait se perpétuer pour que l'on voie que les communautés ont envie d'être ensemble cela nous aiderait beaucoup. Voilà ce que je peux vous répondre. Mais vous avez décrit la situation telle qu'elle est. Ce n'est pas un succès, c'est sûr, et avec la tension de la situation et avec l'acharnement qui s'est passé, en nombre de victimes à Gaza et hier à Jérusalem, ça ne va pas arranger la situation. Donc il est très urgent, plus urgent encore maintenant, d'essayer que la situation soit éclaircie et qu'il y ait un président au Liban. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Mais, vraiment on a beaucoup essayé.
Q - Et que pouvez-vous dire au sujet de l'initiative européenne ?
R - On verra bien pour ce qui concerne notre responsabilité européenne à partir du 1er juillet. Ce que je peux à la fois comprendre, déplorer et critiquer c'est qu'il n'y ait pas eu d'initiative commune. Alors tout le monde essaie d'aller à Damas ou à Beyrouth pour engager sa propre négociation. Ce que nous avons essayé était inédit. Les ministres des Affaires étrangères espagnol, italien et français, ensemble, à Beyrouth, pour représenter l'Union européenne. Malheureusement on a cru y arriver mais cela n'a pas marché. Il y avait cette initiative et nous pouvons continuer.
Q - Au sujet du soldat français qui est mort lundi après midi, la résolution 1778, paragraphe 14, stipule que les Etats voisins du Tchad et de la RCA doivent aider les missions de l'Onu et de l'Union européenne. Est-il normal que l'on ne condamne pas cette action militaire qui a été si sommairement menée du coté soudanais, puisque le gouvernement soudanais lui-même revendique l'action menée par son armée ?
R - Nous le condamnons. Je voudrais rendre hommage à cette occasion au sergent Polin qui, au cours de sa mission, a été abattu en franchissant la frontière d'un kilomètre dans une région où les frontières ne sont pas marquées comme vous le savez puisque c'était aux confins de la République centrafricaine, du Soudan et du Tchad. Ce qui compte c'est que cela soit compris ; que l'Eufor, avec laquelle jeudi dernier j'étais en patrouille, car c'est avec cette patrouille qui avait été déployée dans ces trois frontières que je suis allé dans des camps de personnes déplacées, soit bien accueillie. J'y ai vu la façon dont étaient accueillies ces patrouilles qui, lorsque j'y étais, comprenaient des Suédois, des Irlandais et des Français. Il y avait 627 hommes et maintenant il y en a beaucoup plus et il y en aura 3.600. Il y a 16 pays qui sont sur le terrain, 22 qui sont au quartier général du mont Valérien et les 27 ont financé ce projet qui est magnifique. C'est la plus grande opération de l'Union européenne hors de ses frontières. Il faut bien comprendre que le mandat est précis. Nous ne sommes pas là pour garder la frontière, vous le savez, puisque vous avez fait référence à cela. Ils ont franchi la frontière. Malheureusement, l'un a été tué, l'autre blessé à bout portant, et nous le déplorons et le condamnons. En dehors de la frontière, à côté de la frontière, la mission de l'Eufor est très précise. Elle doit défendre les populations civiles et ne réagir militairement que si on l'attaque par les armes ou si les populations civiles sont menacées. Le problème c'est que cela soit compris. Il y a une mission, ou plutôt une tentative du président Wade, qui réunit la semaine prochaine les pays de la Conférence islamique et qui a demandé au président Idriss Déby d'être aux côtés du président Béchir. Notre propos est de protéger les populations et de permettre la reconstruction des villages. Nous souhaitons toujours que soient déployées de l'autre coté de la frontière les troupes de l'Union africaine et des Nations unies que M. Jean-Marie Guéhenno est en train de réunir. J'ai vu l'ambassadeur d'Egypte hier et dans quelques jours il y aura 1.400 soldats égyptiens supplémentaires. S'il n'y a pas des deux côtés cette protection, évidemment la frontière se révèle extrêmement dangereuse et nous souhaitons que ce soit différent. A propos d'ailleurs de Jean-Marie Guéhenno, je lis dans la presse que son poste ne reviendra pas à un français. Je pense que le poste demeurera français.
Q - J'ai une question à propos de l'Union méditerranéenne. Est-ce que la France considère cet accord comme un échec puisque le projet a été modifié en profondeur ? Est-ce que vous pourriez nous en dire plus sur ce qui va se passer les 13 et 14 juillet parce que c'est quand même un peu confus avec le sommet de 1 ou 2 jours ou on ne sait pas quels seront les participants ?
R - Je suis ravi de dissiper cette confusion. Est-ce que l'Allemagne considère cela comme un triomphe ? Non. C'est une avancée. Ce n'est ni un échec pour l'un, ni un échec pour l'autre. Ni un succès pour l'un, ni un succès pour l'autre. Le franco-allemand est absolument indispensable. Nous devons non seulement, et nous le faisons, nous parler et nous comprendre, mais avancer ensemble. Eh bien, l'Union pour la Méditerranée, à l'intérieur ou remplaçant par son nom même le processus de Barcelone, c'est une avancée, c'est un pont formidable entre les deux rives, entre le monde occidental et le monde arabe. J'espère que nous le ferons ensemble, avec les Allemands en particulier, et avec tous ceux qui voudront y participer.
Dissiper vos doutes à propos du 13 et 14 juillet est facile. Il n'y aura qu'une seule réunion le 13 à Paris, des pays européens et des pays de la Méditerranée.
Q - Le Gabon menace d'expulser 500 à 1000 français qui sont en situation irrégulière. Cela vous inquiète-t-il et qu'est-ce qui explique la colère du "Doyen" comme on le surnomme souvent ici ? Est-ce que c'est le reportage diffusé sur France 2, est-ce que c'est l'expulsion de gabonais depuis la France ou s'agit-il d'une inquiétude plus sourde à votre avis. Qu'est-ce qu'Omar Bongo n'a pas digéré et que souhaitez-vous lui répondre ?
R - Je lui répondrai cet après-midi puisque je vais l'appeler. Mais je crois que vous avez fourni la réponse vous-même. Je pense qu'il n'a pas apprécié la projection de ce film, que personnellement je n'ai pas vu. Mais, enfin, la presse est libre et a le droit de faire des films et de projeter ce qu'elle souhaite. Il y aussi un certain nombre de Gabonais, mais ils ont signé des accords pour cela, qui ont été expulsés du territoire. On nous menace de faire la même chose avec ceux qui n'étaient pas en règle sur le territoire gabonais et en particulier des Français. Je ne peux l'en blâmer. Mais je pense que cela va s'arranger et que la compréhension et la transparence vont être rétablies entre Libreville et Paris.
Q - Il y a en ce moment des initiatives arabes qui tendent à vouloir trouver une immunité à la famille Assad en échange d'un geste syrien sur le Liban et sur le Hamas. Est-ce que vous pensez que le tribunal international est quelque chose d'irréversible ou peut-on encore geler quelques points de ce tribunal et donner une telle immunité ? Je vous parle d'initiative arabe et non des moindres puisque se sont des amis à vous ?
R - Heureusement que vous avez prononcé le mot tribunal spécial international parce que c'est évidemment une des clefs de compréhension, pas la seule. Je ne sais pas qui cherche à protéger qui, en tout cas pas la France. Et je peux vous affirmer que le tribunal spécial est le tribunal de l'ONU. La France l'a voulu et financé avec bien d'autres pays, en particulier des pays auxquels vous faisiez allusion. Cette démarche n'est pas réversible. Ce sont les Nations unies qui sont chargées de la recherche des assassins de M. Rafic Hariri et elles le feront et ce ne sera que justice. Je ne sais pas s'ils les trouveront, ou si ça ira loin, mais maintenant ce n'est plus une affaire, et d'ailleurs ça n'a jamais été une affaire qui regardait seulement la France. Dès lors que la résolution a été votée, c'est une affaire de justice internationale.
Q - L'actualité du jour est quand même l'attentat sanglant de Jérusalem. Dans vos paroles précédentes j'ai cru comprendre que vous faites le lien entre ce qui s'est passé à Gaza et à Jérusalem. Je voulais vous demander si, à votre avis, le processus de paix est plus ou moins compromis aujourd'hui et quel est le rôle que la France entend jouer dans la suite des événements ?
R - Le processus de paix est la seule solution. Comparer les attentats ne m'intéresse pas. Je les condamne tous. Je condamne le lancer des fusées Qassam et des fusées Grad sur Israël. Je condamne l'acharnement qu'il y a eu sur Gaza et qui n'a, hélas, pas arrêté les fusées. Je condamne bien entendu l'attentat de Jérusalem dans une école talmudique. Malheureusement, les chiffres changent et lorsqu'ils changent, ils changent vers le haut. Je ne sais pas s'il y a eu 8, 9 ou 10 victimes en dehors des blessés. Oui, je condamne tout cela. Je sais qu'il n'y a pas de solution militaire. Je sais, et les Israéliens et les Palestiniens le savent aussi, qu'il n'y a une solution que dans la paix et l'instauration d'un Etat palestinien viable, démocratique et indépendant. C'est cela la sécurité d'Israël.
Alors que peut faire la France ? La France est chargée, avec la Commission européenne, avec M. Tony Blair pour le Quartet, avec les Norvégiens, du suivi de la Conférence de Paris, qui fut un succès. Il faudrait que les projets soient mis en place et ils ne le sont pas assez rapidement. Justement, le premier projet, grâce à l'intervention de M. Ehud Barak, se mettait en place à Gaza, c'était la station d'épuration d'eau. Tout est à nouveau remis en question. Donc, nous sommes chargés du suivi de ces projets. Nous donnions de l'argent pour le budget palestinien, la France a donné de l'argent bien sûr, mais enfin, nous avions l'argent de la Conférence de Paris et nous sommes chargés du suivi et de son application. En ce sens, oui bien sûr, nous intervenons. Il y a d'ailleurs, le 25 mars je crois, à Bruxelles, une réunion à nouveau ; ce n'est plus à Paris car la Commission européenne est responsable d'autres projets spécifiques et des projets de la Conférence de Paris ; nous nous revoyons donc dans cette formation.
Evidemment nous continuons, évidemment je retournerai sur place. Tout le monde sait que la solution est la formation d'un Etat palestinien. Tous les Israéliens qui ont négocié avec les Palestiniens, tous les Palestiniens qui ont négocié avec les Israéliens le savent. Je sais que des progrès sont faits au sommet. Vous savez qu'il y a quatre personnes qui discutent, c'est M. Ehud Olmert avec M. Abou Mazen, c'est Mme Tzipi Livni avec M. Abou Ala. A ce niveau, les choses avancent mais elles n'avancent pas sur le terrain, au contraire. Est-ce que cette démarche des quatre sera suffisante ? Je l'espère très fortement. Je sais qu'il n'y a pas hélas, d'autre solution. C'est pourquoi à chaque communiqué - vous savez, sempiternellement, faire un communiqué de condamnation - nous nous demandons si nous condamnons fermement ou très fermement, et à quoi cela avance ? La phrase importante, c'est à la fin de ce communiqué, qui dit : "il n'y aura d'autre solution que la poursuite du processus de paix et la création d'un Etat palestinien". Pour la première fois, la Conférence de Paris était consacrée à l'Etat palestinien et le financement était pour l'Etat palestinien. C'était une avancée mais évidemment, elle est très insuffisante s'il n'y a pas d'Etat palestinien. Est-ce qu'il faut signer pour un Etat palestinien ? Est-ce qu'il faut reconnaître un Etat palestinien d'avance ? Je n'en sais rien mais il faut un Etat palestinien.
Q - Pourquoi n'avez-vous pas appliqué ce que vous avez demandé pour le Kosovo pour la Palestine ?
R - C'est justement ce que je viens de vous dire. Vous ne pouvez pas comparer.
Q - Vous êtes le champion de l'intervention humanitaire et cela fait 60 ans que le peuple palestinien est sous occupation et dans l'impasse. Je sais que vous avez une bonne volonté pour trouver une solution, mais on entend beaucoup de paroles et on voit peu d'actes sur le terrain.
R - C'est vrai, je le déplore autant que vous, mais la situation n'est pas la même. Pourquoi le Kosovo a été reconnu pour le moment par 22 Etats, si je ne m'abuse - et il y en aura 30, 40 et plus encore ? Parce que la situation spécifique du Kosovo, où il y avait eu une intervention internationale était - par rapport aux autres situations dont on parle, l'Ossétie du Sud, l'Abkhazie, le Nagorny Karabakh - tout à fait différente, parce qu'il y avait des troupes, des milliers d'hommes de l'OTAN et des milliers d'administrateurs des Nations unies. Là, ce n'est pas le cas.
En revanche, pour abonder dans votre sens, est-ce que cela servirait à quelque chose d'imposer cet Etat de l'extérieur ? C'est de l'intérieur que cela s'est fait au Kosovo. Nous avons dit, nous la France, que si une intervention d'interposition des internationaux, qu'ils soient soldats, administrateurs et sans doute les deux, était nécessaire, la France y participerait. Je déplore cette lenteur moi aussi. Tout le monde sait que cela ne peut pas finir autrement. Vous n'avez pas tort, cette question est juste.
Q - Est-ce que vous avez des nouvelles concernant Ingrid Betancourt ?
R - Nous n'avons pas, hélas, directement de nouvelles depuis celles qui ont été reçues par l'intermédiaire des quatre otages libérés. La question est plus large que celle que vous me posez. Comment avoir des nouvelles et comment, surtout, lui faire retrouver sa liberté ? C'est notre plus cher et unique désir. Non pas que nous ne nous intéressions pas aux autres otages. Il en reste simplement 5 ou 7 qui sont civils et il en reste des centaines d'autres. Grâce aux militants et grâce à l'action de la société civile, nous parlons d'Ingrid Betancourt parce que c'est la seule française et c'est notre devoir. Nous allons continuer - vous avez vu que le président de la République a à nouveau adressé à M. Marulanda une demande très précise : "c'est votre responsabilité en tant que chef des Farc" - parce que cette femme risque de mourir, en raison de la fragilité de son état de santé et peut être de sa maladie qui nous a été rapportée par les otages. On ne sait pas si c'est vrai ou non, mais c'est une maladie qui est non seulement terriblement fatigante mais qui met sa vie en danger. Le président de la République a dit à M. Marulanda : "ce geste humanitaire est nécessaire, indispensable et nous vous le demandons". C'est à lui de le faire.
A travers la médiation du président Chavez, nous avons libéré deux puis quatre otages. Les Farc ont libéré 6 personnes. Cela ne peut pas se faire sans être en contact avec M. Chavez, mais aussi avec M. Uribe. C'est sur le territoire de M. Uribe que cela se passe. Nous avons maintenu cette attitude nécessaire. La médiation de M. Chavez a été très utile. Il a été irremplaçable. Cependant le président Uribe existe, sa politique aussi et c'est son pays. C'est une situation terriblement contraignante dans laquelle nous nous sommes engagés, le président de la République le premier. Il a appelé, mercredi, M. Chavez, il a aussi appelé les présidents Correa, et Uribe. De mon côté je reviens de cette région.
La situation, hélas, est plus compliquée après la mort de Raul Reyes et le bombardement qui s'est déroulé de l'autre côté de la frontière en Equateur. Il nous faut nous obstiner. Nous nous obstinons et je pense qu'il faut passer par les mêmes canaux. Il y a une conférence des Etats américains en ce moment. Les trois présidents que je viens de citer sont présents à cette conférence et j'espère qu'il sortira quelque chose de positif de celle-ci. Nous poussons beaucoup pour parvenir à une solution. La dernière initiative française a été ce que l'on appelle "le groupe des pays amis". La dimension du groupe, le nom des personnes dans ce groupe, tout cela est évidemment discuté entre les pays dont j'ai parlé, en tout cas entre le Venezuela et la Colombie.
Nous voulons sauver Ingrid Betancourt, c'est un mouvement national et c'est devenu un mouvement international. Le moins que l'on puisse dire, c'est parce que le président Sarkozy s'y est attaché lui-même. Il n'y a pas maintenant un chef d'Etat américain ou sud-américain qui ne soit saisi de ce cas et qui ne veuille participer, appuyer ce mouvement de libération de tous les otages et d'Ingrid Betancourt en particulier.
Q - L'ambassadeur de France en Equateur pense que des contacts ont eu lieu récemment entre l'Equateur et les Farc pour une opération programmée et qui a échoué à cause de l'opération contre le numéro deux des Farc. Quelles autres informations avez-vous sur ce sujet ?
R - Pas d'autres informations. Nous savions que le mouvement allait se poursuivre. Nous le souhaitions. Nous avions dit, et le président de la République l'a confirmé, qu'en effet, nous étions prêts - surtout le président de la république qui a une autre présence que la mienne - à aller à la frontière pour accueillir les otages qui seraient libérés. Nous n'avons pas d'autres informations que celles qui ont déjà été recueillies. Le mouvement se continuait, il avait jusque là réussi.
Q - Vous êtes en contact avec les Farc ?
R - Actuellement, tout de suite et pour l'heure, non. Nous étions en contact, vous le savez, notre contact était en particulier M. Raul Reyes.
Q - Quelle est la position de la France concernant le plan d'action pour l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN ?
R - Laissez-nous le temps. Nous avons discuté de cela.
Q - Mais combien de temps ?
R - Vous aurez plusieurs années devant vous. Il y a tout un processus. Nous avons hier discuté entre ministres des Affaires étrangères au sujet de la réunion de Bucarest et très précisément du désir de l'Ukraine d'acquérir le Map. Ce Map, il faut du temps pour l'avoir, mais nous comprenons parfaitement les aspirations de l'Ukraine et le président Sarkozy l'a dit à votre président lorsqu'ils se sont rencontrés il y a deux semaines à Paris. Laissons faire cela. Plusieurs pays ont aussi fait cette demande. Il y a la Croatie, l'Albanie, l'ARYM, l'Ukraine, la Géorgie. Ces demandes sont très légitimes, nous acceptons cela. Il y a des conditions pour entrer dans l'OTAN, il y a des chapitres à ouvrir, mais ne vous désespérez pas, au contraire. Tous les pays qui venaient de l'Est étaient tout à fait partisans d'aller vite avec l'Ukraine mais il ne faut pas oublier les autres.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 mars 2008