Interview de Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et aux droits de l'homme, à Europe 1 le 18 mars 2008, sur l'euthanasie active, la situation au Tibet et sur les élections municipales.

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Média : Europe 1

Texte intégral

B. Duquesne.- R. Yade, bonjour.
 
R.- Bonjour Monsieur Duquesne.
 
Q.- Merci d'être là avec nous ce matin sur Europe 1. La justice a refusé hier la demande d'euthanasie active formulée par C. Sébire. Est-ce que cela veut dire qu'il n'y a pas de droit à mourir dans la dignité, de droit de l'homme ?
 
R.- Les souffrances atroces de Mme Sébire sont il est vrai bouleversantes. Personne ne peut et n'a le droit de juger car personne ne peut se mettre à sa place. Moi, personnellement, son calvaire me touche. Je ne peux donner qu'un avis personnel, parce que la loi a parlé, le juge a donné son avis.
 
Q.- La loi Leonetti d'avril 2005 instaure un droit à laisser mourir, à l'euthanasie passive mais pas à l'euthanasie active. Est-ce qu'il faut la changer cette loi ?
 
R.- C'est au législateur de décider. C'est vrai que ce sont des débats de société difficiles, pas encore apaisés. C'est que, juridiquement la décision est correcte, humainement c'est vrai qu'elle est difficile, mais ce n'est qu'un avis personnel. Au-delà, notre droit est ce qu'il est. Donc...
 
Q.- Mais est-ce que c'est personnel, choisir le moment de sa mort ? Pour vous c'est un droit fondamental ?
 
R.- Je ne peux pas me mettre à la place de quelqu'un. Toutes les souffrances sont vécues par chacun, de la manière dont elles sont vécues. Donc, je n'aurai jamais la prétention de me mettre à la place de Mme Sébire. Tout ce que je vois, c'est que c'est vrai que ses souffrances sont bouleversantes, que son calvaire me touche, me bouleverse. Mais au-delà, c'est vrai que... voilà, il y a une loi, il y a notre droit, et puis il y a aussi notre perception humaine de l'autre côté.
 
Q.- Donc, on s'en tient au droit pour l'instant. R. Yade, vous êtes secrétaire d'Etat chargé des Affaires étrangères et des Droits de l'Homme. L'autre actualité de la nuit, c'est la conférence de presse du Premier ministre chinois, cette nuit, en Chine, et qui nous dit : c'est le Dalaï-lama et "sa clique", je cite, qui sont responsables des émeutes au Tibet et qui veulent saborder les Jeux Olympiques. Qu'est-ce qui se passe au Tibet ? Qu'est-ce que doit faire la France au Tibet ?
 
R.- Le Tibet est sous contrôle depuis 1951, et puis il y a déjà eu des émeutes en 89 et celles que l'on vit aujourd'hui sont les plus graves depuis cette époque. C'est vrai qu'il y a une confrontation entre la position de la Chine et puis celle du Tibet ; les Tibétains estimant notamment par la voix du Dalaï-lama - il a employé le mot de "génocide culturel" pour qualifier ce processus de sinisation du Tibet avec le chemin de fer Pékin-Lhassa, avec l'implantation de Chinois sur le Tibet...
 
Q.- Est-ce qu'il n'est pas temps de hausser le ton vis-à-vis de la Chine dans cette question du Tibet ?
 
R.- Nous, on a exprimé - nous la France mais aussi les 27 - de manière particulièrement forte notre préoccupation. Je le redis aujourd'hui. Moi je continue à suivre de très près la situation au Tibet, et à nouveau, on appelle les autorités chinoises à la retenue, à engager un dialogue direct avec le Dalaï-lama, parce que le Dalaï-lama n'est pas un extrémiste. Il plaide pour la voie moyenne, il ne plaide pas pour l'indépendance. D'ailleurs, ce qui le met un petit peu en difficulté par rapport au Gouvernement en exil, composé de jeunes qui va beaucoup plus loin dans les revendications.
 
Q.- Donc, pour vous, l'interlocuteur c'est le Dalaï-lama ?
 
R.- Voilà, l'interlocuteur c'est le Dalaï-lama. Nous demandons aussi à ce que les manifestants pacifiques, je le répète, soient libérés, [qu'ils] soient libérés de là où ils ont été enfermés, parce que tout escalade sur la question du Tibet aura des conséquences sur l'image de la Chine, de nos amis chinois, par rapport aux Jeux Olympiques.
 
Q.- Alors, "aura des conséquences". Jusqu'où ?
 
R.- Ecoutez, parce que cela peut ternir l'image. Je veux dire que la Chine, lorsqu'il lui a été accordé l'organisation des Jeux Olympiques, elle s'était engagée à respecter la Charte des Jeux Olympiques qui dit qu'il y a des principes éthiques fondamentaux universels à respecter, et donc ce serait important que la Chine s'engage vers plus de retenue, libère les prisonniers et puis enfin, engage un dialogue direct et clair avec le Dalaï-lama.
 
Q.- Mais jusqu'où, ou faut-il aller jusqu'à envisager le boycott ? Est-ce qu'il faut se servir de cette arme du boycott, comme le réclament B.-H. Lévy, J. Lang et d'autres ?
 
R.- La France n'est pas favorable au boycott, je l'ai déjà dit et je le répète, parce que cela peut permettre sans doute de se donner bonne conscience, mais à partir du moment où la communauté internationale a accordé à la Chine l'organisation des JO, autant aller jusqu'au bout. Mais un boycott ne permettra pas de régler le problème du Tibet, ni la question des droits de l'Homme en Chine. Au contraire...
 
Q.- Est-ce qu'il faut envisager alors d'autres actions spectaculaires ? C'est R. Badinter, par exemple, qui disait qu'on peut demander aux athlètes de faire des gestes spectaculaires. On se souvient du geste des athlètes noirs américains à Mexico, aux J.O. ?
 
R.- Les athlètes sont libres, ce n'est pas aux politiques de dire aux athlètes ce qu'ils doivent faire, surtout que les politiques peuvent aussi avoir leur propre opposition. C'est vrai que les athlètes ont souvent été en avance et n'ont pas hésité quelquefois, ont peut-être plus de liberté de le faire, mais en tout cas...
 
Q.- Et vous trouveriez que ce soit éventuellement une bonne chose qu'ils le fassent, à cette occasion-là ?
 
R.- Moi, ce que j'espère, c'est qu'on n'en arrive pas là, c'est-à-dire que la Chine prenne conscience que ces JO sont importants pour son image dans le monde, et prenne des initiatives des initiatives en conformité avec la Charte des Jeux Olympiques, en faisant des gestes, des signaux. On le demande aux Chinois en toute amitié, parce qu'on ne pourrait pas se contenter d'une ouverture à la carte ou à géométrie variable. Il faudrait que... parce que sinon l'effet boomerang est inévitable, on le voit avec le Tibet. Donc, pour ne pas que les événements comme cela entachent l'organisation de ces Jeux Olympiques, nous pensons que nos amis chinois devraient accepter l'ouverture sur la question des droits de l'homme, davantage.
 
Q.- Vous dites : pourquoi pas un geste des athlètes. Ce sera leur choix, y compris les athlètes de la délégation française ? (...) Du côté des officiels, est-ce que cela peut être aussi l'occasion pour les officiels de ne pas se rendre à la cérémonie d'ouverture, par exemple ? Est-ce que vous, vous irez, est-ce qu'il est question que vous y alliez ?
 
R.- Moi si je suis invitée, je ne sais pas.
 
Q.- Est-ce que vous iriez là-bas en Chine pour cette cérémonie d'ouverture des JO, vous, secrétaire d'Etat aux Droits de l'Homme ?
 
R.- Ecoutez, moi j'adorerais, parce que c'est un moment important sur le plan sportif et sur le plan politique. C'est un tournant pour la Chine. Fera-t-elle ou non l'ouverture, cette ouverture que le monde attend ? La Chine est regardée. Pourquoi pas, mais enfin. Après, il faut qu'on vous accorde un visa, il faut que les autorités chinoises acceptent. Il y a beaucoup de conditions, mais en tout cas, de mon point de vue, je suis tout à fait ouverte à cela.
 
Q.- Si on vous invite, vous irez ?
 
R.- Oui, oui.
 
Q.- Avec votre langue...
 
R.- Mais non, il n'y a pas besoin...
 
Q.-...A dire des choses là-bas ou pas ? Ce sera l'occasion de dire des choses. Vous savez les dire quelquefois.
 
R.- Mais attendez ! Si je suis invitée en Chine, croyez-moi, je saurai me comporter avec beaucoup de retenue, parce que j'appelle les Chinois à la retenue, donc, moi aussi je serai en retenue. Mais c'est un événement sportif, donc on y va pour regarder un événement sportif. Et si j'y vais, c'est parce que j'estime à ce moment-là que les événements sont suffisamment clairs, clarifiés, pour me permettre d'y être.
 
Q.- Dernière question sur ces J.O., parce qu'on a l'impression que l'Europe est un peu en deçà ce matin, qu'elle est un peu prudente, je me demandais jusqu'où on pouvait aller pour préserver les Jeux Olympiques, jusqu'où ou pas on peut aller pour défendre les droits de l'Homme ?
 
R.- C'est une question : jusqu'où peut-on aller ?
 
Q.- Oui, pour défendre les droits de l'Homme, quand on les met en garde des JO ?
 
R.- Je crois que la France n'a pas à rougir de sa position. On a une position qui est claire, qui a été répétée. Maintenant, l'Union européenne s'est exprimée également, à 27, ce qui n'est quand même fréquent, et donc c'est déjà bien. Maintenant, on verra comment évolue la situation au Tibet, mais je pense que nous sommes préoccupés pour l'instant, et nous continuons à suivre la situation de très près, et nous avons fait des demandes très claires.
 
Q.- Alors revenons en France. Vous sortez d'une élection, vous au niveau local à Colombes, puisque vous étiez 3ème sur la liste du maire sortant à Colombes.
 
R.- N. Gouetta.
 
Q.- Vous avez été battue. Comment avez-vous vécu cette défaite et cette campagne ? Qu'en avez-vous retenu de cette campagne ?
 
R.- Avant toute chose, permettez-moi de vous dire que c'est pour moi une très grande émotion d'avoir été élue conseillère municipale de Colombes, dans la ville qui m'a accueillie en 87 quand je suis arrivée en France. Il y a deux jours, je n'étais pas élue. Aujourd'hui, je suis élue du suffrage universel. C'est pour moi un motif de très grande fierté que de représenter la ville de ma seconde naissance. Voilà.
 
Q.- Et la liste pour laquelle vous étiez a été battue !
 
R.- On m'a tellement dit que quand on fait de la politique, il faut être élu. Je suis élue aujourd'hui. Donc, on ne pourra plus jamais me dire que je ne suis pas élue.
 
Q.- Pour vous c'était important ?
 
R.- Pour moi, c'était important oui ! Victoire ou défaite, j'aurais été élue conseillère municipale. Sinon autrement, je vous rappelle que je n'étais pas candidate à la mairie mais candidate sur une liste, sur la liste de N. Gouetta qui était maire de Colombes. J'ai délibérément choisi un combat difficile en me présentant dans cette ville car j'estimais que c'est là que je pouvais être le plus utile.
 
Q.- Vous pensez que d'autres au Gouvernement ont choisi des combats moins difficiles ?
 
R.- Non, ce n'est pas cela. Ce que je veux dire par là, c'est que je n'étais pas en terme de mission, ni dans une opération de sauvetage. Parce que c'est une terre où la droite a perdu toutes les élections depuis 2001. J'y suis quand même allée parce que c'était chez moi. Et je n'avais aucune prétention à sauver la ville mais à la servir.
 
Q.- Comment vous expliquez cette défaite ? Que vous disaient les gens sur le terrain ? Est-ce qu'ils vous disaient qu'être du Gouvernement c'était un avantage ou c'était un inconvénient ?
 
R.- Non, pas du tout. Non, non, au contraire. Il y a un décalage entre les analyses nationales, les interprétations nationales et les réalités locales. Sur le plan local, cela m'a d'ailleurs un peu surpris vu ce que j'entendais au plan national, on ne m'a jamais abordé sur la question des politiques nationales. On voyait l'enfant du pays. Donc, les Colombiens m'ont très bien accueillie...
 
Q.- On ne disait pas "pouvoir d'achat, réforme..."
 
R.- Non, tout de suite après, c'était : qu'allez-vous faire pour tel quartier ? Qu'allez-vous faire pour améliorer l'éclairage public ? Donc, c'était sur des réalités très locales. Non, la difficulté pour moi, c'est que je n'étais pas tête de liste, je ne tenais pas forcément les rênes de la campagne mais j'en étais solidaire. J'ai épousé les choix d'une équipe sortante à laquelle j'ai voulu modestement apporter mes convictions. Mais au-delà, elle s'est battue admirablement jusqu'au bout. Parce que, comme je vous le dis, la gauche a gagné toutes les élections depuis 2001 sur Colombes. Donc, quand j'arrive sur Colombes, je sais à quoi je me frotte. Mais à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
 
Q.- Est-ce que c'est pour cela que vous avez peut être dérapé pendant cette campagne en disant que la gauche s'en prenait à vous parce que vous étiez noire, cela provoquait un tollé ?
 
R.- Non, il ne s'agit pas de dérapage. Il s'agit d'exprimer un sentiment à un moment donné de la campagne, lorsqu'on estime avec toute une équipe que certaines attaques vont trop loin. Voilà.
 
Q.- Vous ne regrettez pas ces propos là ?
 
R.- Non. Ce sont des faits, ce sont des choses qui ont été dites par les uns et par les autres qui faisaient que j'étais ramenée à des considérations un peu ethniques. Et je trouvais cela dommage. Parce qu'on est là engagés en tant que politiques au service d'une ville, et tout cela n'a pas à interférer. Donc, il ne faut pas laisser passer ce genre de choses.
 
Q.- Est-ce qu'il y a des prolongements judiciaires dans cette affaire là ?
 
R.- On a tous les deux dit la même chose, parce que vous savez, c'est les soubresauts d'une campagne municipale.
 
Q.- Cela fait partie d'une campagne !
 
R.- Il faut rappeler qu'au premier tour, il y avait 300 voix d'écart. Donc, c'était une campagne très, très serrée, très difficile où l'enjeu était important. Et nous on partait de très loin. Et donc, quand on a remonté au premier tour à trois cent voix, cela a tendu l'atmosphère.
 
Q.- Au niveau national, maintenant, défaite de la majorité à ces élections. Belle défaite, maxi défaite, disent certains pour un mini remaniement derrière. Est-ce que la seule victime expiatoire de cette défaite, c'est le porte-parole de l'Elysée ?
 
R.- A partir du moment où les élections municipales sont des élections locales, il est normal de ne pas bouleverser l'architecture gouvernementale. Mais par contre le message des Français a été entendu par ce Gouvernement.
 
Q.- En quoi a-t-il été entendu s'il n'y a pas de changement derrière ?
 
R.- Le changement il est dans ce remaniement dont vous parlez. Il y a aussi le maintien du cap des réformes. Parce que ce qui c'est exprimé dans les urnes, c'est une impatience, une exigence des Français vis-à-vis de ces réformes. Le mouvement sera amplifié au niveau des réformes pour que les Français en voient le plus vite possible les résultats. C'est cela les conséquences de ces élections.
 
Q.- Donc, cette abstention ou ce vote contre la majorité, pour vous c'est un encouragement à poursuivre les réformes ?
 
R.- C'est un encouragement à poursuivre, à aller encore plus vite dans les réformes dans un souci d'efficacité et de justice.
 
Q.- Et vous avez un mot pour D. Martinon qui quitte ses fonctions ?
 
R.- Oui. Vous savez la vie politique est dure, dure pour tout le monde. On est chacun un jour amené à connaître ce genre de choses. Donc, c'est vrai que dans ces moments-là, quelles que soient les relations qu'on a avec une personne, on a envie d'exprimer aussi sa solidarité. Parce que cela peut arriver à tout le monde, c'est la vie politique qui est difficile et cruelle.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 18 mars 2008