Déclarations de Mme Margie Sudre, secrétaire d'Etat chargé de la francophonie, sur les propositions françaises pour développer les contenus francophones sur Internet et créer un fonds francophone pour le développement des inforoutes, Montréal les 20 et 21 mai 1997.

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Circonstance : Conférence des ministres francophones chargés des inforoutes à Montréal (Canada) du 19 au 21 mai 1997

Texte intégral

fait deux ans jour pour jour que j'ai été nommée dans les fonctions de secrétaire d'Etat chargé de la Francophonie. Je n'imaginais pas alors que les nouvelles technologies de la communication deviendraient si rapidement l'un des principaux sujets de concertation et de réflexion de la communauté francophone. Cela s'est pourtant fait spontanément et sans difficulté, et la ligne qui nous a conduits de Cotonou à Montréal a été je crois droite et sans détours.

Nous avons d'abord été tous soutenus par la conviction que l'avenir du français comme grande langue internationale se jouait sur ces nouveaux réseaux. Comme le soulignait le président de la République Jacques Chirac dans son discours au Haut Conseil de la Francophonie le 30 avril 1996, "si, dans les nouveaux médias, notre langue, nos programmes, nos créations ne sont pas fortement présents, les jeunes générations de nos pays seront économiquement et culturellement marginalisées".

Nous avons également su éviter d'adopter une attitude stérile de méfiance et de repli sur soi. Sans prendre à la légère le danger que ces nouveaux instruments puissent favoriser la suprématie d'une seule langue au détriment de toutes les autres, nous avons su comprendre qu'il fallait agir avec la détermination et la confiance nécessaires, sans rodomontades, pour que les inforoutes servent la promotion de notre langue et de nos cultures parce qu'en dépit peut-être des apparences, celles-ci constituent d'abord une chance pour la Francophonie. Nous avons d'ailleurs tiré le plus large profit de nos différences qui font notre richesse et notre force. Nos partenaires du Canada, du Québec et du Nouveau-Brunswick ont en effet vécu avec quelques années d'avance cette révolution de l'information. Ils nous ont très vite alertés sur la menace qui pesait sur l'usage du français chez eux mais aussi sur la chance que ces nouveaux réseaux pouvaient représenter pour la diffusion et l'enracinement de notre langue, pour peu que nous sachions en imposer l'usage.

La France, avec vingt ans d'expérience de services en ligne et le Minitel, peut quant à elle se prévaloir d'une avance incontestable en matière de commerce electronique

Elle poursuit, par le développement de l'Internet, cet ambitieux projet dans le cadre de la politique de l'Union européenne "Société de l'information".

Elle s'engage résolument à poursuivre ce développement, comme en témoignent les nombreuses initiatives concrètes, tant au niveau de l'adaptation du cadre réglementaire que celui du soutien au contenu et à la reconduction des expérimentations, telles la mise en réseau depuis deux ans de 1400 écoles et collèges.

Tout ce savoir-faire, aussi bien en offre de services qu'en apprentissage, par toutes les couches sociales de la population, la France est naturellement disposée à en faire bénéficier la Francophonie. De la même façon, elle souhaite s'enrichir des expériences et des idées de ses partenaires.

Nous avons enfin rappelé que ces technologies devaient être au service de tous, pour un meilleur accès au savoir et pour un meilleur partage des richesses. Le développement spectaculaire des inforoutes est d'abord le fruit de milliers d'initiatives et chacun sent bien que personne ne dirige ni ne maîtrise cette véritable révolution. C'est même l'une de ses caractéristiques essentielles. Mais la Francophonie, fidèle à sa vocation particulière de solidarité, affirme cependant la volonté de veiller à ce que le développement des inforoutes ne soit pas une nouvelle occasion, plus redoutable encore que les autres, de laisser se creuser un fossé entre le Nord et le Sud. Voilà pourquoi nous, francophones, répétons sans cesse que cette nouvelle révolution n'a de sens et d'utilité véritable que si l'ensemble des peuples de la planète y sont associés. La société de l'information, dans chacun de nos pays comme à l'échelle du monde, doit nous aider à promouvoir l'égalité des chances et un accès démocratisé à l'information, à la communication, et au savoir.

Ces principes ont été fixés dans une résolution adoptée par les chefs d'Etat et de gouvernement à Cotonou. Il nous revient maintenant, à nous ministres, de leur proposer la meilleure façon de les mettre en oeuvre pour qu'à Hanoï ils puissent approuver un plan d'action qui affirmera la Francophonie comme un acteur à part entière du développement des nouvelles technologies.

Nous avons été aidés en cela par la précision et la qualité tout à fait remarquable des travaux coordonnés par l'Agence sous l'autorité du recteur Michel Moreau. La méthode mise en oeuvre, avec le travail conduit dans les cinq ateliers régionaux, n'a sans doute pas d'équivalent. Plusieurs priorités d'action ont été dégagées. Je voudrais revenir sur trois d'entre elles :

- le soutien à la création de contenus francophones me paraît la plus importante. Les contenus, chacun en est convaincu, sont la clé de cette révolution. Ce qui a fasciné à l'origine d'Internet, c'était l'accès instantané, au bout des doigts, à toute l'information du monde. C'est l'outil nouveau qui fascinait. Passé ce premier mouvement, ce sont des programmes et des échanges de qualité que demandent les utilisateurs, et d'abord évidemment dans leur langue. A cet égard, la France connaît depuis deux ans ce cercle vertueux qui voit l'augmentation du nombre des utilisateurs être strictement proportionnelle à l'accroissement de l'offre de programmes et des serveurs en français. Le gouvernement français accompagne ce mouvement en encourageant la création et la mise en place sur les réseaux de programmes attractifs, utiles et consultables par tous. Je citerai ainsi l'effort que conduit la France pour numériser les collections d'art de ses musées et les catalogues de la Bibliothèque nationale de France. Celle-ci aura ainsi réalisé d'ici l'an 2000 une bibliographie mondiale de la Francophonie qui sera disponible sur support numérique et qui sera régulièrement mise à jour.

Cet effort, nous devons le conduire ensemble, entre pays francophones. Nous disposons collectivement d'un patrimoine exceptionnel qu'il nous revient de mettre en valeur. Ensemble, nous constituons un marché mondial.

- Pour valoriser les contenus de qualité mis à disposition, il est aussi nécessaire d'en faciliter l'accès grâce à des moteurs de recherche sur Internet qui soient spécialisés et performants, compléments indispensables et si possible préalables à des outils de traduction automatique. Les travaux de recherche dans ce domaine sont susceptibles de recevoir des aides publiques françaises, les recherches ainsi développées pouvant alors être utiles à toute la communauté francophone.

La force que nous représentons collectivement doit évidemment être utilisée sans inhibition. A nous de convaincre les industriels de développer des outils en français qui permettent d'accéder à l'information. A nous de peser dans les instances internationales de normalisation pour éliminer les obstacles techniques qui subsisteraient à la diffusion de tous les signes du français ainsi que des langues partenaires. A nous de nous concerter et de nous entendre toutes les fois que l'on traitera dans les réunions internationales de domaines comme celui de la propriété intellectuelle où nous avons des valeurs communes à promouvoir et à défendre.

- Enfin le développement d'une aire francophone d'éducation, de formation et de recherche est un atout indispensable dans l'organisation de notre communauté. Cette aire francophone sera naturellement constituée par un partage de nos compétences et de nos ressources et par la mise en réseau de projets menés dans nos différents pays. Nous disposerons alors d'un remarquable outil de développement. Je pense en particulier au projet d'université francophone virtuelle qui permettra de mettre en commun les compétences et les ressources des universités du Sud et favorisera l'intégration de leurs chercheurs dans les cercles internationaux.

Voilà, Monsieur le Président, l'ambition que nous devrions, nous francophones, traduire en une action commune. Le plan que nous adopterons à l'issue de cette conférence se concentrera sur ces domaines où la Francophonie a naturellement sa place et où elle s'affirmera comme un acteur crédible de développement des nouvelles technologies de l'information.

La France souhaite que les moyens nouveaux qui seront affectés à cette priorité soient bien visibles et bien identifiés. C'est pourquoi elle propose qu'une ligne budgétaire spécifique, qui pourrait prendre le nom de Fonds francophone pour le développement des Inforoutes, soit inscrite au Fonds multilatéral unique. Ce Fonds manifesterait symboliquement et pratiquement la réalité de notre engagement mais il permettrait également d'ouvrir ce domaine stratégique à des financements complémentaires, de partenaires privés, d'entreprises, de collectivités locales, pour le plus grand profit de la coopération entre les pays du Nord et ceux du Sud.

Monsieur le Président, permettez-moi en conclusion de réaffirmer ma conviction que les nouvelles technologies de l'information constituent une chance extraordinaire pour la Francophonie. Elles permettront aux cultures diverses qui composent notre communauté d'affirmer leur unité autour de la langue française.

Une fois encore, la Francophonie montre qu'elle répond parfaitement aux besoins de notre temps en offrant à des peuples dispersés un moyen de communication, le français, et en permettant à ceux qui le pratiquent de participer aux mouvements du monde contemporain tout en mettant en valeur leur identité particulière. C'est à cette condition que nous vivrons, demain, dans un monde où le progrès ne sera pas ressenti comme une aliénation mais compris, accepté et conduit par l'ensemble de nos concitoyens.
introduire notre réflexion sur la création et la circulation de contenus francophones sur les inforoutes.

Je voudrais tout d'abord préciser que si, pour la commodité des débats, nous avons été amenés à traiter cette question séparément de celle de l'accès aux inforoutes, elles sont évidemment étroitement liées. Sans infrastructure ni équipement, sans amélioration des conditions d'accès aux inforoutes, sans mise à la disposition du plus grand nombre de postes d'accès dans les écoles, les bibliothèques, les lieux publics et commerciaux, notre effort pour mettre en valeur les ressources de la Francophonie n'aurait guère de sens. Pour paraphraser Michel Serres, intervenant devant les membres du comité scientifique : "A quoi bon imprimer un livre qui ne serait ni lu ni diffusé ?".
Cependant, et c'est un aspect essentiel, les infrastructures ne se développeront pas chez nous sans contenu francophone spécifique. J'ai rappelé ce matin que la France connaissait depuis deux ans ce cercle vertueux qui voit l'accroissement du nombre d'utilisateurs être strictement proportionnel à l'augmentation de l'offre de programmes et de serveurs en français. Il s'agit donc, comme le souligne le rapport rédigé en France par M. Martin Lalande, "d'augmenter l'attractivité de l'Internet" par "une véritable" politique de contenus. Voilà le domaine où la Francophonie a naturellement sa place et où elle doit s'affirmer comme un acteur crédible du développement des nouvelles technologies de l'information. La Francophonie y a naturellement sa place car avec la question des contenus, c'est l'avenir de notre langue commune, notre façon d'être et notre mode de pensée qui sont en cause. Face à la mondialisation des marchés renforcée par celle des télécommunications, le risque est grand qu'il n'y ait, à l'avenir, de place que pour une culture qui ne serait pas la nôtre. C'est en même temps un domaine où la Francophonie peut s'affirmer comme un acteur crédible car, pourquoi se le cacher, ses interventions seront à la mesure de ses moyens que la France souhaite voir s'accroître mais qui ne pourront néanmoins atteindre les niveaux nécessaires à des actions de grande ampleur dans le domaine des infrastructures.

Notre communauté peut, à mon sens, développer une stratégie concertée dans trois domaines :
- tout d'abord, encourager une offre de contenus culturels, à partir des oeuvres relevant de nos patrimoines. La France s'est engagée dans un plan ambitieux de numérisation de son patrimoine et chacun sait que le serveur du musée du Louvre est l'un des plus consultés dans le monde. Aidons tous les Etats de notre communauté à faire de même et mettons en réseau les bases de données de nos musées et de nos bibliothèques afin de constituer de véritables musées ou bibliothèques virtuelles francophones ;

- nous devons également renforcer la présence de nos administrations sur les inforoutes, conformément aux besoins des citoyens, en développant des passerelles entre les serveurs ministériels, à l'image des sites miroirs installés entre les ministères français et québécois de la Culture ;

- enfin, parmi les domaines où il est essentiel que les francophones agissent de concert figure celui de l'éducation, de la formation et de la recherche. Le réseau REFER a déjà permis de créer une communauté scientifique francophone mais comme l'indique le projet de plan d'action, dans ce domaine, "le champ d'action est loin d'être entièrement couvert". Je rappelle l'intérêt commun que nous avons à développer un vrai projet d'université francophone virtuelle, c'est-à-dire qui soit conçu et réalisé par des francophones. Je reprends entièrement à mon compte vos propos, Madame la Présidente. Nous ne pouvons pas nous contenter de produits venus d'ailleurs et traduits en français. Dans le domaine de la formation et de l'éducation, "il faut faire les choses par nous-mêmes, directement en français, pour les francophones".

Je voudrais terminer ces quelques pistes de réflexion en rappelant la proposition que j'ai faite ce matin de création d'un Fonds francophone pour le développement des inforoutes. Celui-ci serait évidemment appelé à financer des projets retenus par les Etats et les gouvernements, et conduits par l'Agence, d'autres opérateurs spécialisés ou par des acteurs de la vie économique ou sociale dans les domaines que je viens de citer, le Musée virtuel francophone, recommandé par le sénateur Laffitte dans son rapport, la Bibliothèque francophone ou l'université francophone virtuelle, par exemple. Il permettrait également d'aider à la création de contenus multimédias sur la base d'appels à initiatives associant subventions et fonds privés.

Voilà, Madame la Présidente, les quelques réflexions que je souhaitais vous présenter avant que ne s'engage le débat.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 novembre 2001)