Interview de M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, à "France 2" le 3 avril 2008, sur le débat parlementaire sur les OGM, sur les conséquences de la hausse des prix des produits agricoles, et sur le débat soulevé par la tenue des jeux olympiques en Chine.

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Média : France 2

Texte intégral

F. Laborde.- Avec M. Barnier, nous allons, en effet, parler d'agriculture, et nous allons commencer par ce débat qui se tient à l'Assemblée nationale sur les OGM - les organismes génétiquement modifiés. Cette nuit, le Parti socialiste a déposé un amendement qui a été voté, et cet amendement prévoit, pour dire les choses simplement, qu'il y aurait des sortes de "zones", "zones d'appellation d'origine contrôlée", comme un peu pour les zones d'AOC, où il n'y aurait pas du tout de cultures OGM, c'est cela l'idée ?

R.- C'est un amendement qui a été voté au milieu de la nuit, dans le cadre des premières dispositions du texte, donc ce n'est pas dans les principes et dans les détails, la discussion va continuer. Il y a des centaines d'amendements qui sont déposés, c'est un sujet sensible. Je veux rappeler que ce texte, ce n'est pas un texte pour ou contre les OGM, c'est un texte qui prévoit les conditions dans lesquelles on pourra cultiver, éventuellement, avec des OGM, comme on a pu le faire dans les années passées - on ne le fait pas cette année parce que le président de la République a appliqué la clause de sauvegarde - ou, au contraire, on a la garantie de pouvoir cultiver de manière conventionnelle. Donc, je veux rappeler simplement que les zones AOC, d'appellation contrôlée, qui ont des conditions de biodiversité, des conditions de cultures particulières, peuvent déjà se protéger dans les zones AOC. Ceux qui les gèrent peuvent dans leur propre cahier des charges imposer la règle qu'il n'y ait pas d'OGM. Donc, franchement, sur ce texte, j'espère qu'un jour dans ce pays, bientôt, on pourra discuter avec un peu plus de raison et un peu moins de passion de cette question. Et surtout, ne pas oublier que, derrière tout cela il y a de la recherche. Les OGM, ce n'est pas seulement de la culture, c'est de la nutrition, c'est de l'industrie, c'est de la thérapie. La mucoviscidose par exemple, peut, pourrait se soigner mieux avec certaines recherches OGM. Donc, pas d'angélisme et pas de catastrophisme. Il y a des questions, il y a des doutes. Je voudrais qu'on réponde aux doutes et qu'on réponde aux questions aussi.

Q.- Certes, j'entends bien ce que vous dites, mais en même temps, le Parti socialiste dit que cet amendement est une grande victoire. Et dans le même temps, certains députés de la majorité, je pense, notamment, au sénateur J.-F. Le Grand, dit : un grand groupe industriel - Monsanto, pour ne pas le citer - fait pression pour qu'en effet la culture des OGM passe en France.

R.- J'ai trouvé la déclaration de M. Le Grand, que je connais bien, assez grave. Franchement, je pense qu'il n'y a aucune raison de dire ce qu'il a dit, aucune raison ! On parle de ce grand groupe, il y a eu même des commentaires, des articles, des films contre ce groupe. Je trouve dans toute cette polémique sur ce groupe une raison supplémentaire. Ne laissons pas cette recherche sur les OGM, et la culture éventuellement, à un seul groupe américain. Préservons, je le répète, notre capacité nationale européenne d'être indépendants. Sinon quoi ? Il va se passer quoi ? Il n'y a pas écrit dans un traité européen, que les céréales doivent être américaines ; que les biocarburants doivent être brésiliens ; que la recherche doit être chinoise et indienne. Et puis finalement, la facture seulement française, ou européenne. Gardons notre indépendance, gardons notre capacité, ne décourageons pas les entreprises et les laboratoires français et européens sur cette question.

Q.- C'est dans cet esprit-là qu'il faut aborder la semaine du développement durable ou bien c'est totalement à contre-pied ?

R.- Ce n'est pas seulement dans cet esprit-là. Encore une fois, la semaine du développement durable, qui est une très belle initiative, pour montrer que tout le monde, vous, moi, dans notre vie quotidienne on peut faire des économies d'énergie, d'électricité, d'eau. Tout le monde a quelque chose à faire pour faire attention aux ressources et aux espaces naturels qui ne sont ni gratuits, ni inépuisables. C'est une bonne semaine. Je ne suis pas dans la semaine du développement durable, je suis dans la décennie de l'agriculture durable, avec les agriculteurs que je vais d'ailleurs aller retrouver dans quelques instants à Nantes.

Q.- Justement, le 62ème de la FNSEA. Le président de la République, N. Sarkozy, était hier à l'ouverture, ce qui était une première.

R.- Oui, c'est un coup de chapeau au syndicalisme agricole. J'ai la chance comme ministre de l'Agriculture et de la Pêche d'avoir des syndicats, il n'y en a pas un, il y en a un très grand, la FNSEA, qui nous reçoit aujourd'hui, et qui a reçu le chef de l'Etat hier. Mais voilà des agriculteurs de secteur agroalimentaire, qui est représenté par de vrais syndicats qui les représentent vraiment. Et c'est une chance de pouvoir avoir... Il n'y a pas de complaisance...

Q.- C'est une sorte de cogestion d'ailleurs, même, avec les syndicats agricoles...

R.- Non, non. Je connais ce mot de "cogestion". Il y a une responsabilité. Et je vois dans les crises que nous affrontons ensemble en ce moment, il y a plein de crises - la fièvre catarrhale ovine, qui touche 82 départements....

Q.- Oui, d'ailleurs, A. Montebourg vous a demandé de faire plus, parce qu'il considère que le ministère ne fait pas assez.

R.- Oui, bien sûr, il n'y a pas que lui, les parlementaires de Saône-et-Loire et d'autres. 82 départements sont touchés par cette maladie animale qui est la plus grave crise sanitaire animale qu'on n'a jamais connue et que j'affronte avec les agriculteurs, de manière très responsable.

Q.- Fièvre catarrhale ovine...

R.- La fièvre catarrhale ovine, qui est une maladie non transmissible, et qui nous vient du nord de l'Europe alors qu'elle aurait dû venir du Sud. Ce qui veut dire que, dans le monde d'aujourd'hui, il faut être prêts à affronter des pathogènes émergents, des virus qui vont exploser un peu partout, touchant des végétaux, des animaux, parfois des humains. Il y a aussi ce qui s'est passé dans le Sud-est, avec le gel qui a détruit des centaines de productions d'abricots ou de cerises. On a des crises tout le temps. Et je veux dire un coup de chapeau au syndicalisme agricole qui est très responsable. Chacun est dans son rôle, le ministre et les syndicats, mais nous affrontons ensemble et les crises et les perspectives qui sont devant nous et qui sont assez positives du développement de l'agriculture et de la pêche.

Q.- Avant d'aborder ces perspectives qui passent par des réformes européennes, un mot justement sur les annonces faites hier par le président de la République. D'abord, sur les retraites des agriculteurs. On sait qu'elles sont maigrichonnes pour ne pas dire plus ; il y a 2 millions d'agriculteurs retraités à peu près, pour 570.000 actifs, donc ça fait du monde, ça pèse. Et c'est vrai qu'ils ne touchent pas grand-chose.

R.- Si l'agriculture est ce qu'elle est aujourd'hui, si on est dans un actif stratégique, on est un des éléments de la croissance pour notre pays - 9 milliards d'excédents du marché du commerce extérieur - c'est grâce à des hommes et à des femmes, des hommes et des femmes qui ont énormément travaillé pour gagner peu d'argent dans leur vie. Des agriculteurs qui sont à la retraite. Donc, le Président a clairement dit que ce sera une priorité. Les petites retraites qui sont souvent indignes, les femmes, les conjoints et les veuves, qui seront la priorité de cet effort.

Q.- Deuxième question : on a vu avec l'augmentation des matières premières, les terres agricoles augmentent, alors ça va en même temps avec une meilleure rémunération du prix des céréales, etc. Mais pour certains, ça pose un problème ?

R.- Et des problèmes pour ceux qui achètent ces céréales pour nourrir leurs animaux, donc il y a un contraste. Il y a globalement une ambiance meilleure, on l'a vu, au Salon de l'agriculture, parce que les prix des céréales ont augmenté, il ont retrouvé le niveau d'il y a 15 ans ; le lait a augmenté...

Q.- On en manque d'ailleurs...

R.- Oui, il a retrouvé le prix d'il y a dix ans, et c'est équitable de mieux payer les éleveurs pour le travail important qu'ils font, le bois a augmenté. Mais ça pose des problèmes graves pour ceux qui utilisent ces matières premières pour nourrir leurs animaux. Donc, globalement, il y a une ambiance meilleure. La Banque mondiale vient de dire : refaisons de l'agriculture le meilleur vecteur pour lutter contre la pauvreté. Le Forum de Da vos, il y a quelques semaines, disait que l'insécurité alimentaire - on voit de graves problèmes en Asie -, c'est une grandes menaces contre le monde aujourd'hui. Donc, il va falloir produire plus et longtemps.

Q.- C'est une bonne nouvelle pour les agriculteurs, pendant tellement longtemps on leur a dit : quotas, diminution, jachères, etc.

R.- C'est aussi une bonne nouvelle pour l'économie parce qu'il y a de plus en plus de jeunes qui vont s'installer, 16.000 installations par an, et c'est une priorité pour moi ; pour les emplois dans les zones rurales : c'est une bonne nouvelle pour l'économie qui en a besoin de bonnes nouvelles. Produire plus et produire mieux, voilà l'objectif que nous devons, avec la Politique agricole commune, remporter. Je rappelle que je suis le seul ministre du Gouvernement dont la politique est entièrement ou quasiment entièrement européenne.

Q.- Alors puisqu'on parle d'international ou presque, je voudrais qu'on change un peu de pied. Vous avez été ministre des Affaires étrangères, et vous avez aussi le seul à organiser des Jeux Olympiques...

R.- Avec J.-C. Killy et beaucoup de gens, beaucoup de volontaires.

Q.-...en France. Quand vous voyez ce qui se passe autour des JO à Pékin, la flamme va venir en France, que dites-vous ? Qu'en effet c'est légitime toute cette agitation ?

R.- Je dis que le boycott est impensable et que le silence est impossible, voilà ma conviction. Ce n'est pas seulement une formule. Le boycott est impensable. Ce serait humilier le peuple chinois, et ça serait en même temps ne pas comprendre que, si les Jeux ont été attribués à la Chine, ce n'est pas par hasard. C'est un acte Politique, avec un grand P, important, est c'est pour faire bouger les lignes. Si vous faites de la Chine quelque chose d'imperméable, si vous n'y allez pas, si vous ne parlez pas, les Chinois ne le sauront pas. Ma conviction c'est qu'il faut y aller, il ne faut pas boycotter, surtout pas le sport et surtout pas nos équipes, nos athlètes qui ont besoin d'être encouragés. Et en même temps, dire ce qu'on doit dire sur les droits de l'homme au Tibet.

Q.- Et leur demander qu'ils écoutent un peu plus les...

R.- Et puis dialoguer. Le chef de l'Etat, N. Sarkozy, est en dialogue avec le Président chinois.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 3 avril 2008