Interview de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, à France Inter le 26 mars 2008, sur les prévisions de croissance à la baisse pour l'année 2008 et l'allongement de la durée de cotisations à 41 ans pour les retraites.

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Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.- Interview de F. Fillon, Premier ministre, dans L'Express ce matin. Prévisions de croissance en baisse pour la France en 2008, ce sera 1,7 à 2 %, d'après le Premier ministre. Adieu, également, les baisses d'impôts. C'est un tournant, ça, non ?
 
R.- Je ne vois pas pourquoi vous dites ça sur les baisses d'impôts, parce qu'il me semble que, l'an dernier, avec notamment le paquet fiscal, comme certains l'ont appelé - ça ne me dérange pas de l'appeler le paquet fiscal -, nous avons rendu de l'argent aux Français. Quand sur les heures supplémentaires, on leur rend 6 milliards d'euros pour qu'ils les dépensent, quand on décide de supprimer les droits de succession pour 95 % des Français, quand on permet à ceux qui ont acheté leur maison ou leur appartement en 2007 de réduire leur impôt en 2008, c'est bien une baisse d'impôt. Et nous allons effectivement continuer ; 2007, 2008, 2009, 2010, de pouvoir mettre en place ce texte pour l'emploi et le pouvoir d'achat.
 
Q.- Il dit en tout cas que ce n'est plus la priorité aujourd'hui, F. Fillon...
 
R.- Vous savez, aujourd'hui, il y a de très nombreuses priorités à gérer en même temps. Pourquoi ? Parce que les Français ont le sentiment que depuis trente ans, droite et gauche confondues, ce n'est pas un sujet de polémique, les réformes ont trop tardé ou qu'elles n'ont pas été menées jusqu'au bout. Et qu'aujourd'hui, regardez, dans un domaine qui est le mien, dans le domaine que je porte à la fois avec N. Morano et V. Létard, nous devons porter en même temps, le dossier des retraites, le dossier de la dépendance et le droit opposable à la garde d'enfant. Parce que ce qui est prioritaire pour un salarié de 57 ans qui veut retrouver un emploi, n'est pas la même priorité que pour quelqu'un de 45 ans qui a ses parents victimes de la maladie d'Alzheimer ou d'une jeune femme qui veut savoir si elle va avoir une place en crèche pour ses enfants. Et vous ne pouvez pas dire à l'une : "vous attendrez deux ans pour qu'on mette en place la réforme". Tout est prioritaire pour les Français, ils sont exigeants comme jamais. Cela s'explique parce que cela fait maintenant trente années qu'ils attendent que notre pays sorte à la fois de l'ornière et du statu quo.
 
Q.- Il faut laisser filer les déficits, c'est ce que semble dire F. Fillon ?
 
R.- Il ne s'agit pas cela. Je crois que sur des sujets comme ceux-là, il faut se garder de la caricature ou de la facilité du commentaire trop rapide. Nous avons des engagements. Parce que, vous voyez, aujourd'hui nous avons une préoccupation, c'est d'aller chercher la croissance. Nous avons aujourd'hui 1 point de croissance qui nous manque par rapport à tous nos voisins européens. C'est ce point de croissance qui fait la différence. La vraie question c'est, avec cette croissance qu'est-ce que vous faites ? Il nous faut à la fois, rembourser ; nous ne pouvons pas continuer avec les déficits et les dettes que nous avons, parce que si nous ne remboursons pas, ce sont nos enfants qui le feront, et nous sommes la dernière génération à pouvoir être courageuse. Mais nous devons aussi en même temps investir dans l'enseignement supérieur, dans la recherche, dans la formation, dans l'industrie...
 
Q.- Les caisses sont vides, X. Bertrand...
 
R.- Mais vous savez comment vous faites dans ces cas-là ? Vous réformez. Et il y a un dernier point sur lequel je voudrais insister, car si vous devez rembourser et investir, vous devez aussi, et en même temps, partager. C'est le sens justement de la revalorisation de l'allocation adulte handicapé. Le président de la République l'a confirmée hier, 5 % de plus en 2008. Parce qu'il ne s'agit pas non plus d'oublier que les Français sont exigeants, et que quand nous tenons nos engagements, c'est pour deux raisons. Une raison éthique, nous avons pris des engagements pendant la campagne présidentielle ; cette fois-ci, les engagements n'ont pas été oubliés, ils seront tenus. Et le deuxième aspect, c'est une question d'exigence sociale et même d'efficacité économique. Quand vous augmentez sur cinq ans de 25 % le minimum vieillesse, de 25 % l'allocation adulte handicapé, les personnes concernées ne vont pas mettre de côté l'argent, elles vont le dépenser. Et cela, ça fait du carburant dans le moteur de la croissance.
 
Q.- On voit en tout cas que le contexte économique a du poids. M. Hirsch craint que le Gouvernement ne laisse tomber le Revenu de solidarité active. Que pouvez-vous lui répondre pour le rassurer ?
 
R.- M. Hirsch, le sait, je le soutiens et il est très soutenu en cette démarche du Revenu de solidarité active. Dans mon département, l'Aisne, ensemble, nous avons lancé l'expérimentation. Il est venu justement pour le mettre en oeuvre, ce Revenu de solidarité active. Parce que tant que vous n'êtes pas capable de répondre à une question précise : "est-ce que j'ai intérêt à reprendre un emploi ?", tant que vous n'avez pas répondu à cette question, c'est que le RSA trouve sa justification. J'ai vu dans mes permanences d'élu local, à de très nombreuses reprises, des personnes venir me voir en disant : "j'ai repris un emploi, j'ai moins qu'avant". Comment, dans ces cas-là, pouvoir envisager le retour vers un plein emploi ? Le RSA est indispensable pour aller vers le plein emploi...
 
Q.- Il y aura l'argent pour le financer ?
 
R.-...Parce que nous avons aussi la volonté.
 
Q.- Il y aura l'argent, X. Bertrand, pour le financer ?
 
R.- Comment faites-vous autrement ? Les grands discours, c'est passé de mode !
 
Q.- C'est lui qui fait état de craintes...
 
R.- Mais sur ce sujet, l'expérimentation a déjà été lancée dans nombre de départements. Il y a déjà des premiers résultats qui se font sentir. Le RSA, c'est une question de bon sens et ça a en plus du sens. Ne croyez pas non plus que M. Hirsch nous lui avons demandé de venir pour ne pas le mettre en oeuvre, le RSA.
 
Q.- L'autre grand dossier donc d'actualité cette semaine, c'est la réforme des retraites, 41 années de cotisations. A court terme, on va dire, c'est acté, ça ?
 
R.- Mais il n'y a pas que cela dans le rendez-vous des retraites.
 
Q.- Il y a aussi ça...
 
R.- Mais il n'y a pas que cela !
 
Q.- Oui mais il y a aussi ça !
 
R.- Oui, mais attendez, il s'agit de ne rien éluder. De toute façon, sur les retraites, vous avez...
 
Q.- Mais est-ce que c'est acté 41 ans, que l'on sache un peu vers où l'on va ?
 
R.- Attendez, ne vous emballez pas. C'est un dossier qui demande à la fois de la concertation et du sang-froid. Ce qui a été indiqué, c'est que vous avez trois leviers sur les retraites. Soit vous acceptez de toucher moins de pension de retraite, personne n'en veut ; soit vous acceptez de cotiser plus, et ça, cela ne fait pas de bien au pouvoir d'achat. Soit si on vit plus longtemps, il faut accepter de cotiser un peu plus longtemps, c'était la logique de 2003, c'est la logique de tous les pays européens. Et ce qui a été dit en 2003, c'est, sauf élément nouveau, nous passerons justement à 41 ans. A partir de demain, je reçois tous les partenaires sociaux, parce que je ne sais pas faire sans concertation, ça a toujours été ma méthode et ça restera. Je ne suis pas du genre à décider seul dans mon bureau. Et je vais maintenant entendre les propositions. Parce que nous avons...
 
Q.- On se concerte ou on négocie sur ce sujet-là ?
 
R.- Ce n'est pas un débat sémantique mais c'est une concertation...
 
Q.- Il y a quand même une sacrée nuance. Concerter, c'est parler ensemble ; négocier, c'est essayer d'échanger des arguments, des contre-arguments, des propositions, des contre-propositions.
 
R.- Et les partenaires sociaux, visiblement, souhaitent une concertation sur le sujet. Mais nous allons avoir deux points importants. Il va falloir des mesures généreuses qui sont attendues. Nous ne pouvons laisser les pensions de réversion au niveau où elles se situent aujourd'hui, 54 % de la pension du conjoint défunt. Nous ne pouvons pas et nous ne laisserons pas le minimum vieillesse à son niveau actuel, 628 euros, il sera augmenté de 25 %. Mais nous avons aussi des mesures courageuses pour les financer. Et j'attends des propositions sur les mesures généreuses comme sur les mesures courageuses, parce que nous devons être, les uns et les autres, au rendez-vous de nos responsabilités. Mais alors, il y a aussi un autre point sur lequel je serai très attentif et exigeant, c'est que pour moi, l'enjeu numéro 1 c'est l'emploi des seniors. Aujourd'hui, la retraite est à 60 ans, l'âge légal, on ne part pas à 60 ans en France, on part avant 60 ans. Parce que de très nombreux seniors sont éloignés, écartés du marché du travail, et aussi, parce que de nombreux salariés se disent : "si je suis en retraite, je suis à l'abri des crises économiques et sociales que nous avons connues". Nous avons besoin de redonner confiance ; ce sera aussi l'un des enjeux de ce rendez-vous retraites qui commence dès demain rue de Grenelle.
 
Q.- 41 ans, c'est négociable ou pas ?
 
R.- Je viens de vous le dire tout à l'heure. Non, mais attendez, je ne laisserai pas résumer, parce que je sens bien que c'est dans le paysage de dire "c'est uniquement 41 ans". Ce n'est pas seulement ça la question ! Pour l'emploi des seniors, nous sommes aujourd'hui quasiment lanterne rouge...
 
Q.- Je suis d'accord, bien entendu...
 
R.- Merci, je n'en demandais pas tant...
 
Q.- J'ai entendu la complexité de la description que vous venez de faire et l'ensemble des paramètres. Mais il y en a un qu'on ne peut pas enlever du paysage, pour reprendre votre image, c'est cette question de la durée de cotisations. Donc, 41 ans, est-ce négociable ou pas ?
 
R.- Mais je viens de vous répondre tout à l'heure ! Je peux vous refaire la réponse différemment. Nous avons aujourd'hui...
 
Q.- "Oui" ou "non" me suffirait...
 
R.- Ce n'est pas ma façon de faire la concertation. Nous avons dit, effectivement, en 2003 qu'il y aurait le passage à 41 ans, sauf élément nouveau. A partir de demain, je reçois l'ensemble des partenaires sociaux, ils vont me dire ce qu'ils proposent aussi comme mesures courageuses pour financer l'ensemble des mesures généreuses dont j'ai parlées tout à l'heure.
 
Q.- 41 ans, vous pouvez me dire "oui" ou "non", X. Bertrand ?
 
R.- Et vous, comment vous faites pour financer ?
 
Q.- Mais combien de temps on travaille ? Est-ce qu'on travaille 41 ans, 42, 43, 39, 40... ? Enfin, voilà, ce sont des questions qui se posent.
 
R.- Non, il y a des limites parce qu'on ne peut pas avoir le sentiment qu'on va travailler sans fin dans notre pays. Il y a des questions qui sont liées à la santé au travail, à la sécurité au travail. Il faut aussi pouvoir donner davantage de perspective aux Français. Mais je vous retourne la question : vous préférez toucher moins, cotiser plus, ou travailler un peu plus longtemps ?
 
Q.- On voudrait bien connaître les règles.
 
R.- Mais vous ?
 
Q.- Non mais on aimerait bien connaître les règles ! Moi je vous réponds sur un chiffre, si vous voulez, mais vous ne m'avez pas répondu !
 
R.- Si, je vous ai dit tout à l'heure que c'est l'une des solutions, l'augmentation de la durée de cotisations. Mais que pour moi, l'un des enjeux prioritaires c'est l'emploi des seniors. Nous ne pouvons pas nous permettre en France, aujourd'hui, de rester quasiment lanterne rouge en Europe.
 Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 26 mars 2008