Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
En septembre dernier, lorsque j'ai annoncé ma volonté de lancer un plan de renouveau pour le marché de l'art français, j'ai souligné que la France tenait toujours son rang de troisième place mondiale, grâce à la richesse de sa création et au dynamisme de ses professionnels - antiquaires, galeristes et maisons de vente. Mais selon une étude récente, ce rang lui aurait été ravi par la Chine pour la première fois l'année dernière.
La France se situe aujourd'hui très loin derrière les Etats Unis et le Royaume-Uni, avec à peine plus de 6 % des ventes mondiales contre respectivement 50 % et 25 %. Sur le long terme, le recul du marché français est indéniable. Cette régression relative était particulièrement nette en 2006, puisque les ventes en France ont progressé de 13 % alors que le marché mondial, pour sa part, connaissait une croissance de 36 %.
Par ailleurs, si le marché français reste encore soutenu par l'existence d'un patrimoine national considérable, qui en constitue la matière première, force est de constater que ce « réservoir » se vide inexorablement : deux oeuvres sont exportées quand une oeuvre est importée.
L'heure n'est plus à la prise de conscience du déclin. Cela fait longtemps que les professionnels tirent la sonnette d'alarme et pointent du doigt les blocages de notre système. Certains de ces blocages sont étrangers au marché de l'art : pression fiscale globale trop élevée, existence d'une place financière de moindre envergure que celle des autres grandes scènes du marché de l'art que sont Londres, New York, ou Hong Kong.
Mais de nombreuses pesanteurs fiscales ou réglementaires propres au marché de l'art sont également en cause. La méfiance réciproque entre les institutions publiques et le secteur privé - qu'il s'agisse des professionnels du marché ou des collectionneurs - ne contribue pas à les alléger.
Or, la vigueur du marché de l'art revêt pour notre pays des enjeux considérables :
Un enjeu économique, tout d'abord : ce secteur mobilise au moins 50 000 emplois directs - certaines estimations évoquent même le double - et près de 10 000 entreprises. Les ventes publiques s'élèvent à plus de 1,3 milliard d'euros et les ventes privées représentent probablement le quintuple. Je passe sur les effets économiques induits - notamment en matière de tourisme, de transport, d'assurance - qui sont immenses.
L'enjeu est également artistique : le marché de l'art est à la fois le débouché naturel, l'aiguillon et la vitrine privilégiée de la création contemporaine. C'est le rôle de l'Etat de soutenir les artistes par des subventions, des commandes et des acquisitions, mais non de maintenir la création sous respiration artificielle. Nous ne manquons pas, en France, d'artistes de grand talent, y compris de très jeunes artistes. Redynamiser notre marché de l'art, c'est aussi leur donner une chance de rayonner davantage à l'intérieur comme en dehors de nos frontières. L'enjeu social, aussi bien qu'artistique, est donc considérable : pour mémoire, 38 000 créateurs sont inscrits aujourd'hui au régime de sécurité sociale des plasticiens.
Nous avons des artistes et nous avons aussi un public. On observe un nouvel engouement pour tous les lieux du marché de l'art, les antiquaires, les salles des ventes, les galeries, les salons et les foires. 100 000 visiteurs à la Biennale des antiquaires, 80 000 à la FIAC, 145 000 à la dernière édition de la Biennale d'art contemporain de Lyon, qui a organisé pour la première fois une foire, appelée Docks Art Fair. Il y a une réelle envie d'art, de la part de nos concitoyens, et nous devons l'encourager.
Enfin, le dynamisme du marché de l'art français est bien sûr l'une des clés de l'enrichissement du patrimoine national et particulièrement des collections publiques. Il faut en effet rappeler que les dons des grands collectionneurs privés constituent le moyen privilégié du développement des collections des plus grands musées depuis plus d'un siècle.
C'est au regard de ces nombreux enjeux, que le Président de la République et le Premier ministre m'ont demandé, dans la lettre de mission qu'ils m'ont adressée le 1er août dernier, de « prendre les dispositions nécessaires pour redresser rapidement le marché de l'art français ».
Je le disais à l'instant, l'heure n'est plus à la prise de conscience. La nécessité d'agir pour rendre à notre marché de l'art son attractivité fait l'objet d'un constat largement partagé. Je tiens d'ailleurs à saluer les sénateurs Philippe Marini et Yann Gaillard, qui ont apporté une contribution particulièrement utile au débat, sous la forme d'une proposition de loi. Je salue également Pierre Simon qui a dressé un rapport éclairant pour le Conseil économique et social. Leurs conclusions et propositions particulièrement riches convergent largement avec celles du Gouvernement. Je ne doute pas que cette convergence s'exprimera à nouveau lors de l'examen par le Parlement des mesures nécessaires au renouveau du marché de l'art en France, que j'ai présenté tout à l'heure au Président de la république et au Premier ministre.
J'ai lancé à la rentrée dernière, vous le savez, une vaste mission de consultation, de réflexion et de proposition portant sur les moyens de stimuler le dynamisme du marché de l'art français et de renforcer l'attractivité de la place de Paris au regard de ses principales concurrentes.
J'en ai confié la responsabilité à Martin Bethenod, commissaire général de la Foire internationale d'art contemporain, qui vient de me remettre son rapport. Je tiens à le remercier vivement, ainsi que les autres membres qui composaient la mission. Je rappelle qu'il s'agissait de Catherine CHADELAT, conseiller d'État, membre du Conseil des ventes volontaires, de Guy COGEVAL, qui n'était pas encore le nouveau président du musée d'Orsay, de Nathalie MOUREAU, agrégée d'économie, spécialiste du marché de l'art, qui enseigne à l'Université de Montpellier et de Laurent VALLEE, maître des requêtes au Conseil d'État, qui était le rapporteur de la mission.
Ce rapport est un document de très grande qualité, qui a donné lieu à plus d'une centaine d'auditions de professionnels, de collectionneurs ou de responsables de grandes institutions publiques, français ou étrangers. J'en ai suivi l'élaboration très attentivement et j'ai noué, parallèlement, un dialogue actif avec toutes les parties prenantes - que je suis heureuse de retrouver dans cette salle. Cette concertation nous a permis de tester en temps réel, ensemble, le bien-fondé des hypothèses de travail examinées par la mission.
Nous lançons aujourd'hui, sur cette base, un véritable « Plan de renouveau du marché de l'art français ». Bien entendu, dans la mesure où nombre de ces propositions comportent des aspects réglementaires et fiscaux, j'ai saisi mes collègues chargés de l'Économie, de la Justice et du Budget. Pour la plupart, les arbitrages nécessaires ont été rendus par le Président de la République et par le Premier ministre. Si les échanges interministériels doivent encore se poursuivre sur quelques points particuliers, ces arbitrages permettent d'ores et déjà de dessiner la physionomie d'ensemble du Plan ainsi que celle de plusieurs mesures phares.
Ce plan se développe selon deux axes principaux.
1. Le premier axe consiste à faire de la France un pays de collectionneurs, qu'il s'agisse des particuliers ou des entreprises.
L'exemple des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de l'Allemagne ou du Japon le montre : le développement de la demande intérieure est crucial pour le dynamisme du marché national et de ses acteurs, comme pour son rayonnement international. En outre, les collectionneurs privés jouent un rôle essentiel dans l'enrichissement des collections publiques, mais également dans le financement de la création. Et leur poids économique est très supérieur à celui des institutions publiques.
Comment inoculer le virus de la collection ? Comment dédramatiser le premier achat ? Comment faire en sorte d'ouvrir plus largement le marché de l'art aux Français ?
Nous avons identifié deux séries de mesures pour y parvenir, à destination des particuliers, d'un côté, et des entreprises de l'autre.
a)Encourager les Français à devenir collectionneurs.
En France, on pense encore trop souvent que la collection d'oeuvres d'art est réservée à une élite intellectuelle et financière. Même si l'envie est là, le milieu du marché de l'art peut sembler intimidant, hors d'atteinte pour qui n'en maîtrise pas les codes. Il y a un vrai travail de sensibilisation et d'accompagnement à faire. Ce travail a porté ses fruits au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, où l'on voit se développer un vrai mouvement de collectionneurs plus modestes, auxquels les pouvoirs publics offrent un précieux coup de pouce.
Je pense au programme anglais Own Art lancé en 2004, qui a rencontré un grand succès, notamment auprès des classes moyennes. Son principe est simple : c'est un prêt sans intérêt, offert aux particuliers par une banque mécène. L'avantage d'un tel programme, c'est que la banque se fait le relais de l'opération auprès de ses clients, et permet ainsi de toucher un public souvent peu familier des galeries, des maisons de vente ou des antiquaires.
Nous allons donc mettre en place un dispositif de même nature en France, qui incitera à l'achat d'oeuvres d'artistes vivants auprès des professionnels du marché de l'art - et aura donc également pour effet d'encourager la création.
b) En ce qui concerne les entreprises, nous allons élargir leur intervention sur le marché de l'art en étendant le bénéfice du mécénat aux entreprises individuelles et aux PME.
En effet, depuis la loi du 23 juillet 1987, les entreprises peuvent déduire de leur résultat imposable le coût d'acquisition d'oeuvres d'artistes vivants, mais à condition que ces oeuvres soient exposées dans des lieux accessibles au public et aux salariés autres que leurs bureaux. Par ailleurs, le dispositif exclut les entreprises individuelles et les professions libérales. Enfin, il est peu attractif pour les petites entreprises, car le montant de la déduction est plafonné de façon uniforme à 0,5% du chiffre d'affaires.
Ces différentes conditions ou restrictions sont d'autant plus dommageables que plus de la moitié des opérations de mécénat engagées en France le sont par des PME.
Elles seront donc supprimées ou assouplies : d'une part, le dispositif sera ouvert aux entreprises individuelles et aux professions libérales ; d'autre part, le plafond de la déduction fiscale sera relevé très sensiblement pour les PME ; enfin, les entreprises seront laissées libres de choisir les moyens les plus appropriés pour valoriser leurs oeuvres : il pourrait s'agir, par exemple, d'un prêt à un musée, mais mille autres solutions sont possibles.
Je souhaite également ouvrir le débat au sujet de deux dispositifs.
En premier lieu, l'avantage fiscal ouvert aux mécènes qui contribuent à l'acquisition des « trésors nationaux ». Il est aujourd'hui réservé aux seules entreprises, à l'exclusion des particuliers. Cette inégalité de traitement me semble difficilement justifiable, tant du point de vue de l'équité que des considérations pratiques. Nous en avons eu une illustration récente, avec l'acquisition de La Fuite en Egypte de Poussin, permise par la solidarité d'une vingtaine d'entreprises et d'un généreux particulier - lequel a été le seul des partenaires de l'opération à être privé du bénéfice du mécénat.
En second lieu, on ne sait pas suffisamment que la dation en paiement, créée par André Malraux, a constitué au cours des dernières décennies une modalité privilégiée de l'enrichissement des collections publiques. Ce dispositif doit être davantage mis en valeur. Il pourrait également faire l'objet d'aménagements techniques, telle que la possibilité d'étaler le montant du bien sur plusieurs exercices fiscaux.
2. Le second axe de ce Plan consiste à améliorer la compétitivité du marché de l'art français et de sesacteurs.
Nous devons faire en sorte de nous battre à armes égales avec les autres grandes places du marché de l'art international. On ne peut pas demander aux professionnels français de jouer la course en tête avec plus de handicaps au départ.
a) La première urgence est d'alléger et de moderniser la réglementation applicable aux ventes publiques volontaires.
Pour cela, nous devons saisir l'occasion de la transposition de la directive « Services », qui vise à libéraliser notamment ce type d'activité dans l'Union européenne.
D'abord, le pesant régime d'agrément préalable des maisons de vente laissera la place à une simple déclaration, sans réduire pour autant la protection des consommateurs. Surtout, à l'instar de leurs homologues européennes, les maisons de ventes françaises disposeront enfin de la possibilité d'offrir un minimum garanti aux vendeurs, de réaliser des ventes de gré à gré, ou encore de vendre des oeuvres dont elles seraient propriétaires. Pour autant, il faudra veiller à ne pas créer par ce biais une concurrence déloyale des maisons de vente à l'égard des autres professionnels du marché de l'art. Les mêmes opérations, réalisées par une maison de vente ou par une galerie, devront se voir appliquer le même régime.
Enfin l'extension récente de la taxe dite « sur les arts de la table » sera abrogée. En effet, les contraintes déclaratives imposées aux acteurs du marché de l'art pour la mise en oeuvre de ce prélèvement, qui représente seulement 0,2 % du chiffre d'affaires concerné, sont manifestement disproportionnées et contre-productives.
b) Nous devons également aménager le cadre européen pour en tirer le meilleur parti.
Les effets du droit de suite, perçu dans notre pays à l'occasion de la vente de toute oeuvre réalisée par un artiste vivant ou décédé depuis moins de 70 ans, n'ont pu être suffisamment bien évalués lors de la transposition dans notre droit, en 2006, de la directive de 2001 qui pose son principe. Ce droit est inconnu de places comme New-York, Hong Kong ou Genève. Surtout, au sein même de l'Union européenne, le Royaume-Uni a fait le choix, ouvert par la directive, de n'appliquer le droit de suite que sur les ventes d'artistes vivants. Une distorsion majeure s'est ainsi instituée entre la place de Paris et sa rivale la plus immédiate, celle de Londres.
Réduire l'écart entre les marchés français et britannique est une priorité. L'application du droit de suite doit se faire selon les mêmes modalités dans les deux pays. Or, la France dispose d'une fenêtre de tir en 2008, puisque la directive ouvre la possibilité d'une évaluation de son dispositif par la Commission européenne, sous la forme d'un rapport remis au Parlement européen le 1er janvier 2009. Cette occasion doit être mise à profit par la France pour obtenir la même « dérogation » que le Royaume-Uni pour ce qui concerne les oeuvres des artistes disparus.
Je crois qu'il faut également envisager la possibilité d'appliquer le droit de suite, non plus au montant global de la vente, mais seulement à la marge réalisée par le professionnel.
La TVA à l'importation, appliquée à l'entrée de l'Union européenne, détourne les ventes vers des places comme New York ou Genève. Elle est un facteur de difficulté majeur pour les professionnels français et européens. En effet, elle frappe au taux normal de 19,6 % - et non au taux réduit de 5,5 %, qui s'applique en règle générale - tous les biens pour lesquels la place de Paris dispose ou disposait d'une spécialité reconnue : la joaillerie, les manuscrits ou les meubles de moins de cent ans d'âge - donc, les meubles « Arts déco » et « Art nouveau ». A titre de comparaison, la TVA à l'importation applicable en Suisse, y compris aux bijoux et aux meubles de moins de cent ans, est de 8 %.
Ma conviction est que la réflexion, initiée par la France au niveau communautaire, sur un taux de TVA réduit pour les biens culturels, doit englober ceux qui sont échangés sur le marché de l'art. Il s'agit toutefois d'un chantier de long terme.
Dans l'immédiat, nous réexaminerons, avec l'aide du ministère chargé de l'Economie, la pertinence des critères de répartition entre les différents taux. Ainsi, il paraît envisageable de prendre en considération, dans une certaine mesure, l'intérêt historique et artistique de l'oeuvre, plutôt que sa simple ancienneté.
Par ailleurs, pour soutenir les commerces d'art dans leur développement international, le crédit d'impôt dit « de prospection commerciale » sera aménagé pour tenir compte de leur spécificité. Par exemple, les dépenses exposées pour l'édition de catalogues destinés à présenter les oeuvres de leurs stocks, ou pour la participation à des foires et des salons à l'étranger, pourraient être éligibles.
Enfin, il est possible d'arrêter dès à présent de nombreuses mesures simples et concrètes afin de mieux connaître et de sécuriser les professionnels du marché de l'art. Les outils statistiques seront développés. Certains documents administratifs exigés des professionnels seront modernisés - et notamment dématérialisés. L'accès aux bases de données utilisées par les services de l'État dans leur lutte contre le trafic illicite de biens culturels sera ouvert aux professionnels - notamment aux antiquaires. Nous lancerons également une initiative auprès des autres Etats membres de l'Union européenne pour harmoniser les réglementations en la matière. Je pense notamment au délit de recel, qui bénéficie de conditions de prescription plus favorables dans deux pays très proches de la France que sont la Belgique et les Pays-Bas.
Cet ensemble de mesures crée enfin les conditions d'un fonctionnement dynamique du marché de l'art français. C'est un plan global, et en cela inédit, qui s'adresse aussi bien aux professionnels du marché de l'art - antiquaires, galeristes et maisons de vente -, qu'aux collectionneurs - depuis le simple amateur d'art aux moyens modestes jusqu'au collectionneur averti, depuis la grande entreprise qui fait du mécénat un axe de son développement et de sa communication jusqu'à l'entreprise individuelle qui souhaite soutenir un créateur.
En permettant une meilleure « fluidité » de ce marché, ce plan offre aux artistes un support performant pour diffuser leurs oeuvres et vivre de leur travail ; il dynamise ainsi la scène française, en complément des interventions du ministère de la Culture et de la Communication et des collectivités territoriales.
Je fais entièrement confiance aux professionnels français du marché de l'art - qui ont su tenir leur rang dans des conditions de concurrence défavorables - pour mettre pleinement à profit ces nouvelles dispositions. Elles devraient être rapidement adoptées et, pour ce qui concerne leur volet fiscal, figurer dans la loi de finances pour 2009. C'est désormais ensemble que nous ferons bouger les choses afin de retrouver un rayonnement à la hauteur de notre histoire, de notre richesse patrimoniale et de la créativité de nos artistes. Source http://www.culture.gouv.fr, le 8 avril 2008
En septembre dernier, lorsque j'ai annoncé ma volonté de lancer un plan de renouveau pour le marché de l'art français, j'ai souligné que la France tenait toujours son rang de troisième place mondiale, grâce à la richesse de sa création et au dynamisme de ses professionnels - antiquaires, galeristes et maisons de vente. Mais selon une étude récente, ce rang lui aurait été ravi par la Chine pour la première fois l'année dernière.
La France se situe aujourd'hui très loin derrière les Etats Unis et le Royaume-Uni, avec à peine plus de 6 % des ventes mondiales contre respectivement 50 % et 25 %. Sur le long terme, le recul du marché français est indéniable. Cette régression relative était particulièrement nette en 2006, puisque les ventes en France ont progressé de 13 % alors que le marché mondial, pour sa part, connaissait une croissance de 36 %.
Par ailleurs, si le marché français reste encore soutenu par l'existence d'un patrimoine national considérable, qui en constitue la matière première, force est de constater que ce « réservoir » se vide inexorablement : deux oeuvres sont exportées quand une oeuvre est importée.
L'heure n'est plus à la prise de conscience du déclin. Cela fait longtemps que les professionnels tirent la sonnette d'alarme et pointent du doigt les blocages de notre système. Certains de ces blocages sont étrangers au marché de l'art : pression fiscale globale trop élevée, existence d'une place financière de moindre envergure que celle des autres grandes scènes du marché de l'art que sont Londres, New York, ou Hong Kong.
Mais de nombreuses pesanteurs fiscales ou réglementaires propres au marché de l'art sont également en cause. La méfiance réciproque entre les institutions publiques et le secteur privé - qu'il s'agisse des professionnels du marché ou des collectionneurs - ne contribue pas à les alléger.
Or, la vigueur du marché de l'art revêt pour notre pays des enjeux considérables :
Un enjeu économique, tout d'abord : ce secteur mobilise au moins 50 000 emplois directs - certaines estimations évoquent même le double - et près de 10 000 entreprises. Les ventes publiques s'élèvent à plus de 1,3 milliard d'euros et les ventes privées représentent probablement le quintuple. Je passe sur les effets économiques induits - notamment en matière de tourisme, de transport, d'assurance - qui sont immenses.
L'enjeu est également artistique : le marché de l'art est à la fois le débouché naturel, l'aiguillon et la vitrine privilégiée de la création contemporaine. C'est le rôle de l'Etat de soutenir les artistes par des subventions, des commandes et des acquisitions, mais non de maintenir la création sous respiration artificielle. Nous ne manquons pas, en France, d'artistes de grand talent, y compris de très jeunes artistes. Redynamiser notre marché de l'art, c'est aussi leur donner une chance de rayonner davantage à l'intérieur comme en dehors de nos frontières. L'enjeu social, aussi bien qu'artistique, est donc considérable : pour mémoire, 38 000 créateurs sont inscrits aujourd'hui au régime de sécurité sociale des plasticiens.
Nous avons des artistes et nous avons aussi un public. On observe un nouvel engouement pour tous les lieux du marché de l'art, les antiquaires, les salles des ventes, les galeries, les salons et les foires. 100 000 visiteurs à la Biennale des antiquaires, 80 000 à la FIAC, 145 000 à la dernière édition de la Biennale d'art contemporain de Lyon, qui a organisé pour la première fois une foire, appelée Docks Art Fair. Il y a une réelle envie d'art, de la part de nos concitoyens, et nous devons l'encourager.
Enfin, le dynamisme du marché de l'art français est bien sûr l'une des clés de l'enrichissement du patrimoine national et particulièrement des collections publiques. Il faut en effet rappeler que les dons des grands collectionneurs privés constituent le moyen privilégié du développement des collections des plus grands musées depuis plus d'un siècle.
C'est au regard de ces nombreux enjeux, que le Président de la République et le Premier ministre m'ont demandé, dans la lettre de mission qu'ils m'ont adressée le 1er août dernier, de « prendre les dispositions nécessaires pour redresser rapidement le marché de l'art français ».
Je le disais à l'instant, l'heure n'est plus à la prise de conscience. La nécessité d'agir pour rendre à notre marché de l'art son attractivité fait l'objet d'un constat largement partagé. Je tiens d'ailleurs à saluer les sénateurs Philippe Marini et Yann Gaillard, qui ont apporté une contribution particulièrement utile au débat, sous la forme d'une proposition de loi. Je salue également Pierre Simon qui a dressé un rapport éclairant pour le Conseil économique et social. Leurs conclusions et propositions particulièrement riches convergent largement avec celles du Gouvernement. Je ne doute pas que cette convergence s'exprimera à nouveau lors de l'examen par le Parlement des mesures nécessaires au renouveau du marché de l'art en France, que j'ai présenté tout à l'heure au Président de la république et au Premier ministre.
J'ai lancé à la rentrée dernière, vous le savez, une vaste mission de consultation, de réflexion et de proposition portant sur les moyens de stimuler le dynamisme du marché de l'art français et de renforcer l'attractivité de la place de Paris au regard de ses principales concurrentes.
J'en ai confié la responsabilité à Martin Bethenod, commissaire général de la Foire internationale d'art contemporain, qui vient de me remettre son rapport. Je tiens à le remercier vivement, ainsi que les autres membres qui composaient la mission. Je rappelle qu'il s'agissait de Catherine CHADELAT, conseiller d'État, membre du Conseil des ventes volontaires, de Guy COGEVAL, qui n'était pas encore le nouveau président du musée d'Orsay, de Nathalie MOUREAU, agrégée d'économie, spécialiste du marché de l'art, qui enseigne à l'Université de Montpellier et de Laurent VALLEE, maître des requêtes au Conseil d'État, qui était le rapporteur de la mission.
Ce rapport est un document de très grande qualité, qui a donné lieu à plus d'une centaine d'auditions de professionnels, de collectionneurs ou de responsables de grandes institutions publiques, français ou étrangers. J'en ai suivi l'élaboration très attentivement et j'ai noué, parallèlement, un dialogue actif avec toutes les parties prenantes - que je suis heureuse de retrouver dans cette salle. Cette concertation nous a permis de tester en temps réel, ensemble, le bien-fondé des hypothèses de travail examinées par la mission.
Nous lançons aujourd'hui, sur cette base, un véritable « Plan de renouveau du marché de l'art français ». Bien entendu, dans la mesure où nombre de ces propositions comportent des aspects réglementaires et fiscaux, j'ai saisi mes collègues chargés de l'Économie, de la Justice et du Budget. Pour la plupart, les arbitrages nécessaires ont été rendus par le Président de la République et par le Premier ministre. Si les échanges interministériels doivent encore se poursuivre sur quelques points particuliers, ces arbitrages permettent d'ores et déjà de dessiner la physionomie d'ensemble du Plan ainsi que celle de plusieurs mesures phares.
Ce plan se développe selon deux axes principaux.
1. Le premier axe consiste à faire de la France un pays de collectionneurs, qu'il s'agisse des particuliers ou des entreprises.
L'exemple des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de l'Allemagne ou du Japon le montre : le développement de la demande intérieure est crucial pour le dynamisme du marché national et de ses acteurs, comme pour son rayonnement international. En outre, les collectionneurs privés jouent un rôle essentiel dans l'enrichissement des collections publiques, mais également dans le financement de la création. Et leur poids économique est très supérieur à celui des institutions publiques.
Comment inoculer le virus de la collection ? Comment dédramatiser le premier achat ? Comment faire en sorte d'ouvrir plus largement le marché de l'art aux Français ?
Nous avons identifié deux séries de mesures pour y parvenir, à destination des particuliers, d'un côté, et des entreprises de l'autre.
a)Encourager les Français à devenir collectionneurs.
En France, on pense encore trop souvent que la collection d'oeuvres d'art est réservée à une élite intellectuelle et financière. Même si l'envie est là, le milieu du marché de l'art peut sembler intimidant, hors d'atteinte pour qui n'en maîtrise pas les codes. Il y a un vrai travail de sensibilisation et d'accompagnement à faire. Ce travail a porté ses fruits au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, où l'on voit se développer un vrai mouvement de collectionneurs plus modestes, auxquels les pouvoirs publics offrent un précieux coup de pouce.
Je pense au programme anglais Own Art lancé en 2004, qui a rencontré un grand succès, notamment auprès des classes moyennes. Son principe est simple : c'est un prêt sans intérêt, offert aux particuliers par une banque mécène. L'avantage d'un tel programme, c'est que la banque se fait le relais de l'opération auprès de ses clients, et permet ainsi de toucher un public souvent peu familier des galeries, des maisons de vente ou des antiquaires.
Nous allons donc mettre en place un dispositif de même nature en France, qui incitera à l'achat d'oeuvres d'artistes vivants auprès des professionnels du marché de l'art - et aura donc également pour effet d'encourager la création.
b) En ce qui concerne les entreprises, nous allons élargir leur intervention sur le marché de l'art en étendant le bénéfice du mécénat aux entreprises individuelles et aux PME.
En effet, depuis la loi du 23 juillet 1987, les entreprises peuvent déduire de leur résultat imposable le coût d'acquisition d'oeuvres d'artistes vivants, mais à condition que ces oeuvres soient exposées dans des lieux accessibles au public et aux salariés autres que leurs bureaux. Par ailleurs, le dispositif exclut les entreprises individuelles et les professions libérales. Enfin, il est peu attractif pour les petites entreprises, car le montant de la déduction est plafonné de façon uniforme à 0,5% du chiffre d'affaires.
Ces différentes conditions ou restrictions sont d'autant plus dommageables que plus de la moitié des opérations de mécénat engagées en France le sont par des PME.
Elles seront donc supprimées ou assouplies : d'une part, le dispositif sera ouvert aux entreprises individuelles et aux professions libérales ; d'autre part, le plafond de la déduction fiscale sera relevé très sensiblement pour les PME ; enfin, les entreprises seront laissées libres de choisir les moyens les plus appropriés pour valoriser leurs oeuvres : il pourrait s'agir, par exemple, d'un prêt à un musée, mais mille autres solutions sont possibles.
Je souhaite également ouvrir le débat au sujet de deux dispositifs.
En premier lieu, l'avantage fiscal ouvert aux mécènes qui contribuent à l'acquisition des « trésors nationaux ». Il est aujourd'hui réservé aux seules entreprises, à l'exclusion des particuliers. Cette inégalité de traitement me semble difficilement justifiable, tant du point de vue de l'équité que des considérations pratiques. Nous en avons eu une illustration récente, avec l'acquisition de La Fuite en Egypte de Poussin, permise par la solidarité d'une vingtaine d'entreprises et d'un généreux particulier - lequel a été le seul des partenaires de l'opération à être privé du bénéfice du mécénat.
En second lieu, on ne sait pas suffisamment que la dation en paiement, créée par André Malraux, a constitué au cours des dernières décennies une modalité privilégiée de l'enrichissement des collections publiques. Ce dispositif doit être davantage mis en valeur. Il pourrait également faire l'objet d'aménagements techniques, telle que la possibilité d'étaler le montant du bien sur plusieurs exercices fiscaux.
2. Le second axe de ce Plan consiste à améliorer la compétitivité du marché de l'art français et de sesacteurs.
Nous devons faire en sorte de nous battre à armes égales avec les autres grandes places du marché de l'art international. On ne peut pas demander aux professionnels français de jouer la course en tête avec plus de handicaps au départ.
a) La première urgence est d'alléger et de moderniser la réglementation applicable aux ventes publiques volontaires.
Pour cela, nous devons saisir l'occasion de la transposition de la directive « Services », qui vise à libéraliser notamment ce type d'activité dans l'Union européenne.
D'abord, le pesant régime d'agrément préalable des maisons de vente laissera la place à une simple déclaration, sans réduire pour autant la protection des consommateurs. Surtout, à l'instar de leurs homologues européennes, les maisons de ventes françaises disposeront enfin de la possibilité d'offrir un minimum garanti aux vendeurs, de réaliser des ventes de gré à gré, ou encore de vendre des oeuvres dont elles seraient propriétaires. Pour autant, il faudra veiller à ne pas créer par ce biais une concurrence déloyale des maisons de vente à l'égard des autres professionnels du marché de l'art. Les mêmes opérations, réalisées par une maison de vente ou par une galerie, devront se voir appliquer le même régime.
Enfin l'extension récente de la taxe dite « sur les arts de la table » sera abrogée. En effet, les contraintes déclaratives imposées aux acteurs du marché de l'art pour la mise en oeuvre de ce prélèvement, qui représente seulement 0,2 % du chiffre d'affaires concerné, sont manifestement disproportionnées et contre-productives.
b) Nous devons également aménager le cadre européen pour en tirer le meilleur parti.
Les effets du droit de suite, perçu dans notre pays à l'occasion de la vente de toute oeuvre réalisée par un artiste vivant ou décédé depuis moins de 70 ans, n'ont pu être suffisamment bien évalués lors de la transposition dans notre droit, en 2006, de la directive de 2001 qui pose son principe. Ce droit est inconnu de places comme New-York, Hong Kong ou Genève. Surtout, au sein même de l'Union européenne, le Royaume-Uni a fait le choix, ouvert par la directive, de n'appliquer le droit de suite que sur les ventes d'artistes vivants. Une distorsion majeure s'est ainsi instituée entre la place de Paris et sa rivale la plus immédiate, celle de Londres.
Réduire l'écart entre les marchés français et britannique est une priorité. L'application du droit de suite doit se faire selon les mêmes modalités dans les deux pays. Or, la France dispose d'une fenêtre de tir en 2008, puisque la directive ouvre la possibilité d'une évaluation de son dispositif par la Commission européenne, sous la forme d'un rapport remis au Parlement européen le 1er janvier 2009. Cette occasion doit être mise à profit par la France pour obtenir la même « dérogation » que le Royaume-Uni pour ce qui concerne les oeuvres des artistes disparus.
Je crois qu'il faut également envisager la possibilité d'appliquer le droit de suite, non plus au montant global de la vente, mais seulement à la marge réalisée par le professionnel.
La TVA à l'importation, appliquée à l'entrée de l'Union européenne, détourne les ventes vers des places comme New York ou Genève. Elle est un facteur de difficulté majeur pour les professionnels français et européens. En effet, elle frappe au taux normal de 19,6 % - et non au taux réduit de 5,5 %, qui s'applique en règle générale - tous les biens pour lesquels la place de Paris dispose ou disposait d'une spécialité reconnue : la joaillerie, les manuscrits ou les meubles de moins de cent ans d'âge - donc, les meubles « Arts déco » et « Art nouveau ». A titre de comparaison, la TVA à l'importation applicable en Suisse, y compris aux bijoux et aux meubles de moins de cent ans, est de 8 %.
Ma conviction est que la réflexion, initiée par la France au niveau communautaire, sur un taux de TVA réduit pour les biens culturels, doit englober ceux qui sont échangés sur le marché de l'art. Il s'agit toutefois d'un chantier de long terme.
Dans l'immédiat, nous réexaminerons, avec l'aide du ministère chargé de l'Economie, la pertinence des critères de répartition entre les différents taux. Ainsi, il paraît envisageable de prendre en considération, dans une certaine mesure, l'intérêt historique et artistique de l'oeuvre, plutôt que sa simple ancienneté.
Par ailleurs, pour soutenir les commerces d'art dans leur développement international, le crédit d'impôt dit « de prospection commerciale » sera aménagé pour tenir compte de leur spécificité. Par exemple, les dépenses exposées pour l'édition de catalogues destinés à présenter les oeuvres de leurs stocks, ou pour la participation à des foires et des salons à l'étranger, pourraient être éligibles.
Enfin, il est possible d'arrêter dès à présent de nombreuses mesures simples et concrètes afin de mieux connaître et de sécuriser les professionnels du marché de l'art. Les outils statistiques seront développés. Certains documents administratifs exigés des professionnels seront modernisés - et notamment dématérialisés. L'accès aux bases de données utilisées par les services de l'État dans leur lutte contre le trafic illicite de biens culturels sera ouvert aux professionnels - notamment aux antiquaires. Nous lancerons également une initiative auprès des autres Etats membres de l'Union européenne pour harmoniser les réglementations en la matière. Je pense notamment au délit de recel, qui bénéficie de conditions de prescription plus favorables dans deux pays très proches de la France que sont la Belgique et les Pays-Bas.
Cet ensemble de mesures crée enfin les conditions d'un fonctionnement dynamique du marché de l'art français. C'est un plan global, et en cela inédit, qui s'adresse aussi bien aux professionnels du marché de l'art - antiquaires, galeristes et maisons de vente -, qu'aux collectionneurs - depuis le simple amateur d'art aux moyens modestes jusqu'au collectionneur averti, depuis la grande entreprise qui fait du mécénat un axe de son développement et de sa communication jusqu'à l'entreprise individuelle qui souhaite soutenir un créateur.
En permettant une meilleure « fluidité » de ce marché, ce plan offre aux artistes un support performant pour diffuser leurs oeuvres et vivre de leur travail ; il dynamise ainsi la scène française, en complément des interventions du ministère de la Culture et de la Communication et des collectivités territoriales.
Je fais entièrement confiance aux professionnels français du marché de l'art - qui ont su tenir leur rang dans des conditions de concurrence défavorables - pour mettre pleinement à profit ces nouvelles dispositions. Elles devraient être rapidement adoptées et, pour ce qui concerne leur volet fiscal, figurer dans la loi de finances pour 2009. C'est désormais ensemble que nous ferons bouger les choses afin de retrouver un rayonnement à la hauteur de notre histoire, de notre richesse patrimoniale et de la créativité de nos artistes. Source http://www.culture.gouv.fr, le 8 avril 2008