Déclaration de M. Philippe Meurs, président des Jeunes Agriculteurs, sur la politique agricole, les aides à l'agriculture, la PAC et les relations avec la FNSEA, Nantes le 3 avril 2008.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Clôture de 62ème congrès de la FNSEA à Nantes le 3 avril 2008

Texte intégral


Monsieur le Ministre de l'Agriculture et de la Pêche,
Mesdames et messieurs les élus et Présidents,
Cher Jean-Michel, chers amis,
Mesdames, messieurs,
C'est avec grand plaisir que je prends la parole devant cette assemblée, composée de jeunes et d'anciens jeunes agriculteurs, au troisième jour de ses débats.
C'est une grande chance, en tant que Président, représentant les Jeunes Agriculteurs, de pouvoir partager avec vous nos ambitions pour l'agriculture et tous les agriculteurs de demain.
[Rapport d'orientation FNSEA]
Les débats de votre rapport d'orientation, riches et passionnants, sont l'illustration de ce qu'il nous reste encore à construire en termes de politique agricole appliquée à nos filières. Nous devons faire le « choix », tous ensembles « de l'organisation économique ».
Mais choisir, c'est décider au nom de l'intérêt général. Cela n'est pas toujours facile mais pourtant indispensable.
Nous défendons comme vous une structuration des filières autour d'interprofessions efficaces et puissantes.
Ce qui nécessite des relations de travail et des rapports de force équilibrés entre les membres des interprofessions.
Mais serions-nous les seuls à y croire ?
Une chose est sûre, aucune loi, pas même celle sur la modernisation de l'économie, n'est aujourd'hui prévue pour encadrer les marges des distributeurs. C'est toujours « le pot de fer contre le pot de terre » en dépit de la loi Châtel. Ce qui semble satisfaire Michel Edouard Leclerc.
Nous en portons peut-être une part de responsabilité, faute d'organisation cohérente de nos filières. Il est plus que temps de réagir !
Nous nous devons de mettre en oeuvre une palette d'outils publics et privés de gestion des risques inhérents à toute production.
Les déficits publics, auxquels n'échappe pas le ministère de l'Agriculture et de la Pêche, ont accéléré l'impérieuse nécessité de réfléchir autrement pour assurer notre avenir. Sans pour autant accepter un désengagement de l'Etat.
La solidarité économique doit impliquer tous les acteurs qui composent la filière : nous sommes « co-responsables » : industries agro-alimentaires, coopératives, agriculteurs,...etc
Et surtout tributaires les uns des autres. L'aurions nous oublié ?
Le moment est venu notamment de retrouver de l'efficacité via les Organisations de Producteurs qui nous représentent.
Quand allons-nous enfin acter le transfert de propriété de nos produits, des membres vers les Organisations de producteurs afin de déléguer l'acte de commercialisation et peser dans les négociations commerciales ?
Nous devons être plus courageux que lors du vote de la loi d'orientation agricole.
Et puis, solidarité doit rimer avec Europe, alors que cette solidarité est quasiment inexistante aujourd'hui. C'est vital à l'heure de la présidence française de l'Union européenne.
Quand pourrons-nous espérer une harmonisation de nos politiques économiques, environnementales, sanitaires et sociales dans l'Europe à 27 ?
L'exemple le plus frappant aujourd'hui est celui de la fièvre catarrhale ovine, sur lequel la Commission européenne a fermé les yeux depuis trop longtemps.
La crise sanitaire est là et chaque Etat membre se trouve esseulé pour mener sa politique de réponse à la crise, « bon an mal an », plutôt « mal an » chez nos partenaires italiens en ce moment.
Nous sommes en train de vivre, avec acuité, une très forte renationalisation de la PAC, faute de pilotage au niveau européen. Il y a urgence à réagir !
Il est plus que temps de se rendre compte de l'envergure de la crise d'abord nationale, puis européenne.
Nous regrettons l'inertie passée de nos élus sur la mise en place du vaccin, faute de prise de conscience réactive et adéquate. Résultat ! Nos animaux seront en pâture quand nous serons à même de les vacciner.
Mais le pire reste à venir concernant les baisses de fertilités et la stérilité des animaux.
A l'automne prochain, l'absence de naissance signifiera l'absence de revenus pour les éleveurs. Alors que les charges seront maintenues, faudra-t-il mettre la clé sous la porte ? Est-ce cela la réponse, Monsieur le Ministre ?
Ceux qui feront le choix d'arrêter l'élevage n'y reviendront jamais.
Comme toujours, certains se sortent mieux que d'autres de cette situation : le malheur des uns fait parfois le bonheur des autres.
Nous ne voudrions pas que les vétérinaires soient les « opportunistes » du cofinancement de la vaccination européenne tandis que les pertes économiques des éleveurs ne sont pas réellement indemnisées. Cela frôle l'indécence !
Plus généralement, la Commission européenne ne peut plus ignorer les crises sanitaires qui nous frappent, la forte volatilité des prix des matières premières, les incohérences de réglementation entre pays...
« L'agri-entrepreneur », tel que se l'imagine la Commission européenne, ne peut tout assumer ! C'est une vue de l'esprit !
Notre politique agricole européenne ne doit plus être défaillante, car le marché commun avance avec 27 pays. Aucun d'eux ne doit rester au bord du chemin.
C'est la même chose en matière de politique agricole et plus particulièrement de bilan de santé de la PAC.
[Bilan de santé de la PAC]
Nous sommes « les funambules » de cette réforme « spectacle » proposée par madame Fischer Boel. Nous marchons sur un fil, plus ou moins large, plus ou moins tendu.
Bien sûr, le métier que nous exerçons comporte certains risques : climatiques, sanitaires, de marché.
Si nous voulons éviter que les chutes sur la piste deviennent nombreuses et que l'effectif des paysans diminue encore plus, nous devons disposer de filets de sécurité. En cas de chutes de cours, de revenus ou de rendements.
Et en tenant compte de critères différents, plus sensés que ceux de la Commission européenne.
C'est pour cela nous voulons que cette réforme intègre les Hommes, les actifs dans ses objectifs politiques. C'est notre modèle agricole français qui en dépend.
Avoir un DPU unique sur l'ensemble des hectares à horizon 2013 ne doit pas être un objectif en soi, en dépit d'une certaine simplification administrative louable.
Ce qui nous guide, c'est la stabilisation des revenus des producteurs.
Cette aide au producteur, qui sera après 2013 le filet de sécurité minimum qui rémunérera nos standards européens, se traduira par un DPU de base. Cela ne suffit pas.
En parallèle et en toute complémentarité, l'agriculteur doit être autorisé, via des systèmes d'assurances économiques, climatiques, sanitaires, des caisses de péréquation ou des aides « contra-cycliques », à assurer, de façon autonome ses risques en fonction de son système d'exploitation.
L'acrobate qu'il est, doit pouvoir choisir avec ses partenaires de travail l'épaisseur de son fil, le risque qu'il souhaite encourir au gré de sa maîtrise.
La gestion des risques économiques ne doit plus être taboue en Europe. Elle ne l'est plus aux Etats-Unis depuis longtemps, quoi qu'en disent les « chantres de l'OMC compatible » !
Dès 2008, nous devons y travailler, et cela via un premier pilier, plus offensif, plus audacieux pour réorienter les aides et tester de nouvelles pistes de développement par un prélèvement sur les aides couplées et découplées.
La véritable audace consisterait à faire varier les DPU, en fonction des conditions de marchés, en fonction des crises, d'une année sur l'autre, que nous appellerions des « DPU flottant ou variables » afin de trouver une nouvelle légitimité auprès de l'Union européenne et de nos concitoyens...
Et par là même, nous pourrons mieux soutenir l'élevage en Europe.
Car les exploitants qui ont fait le choix d'élever des animaux ne doivent pas être découragés par la hausse des matières premières et des charges de structure.
Nous devons mener un combat commun, toutes filières confondues, pour faire en sorte que nos élevages européens perdurent, via la contractualisation collective et la relance d'un plan de protéines végétales à moyen terme.
Ne tombons pas dans le piège de ceux qui tentent, via le bilan de santé de la PAC, de nous opposer.
Nous faisons le choix de tout miser sur le premier pilier de la PAC. Ce qui signifie, assez naturellement, que toutes les productions doivent s'y retrouver et que nous ne voulons pas de modulation supplémentaire sur le second pilier.
Et pour celle déjà actée à hauteur de 5%, les fonds, qui en sont issus, doivent être ciblés sur la politique d'installation des jeunes agriculteurs et celle de handicaps.
C'est un rééquilibrage de compétitivité indispensable au sein de nos territoires.
Enfin, ne lâchons pas « la proie pour l'ombre » en matière d'instruments de régulation des marchés.
La crise financière mondiale est la preuve que la libéralisation des marchés ne doit pas être synonyme de chaos économique.
En agriculture, qui voudrait abandonner le système de la jachère, des quotas laitiers, de l'intervention publique sur les céréales...si aucune autre garantie ne nous est donnée pour maîtriser les volumes de production et donc nos revenus ?
Cela ne veut pas dire que nous ne voulons rien changer mais il nous faut construire une régulation et une gestion des crises rénovées, en France, à 27, et que nous pouvons expliquer à Genève.
Nous devons sortir du débat technique dans lequel on nous a enfermés pour revenir sur une véritable discussion politique.
Dans l'intérêt de notre souveraineté alimentaire européenne.
Dans l'intérêt également de toutes les régions du monde qui aspirent à assurer, pour partie, leur alimentation et le développement de leur agriculture.
Cette politique agricole et alimentaire rénovée doit être au service de la pérennité de nos entreprises, et notamment des jeunes qui font le choix de s'installer aujourd'hui.
[Installation des jeunes]
Des jeunes de plus en plus motivés pour créer leur entreprise agricole.
Des jeunes formés, compétents, et soutenus individuellement pour mener à bien leur projet d'installation.
Des jeunes soutenus à travers le nouvel accompagnement personnalisé, «l'ancien parcours » qui leur offre toutes les garanties et formations adaptées à leurs projet.
Des jeunes soutenus à travers des aides financières propres à l'installation -DJA, Prêts bonifiés jeunes agriculteurs- pour lesquels nous avons mis en action toute la force de notre réseau pour les voir perdurer et dotés correctement, grâce au soutien de l'ensemble de la profession.
La vraie victoire syndicale, c'est d'avoir su bénéficier d'une enveloppe complémentaire substantielle dans un budget national contraint.
Car la légitimité des prêts ne fait pas de doute, ni dans le temps, ni dans l'investissement qu'ils soutiennent au moment de l'installation, ce qui a été réaffirmé par le Président de la République dans son intervention hier matin.
Les « oiseaux de mauvais augure », les « cordons de la bourse » n'ont pas eu gain de cause cette fois-ci. C'est du financement public bien investi sur le long terme.
Et un jeune qui s'installe avec les aides, est un jeune encore installé dix ans après, dans 95% des cas.
N'en déplaise aux autres syndicats agricoles qui se targuent de s'occuper d'installation ou de contester nos statuts.
Vous avez su réaffirmer, monsieur le Ministre, tout le travail de Jeunes agriculteurs sur ce dossier de l'installation et nous vous en remercions.
D'autres chantiers s'ouvrent à nous pour mieux installer demain.
Je pense à la question foncière et aux coûts de reprise d'une installation, à la question de la transmission des exploitations et aux revenus des futurs retraités.
Nous devons travailler ensemble sur ces sujets. Ce seront des thèmes forts que nous traiterons dans notre rapport d'orientation 2008 intitulé : « Cultivons la solidarité pour préserver notre avenir ».
En tout état de cause, sur l'installation, les résultats sont là et nous sommes plus que jamais légitimes à porter le dossier du renouvellement des générations en agriculture.
[Evolution des statuts]
Pour finir, je voulais revenir sur les attaques portées à nos statuts, qui ont impliqué leurs modifications. Certes, en faisant couler un peu d'encre entre nos réseaux JA-FDSEA et en ayant fait quelques remous.
C'était bien là l'objectif de la Confédération paysanne et de la Coordination rurale.
Mais, qu'ils se consolent, «il n'y a pas eu de raz de marée » entre nous.
Car la force de nos réseaux respectifs, c'est notre complémentarité grâce à notre indépendance de fonctionnement.
C'est uniquement cela que nous avons précisé dans nos statuts, pour être en parfaite adéquation avec la réalité de nos relations partenariales quotidiennes.
Les structures Jeunes agriculteurs continueront d'adhérer à la FNSEA. Les choses sont claires.
L'adhésion individuelle des jeunes agriculteurs à leur FDSEA sera laissée à leur propre appréciation.
Ce qui compte, c'est que les jeunes agriculteurs se tournent naturellement, à 35 ans, vers leur FDSEA, prêts à l'exercice de la responsabilité.
Nous comptons sur elles pour jouer le jeu de l'évolution de nos statuts à l'automne pour préparer au mieux les élections professionnelles agricoles de 2013.
Et comme l'ont écrit certains « sages » dans leur rapport moral 2007, avec toute l'expérience qui les caractérise :
« Nous avons besoin d'un syndicalisme jeune fort... »
« L'engagement chez les jeunes agriculteurs constitue un parcours initiatique, un parcours d'apprentissage de la responsabilité... ».
« Pour que nos deux réseaux soient toujours forts et complémentaires, nous devons veiller à garder des équilibres et à bien gérer la transition des adhérents et des responsables entre les deux structures.. »
C'est vous qui l'avez écrit, nous n'aurions pas mieux dit ! Nous sommes fiers d'adhérer à cette grande maison FNSEA.
L'unité est la seule carte que doit jouer la profession agricole pour faire face à l'ensemble des défis qui l'attendent.
Mais l'unité dans le respect de la diversité, c'est la seule voie possible. C'est la seule voie acceptable, c'est le message essentiel que nous devons retenir de ces trois derniers jours.
Je vous remercie.source http://www.cnja.com, le 8 avril 2008