Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec RTL le 1er avril 2008, sur l'envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan, la libération des six membres de l'Arche de Zoé et le paiement des 6 millions d'euros d'amende aux familles tchadiennes, le combat des Tibétains pour leur autonomie culturelle.

Prononcé le 1er avril 2008

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie.- Pourquoi le président de la République a-t-il décidé d'envoyer un contingent supplémentaire de soldats français en Afghanistan ?

R.- Parce que c'est une guerre qui dure depuis sept ans, à bas bruit, parce qu'on ne s'indignait pas de la présence des troupes françaises, 1.500 soldats sur le terrain, quand même...

Q.-... Depuis 2001.

R.- Depuis 2001, c'est-à-dire sept ans, en effet. Et que la demande précise de nos alliés, dont 21 pays de l'Union européenne, la moitié des soldats sont des soldats de l'Union européenne, un tiers seulement sont des soldats américains, parce que ces pays nous demandaient de faire un effort supplémentaire. Certains de nos amis, de nos alliés, sont dans des régions menacées et ils ont besoin d'un effort supplémentaire. Alors, vous me direz : "pourquoi faire ça si cela ne sert à rien ?". Eh bien, les progrès sont grands ; personne ne les connaît. Je vous cite simplement quelques chiffres. D'abord, la croissance est de 8 %.

Q.- La croissance économique en Afghanistan.

R.- La croissance économique en Afghanistan est de 8 %, certes inégalement répartie mais de 8 %. Il y a maintenant 6 millions d'écoliers, ce qui était inimaginable, il y a dix ans, 6 millions d'écoliers scolarisés dont un tiers de filles. Il y a maintenant près de 80 % de la population afghane qui a un accès élémentaire à des structures de soins. Il y a eu 50 kilomètres de routes qui ont été tracées il y a environ dix ans, maintenant il y en a eu 4.000. Enfin, je vous cite quelques exemples, mais les choses avancent.

Q.- Ces soldats français iront-ils au combat alors que jusqu'à présent, ils n'étaient pas exposés de cette façon ?

R.- Ces soldats étaient exposés. Hélas, nous avons eu parmi, les forces spéciales françaises, quelques morts. Mais ces soldats seront... D'abord, la décision n'est pas prise par le président de la République ; je lis deci-delà des chiffres qui seront peut-être vérifiés mais peut-être infirmés...

Q.- On dit 1.000 soldats.

R.- "On dit" ; eh bien, c'est le président de la République qui doit décider. Nous verrons.

Q.- Moins ou plus que ça ?

R.- Je n'en sais rien. Cela dépend de ce que va dire le Président à Bucarest, c'est-à-dire demain.

Q.- Donc la décision est prise tout de même. Peut-être vous ne voulez pas la rendre publique mais la décision est prise.

R.- Peut-être est-elle prise, mais en tout cas, ce qui est publié n'est pas forcément exact, au contraire. Donc il y aura une réflexion, parce qu'il faut maintenant, et c'est l'essentiel, il n'y aura pas d'augmentation du nombre. Le Président avait prévu et avait annoncé que... D'abord, il avait dit : "Nous ne partirons pas, c'est une guerre que nous ne pouvons pas perdre". Pourquoi ? Parce que c'est une guerre contre la sauvagerie, le terrorisme. C'est une guerre contre la lapidation des femmes, la destruction des bouddhas de Banyam - vous vous souvenez de cela -, c'est une guerre contre l'obscurantisme et contre le terrorisme. O. Ben Laden se cache probablement dans la zone tribale entre le Pakistan et l'Afghanistan, et il faut, bien entendu, là aussi impliquer un certain nombre, disons, de responsables ou de groupes tribales du Pakistan.

Q.- Le Parlement français débattra, cet après-midi, de cet envoi de troupes supplémentaires...

R.- Mais oui, c'est tout à fait bien.

Q.-... Mais il ne votera pas. Ce n'est pas très moderne, cela.

R.- Vous croyez ? Et comment, vous vous souvenez, la décision a-t-elle été prise en 2001 ? D'abord, on a envoyé des troupes - c'était un gouvernement avec L. Jospin Premier ministre et J. Chirac -, on a envoyé des troupes, on n'a pas débattu. Et quand on a débattu, après que les troupes eurent été envoyées, il n'y a pas eu de vote.

Q.- Le précédent de 1991 est rappelé, guerre du Golfe, les parlementaires ont voté...

R.- Oui, en effet, en 1991, dans la première guerre du Golfe.

Q.- Pourquoi ne votent-ils pas cette fois-ci ?

R.- Parce que la commission Balladur - et un projet de loi qui va bientôt être passé au Parlement - prescrit justement le débat et le vote après six mois, c'est-à-dire pour un renouvellement éventuel des troupes quel que soit l'endroit du monde. Alors ça va venir, et c'est une préfiguration, tout à fait légitime, de débattre.

Q.- Beaucoup de parlementaires se sont étonnés que le président de la République fasse l'annonce de cet envoi supplémentaire...

R.- Il n'y a pas eu d'annonce, c'est vous qui l'avez faite.

Q.-...devant les parlementaires britanniques.

R.- Non !

Q.- Si !

R.- Non, il a dit qu'on augmenterait les troupes.

Q.- Voilà, c'est ce que j'ai dit : une annonce d'augmentation des troupes.

R.- A chaque fois qu'on modifie le format d'un groupe de combat, on ne fait pas une annonce devant le Parlement. Là, il a dit - et ce n'était pas d'ailleurs devant les Britanniques seulement, il a dit depuis longtemps...

Q.- Si, c'était à la Chambre des Communes...

R.- Oui, mais avant il l'avait déjà dit, vous ne l'aviez pas noté.

Q.- Non, cela nous avait échappé !

R.- Rien ne vous échappe d'habitude, monsieur ! En tout cas, il a dit : "Nous resterons en Afghanistan, nous ne partirons pas". Mais laissez moi dire l'essentiel : avant d'augmenter les troupes, peut-être, de décider demain, le président de la République a écrit à tous ses homologues en disant "cela ne peut pas durer comme ça. Il faut que nous ayons des perspectives stratégiques et des perspectives politiques". Il ne s'agit pas d'augmenter des troupes mais "d'afghaniser", de donner, de passer la main aux Afghans. Et c'est ce que nous allons faire. Il n'y aura plus aucun projet. D'abord, il y aura une organisation, une structure, une coordination qui n'existe pas. Il y aura, je l'espère, entre les groupes militaires, une vraie stratégie et puis surtout, il n'y aura pas un projet, qu'il soit civil ou militaire, et surtout civil, qui ne soit pris en mains par les Afghans. C'est la seule façon que nous aurons, légitime, de nous en aller au plus vite de cette guerre. Mais les progrès sont grands.

Q.- Vous l'avez dit...

R.- Le président Karzaï a été élu, il y a un Parlement, c'est donc un gouvernement légitime et ce n'est pas une guerre mais une opération des Nations unies à l'appel des résolutions du Conseil de sécurité.

Q.- Débat cet après-midi à l'Assemblée nationale. Les six membres de l'Arche de Zoé ont été graciés, hier, par le président tchadien I. Deby. Ils sont sortis de prison. Plusieurs familles qui voulaient adopter se disent "choquées" de cette libération, notamment d'E. Breteau qui était le chef de file de l'Arche de Zoé. Quel est votre commentaire, ce matin, sur cette affaire ?

R.- J'ai un soupir. Laissons les choses s'apaiser, s'il vous plaît. C'est bien qu'ils soient sortis, je me réjouis pour eux. Il y a encore beaucoup de choses à dire sur cette affaire, ce n'est pas le moment. Mais certains ont sans doute été abusés, d'autres ne l'ont pas été. Je comprends la somme des douleurs, aussi bien, d'ailleurs, au sein des familles qui avaient cru recevoir un enfant, qu'au Tchad où les gens et les familles des enfants tchadiens ne comprenaient plus rien, on leur avait enlevé leur enfant, ils viennent de les récupérer. Je comprends toutes les douleurs. Je crois qu'il faudra attendre un peu, et puis analyser tout ça.

Q.- Qui va payer la somme de 6 millions d'euros d'amende décidée par la justice tchadienne ?

R.- Comme je l'ai répondu plusieurs fois : pas le Gouvernement.

Q.- Pas le Gouvernement, donc vous le réaffirmez ce matin sur l'antenne de RTL.

R.- Mais où voulez-vous que je le réaffirme, je suis là ?

Q.- Oui, voilà, donc je le dis pour ceux qui nous écoutent.

R.- Mais vous avez bien raison.

Q.- Il faut toujours marquer son territoire. Voilà c'est ça.

R.- Oui, c'est ça, soutenez mes mots !

Q.- B. Hadjaje, journaliste de la rédaction de RTL qui vous a suivi, samedi, disait ceci, ce matin...

R.- Avec bonheur !

Q.- Absolument. Sur l'antenne de RTL : "B. Kouchner ne croit pas assez au juste combat des Tibétains. Il semble désabusé à leur égard". C'est vrai ?

R.- Oui, il faut séparer les choses, n'est-ce-pas. Que les combats des Tibétains soient absolument et nécessairement soutenus dans leur demande - d'abord, il faut protéger les minorités -, mais leur demande d'autonomie, culturelle, religieuse, etc., je l'ai fait toute ma vie, je connais très bien le Dalaï Lama, je l'ai vu vingt-cinq fois, je lui ai encore téléphoné, hier. Ca, je le soutiens complètement. Mais il y a une partie religieuse, et en France une certaine partie de la population prosélyte avec laquelle je ne me sens pas d'affinités. Voilà ce que ça veut dire. Il faut séparer les deux choses. Cela n'empêche pas qu'il soit chez eux, c'est-à-dire au Tibet, librement, enfin en possibilité d'être libre et de pratiquer toute la religion qu'il souhaite.

Q.- On ne peut pas dire que vos appels au dialogue entre le Dalaï Lama et les autorités chinoises aient été entendus par les autorités chinoises...

R.- Pas encore, mais vous savez, il y a eu une résolution des 27 en Slovénie, il y a deux jours. Puisque le Dalaï Lama ne demande ni le boycott ni l'indépendance du Tibet, je pense qu'il est temps de revenir. Et je pense que ces 27 ministres des Affaires étrangères inviteront le Dalaï Lama à Bruxelles, si la présidence slovène le décide.

Q.- Prochainement ?

R.- Oui, prochainement.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 1er avril 2008