Déclaration de François Fillon, Premier ministre, sur l'engagement de l'armée française en Afghanistan, le débat sur la motion de censure déposée par l'opposition, la politique européenne de défense et l'OTAN, à l'Assemblée nationale le 8 avril 2008.

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Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les députés,
A l'heure où je m'exprime, la nuit tombe sur Kaboul. Autour de l'aéroport, des soldats français patrouillent aux côtés des militaires afghans du 201e corps d'armée. C'est lors d'une patrouille similaire que l'adjudant Pican est mort en septembre dernier à la suite à l'attaque d'un véhicule suicide.
Aux confins de la plaine de Shamali, les fantassins du 126e régiment d'infanterie de Brive et les cavaliers du 1-11e régiment de cuirassiers de Carpiagne, sont en chemin, avec leurs frères d'armes allemands et bulgares. _ Ils achèvent une opération de sécurisation.
Comme chaque jour, les sapeurs du 31e régiment du génie de Castelsarrasin détruisent les mines qui arrachent la chair des enfants qui vivent, dans l'innocence des enfants - et les cris que l'on entend à gauche sont assez significatifs de l'état d'esprit qui est celui de l'opposition à l'occasion de cette motion de censure. Les trois équipes d'actions civiles et militaires, intégrées à ce bataillon, finissent leur ouvrage. Ils construisent et réhabilitent des puits, des dispensaires et des salles de classe.
En vallée de Kapisa, deux équipes de la 27e brigade d'infanterie de montagne sont, en ce moment même, en patrouille avec les soldats de l'Armée Nationale Afghane et si un affrontement devait surgir, ils seront au plus près des combats pour les conseiller.
A Kandahar, nos mirages 2000 et nos Rafale sont prêts à décoller. La semaine dernière, ils ont effectué 17 missions.
Au nord de l'Océan Indien, nos marins de la frégate Surcouf patrouillent pour empêcher les trafics d'armes et de drogues.
Dans quelques minutes, nos médecins finiront leur journée. 117 enfants, 90 femmes et 45 hommes ont aujourd'hui bénéficié de leur soutien.
Mesdames et messieurs les députés,
Nous sommes en Afghanistan parce que le 11 septembre 2001 n'était seulement un signal sanguinaire adressé aux États-unis.
C'était aussi un affront lancé à toute la communauté internationale.
Ce qui est arrivé à New-York aurait pu, et pourrait toujours, arriver à Paris.
Il faut se souvenir de ce qu'est le terrorisme de masse, et il ne faut pas se leurrer sur les objectifs meurtriers et méthodiques de ses auteurs.
Al-Qaïda hait et rejette tout ce qui n'obéit pas à ses desseins.
Cette mouvance terroriste a fait des dizaines de milliers de victimes, musulmanes à plus de 90 %.
Attentats à Djerba, au Yémen, à Bali en 2002.
A Riyad, à Casablanca, à Istanbul en 2003.
A Madrid en 2004, à Londres, à Charm el-Cheik et Amman en 2005.
A Batna, à Dellys, et à Alger en 2007 contre les bureaux de l'ONU.
Jusqu'à ce jour, la France a été épargnée, en grande partie grâce à son dispositif anti-terroriste. Elle est pourtant visée dans les déclarations d'Oussama Ben Laden et de ses seconds dont l'influence s'étend désormais au Maghreb.
C'est ce terrorisme là que l'ONU, à travers sa résolution 1373, a décidé de bannir.
C'est lui que nous combattons en Afghanistan, là où il a pris sa source et là où il continue de s'y réfugier, pourchassé par la communauté internationale et par le peuple afghan lui-même, ce peuple afghan qui n'a pas oublié le joug de fer sous lequel le régime taliban l'a tenu.
En octobre 1996, une femme afghane est condamnée à avoir le pouce tranché pour avoir porté du vernis.
En décembre 1996, 225 femmes sont fouettées pour avoir violé les règles de l'habillement.
En août 1998, les Talibans prennent Mazar-i-Sharif et massacrent en quelques jours 8000 civils de l'ethnie Hazara, femmes et enfants compris.
En février 2001, les deux bouddhas de Bamiyan sont déclarés idolâtres par le Mollah Omar. Sous le feu de l'artillerie, les talibans mettent un mois à réduire ces statues de 50 mètres à l'état de gravats.
Voilà la dictature que nous avons chassée du pouvoir.
Depuis 2001, les efforts de la communauté internationale, des autorités locales et du peuple afghan ont commencé à porter leurs fruits !
L'Afghanistan possède désormais des institutions plus démocratiques.
Les femmes y jouissent de droits similaires à ceux des hommes.
Le nombre d'enfants scolarisés est passé de 900 000 à 6,4 millions.
80 % de la population a accès aux soins contre 8 % en 2001.
4 000 km de routes ont été construits.
Les pays de l'OTAN ont conduit plus de 1000 projets de développement.
L'Union Européenne a engagé plus de 4 milliards d'euros d'aide.
Et à la demande du président Karzaï, la France organisera à Paris, le 12 juin prochain, une grande conférence pour amplifier la mobilisation de la communauté internationale.
Enfin, dans le domaine sécuritaire, l'armée afghane, dont la formation est notamment assurée par la France, atteint 50.000 hommes. L'Union Européenne et les États-Unis travaillent à la mise en place d'une police moderne, déjà dotée de 75.000 hommes.
Evidemment, mesdames et messieurs les députés, bien des défis demeurent en termes de sécurité, de montage de projets, de lutte contre l'économie de la drogue.
Mais devant l'ensemble de ce bilan, certes si incomplet, si fragile, parfois même si décevant, l'ONU, l'Europe et l'OTAN n'ont pas à rougir de ce qu'ils ont fait. Ils ont, bien au contraire, toutes les raisons d'amplifier leur effort.
Quant à nos soldats, ils méritent la fierté de la nation et le soutien de la représentation nationale.
Parce qu'ils sont engagés pour des valeurs.
Ils sont engagés pour les valeurs de la charte de l'ONU, pour les valeurs de l'Europe qui n'a jamais cessé de dénoncer le funeste scénario du choc des civilisations ; pour les valeurs de l'Alliance atlantique qui stipule qu'une attaque contre l'un de ses membres constitue une attaque contre tous.
Pour les valeurs de la liberté, de l'égalité et de la fraternité qui sont celles de la France qui n'est jamais aussi grande que lorsqu'elle qu'elle se dresse pour les autres.
Pour les valeurs enfin de la souveraineté nationale car notre but est d'offrir à l'Afghanistan le pouvoir d'être libre.
Nous ne sommes pas là-bas pour annexer qui que ce soit.
Nous ne sommes pas là-bas pour du pétrole ou pour signer des contrats.
Non, nous sommes là-bas pour promouvoir des valeurs et assurer notre sécurité collective.
Mesdames et messieurs les députés,
En déposant cette motion de censure, l'opposition entend-elle signifier que tout cela est vain ?
Entend-elle affirmer que tout effort supplémentaire est désormais inutile ?
En escomptant faire tomber le Gouvernement sur la question afghane, insinue-t-elle qu'une autre politique que celle de la détermination et de la solidarité à l'égard du peuple afghan et de nos alliés, est possible ? Si la gauche le croit vraiment, alors qu'elle expose clairement ses arguments et sa stratégie alternative. Et qu'elle n'hésite surtout pas à en s'en faire l'écho auprès de la communauté internationale et surtout auprès des 25 États européens engagés en Afghanistan à nos côtés, dont 15 dans lesquels les socialistes ou les sociaux-démocrates sont au pouvoir. Mais surtout, qu'elle n'hésite pas à aller dire au peuple afghan, les yeux dans les yeux, en lui disant : "c'est fini !"
Parce que mesdames et messieurs les députés, à la lecture de cette motion, je ne vois rien qui indique un plan parallèle, un plan sérieux pour l'Afghanistan. J'y lis une vague exhortation en faveur - je cite - "d'une évaluation et une complète réorientation de la stratégie politique, diplomatique et militaire de la coalition".
Mais encore ?
Le sujet est suffisamment grave pour ne pas se lancer dans des recommandations si peu étayées. Si elles le sont, nous les écouterons avec intérêt. Sinon, il faudra considérer cette initiative comme une affaire tristement partisane.
Ne pas "ajouter la guerre à la guerre" proclame cette motion de censure.
L'opposition oublie-t-elle que c'est l'un des siens, Lionel Jospin, qui accepta avec le président Jacques Chirac d'engager des forces françaises en Afghanistan dans le cadre de l'opération Liberté immuable ?
Oublie-t-elle que c'est sous l'autorité d'Hubert Védrine que la diplomatie française soutint l'adoption de la résolution 1386 créant la Force Internationale d'Assistance et de Sécurité ?
L'opposition peut-elle feindre d'oublier que la mission de nos forces n'était alors pas humanitaire mais militaire ?
Et d'ailleurs nos premières opérations aériennes sur le théâtre ont été réalisées par les Mirage IV et nos avions du groupe aéronaval dès la fin de 2001.
Nos moyens terrestres ont été déployés dès le début de 2002.
Et parmi eux, figuraient 200 membres des forces spéciales qui, durant 4 ans, ont été engagés dans le Sud du pays, c'est-à-dire dans la zone la plus dangereuse. On est loin de l'opération strictement humanitaire qui est défendue par une partie de l'opposition.
Tout ceci pour vous indiquer que l'engagement militaire de la France fut une décision politiquement partagée, militairement assumée et légalement encadrée sur le plan international.
Et aucun des protagonistes de l'époque ne cédait à l'illusion d'une opération éclair.
Chacun d'entre eux connaissait la complexité de la situation afghane.
Chacun pressentait que la sécurisation et le redressement de ce pays seraient longs.
Chacun, du président Jacques Chirac au Premier ministre Lionel Jospin, étaient prêts à en assumer les conséquences.
Avant d'être tournée contre mon Gouvernement, cette motion de censure est donc d'abord tournée contre ceux qui décidèrent avec courage et lucidité d'engager la France dans un processus, certes difficile, mais juste.
Ne pas "ajouter la guerre à la guerre".
La formule, mille fois utilisée par ceux qui croient que l'instauration de la paix et du droit se passe de tout usage de la force, n'a pas de sens.
Al-Qaïda et les talibans n'ont que faire de ces formules qui, au demeurant, ont toujours servi à la victoire des dictatures et à la défaite des démocraties.
La France n'est nullement en guerre avec l'Afghanistan ! Mais il est vrai qu'elle n'esquive pas le conflit avec ceux qui ont fait le choix du terrorisme et qui ont martyrisé leur propre peuple.
Notre nation est engagée dans le cadre de six résolutions de l'ONU, aux côtés de 39 pays, pour soutenir le gouvernement légitime du président Karzaï et pour arracher l'Afghanistan de la violence et de la misère. Certains jugent cette entreprise inutile et chimérique. Comme si l'Afghanistan était viscéralement possédée par la fatalité du malheur.
Ce n'est pas parce que des violences séculaires traversent ce pays, que nous devons renoncer à imaginer une paix possible.
Ce n'est pas parce que le commandant Massoud est mort que son rêve d'un Afghanistan réconcilié est mort.
Ce n'est pas parce que les droits de l'Homme ne sont pas transposables en un jour qu'ils ne doivent pas devenir la cause sacrée des Afghans.
Et pour tout cela, ce n'est pas parce que la mission est difficile que l'on doit y renoncer.
"Ne pas ajouter la guerre à la guerre".
La formule fut, mot à mot, utilisée dans cet hémicycle par le parti communiste, lors d'une déclaration du Gouvernement sur la situation du Kosovo.
Deux jours après le déclenchement des opérations militaires, Lionel Jospin vint ici, le 26 mars 1999. Il annonça la participation de nos armées à l'opération menée par l'OTAN contre les armées serbes. Dois-je préciser que le conseil de Sécurité des Nations unies n'avait pas explicitement autorisé le recours à la force... Et dois-je rappeler à l'opposition que ni l'article 35 de notre Constitution, ni l'article 49.1 ne furent alors utilisés par mon prédécesseur. Pour l'Afghanistan comme pour le Kosovo, il y eut débat sans vote.
En réalité, cette petite querelle institutionnelle n'a que bien peu d'intérêt.
Et pour la dissiper définitivement, je compte sur la gauche pour adopter la révision constitutionnelle. L'opposition parle "d'humiliation du parlement". Plutôt que de céder aux excès du langage, mieux vaut adopter les dispositions constitutionnelles qui accorderont au Parlement un véritable droit de regard sur notre politique étrangère et sur notre politique de défense. Je ne doute pas que l'opposition passera aux actes. J'ai lu que Laurent Fabius était favorable au principe que le président de la République puisse s'exprimer devant vous dans les moments solennels... C'est une innovation qui contribuerait à la modernisation de notre démocratie.
Mais, mesdames et mesdames les députés, revenons au fond.
Que proposez-vous ?
Le renforcement de nos efforts et ceux de nos partenaires ? Vous y êtes hostiles !
Le statu quo ? A lire votre motion, vous estimez que c'est un échec.
Reste donc le retrait !
Le retrait, ce serait la défaite de tout ce que nous avons dit.
Ce serait la défaite de tout ce que nous avons fait. Inutile de vous dire combien l'image et l'honneur de la France en seraient atteints.
En somme, nous laisserions à nos alliés le soin de régler l'affaire, laissant ainsi entendre que la victoire d'Al-Qaïda et des Talibans ne nous empêcherait pas de dormir.
Quand les démocraties sommeillent, leurs adversaires agissent.
L'Afghanistan ne doit plus jamais redevenir le foyer du terrorisme.
Mesdames et messieurs les députés,
Depuis la fin de l'année 2006, la situation sécuritaire en Afghanistan s'est tendue.
Les sollicitations de nos alliés pour étoffer le dispositif militaire se sont alors multipliées, émanant de nos partenaires européens et de nos amis canadiens qui ont 3.400 hommes sur le terrain.
La France en a pris acte.
Mais la France n'a pas souhaité s'engager davantage sans conditions, ni sans clarification de la stratégie politico-militaire de la coalition.
Avec le président de la République, nous agissons avec gravité.
14 de nos soldats sont déjà tombés.
La paix a un prix et nous l'assumons, mais selon des modalités et des buts dont nous entendons demeurer les maîtres.
Nous évaluons les risques auxquels nos forces sont et seront soumises et nous nous tenons à nos objectifs : sécuriser, reconstruire, responsabiliser les autorités afghanes afin de leur transmettre le flambeau de la paix et l'étendard de leur souveraineté nationale.
Le 26 février dernier, le président de la République a écrit à ses homologues de l'OTAN pour indiquer nos conditions :
* L'adoption d'une stratégie politique partagée ;
* La confirmation par les alliés de leur détermination à maintenir leur effort dans la durée ;
* La coordination accrue des efforts civils et militaires sur le terrain ;
* L'accroissement de l'effort de formation des forces de sécurité afghane afin de permettre une véritable "afghanisation" de la sécurité du pays, c'est à dire la prise en charge par les Afghans de leur propre sécurité, qui dessine l'autonomie de l'État afghan et donc l'horizon de notre retrait.
Ce sont ces quatre conditions qui ont été débattus et validés à Bucarest, en présence du président Karzaï et du secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-Moon.
Comme l'a indiqué le président de la République, la France déploiera, à partir de l'été, un bataillon supplémentaire de 700 hommes.
Nous voulions garantir la cohérence de notre dispositif.
Il stationnera donc en région Est où se trouve déjà un certain nombre de nos forces, à proximité de la région de Kaboul.
Ce déploiement permettra aux Canadiens, présents dans le Sud, de recevoir le renfort qu'ils attendaient des Américains.
La France prendra de surcroît le commandement de la région Centre à compter de cet été.
Avec 1.600 hommes déjà sur le terrain, notre pays disposera d'une force de 2.300 militaires, qui la placera au 5ème rang des contributeurs de la force internationale d'assistance et de sécurité.
(deuxième partie)
Mesdames et messieurs les députés,
Notre cause en Afghanistan est suffisamment juste et difficile, pour ne pas se prêter à des interprétations partisanes.
Qui peut croire un instant que nous mettions le sort de nos forces en Afghanistan en balance avec l'avenir de l'OTAN ?
Qui peut croire que les décisions du président de la République s'attachent aux desideratas des États-Unis ou de n'importe quelle autre puissance ?
Nicolas Sarkozy, comme tous ses prédécesseurs, n'a pas de leçons à recevoir. L'intérêt national éclaire toujours et d'abord les choix de la France.
Mesdames et messieurs les députés, les États-unis sont nos amis et nos alliés.
De la crise de Cuba à la 1ère guerre en Irak, de la crise des euromissiles au 11 septembre 2001, la France ne s'est jamais départie de cette amitié.
"La France est un ami debout, un allié indépendant, un partenaire libre" : ce sont les mots du président de la République lors de sa venue au Congrès des États-unis, le 7 novembre 2007.
La France, alliée mais pas vassale, solidaire mais pas subordonnée : voilà la nature de notre relation avec l'Amérique, dont les valeurs nous sont si proches, mais dont les objectifs nous distinguent parfois.
Ils nous distinguèrent lors de la seconde guerre en Irak.
Ils nous distinguent aujourd'hui sur le réchauffement climatique, sur l'organisation du commerce mondial, sur la position de l'Union européenne vis-à-vis de l'adhésion de la Turquie, sur l'évolution même de l'Alliance atlantique sur laquelle le débat ne fait que commencer. Sur tous ces points, le président de la République a fait valoir ses analyses, en toute franchise. L'amitié n'exclut pas les divergences, mais elle n'interdit pas non plus les convergences, et elles sont, entre nos deux grandes démocraties, nombreuses, ces convergences.
L'opposition nous accuse "d'atlantisme", façon aimable de nous présenter à la solde de George Bush. Chacun l'aura compris, il s'agit pour eux de surfer sur l'un de nos travers les plus discutables - je veux parler de l'anti-américanisme primaire.
Il est toujours piquant d'entendre la gauche se rassembler pour crier "haro sur les Etats-Unis", et encore plus surprenant de la voir faire appel aux mânes du gaullisme, elle qui combattit le Général sans relâche, qui le soupçonna d'orchestrer un coup "d'Etat permanent" ; qui lui reprocha d'avoir doté la France de la force de dissuasion nucléaire. Cette gauche qui critiqua durement Charles de Gaulle d'avoir décidé de nous retirer des structures militaires de l'OTAN.
Parce que l'histoire est malicieuse.
Il y a 42 ans, pratiquement jour pour jour, le parti socialiste déposait une motion de censure contre le retrait des forces françaises de l'OTAN. Deux motifs principaux justifiaient, aux yeux de la gauche d'alors, cette motion :
* d'abord, le retrait de la France de l'OTAN signait, à ses yeux, le retour d'une politique prétendue "nationaliste" ;
* ensuite, il affaiblissait le lien transatlantique et la présence américaine eu Europe à laquelle le parti socialiste se montrait particulièrement attaché.
Quant à François Mitterrand, qui était signataire de cette motion, il s'est très lucidement expliqué sur ce "péché atlantiste" - selon ses propres termes. Lorsqu'il approuva en 1983 - et ceci fort légitimement - l'installation des fusées américaines Pershing II, "Cela m'a valu" - écrit-il - "d'être accusé d'atlantisme", sous-entendu de soumission aux desseins de M. Reagan". "L'atlantisme comme péché" - ajoutait-il - "voilà Tartuffe qui se confesse !".
"Je continue de croire" - concluait François Mitterrand "que le pire danger pour nous serait que l'Amérique s'éloignât des rivages de notre continent".
En rappelant ces propos et en me souvenant d'une longue et passionnante conversation avec lui sur ce sujet, je ne porte pas de jugement sur l'homme qui a dignement servi la France. C'était une autre époque, c'était un certain héritage historique et intellectuel.
Ce bref rappel du passé, nous rappelle que les "atlantistes", comme vous dites, ne sont pas là où l'on croit. Il nous invite, surtout, à éviter les postures politiques et les clichés.
S'il est une leçon que nous devons retenir du Général de Gaulle, c'est que la politique de la France comme sa stratégie ne doivent pas être figées sur les situations d'hier et sur les concepts du passé.
Certes, il y a des permanences, et la première d'entre-elles, c'est que la France doit être toujours libre de décider par elle-même et pour elle-même de son destin.
L'opposition nous fera la grâce de penser, je l'espère, que ni le président de la République, ni moi-même, nous ne renoncerons jamais à cette faculté sacrée.
Mais à côté de cette permanence non négociable, il y a le mouvement de la politique et des circonstances géostratégiques.
Depuis la fin de la Guerre froide, le monde a profondément changé. La bipolarité d'antan a laissé place à une dissémination des risques.
Notre sécurité ne se joue plus à nos frontières, mais dans le cadre d'une mondialisation des enjeux, dont le terrorisme constitue l'un des points saillants.
Nos scénarios stratégiques et militaires ne sont donc plus comparables à ceux des années 60, 70 ou même 80. Oui, bien des choses ont changé en l'espace de vingt ans. L'URSS est devenue la Russie et s'est ralliée à l'économie de marché.
L'empire soviétique disloqué, ses États satellites se sont libérés et ont rejoint l'Union européenne.
Les États-Unis ont retiré 80 % de leurs forces de notre continent qu'ils ne jugent plus comme une priorité au regard des intérêts que recouvre l'Asie.
L'ONU s'est renforcée et constitue à présent l'instance incontournable du droit international.
L'Europe s'est affermie et forme désormais l'un des principaux pôles de stabilité et d'influence du monde. A la lisière de toutes ces transformations, l'OTAN n'est elle-même plus l'organisation dont vous parlez.
Il y a 40 ans, le Général de Gaulle se retirait d'une organisation compacte, exclusivement dirigée par les Etats-Unis, qui voulaient rester seuls maîtres des opérations. Depuis, c'est la notion de coalition d'Etats volontaires, à participation variable, qui s'est imposée au détriment des schémas rigides de la Guerre froide. Il y a 40 ans, la France sortait d'un système militaire qui ne lui permettait pas de disposer librement de ses forces.
Depuis, la configuration du paysage a complètement évolué.
Dans cette grande confusion du monde, les objectifs de la politique étrangère de la France sont très clairs.
La France est d'abord en quête d'un système international mieux équilibré et inspiré par le respect du droit international et des valeurs universelles.
Refusant une mondialisation désordonnée, dominée par les plus puissants, hostile à tout ce qui conduirait au choc des civilisations, la France est d'abord l'avocate d'une nouvelle gouvernance mondiale.
Notre nation est la première à avoir fait de l'élargissement du G8 un objectif politique majeur. Comme l'a indiqué à plusieurs reprises le président de la République, nous voulons que les grand Etats émergents siègent désormais dans cette organisation.
Comme l'a indiqué à plusieurs reprises aussi le président de la République, nous voulons élargir le conseil de Sécurité des Nations unies, notamment à l'Allemagne, au Japon, au Brésil, à l'Inde.
Parce que l'économie mondiale ne doit pas devenir un vaste casino sans règles et sans éthique, nous défendons le principe d'une réforme du FMI soutenue par son directeur général.
Notre pays participe à la plupart des programmes de coopération avec les pays en voie de développement. La France est engagée en Afrique, pour l'Afrique.
Elle est engagée au Liban, où elle défend la cause de la souveraineté du Pays des Cèdres.
Elle est engagée auprès des Israéliens comme auprès des Palestiniens auxquels elle tient un discours sans ambiguïté : Israël a droit à la sécurité, la Palestine a droit à un État viable et souverain.
Sur l'Iran, avec l'Allemagne et le Royaume-Uni, l'approche de la France est faite de fermeté, mais aussi de dialogue.
Oui, mesdames et messieurs, notre ambition est de contribuer à l'instauration d'un monde plus stable et plus juste.
Et pour cela, nous voulons l'Europe.
Parce que dans un monde difficile de 6 milliards d'habitants, la France a besoin de l'Europe et l'Europe a besoin de la France.
Une France forte, une France bien décidée à entraîner et à convaincre ses partenaires que la destinée européenne est une affaire politique et pas seulement une affaire économique.
S'il est bien une constance française, c'est bien celle-ci : l'Europe politique !
Une Europe capable de défendre ses intérêts, de promouvoir un modèle de civilisation singulier, de peser sur l'évolution du monde.
Il y a quelques mois encore, l'Europe était en panne. Et c'est Nicolas Sarkozy, avec Angela Merkel, qui l'a sortie de l'impasse institutionnelle. Avec le Traité de Lisbonne, les dispositions nécessaires à l'affirmation d'une puissance européenne existent.
Avec ce Traité, mesdames et messieurs les députés, l'opposition s'est montrée telle qu'elle est : divisée, irrésolue et pusillanime.
En délaissant l'Afghanistan, en négligeant l'Europe, en diabolisant l'Alliance atlantique, la gauche révèle au grand jour son repli hexagonal, sa frilosité diplomatique, son pessimisme profond qui est tout le contraire de la grandeur nationale.
Loin des professions de foi universalistes et moralisantes, l'opposition offre le visage de l'indifférence et de l'impuissance.
Elle dénote son incapacité à penser la France en mouvement et en initiative.
Si nous avions dû vous attendre, nous en serions encore à façonner le plan B.
Fort heureusement, la France est, avec le président de la République, le Gouvernement et la majorité, en action. Au 1er juillet, notre pays présidera l'Union européenne. Nos priorités sont fixées.
Construire une stratégie commune contre le réchauffement climatique, dans la perspective de la Conférence de Copenhague.
Lancer un véritable programme de sécurité énergétique. Nouer un pacte commun sur l'immigration. Construire une politique agricole adaptée aux défis du XXIe siècle.
Et enfin, donner un coup d'accélérateur à l'Europe de la défense.
Le Traité de Lisbonne contient, en la matière, toutes les dispositions utiles, dont celle de la coopération structurée permanente.
Mais au-delà des textes, au-delà des discours, au-delà des bonnes intentions et de quelques initiatives prometteuses, j'estime que depuis les accords de Saint-Malo, l'Europe de la défense reste très en-deçà de ce qu'elle devrait être, pour ne pas dire que l'Europe de la défense est en réalité en panne.
La raison en est simple, et elle n'est pas nouvelle. Pour nos principaux partenaires européens, un pas de plus vers l'Europe de la défense, c'est un pas en arrière dans l'OTAN.
Et c'est cette crainte qui a si longtemps inhibé les initiatives.
Faut-il, pour cela, renoncer à bâtir une défense européenne ?
Le président de la République ne s'y résigne pas. C'est la raison pour laquelle il s'est efforcer des créer les conditions d'un partenariat plus étroit avec le Royaume Uni, et pour laquelle il a présenté, à Bucarest, un pari sur l'avenir : la France pourrait rénover sa relation avec l'OTAN dès lors et sous réserve que l'Europe de la défense avance sérieusement.
Il convient, mesdames et messieurs les députés, de rappeler quelques faits.
Tout d'abord que la France est membre de l'Alliance atlantique depuis l'origine, et nul n'a jamais trouvé à redire - ou presque.
Depuis plus de dix ans, notre pays est, en outre, revenu au comité militaire. Il est associé à plusieurs dispositifs de l'OTAN dont celui du conseil de l'Atlantique Nord, il est présent au sein des deux principaux états-majors de commandement, à Mons et à Norfolk.
Au sein de l'Alliance, notre nation fait entendre une voix singulière.
Pour la France, l'OTAN doit être un instrument du droit international et non pas l'outil d'un interventionnisme unilatéral.
Pour la France, une OTAN rénovée est compatible avec une Europe de la défense renforcée. A Bucarest, sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy, l'OTAN et les Etats-Unis ont admis, pour la première fois, l'apport que représenterait une Europe de la défense plus forte et plus performante.
La France milite pour une OTAN plus souple, plus flexible, dont les moyens militaires puissent être mobilisés par l'Union européenne.
La France, dans cet esprit, contribue à la rédaction d'un concept stratégique qui sera débattu lors du prochain sommet de l'OTAN, organisé conjointement par la France et l'Allemagne en 2009 à Strasbourg et à Kehl.
La France insiste enfin - comme elle l'a fait avec force à Bucarest en pleine harmonie avec son partenaire allemand - sur la nécessité de respecter la Russie. Cette grande nation européenne, sortie de 70 années de dictature communiste, s'est engagée sur le chemin tourmenté de la démocratie et contribue de façon constructive aux équilibres du monde.
Le dialogue et la nécessaire collaboration avec la Russie, ne doivent pas être bousculés par un élargissement précipité de l'OTAN et par l'instauration hâtive d'un bouclier anti-missile qui ne répond que très partiellement à la menace balistique.
Voilà, mesdames et messieurs les députés, pour l'état des lieux.
Mais revenons à l'initiative du président de la République qui semble tant émouvoir l'opposition. Pour audacieuse qu'elle soit, cette initiative n'est pas totalement inédite.
En 1990, alors que le débat sur l'architecture européenne post Guerre froide battait son plein, François Mitterrand s'interrogea sur la façon de résoudre la triple équation qui demeure la nôtre : comment réconcilier le statut particulier de la France et sa participation croissante dans les nombreuses activités de l'Alliance ? Comment peser sur les évolutions de l'institution atlantique ? Et enfin, comment du même coup, faire émerger une défense européenne digne de ce nom ? Le président Mitterrand tenta de résoudre cette équation, sans y parvenir.
Entre 1995 et 1997, Jaques Chirac lança, très officiellement, une initiative destinée à replacer la France dans l'OTAN avec, pour contrepartie, l'attribution du commandement de la zone sud, situé à Naples, et le renforcement du pilier européen de défense. L'initiative échoua, mais du moins témoignait-elle d'une véritable volonté française de sortir l'Europe de la défense de sa paralysie.
Aujourd'hui, le président de la République renouvelle les termes de cette ambition. "Laissons cheminer l'Europe de la défense et nous continuerons à cheminer vers l'OTAN". Voilà ce qu'a dit le président de la République à Bucarest.
La France est prête à se rapprocher de l'OTAN, mais, pour cela, l'Europe de la défense doit réellement avancer. Que souhaitons-nous ?
D'abord, accroître les moyens militaires des européens, et ceci passe par un effort financier qui doit être équitablement assumé par tous. Sans moyens, pas de défense !
Deuxièmement, doter l'Union européenne d'une capacité de planification et de conduite des opérations militaires et civiles.
Troisièmement, rapprocher les industries d'armement européennes en accentuant les efforts de l'Agence européenne de l'armement.
Quatrièmement, donner une perspective à la politique spatiale de défense.
Et cinquièmement, compléter la stratégie européenne de décembre 2003, l'ensemble de ces progrès conduisant à une réelle autonomie ; ses initiatives ne devant pas être subordonnées à un accord préalable de l'OTAN que ce soit.
Voilà les dossiers que nous voulons faire avancer et qui décideront de notre position finale.
L'effort que la France réclame de ses partenaires, elle l'exige pour elle-même.
La rédaction du nouveau Livre Blanc arrive à son terme et vous sera soumis avant l'été. Il formalisera le concept de sécurité globale dans lequel s'intègre notre outil de défense et soulignera les nouveaux risques et défis de la mondialisation.
La loi de programmation militaire sera ensuite débattue par votre assemblée à l'automne. Cette loi confirmera notre effort financier en faveur de notre défense. Elle marquera notre attachement à la dissuasion nucléaire et elle accentuera la capacité de projection de nos forces conventionnelles.
Mesdames et messieurs les députés, la France ne baisse pas sa garde.
Sa sécurité se situe d'abord dans sa capacité à se défendre et à agir par elle-même et pour elle-même.
Le monde a changé, mais l'idée que nous nous faisons de la France ne s'est pas épuisée.
Dans ces murs, résonnent les voix de Gambetta, de Clemenceau, de Malraux ou du Général de Gaulle.
Ces voix nous parlent de l'honneur.
Ces voix nous invitent au courage.
Ces vertus là accompagnent les hommes et les femmes qui, en Afghanistan, servent le droit et la liberté. Cette motion de censure ne leur rend pas justice ! Oui, les temps changent ; oui, la mondialisation bouscule les conditions de notre influence et de notre prospérité, mais la grandeur de la France demeure.
Et elle demeure d'abord dans le coeur de ceux qui y croient et qui s'emploient à lui donner vie. C'est ainsi : notre nation est grande lorsqu'elle est grande pour le monde.
Repliée sur elle-même - à l'image de cette motion de censure - la France s'abaisse et se perd.
Mais la grandeur n'est pas un postulat.
Elle est la récompense d'une politique nationale audacieuse et réformiste.
La France est sur le chemin de la modernisation.
Elle y est engagée avec des valeurs qui consacrent le travail et l'innovation.
Elle y est engagée avec des réformes économiques et sociales qui ont pour but d'aller à la conquête de la croissance et du plein emploi.
Elle y est engagée avec des objectifs diplomatiques exigeants au profit d'un monde désordonné qui a besoin de repères politiques et éthiques.
Indépendante mais fidèle à ses alliances, la France fait entendre son message universel.
Et ce message couvre celui du conservatisme et du repli frileux qui est celui de l'opposition.
Libre à la gauche de censurer le Gouvernement, elle ne censurera pas la France que nous aimons.
Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 9 avril 2008