Tribune de M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, dans "La Tribune" le 17 avril 2008, sur la nécessité de maintenir la politique agricole commune (PAC), intitulée "Renoncer à la PAC : une faute politique".

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Renoncer à la PAC : une faute politique
David Spector, dans sa chronique publiée le 11 avril dernier dans La Tribune, dénonce "l'aberration économique de la PAC" et appelle la France, dans le cadre de la Présidence française, à monnayer sa fin contre des "avantages sonnants et trébuchants". Cette analyse participe de la controverse lancée il y a un quart de siècle sur le rôle de l'agriculture. Les détenteurs de cette thèse veulent en finir avec une politique agricole qui serait un vestige du passé. Elle serait tout à la fois responsable d'un surcoût pour les consommateurs, d'excédents coûteux pour les contribuables, de l'échec des agricultures des pays pauvres, de gaspillage de fonds publics.
Cette analyse méconnaît la réalité agricole d'aujourd'hui et les perspectives des prochaines décennies. Il y a longtemps que la Politique agricole commune ne génère plus d'excédent, les stocks mondiaux n'ont jamais été aussi bas : ceux du blé rapportés à la consommation mondiale sont à leur niveau des années 1960. L'enjeu des agricultures dans le monde, aujourd'hui, est de doubler la production pour nourrir 9 milliards d'individus en 2050.
Les prix de certaines matières premières agricoles traduisent une nouvelle réalité mondiale. Et il ne faut pas confondre prix agricoles et prix alimentaires. Les prix agricoles ont été en trente ans, en France, divisés par deux en termes réels, celui du blé par trois. Les exportations des puissances agricoles du Sud entrent sur le marché européen, sans entrave, c'est à droit zéro. Mais la libéralisation des échanges, en mettant en concurrence des agricultures dont le niveau de compétitivité varie de 1 à 1.000, n'a pas permis de répondre à l'objectif du développement du cycle du Millenium.
L'impact d'une politique agricole ne se réduit pas à un transfert de revenus aux agriculteurs. La suppression des aides directes au secteur agricole condamne l'agriculture européenne. Elle banalise l'activité agricole en niant sa dimension de bien public, c'est-à-dire sa capacité à créer ou à détruire notre environnement. Elle met à mal nos entreprises agroalimentaires qui valorisent 70 % de notre production agricole et sont le deuxième employeur de main-d'oeuvre. Voilà pour les faits. Les arguments en faveur de politiques publiques pour l'agriculture ne font pas, contrairement à ce qu'affirme David Spector, sourire à l'étranger, ou, du moins, ils ne font plus sourire ni dans les instances internationales, qu'il s'agisse de la Banque mondiale ou de la FAO, ni dans les forums les plus éclairés, à commencer par celui de Davos.
A l'heure où l'insécurité alimentaire devient une question de sécurité dans le monde, faut-il monnayer la fin de la PAC ? Tout cela confirme ce que l'on avait eu tendance à sous-estimer : l'alimentation ne peut être laissée à la seule spéculation financière, au moins-disant sanitaire et environnemental ou aux simples lois du marché. Dans ce contexte, la Politique agricole commune est plus que jamais nécessaire, non parce qu'elle est historique mais parce qu'elle est stratégique. A ceux qui mettent en avant son coût, je réponds que chaque Européen y consacre 100 euros par an. Et j'invite chacun à réfléchir au coût de l'absence de Politique agricole commune en termes de plus grande dépendance vis-à-vis du monde, de risque de standardisation de notre alimentation, de suppression d'emplois dans nos territoires, de pression sur l'environnement avec une concentration des productions dans les zones les plus compétitives, et leur abandon dans d'autres. Et quand David Spector s'interroge sur la pertinence du maintien de la production laitière en montagne, je lui rappelle simplement que, sans les vaches dans nos vallées et dans nos estives, ces territoires se seraient fermés. Ils auraient perdu de leur diversité biologique et de leur attractivité pour l'implantation d'autres activités.
Qu'il faille adapter notre politique agricole à son temps est une nécessité. Aujourd'hui, personne ne le conteste. D'ores et déjà, et ce fut une de mes priorités dès ma prise de fonctions pour desserrer la pression sur les prix, toutes les terres sont remises en culture avec la suppression de la jachère, la production laitière pourra augmenter grâce à un assouplissement du niveau des quotas et de leur gestion. Mais, au-delà de ces décisions d'urgence, il est impératif de réorienter le budget de la Politique agricole commune sur des outils de couverture des risques pour mieux stabiliser les marchés. Il est également urgent de renforcer les soutiens aux systèmes de production durables en prélevant sur les aides accordées aux secteurs qui bénéficient de prix plus rémunérateurs. C'est l'enjeu du bilan de santé de la Politique agricole commune qui sera conclu sous Présidence française.
L'Union européenne, face au choc alimentaire mondial, avec la puissance de son agriculture et sa politique agricole intégrée, a une responsabilité en participant à la régulation des marchés alimentaires mondiaux et en accompagnant l'émergence de politiques agricoles. C'est le sens de l'initiative européenne pour la sécurité alimentaire que j'ai prise avec Bernard Kouchner et que j'ai portée lors du dernier Conseil des ministres de l'Agriculture le 14 avril.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 avril 2008