Texte intégral
Q - Vous vous prononcez pour une résolution destinée aux autorités birmanes qui leur imposerait de laisser passer les humanitaires ; le droit d'ingérence. Comment pourrait-on forcer le régime birman à laisser passer cette aide ?
R - Il faudrait que le Conseil de sécurité accepte, si je peux me permettre, que cette aide non-politique, neutre, soit mise en oeuvre parce qu'il s'agit maintenant, dans cette immense catastrophe, d'arriver auprès des victimes et de les secourir. Nous avons essayé cet après-midi mais le Conseil de sécurité n'a pas accepté ; il a simplement accepté - un certain nombre de pays refusant d'aller plus loin - d'en discuter encore demain matin. Il y a eu une déclaration de Ban Ki-moon, le Secrétaire général, exhortant les autorités birmanes à laisser passer l'aide. Voilà ce que nous pouvons faire pour le moment.
Q - Pour que l'on comprenne bien votre idée, on emploierait la force ?
R - Non. On emploierait pas la force. Nous pourrions essayer de convaincre de la nécessité d'ouvrir l'aéroport de Rangoun aux vols humanitaires. La communauté internationale déciderait d'une résolution du Conseil de sécurité. Une opération militaire est impossible et n'est pas envisageable. Vous savez, en 1929, il n'y avait pas de résolution sur la responsabilité de protéger issue d'un vieux combat français. En 1929, il y a eu une aide internationale pour assister la population de l'URSS au moment de la famine. Ne désespérons pas mais là, pour le moment, c'est bloqué.
Q - Vous savez que le principe du droit d'ingérence est controversé. Ecoutez Rony Brauman, ancien président lui aussi de Médecins sans frontières : "une saisine du Conseil de sécurité oui, mais enfin, l'idée de forcer les barrages et d'installer l'aide dans le dos du gouvernement birman, en tout cas en passant par le Conseil de sécurité, ça me semble tout à fait extravagant. Et puis c'est ouvrir la porte à des invasions de toute sorte. Pourquoi pas demain au Zimbabwe, au Tibet, en Palestine ; enfin, il y a des tas d'endroits où la responsabilité de protéger se pose en des termes beaucoup plus aigus. Je rappelle qu'il n'y a pas risque vital aujourd'hui en Birmanie". Cela soulève des objections, Bernard Kouchner.
R - Oui. Enfin, si on avait écouté Rony Brauman, on n'aurait jamais rien fait. En effet, en Palestine et dans bien des endroits, nous intervenons. Il ne faut pas désespérer sous prétexte qu'il y a des désespérés ; il faut avancer. Alors avancer comment ? Pour le moment, au Conseil de sécurité, la situation est bloquée mais il faut trouver une issue pour faire parvenir l'aide aux ONG qui sont sur place.
Q - La France est-elle prête à donner une aide supplémentaire ?
R - Oui, bien sûr. J'ai dit 200 000 euros parce que nous ne savions pas comment l'aide serait mise en oeuvre. Nous pourrions aller jusqu'à un ou deux millions d'euros pour le moment, si c'est utile et si l'aide est bien distribuée. Pour le moment, notre désir c'est d'aller vite, à travers nos ambassades, à New Delhi, à Bangkok et de faire parvenir cette aide aux organisations françaises qui sont sur place ; il y en a six. Dans ce cas, je crois que ce sera efficace. Bien sûr ils ne peuvent pas se déplacer, bien sûr c'est désespérant, mais c'est le désespoir des gens qui nous motive, c'est la nécessité de forcer la porte. Nous l'avons bien fait dans des situations beaucoup plus difficiles.
Q - Mais c'est cette expression justement qui prête à confusion : "forcer la porte", ça peut vouloir dire par la force, par la contrainte ?
R - Non. Par l'intermédiaire de l'organisation responsable d'un certain sens de la solidarité humaine, c'est-à-dire les Nations unies et le Conseil de sécurité ; nous essayons. Vous savez, on nous avait dit la même chose avant que ne soit acceptée la responsabilité de protéger et, maintenant, la moitié des débats du Conseil de sécurité sont consacrés à cela. Nous y arriverons, un jour il y aura une responsabilité humaine au-delà de la souveraineté des Etats et surtout de la responsabilité des dictatures.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 mai 2008