Texte intégral
Le débat sur lavenir des régimes des retraites et la publication du rapport Roché sur le temps de travail dans la fonction publique ont suscité une série de réactions et darticles qui ont relancé les critiques récurrentes sur la fonction publique.
A intervalles réguliers, lactualité concentre ses feux sur les fonctionnaires. Source de tous les maux, dotés de tous les privilèges, leur éradication sonnerait laube dune ère nouvelle où les impôts diminueraient, les entreprises embaucheraient et où les services publics seraient efficaces parce que réduits. Ici on se réfère à la Nouvelle-Zélande ou aux Pays-Bas, là on avance lexemple suisse. Sans évidemment se soucier de la comparabilité démographique, économique, sociale ou géographique avec la France. Je suis obligé de constater que, malheureusement, la rigueur intellectuelle nembarrasse pas les détracteurs du service public. Le mariage du néolibéralisme et du poujadisme est à ce prix.
Le ministre de la fonction publique na pas vocation à défendre les salariés de la fonction publique. Son rôle consiste avant tout à impulser la modernisation et ladaptation des services publics aux besoins exprimés par les usagers et à lintérêt général. Cependant, il ne peut demeurer inerte devant une telle offensive qui vise à discréditer les services de lEtat ou des collectivités territoriales et leurs agents.
Toutes les études dopinion démontrent que limmense majorité dentre eux, je pense aux professeurs, aux pompiers, aux infirmiers, aux agents de léquipement, aux policiers et gendarmes, aux postiers, jouissent dune réputation certaine. Les fonctionnaires seraient trop nombreux, trop payés, ne travailleraient pas assez et bénéficieraient dune retraite exorbitante. Quen est-il réellement ? Il est exact que certains services de lEtat ou des collectivités locales ont vu leurs effectifs progresser pour faire face à lévolution des besoins. Ceux de lEducation nationale, et notamment de lenseignement supérieur, ont bien augmenté de 17 % au cours des quinze dernières années, mais le nombre détudiants a été multiplié par deux dans le même temps. Ceux du ministère de la Justice ont progressé de près de 50 %, tandis que le nombre des affaires civiles traitées par les tribunaux croissaient de 200 %. Quelques autres secteurs ont bénéficié de postes supplémentaires en raison des besoins spécifiques exprimés par les Français : le secteur hospitalier, qui doit répondre à un accroissement démographique des personnes âgées, la police, pour remédier à linsécurité ressentie ou avérée dans nombre de quartiers urbains.
Parallèlement, dautres services ont vu leurs effectifs baisser sensiblement : la Défense, les Anciens combattants, pour nen citer que quelques-uns. Il y a donc bien eu une adaptation à lévolution des besoins de la société. Mais jai relevé aussi les réticences du corps social - usagers, élus locaux, parlementaires de tous bords -, à accepter une modification de leur environnement administratif. Les parents délèves sélèveront contre la fermeture dune classe, les usagers refuseront le transfert de leur bureau de poste ou de leur perception, les élus locaux sopposeront à la suppression de leur service hospitalier.
Cest cette contradiction, apparente, que doit gérer un gouvernement. Entre les souhaits de lusager et ceux du contribuable. Le nombre de fonctionnaires et le champ des services publics résultent donc de cet arbitrage politique entre une demande qui, quantitativement, peut ne pas avoir de limites, et les ressources que la collectivité est prête à dégager pour satisfaire cette demande. Ce gouvernement a estimé que le maintien des effectifs actuels, pour ce qui concerne les services de lEtat, constitue aujourdhui un équilibre acceptable.
Quand il ne sagit pas du nombre des fonctionnaires, cest leur condition que lon met en cause. Le salaire moyen des fonctionnaires est légèrement supérieur à celui des salariés du secteur privé (11 830 F contre 10 690 F en 1996). Mais on oublie de préciser que 45 % des agents de lEtat sont des cadres contre seulement 15 % pour le secteur marchand. On pourrait alors même sétonner que la différence ne soit pas plus importante. Faut-il considérer comme excessive la rémunération dun professeur ou dun juge totalisant six à sept années détudes supérieures et qui perçoit environ 15 000 F par mois en milieu de carrière ?
Dautres soulèveront alors les avantages supposés du régime de retraite des fonctionnaires. Taux et durée de cotisations, période de référence, réversion et autres spécificités leur permettraient de jouir dune retraite particulièrement douce. Jai lu avec beaucoup dintérêt, dans ces mêmes colonnes, les jugements définitifs de MM. Bayrou et Madelin, qui étaient beaucoup plus prudents lorsquils étaient ministres.
La réalité est, là aussi, assez éloignée de ces clichés. Le Commissariat général au Plan démontre que le revenu de remplacement et lâge réel de départ à la retraite, seuls éléments qui comptent finalement, sont en fait assez proches.
Alors il reste la garantie de lemploi. Peu de Français souhaitent la remettre en question. Son fondement historique est la neutralité du service public, ainsi soustrait aux intérêts particuliers ou partisans. En quoi la précarisation de la fonction publique deviendrait-elle aujourdhui un facteur de modernisation de lEtat ? Ne serait-il pas préférable, au contraire, dassurer une meilleure stabilité des emplois du secteur marchand pour créer un climat de confiance nécessaire à la reprise économique ? Mais ceux qui fustigent le statut des fonctionnaires sont probablement les mêmes qui souhaitent introduire plus de flexibilité et de précarité dans les entreprises. Il sagit dun mauvais calcul économique, tant la croissance se nourrit de la confiance.
Bien sûr, on accusera le « ministre des fonctionnaires » de faiblesse ou de complaisance devant la dénonciation de situations jugées inacceptables. A partir de cas atypiques, mais largement minoritaires, lamalgame nourrira le procès en « privilégiature ». Au contraire, le gouvernement a choisi daffronter la réalité avec ses imperfections et ses incohérences. Fidèle à sa méthode, il a sollicité des diagnostics sur toute une série de questions fondamentales pour éclairer ses choix.
Le rapport sur le temps de travail dans la fonction publique participe de cette démarche. II a été établi à la demande des parties signataires de laccord salarial du 10 février 1998, donc par 5 syndicats de fonctionnaires, dont il faut relever le courage.
Sur cette question, comme sur dautres, il serait malhonnête de laisser croire aux Français que les services publics se sont enfermés dans des privilèges anachroniques. LEtat et ses administrations se sont beaucoup transformés au cours de ces dernières années, souvent sous limpulsion des fonctionnaires eux-mêmes. Le renouveau du service public, lancé en 1989 par M. Rocard, a été une formidable occasion de mobilisation et dinnovation. La qualité de nos services publics et de leurs agents est unanimement reconnue dans le monde. Pourquoi faudrait-il que les Français nen soient pas conscients ?
Les citoyens sont aujourdhui plus exigeants sur la qualité des services rendus par les administrations. Quoi de plus normal ? Ils veulent des services publics qui soient plus proches, plus faciles daccès, plus modernes. Des progrès sont à faire, le gouvernement y travaille.
Je dois rappeler que les initiatives fortes en matière de modernisation de lEtat et des services publics sont lapanage des majorités de gauche : quil sagisse de la décentralisation en 1982, à laquelle lopposition se montre désormais particulièrement attachée, de la déconcentration en 1992, que plus personne ne conteste et qui va être poursuivie, ou de lévaluation des politiques publiques initiée en 1990, abandonnée par le gouvernement Juppé, pourtant si préoccupé defficacité managériale, et que je viens de relancer et daméliorer parce quelle correspond à un besoin réel et profond de notre pays.
Mais il est clair que la réforme de lEtat passera avant tout par une gestion plus dynamique et plus rigoureuse de ses ressources humaines prenant en compte la réalité des métiers, les attentes des usagers, celle des agents et attribuant aux femmes leur juste place à tous les niveaux de responsabilité. De ce point de vue, le statut général des fonctionnaires ne constitue pas un obstacle dès lors que lon a la volonté de faire évoluer les pratiques. Tous les outils existent : lévaluation individuelle des agents, la mobilité, la possibilité de reconnaître les mérites dans le déroulement de carrière. La déconcentration de la gestion constitue à cet égard une priorité quil faut rendre plus effective.
Cest ce à quoi nous nous employons. Mais de grâce, cessons de critiquer sans nuances ce corps social qui, très souvent, doit assumer en première ligne les dysfonctionnements de notre société, pour mettre en oeuvre la solidarité nationale et lutter contre lexclusion. Tout au contraire, parlons du sens des responsabilités et de lattachement des fonctionnaires aux valeurs de la République. Cette donnée historique et incontestable fonde la solidité du pacte républicain et la réforme de lEtat, que je mefforce dimpulser sous lautorité du Premier ministre, ne pourra se faire que dans la confiance accordée par les citoyens.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr ; le 4 mars 1999)
A intervalles réguliers, lactualité concentre ses feux sur les fonctionnaires. Source de tous les maux, dotés de tous les privilèges, leur éradication sonnerait laube dune ère nouvelle où les impôts diminueraient, les entreprises embaucheraient et où les services publics seraient efficaces parce que réduits. Ici on se réfère à la Nouvelle-Zélande ou aux Pays-Bas, là on avance lexemple suisse. Sans évidemment se soucier de la comparabilité démographique, économique, sociale ou géographique avec la France. Je suis obligé de constater que, malheureusement, la rigueur intellectuelle nembarrasse pas les détracteurs du service public. Le mariage du néolibéralisme et du poujadisme est à ce prix.
Le ministre de la fonction publique na pas vocation à défendre les salariés de la fonction publique. Son rôle consiste avant tout à impulser la modernisation et ladaptation des services publics aux besoins exprimés par les usagers et à lintérêt général. Cependant, il ne peut demeurer inerte devant une telle offensive qui vise à discréditer les services de lEtat ou des collectivités territoriales et leurs agents.
Toutes les études dopinion démontrent que limmense majorité dentre eux, je pense aux professeurs, aux pompiers, aux infirmiers, aux agents de léquipement, aux policiers et gendarmes, aux postiers, jouissent dune réputation certaine. Les fonctionnaires seraient trop nombreux, trop payés, ne travailleraient pas assez et bénéficieraient dune retraite exorbitante. Quen est-il réellement ? Il est exact que certains services de lEtat ou des collectivités locales ont vu leurs effectifs progresser pour faire face à lévolution des besoins. Ceux de lEducation nationale, et notamment de lenseignement supérieur, ont bien augmenté de 17 % au cours des quinze dernières années, mais le nombre détudiants a été multiplié par deux dans le même temps. Ceux du ministère de la Justice ont progressé de près de 50 %, tandis que le nombre des affaires civiles traitées par les tribunaux croissaient de 200 %. Quelques autres secteurs ont bénéficié de postes supplémentaires en raison des besoins spécifiques exprimés par les Français : le secteur hospitalier, qui doit répondre à un accroissement démographique des personnes âgées, la police, pour remédier à linsécurité ressentie ou avérée dans nombre de quartiers urbains.
Parallèlement, dautres services ont vu leurs effectifs baisser sensiblement : la Défense, les Anciens combattants, pour nen citer que quelques-uns. Il y a donc bien eu une adaptation à lévolution des besoins de la société. Mais jai relevé aussi les réticences du corps social - usagers, élus locaux, parlementaires de tous bords -, à accepter une modification de leur environnement administratif. Les parents délèves sélèveront contre la fermeture dune classe, les usagers refuseront le transfert de leur bureau de poste ou de leur perception, les élus locaux sopposeront à la suppression de leur service hospitalier.
Cest cette contradiction, apparente, que doit gérer un gouvernement. Entre les souhaits de lusager et ceux du contribuable. Le nombre de fonctionnaires et le champ des services publics résultent donc de cet arbitrage politique entre une demande qui, quantitativement, peut ne pas avoir de limites, et les ressources que la collectivité est prête à dégager pour satisfaire cette demande. Ce gouvernement a estimé que le maintien des effectifs actuels, pour ce qui concerne les services de lEtat, constitue aujourdhui un équilibre acceptable.
Quand il ne sagit pas du nombre des fonctionnaires, cest leur condition que lon met en cause. Le salaire moyen des fonctionnaires est légèrement supérieur à celui des salariés du secteur privé (11 830 F contre 10 690 F en 1996). Mais on oublie de préciser que 45 % des agents de lEtat sont des cadres contre seulement 15 % pour le secteur marchand. On pourrait alors même sétonner que la différence ne soit pas plus importante. Faut-il considérer comme excessive la rémunération dun professeur ou dun juge totalisant six à sept années détudes supérieures et qui perçoit environ 15 000 F par mois en milieu de carrière ?
Dautres soulèveront alors les avantages supposés du régime de retraite des fonctionnaires. Taux et durée de cotisations, période de référence, réversion et autres spécificités leur permettraient de jouir dune retraite particulièrement douce. Jai lu avec beaucoup dintérêt, dans ces mêmes colonnes, les jugements définitifs de MM. Bayrou et Madelin, qui étaient beaucoup plus prudents lorsquils étaient ministres.
La réalité est, là aussi, assez éloignée de ces clichés. Le Commissariat général au Plan démontre que le revenu de remplacement et lâge réel de départ à la retraite, seuls éléments qui comptent finalement, sont en fait assez proches.
Alors il reste la garantie de lemploi. Peu de Français souhaitent la remettre en question. Son fondement historique est la neutralité du service public, ainsi soustrait aux intérêts particuliers ou partisans. En quoi la précarisation de la fonction publique deviendrait-elle aujourdhui un facteur de modernisation de lEtat ? Ne serait-il pas préférable, au contraire, dassurer une meilleure stabilité des emplois du secteur marchand pour créer un climat de confiance nécessaire à la reprise économique ? Mais ceux qui fustigent le statut des fonctionnaires sont probablement les mêmes qui souhaitent introduire plus de flexibilité et de précarité dans les entreprises. Il sagit dun mauvais calcul économique, tant la croissance se nourrit de la confiance.
Bien sûr, on accusera le « ministre des fonctionnaires » de faiblesse ou de complaisance devant la dénonciation de situations jugées inacceptables. A partir de cas atypiques, mais largement minoritaires, lamalgame nourrira le procès en « privilégiature ». Au contraire, le gouvernement a choisi daffronter la réalité avec ses imperfections et ses incohérences. Fidèle à sa méthode, il a sollicité des diagnostics sur toute une série de questions fondamentales pour éclairer ses choix.
Le rapport sur le temps de travail dans la fonction publique participe de cette démarche. II a été établi à la demande des parties signataires de laccord salarial du 10 février 1998, donc par 5 syndicats de fonctionnaires, dont il faut relever le courage.
Sur cette question, comme sur dautres, il serait malhonnête de laisser croire aux Français que les services publics se sont enfermés dans des privilèges anachroniques. LEtat et ses administrations se sont beaucoup transformés au cours de ces dernières années, souvent sous limpulsion des fonctionnaires eux-mêmes. Le renouveau du service public, lancé en 1989 par M. Rocard, a été une formidable occasion de mobilisation et dinnovation. La qualité de nos services publics et de leurs agents est unanimement reconnue dans le monde. Pourquoi faudrait-il que les Français nen soient pas conscients ?
Les citoyens sont aujourdhui plus exigeants sur la qualité des services rendus par les administrations. Quoi de plus normal ? Ils veulent des services publics qui soient plus proches, plus faciles daccès, plus modernes. Des progrès sont à faire, le gouvernement y travaille.
Je dois rappeler que les initiatives fortes en matière de modernisation de lEtat et des services publics sont lapanage des majorités de gauche : quil sagisse de la décentralisation en 1982, à laquelle lopposition se montre désormais particulièrement attachée, de la déconcentration en 1992, que plus personne ne conteste et qui va être poursuivie, ou de lévaluation des politiques publiques initiée en 1990, abandonnée par le gouvernement Juppé, pourtant si préoccupé defficacité managériale, et que je viens de relancer et daméliorer parce quelle correspond à un besoin réel et profond de notre pays.
Mais il est clair que la réforme de lEtat passera avant tout par une gestion plus dynamique et plus rigoureuse de ses ressources humaines prenant en compte la réalité des métiers, les attentes des usagers, celle des agents et attribuant aux femmes leur juste place à tous les niveaux de responsabilité. De ce point de vue, le statut général des fonctionnaires ne constitue pas un obstacle dès lors que lon a la volonté de faire évoluer les pratiques. Tous les outils existent : lévaluation individuelle des agents, la mobilité, la possibilité de reconnaître les mérites dans le déroulement de carrière. La déconcentration de la gestion constitue à cet égard une priorité quil faut rendre plus effective.
Cest ce à quoi nous nous employons. Mais de grâce, cessons de critiquer sans nuances ce corps social qui, très souvent, doit assumer en première ligne les dysfonctionnements de notre société, pour mettre en oeuvre la solidarité nationale et lutter contre lexclusion. Tout au contraire, parlons du sens des responsabilités et de lattachement des fonctionnaires aux valeurs de la République. Cette donnée historique et incontestable fonde la solidité du pacte républicain et la réforme de lEtat, que je mefforce dimpulser sous lautorité du Premier ministre, ne pourra se faire que dans la confiance accordée par les citoyens.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr ; le 4 mars 1999)