Conférence de presse de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur les relations franco-russes et les priorités de la présidence française de l'UE, notamment le futur accord de partenariat entre l'UE et la Russie, et les questions liées à la défense européenne, à l'OTAN et aux tensions régionales, avec l'Abkhazie et le Kosovo, Moscou le 21 mai 2008.

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Circonstance : Voyage de Bernard Kouchner en Russie les 20 et 21 mai 2008

Texte intégral

Je suis heureux d'être ici, avec Jean-Pierre Jouyet, et d'avoir eu l'occasion de nous entretenir avec mon ami Sergueï Lavrov que je rencontre régulièrement. Aujourd'hui, c'est plus précisément au nom de la future Présidence française du Conseil de l'Union européenne que je l'ai rencontré. La Présidence française commencera le 1er juillet, après la Présidence slovène qui se déroule très bien. Sergueï Lavrov vous a dit que le mandat pour négocier le futur accord Union européenne-Russie qui succédera à l'ancien accord de partenariat et de coopération sera probablement accepté dans les jours qui viennent et nous nous en réjouissons. Nous avons travaillé à cela, la France particulièrement. Il y a un processus qui se déroule au mieux.
Nous sommes venus présenter les priorités de la Présidence française. Nous avons également parlé des relations bilatérales entre la France et la Russie, mais c'était presque accessoire tant elles se déroulent bien. Nous avons également abordé un certain nombre de domaines que je vais énumérer.
Le premier chapitre, c'est la défense et la sécurité européennes. Nous entendons développer avec la Russie des discussions tout à fait suivies, inventives et qui ont, d'ailleurs, très bien commencé. Nos amis russes ont accepté de participer à l'EUFOR, c'est-à-dire à la plus grande des entreprises de sécurité qui se déroule au Tchad en ce moment. C'est formidable. Il y a bien d'autres opérations de maintien de la paix ou de sécurité qui peuvent être envisagées, qui le sont d'ailleurs, et l'Union européenne se réjouit de travailler avec la Russie de ce point de vue. On peut parler, évidemment, de narcotrafic, de nombreux autres thèmes qui sont du domaine commun, de l'intérêt commun et, certainement, d'une démarche commune.
Nous avons parlé de l'Afghanistan. J'ai remercié les facilités qui sont fournies par la Russie pour l'accès à l'Afghanistan. Notre engagement, vous le savez, se renforce avec cette notion d'"afghanisation" qui est très importante. Il s'agit de donner le plus possible de responsabilité, d'impliquer le plus possible les Afghans dans un combat nécessaire avec eux et non contre eux.
Nous avons évoqué le problème des visas, notamment la question d'un accès plus facile aux visas, ce qui, du côté de la France, a déjà été fait. Nous avons parlé aussi de l'accès plus facile aux permis de travail. Mais ce sont deux problèmes différents.
Nous avons parlé des Droits de l'Homme et non pas de la façon dont on caricature souvent notre position, à savoir vouloir imposer quoi que ce soit.
Nous avons parlé, évidemment, de l'OTAN.
Ce qui est essentiel, à mon avis, c'est que sous la Présidence française - cela ne veut pas dire que cela n'a pas été fait avant -, nous voulons absolument trouver la voie du nécessaire partenariat entre la Russie et l'Union européenne. Nous développerons ce partenariat au maximum, avec un langage qui doit être différent, avec une participation beaucoup plus active des deux côtés pour inventer, comme l'Union européenne le fait pour elle-même, un dialogue dans les domaines de la défense et la sécurité, de l'énergie, de l'immigration, etc...
Q - Comment avez-vous fait pour empêcher la guerre en Abkhazie ? Venez-vous à Moscou avec l'impression ou l'espoir d'un changement de régime avec le nouveau président, vers la libéralisation et la démocratisation du régime ? Dans ce cas, quels sont les éléments concrets qui vous permettent de penser cela ?
R. - On me prête beaucoup de pouvoir dans cette affaire. Je me suis contenté de parler avec mon ami, Sergueï Lavrov. Je lui ai dit, ce qui est une évidence, qu'il n'y aura pas de solution de force, pas plus en Abkhazie, qu'en Géorgie en général.
Je vous rappelle que la position de la France, c'est que l'Abkhazie fait partie du territoire géorgien. Je me suis contenté de dire, et je le fais souvent avec le ministre Lavrov, que les exemples que nous avons vécus ensemble - a contrario, peut-être, je dirais le Kosovo que nous connaissons bien l'un et l'autre - nous poussent à trouver des solutions inventives, nouvelles, pacifiques, tenant compte des réalités, des réalités historiques bien sûr, de l'engagement des uns et des autres. Voilà ce que je me suis contenté de faire et je le ferai encore.
Nous avons des foyers potentiels de tensions et je crois que ce que nous offrons - ce n'est pas la France, mais l'Union européenne - de plus intéressant, c'est précisément, ensemble et dans ces régions-là, ce dialogue permanent à propos de la sécurité et de la défense. Ce n'est pas facile. Nous n'étions pas d'accord et nous ne sommes toujours pas d'accord sur la question du Kosovo. Pourtant, je crois que les choses vont évoluer favorablement. Je salue la sagesse et la retenue de nos amis russes dans cette affaire. A chaque fois, nous inventerons, à chaque fois nous serons là, j'espère, ensemble, pour que ces foyers de tensions ne se transforment pas en foyers de guerre.
Il y a beaucoup de traces de l'Histoire dans la façon dont nous avons parlé avec Sergueï Lavrov. Staline dessinait les cartes de pays dont les peuples étaient opposés. Il faut en tenir compte. Avant le communisme, il y a aussi eu des affrontements. De son côté, la France a également connu des affrontements. Tout cela sera amené à être dépassé, je le crois, non seulement dans l'Union européenne avec un dialogue inventif permanent, mais aussi dans le dialogue entre la Russie et l'Union européenne. Ce ne sera pas facile mais ce sera nécessaire.
Concernant la question du futur accord Union européenne-Russie, je crois que le ministre Lavrov y a répondu. C'est sous Présidence slovène que les obstacles, en particulier à propos de la Lituanie, sont en train d'être levés. Nous aurons dans les jours qui viennent, en mai et en juin, l'occasion de proposer à la Russie le calendrier de négociation de ce futur accord.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 mai 2008