Entretien de MM. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, et Günter Gloser, ministre délégué aux affaires européennes d'Allemagne, avec les internautes, sur les priorités de la présidence française de l'Union européenne et sur le rôle du couple franco-allemand dans la construction européenne, le 23 mai 2008.

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Bonjour à toutes et à tous, nous avons le plaisir d'accueillir Jean-Pierre Jouyet et Günter Gloser. Ils vont répondre à vos questions pendant une heure.
Jean-Pierre Jouyet et Günter Gloser : Bonjour.
Question : Monsieur Gloser, quelles sont vos attentes en vue de la présidence française de l'Union ? Quelles opportunités y voyez-vous ?
GG : Bonjour. J'attends que la présidence française fasse avancer les thèmes importants de l'UE, comme par exemple les questions dans les domaines de l'énergie, du climat, de l'environnement, la question des migrations, qui nous occupe depuis longtemps, et que la France fasse avancer le dossier du traité de Lisbonne.
JPJ : Nous essayerons de satisfaire les attentes de Günter Gloser face à tous ces objectifs ambitieux. Pour cela, nous
devons coopérer étroitement ensemble, et notamment tous les deux.
Question : Le couple franco-allemand semble en panne depuis l'arrivée de Sarkozy. L'Angleterre semble jouer le rôle de remplaçant ? N'est-ce qu'une impression ?
JPJ : Pour moi, c'est une mauvaise impression. Le couple franco-allemand a réussi le Traité de Lisbonne, réussi aussi à traiter un certain nombre de dossiers industriels depuis un an, et que l'Europe parle d'une même voix au dernier sommet de l'OTAN. Nous partageons les mêmes objectifs en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Le Royaume-Uni, avec ses singularités, a toujours eu un rôle également important dans l'UE. Et la France et l'Allemagne ont une relation unique, mais ouverte à tous leurs partenaires. C'est indispensable dans une Europe à 27.
GG : Pourquoi ne parlons-nous que des points qui peuvent, à un moment donné, donner lieu à des différends ? Au cours des derniers mois, nous avons lancé nombre d'initiatives communes. Nous voulons améliorer notre coopération, notamment en Afghanistan. Nous voulons élaborer ensemble des règles pour les marchés financiers. Et, sur de nombreux thèmes, comme l'énergie, nous voulons donner des impulsions communes. Sur la poursuite du processus de Barcelone, nous étions d'accord sur le fait que l'évolution doit se poursuivre dans la zone Méditerranée. Après un différend, nous sommes tombés d'accord pour que tous les États membres y participent. Merci à la France pour son soutien sur le traité réformé.
Question : Günter Gloser, vous sentez-vous proche des priorités annoncées par Paris pour la présidence française de l'Union Européenne ? Etes-vous sur la même longueur d'ondes à propos de l'énergie, y compris sur le nucléaire ?
GG : Pour moi, les priorités sont les suivantes : d'abord, les questions migratoires, ensuite, le climat et l'environnement. Troisièmement, améliorer les infrastructures des États membres sur ce qui touche à la Méditerranée. Quatrièmement, accroître encore l'échange entre les populations civiles, et en particulier, les jeunes.
JPJ : On partage les mêmes priorités. Nous souhaitons les appliquer dans des projets très concrets, pour que les pays du Sud coopèrent mieux entre eux sur tous les défis évoqués par Günter Gloser.
GG : Les priorités de la Présidence française me parlent, parce qu'elles reprennent des thèmes des présidences précédentes, et assurent donc une continuité de la politique européenne. Sur la question du nucléaire, il existe des positions différentes, connues de part et d'autre. La position allemande ne va pas changer sous l'actuelle grande coalition.
JPJ : La réponse de Günter est claire, et pas surprenante (malheureusement). Ce qui est important, c'est qu'au delà de nos divergences connues, nous travaillons ensemble pour faire en sorte qu'il y ait une politique énergétique européenne qui ne se résume pas à la seule concurrence, que nous assurions la sécurité des approvisionnements énergétiques, que nous assurions la solidarité entre les états membres en matière d'énergie, notamment à l'égard des pays d'Europe centrale et orientale, et que l'on travaille ensemble à une plus grande indépendance énergétique européenne.
Question : Qu'est ce qui manque au couple Merkel/Sarkozy par rapport à la complicité de Schröder et Chirac ? Et Kohl/Mitterrand ?
JPJ : Le couple actuel est plus équilibré, puisqu'il y a un homme et une femme. Ils travaillent, je crois, bien ensemble, après une période d'adaptation, qu'ont connue Jacques Chirac et Gerhard Schröder, et ne l'oublions pas, François Mitterrand et Helmut Kohl. Ne pas oublier non plus que l'Europe a changé, et fonctionne aujourd'hui avec 27 pays.
GG : Chaque couple a besoin d'une période d'adaptation. Madame Merkel et Monsieur Sarkozy en ont profité pour faire connaissance, et définir des objectifs communs. Le discours de Monsieur Sarkozy à l'occasion de la remise du prix Charlemagne à Madame Merkel a souligné une nouvelle fois la spécificité des relations franco-allemandes, et la responsabilité des deux gouvernements vis-à-vis de cette relation spécifique.
Question : Une armée européenne et une politique de défense européenne, vous êtes pour ?
GG : Au cours des dernières années, nous avons obtenu de nombreux progrès sur la voie de la politique européenne de sécurité et de défense commune. Nous continuerons à mettre en place de nouvelles structures pour donner davantage de moyens à l'Union européenne dans ce domaine. A la fin d'un tel processus, il peut aussi y avoir une armée européenne.
JPJ : Je veux le souligner : les mêmes progrès faits par l'Europe sur ce sujet extrêmement important. L'Allemagne y a, par son évolution sensible depuis plus de dix ans, grandement participé. Nous menons en commun, dans les Balkans, en Afrique, en Afghanistan, des opérations très délicates. L'Allemagne a eu la responsabilité d'une opération de maintien de la paix dans la région du Congo. Nous devons faire le bilan de tout ce qui a déjà été réalisé et voir comment améliorer le fonctionnement opérationnel de la politique européenne de défense. Pour conclure, l'Europe, qui est une grande puissance économique et politique, doit se doter d'une politique de Défense efficace pour être un véritable acteur dans le Monde. Comme Günter, je crois qu'à la fin du processus, il devra y avoir une armée européenne.
Question : Quelle langue commune pour une armée commune ?
JPJ : Nous sommes allés visiter l'Eurocorps à Strasbourg, et nous avons pu voir qu'il n'y avait pas, malgré les langues diverses, de problèmes de fonctionnement ou de communication dans l'Eurocorps. Et je ne crois pas que le moindre problème de langue et de communication se soit posé dans les opérations dans les Balkans ou ailleurs.
GG : Je partage l'avis de Jean-Pierre. Lors des visites, je constate que les opérateurs se comprennent très bien, parfois mieux qu'au sein du Conseil.
Question : Et qui va gagner l'euro 2008 ? La France ou l'Allemagne ?
GG : L'équipe qui gagnera sera celle qui marquera le plus de buts. Je crois qu'après l'effet Klinsmann, il va y avoir un effet Löw.
JPJ : Il faut aussi savoir ne pas encaisser de buts ! Plus sérieusement, si la France arrive à sortir d'un groupe très difficile, avec l'Italie, la Roumanie et les Pays-Bas, elle peut rencontrer l'Allemagne en finale. Après, on verra !
Question : La stratégie de Lisbonne concentrée sur l'emploi et la croissance échoue sur un plan sociopolitique. Quelles mesures vont être prises pour refaire de la cohésion sociale un thème central de la politique de l'Union ?
GG : Pour ma part, je considère que la stratégie de Lisbonne n'a pas échoué. Elle a donné de nombreuses impulsions, qu'il incombe à chaque État membre de mettre en oeuvre, notamment dans le domaine scientifique et de la recherche. Il faut accroître le taux d'activité des femmes dans l'emploi. Mais il faut davantage développer la dimension sociale de l'Union européenne. La croissance dans l'UE montre bien aussi que des emplois ont été créés.
JPJ : Je partage le sentiment de Günter. Il faut garder la même stratégie, accroître la dimension sociale, notamment avec une politique plus active de l'emploi, une harmonisation des durées du travail, des incitations à la mobilité, dans une Europe qui bouge, notamment pour les jeunes, et faire en sorte que la stratégie de Lisbonne intègre davantage la réciprocité dans les échanges extérieurs, pour éviter les délocalisations.
Question : À partir de quand pouvons-nous nous attendre à une citoyenneté européenne qui remplacerait la citoyenneté des États-membres ?
JPJ : Il faut d'abord plus d'échanges entre les jeunes au niveau européen. Développer les programmes comme Erasmus, pour bâtir une nouvelle génération européenne. Pour ma part, je ne crois pas qu'acquérir une conscience européenne soit contraire à l'existence d'une citoyenneté nationale. La diversité reste importante, identité européenne, identités nationales, identités régionales se nourrissent.
GG : La construction et l'intégration européenne se fait à des vitesses diverses. Je suis d'accord avec Jean-Pierre Jouyet. Je ne donnerai pas de dates aujourd'hui, mais j'ai bel et bien la vision d'une citoyenneté européenne.
Question : Pourquoi la politique européenne parle si peu de culture ?
JPJ : Vous connaissez la phrase apocryphe de Jean Monnet : « Si j'avais à commencer l'Europe aujourd'hui, je commencerais par la culture ». La culture est un élément fondamental de la citoyenneté européenne. Mais il y a déjà une politique audiovisuelle au niveau européen. Il y a une chaîne franco-allemande, ARTE, des chaînes d'information européennes. Il y a des échanges culturels, qu'il faut sans doute développer, mais qui existent. La France et l'Allemagne font l'objet de nombreux échanges culturels. Sous la présidence française, va débuter une nouvelle saison interculturelle européenne. Des oeuvres de tous les artistes européens seront exposées, entendues et vues dans toutes les capitales et villes de l'UE. Il faut continuer à progresser, mais on ne peut pas dire qu'il n'y ait pas d'action culturelle au niveau européen.
GG : Il y a aussi le projet des capitales culturelles européennes. Cela montre l'importance que l'Union Européenne accorde aussi à la culture. Beaucoup d'Européens visitent d'autres régions et villes de l'Union européenne. Ils y découvrent l'histoire, la culture d'un pays. Et ces initiatives, il nous faut, au niveau européen, les développer à travers des rencontres et des échanges entre les gens, et les acteurs du monde de la culture.
Merci beaucoup à tous les deux, un mot de conclusion ?
GG : Cette possibilité de chat montre qu'il nous faut saisir plus souvent l'occasion de souligner le caractère approfondi de la coopération européenne. Cela nous rappelle aussi à tous les deux, Jean-Pierre et moi, que la langue, le français et l'allemand, il faut les promouvoir dans nos pays respectifs pour que nous ayons, par exemple, un meilleur accès à la culture de l'autre pays. Merci de vous être joint à nous.
JPJ : L'Europe c'est l'échange. Vos questions étaient très motivantes et très concrètes. On devrait le refaire plus souvent avec Günter. Nous y sommes prêts. Il faut juste que nous maîtrisions mieux la technique ! Nous reviendrons, si Günter le souhaite, à la fin de la présidence française, pour faire un bilan, et voir si les objectifs de Günter sont atteints ! Source http://www.deutschland-frankreich.diplo.de, le 26 mai 2008