Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur l'emploi, l'insertion des jeunes, le rôle de l'Etat et la lutte contre l'exclusion sociale, Bayeux le 16 juin 1996.

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Circonstance : 50ème anniversaire du discours du Général de gaulle à Bayeux, le 16 juin 1996

Texte intégral

Monsieur le Président,
Cher Raymond TRIBOULET,
Monsieur le Maire,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Préfet,
Chers amis,
Permettez-moi, tout d'abord, Monsieur le Maire, de vous remercier de m'accueillir avec tant de gentillesse, ici à Bayeux où je viens pour la troisième fois, je crois. La dernière en date, j'étais aux côtés de Jacques CHIRAC qui n'était pas encore notre Président de la République.
Merci aussi à Raymond TRIBOULET de nous avoir retracé avec la lucidité et la force d'analyse qui le caractérisent, les événements que nous commémorons aujourd'hui.
Merci à vous toutes et à vous tous d'être là, et puis encore d'y rester, sous la puissance d'un soleil que nous trouvons d'autant plus joyeux et sympathique que nous sommes ici à l'ombre. Il y a, comme cela, des injustices...
Il y a 50 ans, comme l'a si bien dit Raymond TRIBOULET, le 16 juin 1946, le Général de GAULLE dessinait ici le contour des institutions qu'il fallait à la France et qui allaient devenir, quelques années plus tard, celles de la Ve République.
Nul ne conteste plus, à peu de choses près, la validité de cette constitution qui a su donner enfin un cadre stable à notre vie politique nationale.
Depuis 1958, la France a la chance de bénéficier d'un État dans lequel l'immense majorité de ses citoyens se reconnaît parce qu'il trouve sa légitimité dans la défense des valeurs fondamentales de la République et que l'équilibre des pouvoirs lui permet d'agir dans le respect de l'intérêt général.
Au risque de décevoir Raymond TRIBOULET, je ne parlerai pas longtemps de cette constitution parce que nous la connaissons tous et nous y adhérons profondément. Mais dans ce même discours, le Général de GAULLE nous invitait aussi à nous regarder tels que nous sommes. Et peut-être devrions-nous, aujourd'hui, nous livrer à ce même exercice.
Bien sûr, nous sommes différents de ce que nous étions il y a 50 ans, ou même il y a seulement 10 ans. Beaucoup de Françaises et de Français, désorientés par la rapidité des évolutions qu'a connues notre pays depuis un demi-siècle, ont du mal à retrouver des repères et à définir ce qu'ils voudraient pour eux-mêmes et pour la France.
Ce malentendu entre une réalité vécue par beaucoup comme difficile et des aspirations souvent contradictoires, ce décalage entre ce que nous sommes et ce que nous voudrions être, me paraît la source profonde de ce que certains appellent "la crise française", terme d'ailleurs que je récuse car il fait peur et ne décrit rien, quand il ne sert pas tout simplement à excuser nos erreurs ou nos échecs.
En revanche, il me semble, à bon droit, que l'on peut parler d'une sorte de doute français à condition d'ajouter aussitôt que c'est le signe d'une mutation qui peut permettre, qui doit permettre à notre pays de trouver un nouvel élan pour peu que, tous ensemble, nous en ayons l'ambition.
Encore nous faut-il être lucides sur l'ampleur des défis à relever et offrir aux Françaises et aux Français un horizon et un cap.
Après la Libération, s'est noué entre le peuple français et les responsables politiques, économiques, intellectuels, scientifiques, syndicaux, un contrat social sur lequel nous avons vécu pendant deux générations, et ce contrat peut être résumé, pour l'essentiel, à cinq clauses auxquelles adhérait l'ensemble de la Nation.
La première s'appelait la croissance, une croissance longtemps exceptionnelle, tirée par le dynamisme de nos entreprises publiques et privées, guidées par une planification vindicative, dite à la française, portée par de grands projets qui mobilisaient l'énergie du pays. En 30 ans, ce qu'on a appelé -- les plus jeunes, ils sont nombreux ici, le savent sans doute même s'ils ne les ont pas vécues -- les 30 Glorieuses, cette force croissance a hissé la France au premier rang des Nations industrielles. Ses bénéfices ont été largement redistribués faisant de la société française l'une de celles qui ont su le mieux réduire les inégalités et offrir à tous les plus grandes chances devant le savoir, le travail, la promotion sociale.
La deuxième clause de notre contrat social, c'était le plein emploi. Chacun, quel que fût son niveau de formation ou son origine, était à peu près assuré de trouver sinon le meilleur emploi, en tout cas un emploi digne de ce nom. L'expansion était telle que la société française était capable d'absorber non seulement un important exode rural mais encore de nombreux immigrants appelés à s'intégrer à la Nation française, comme les précédentes vagues d'immigration l'avaient fait au cours du siècle précédent. Et c'est vrai que lorsque j'étais comme vous, au premier rang, lycéen, comme mes camarades, je ne me posais pas le problème de l'emploi parce qu'il ne se posait pas.
La troisième clause du contrat social, c'était la place centrale reconnue par tous dans notre organisation sociale à l'État. Les entreprises nationales, les services publics, les grands programmes d'équipement, d'ambitieux projets industriels ou technologiques, exerçaient sur l'économie un effet d'entraînement beaucoup plus important -- c'est vrai -- que dans beaucoup d'autres pays comparables au nôtre. L'État était synonyme de création de richesses nationales. De plus, des services publics de qualité, accessibles à tous, techniquement avancés, socialement progressistes, étaient à la fois un motif de fierté nationale et un élément clef de la cohésion sociale.
La quatrième clause, c'était l'exigence de solidarité. Dès la Libération, la création de la Sécurité Sociale fut l'une des premières oeuvres accomplies par le Général de GAULLE et ceux qui l'avaient accompagné dans la Résistance. Cette Sécurité Sociale, cogérée par les représentants des salariés et des employeurs, a fait de notre pays l'un des premiers par la qualité des prestations et la justice de leurs distributions.
Enfin, et en dernier lieu, notre contrat social ce fut, pendant cette période, la paix. Là où d'autres Nations recherchaient la paix par le repli sur soi et la neutralité, le Général de GAULLE a préféré la réconciliation avec l'Allemagne mise au service d'un grand dessein européen, une politique de présence mondiale renforcée par l'émancipation des peuples de notre empire, une politique de défense indépendante dans le cadre d'une alliance librement contractée.
Tel fut, un peu simplifiée bien sûr, l'histoire du dernier demi-siècle et le contrat, le pacte républicain -- comme nous aimons à le dire aujourd'hui -- dans lequel la plupart des Français se sont reconnus en dépit des péripéties normales de la vie politique. Il y avait là une trame solide pour la cohésion nationale dont beaucoup, c'est vrai, aujourd'hui, conservent la nostalgie.
Nos interrogations présentes viennent, me semble-t-il, sinon de la rupture du moins de l'érosion de ce contrat originel qui, au-delà des clivages qu'il ne faut pas nier, formait la charte de notre vie collective. A chacun des cinq éléments constitutifs de ce contrat correspond aujourd'hui une exigence nouvelle, un défi nouveau qui nous oblige à des réponses nouvelles car notre société s'est profondément transformée dans l'intervalle.
Nous sommes sortis de l'époque où des schémas pyramidaux et hiérarchiques, imposés depuis le sommet, permettaient de satisfaire toutes les aspirations. Les sociétés modernes sont plus fluides, plus informées que par le passé et elles attendent, de leurs responsables politiques, qu'ils les éclairent sur les grandes finalités poursuivies. Elles n'acceptent plus de subir les changements que définirait, en leur nom, une élite du savoir ou de la compétence. Elles exigent une démocratie plus achevée, une démocratie fondée sur un dialogue continu entre l'État et les citoyens, en un mot -- et pour parler peut-être un langage trop actualisé ou trop moderne -- une démocratie interactive.
Premier défi : maintenir la croissance. Elle n'est plus -- je l'ai dit -- ce qu'elle fut durant les 30 Glorieuses. Il était prévisible que notre économie, parvenue à une certaine maturité, ne pourrait prolonger à l'infini les rythmes liés à la reconstruction et au vaste mouvement d'urbanisation des années 60 - 70. Cette croissance, à l'époque, reposait largement sur la demande intérieure et sur la conquête du marché national. Nous appartenons désormais -- et vous le savez bien ici -- à un marché mondial qui nous crée des contraintes et pénalise parfois certains secteurs d'activité mais qui aussi -- ne l'oublions pas -- tire notre économie vers le haut, vers toujours plus de créativité, de qualité, de dynamisme.
Et ne nous leurrons pas, c'est parce que nous sommes et resterons présents sur le marché mondial que la croissance se maintiendra. Toute autre démarche qui conduirait à l'isolement serait suicidaire. C'est pourquoi, comme l'a montré le Président de la République, notre pays -- c'est un défi pour vous toutes et vous tous, pour nous toutes et nous tous -- doit renforcer sa présence économique, commerciale, humaine, culturelle, dans toutes les régions du monde, dans celles qui connaissent la plus forte expansion, telle l'Asie, et où notre pays a les moyens de compter davantage.
Pour se développer harmonieusement, ce marché mondial doit, bien sûr, respecter des règles du jeu, notamment dans le cadre de l'organisation mondiale du commerce. La France y veille. Après le succès qu'elle a obtenu dans les négociations du GATT à la fin de 1993, tout prochainement à Lyon, le Sommet des Grands Pays Industrialisés, le G7 comme on dit, donnera au Président de la République l'occasion d'insister plus particulièrement sur les règles de justice sociale qui doivent aussi présider à cette mondialisation.
L'ouverture nécessaire de notre économie à l'extérieur appelle simultanément un combat en faveur de ce que Jacques CHIRAC a appelé l'esprit de conquête à l'intérieur même de notre pays. L'État doit en prendre sa part en luttant contre les atteintes à la concurrence loyale, en organisant les conditions nécessaires à l'éclosion d'entreprises nouvelles, en favorisant leur libre développement. C'est ainsi que nous aurons plus de croissance et, à terme, plus d'emplois. La réforme fiscale que prépare mon gouvernement, s'inscrira dans cette perspective. Son but est de favoriser l'initiative individuelle et collective, et la libre entreprise.
Le second défi à relever concerne l'emploi. Le plein emploi -- je l'ai dit -- fut pendant plusieurs décennies la résultante quasi automatique de la croissance. Il ne faut certes pas idéaliser après coup une époque qui a parfois multiplié les emplois au détriment de leur qualité. L'ébranlement de Mai 68 fut déjà le révélateur d'un malaise dans le monde du travail et le signe annonciateur d'une forte aspiration à plus de respect de la personne humaine. Mais, aujourd'hui, la croissance ne suffit plus à créer assez d'emplois, non seulement parce qu'elle est plus lente mais surtout parce qu'elle exige de chacun d'immenses efforts de qualification professionnelle et d'adaptation incessante. Laissés à eux seuls, les mécanismes du marché risquent d'aggraver la redoutable montée de l'exclusion qui s'est développée pendant la dernière décennie.
C'est la raison pour laquelle j'ai proposé, dès les premiers jours de mon gouvernement, de mettre en oeuvre ce que j'ai appelé un devoir national d'insertion des jeunes, et nous en avons reparlé, il y a quelques jours, avec tous les partenaires sociaux.
De quoi s'agit-il ? Il s'agit de permettre aux employeurs et aux jeunes de mieux se connaître, sur les lieux mêmes du travail et par le travail, en développant toutes les formes d'alternance et d'accès à l'entreprise qui ne sont pas suffisamment développées en France. Cette insertion passe par de meilleures relations entre l'école, le collège, l'université et les entreprises. Elle passe par la multiplication des stages, à condition que ce soit de vrais stages de qualité, le développement de l'apprentissage, la création de formules d'insertion innovantes.
Dans la société d'aujourd'hui, ce n'est pas l'État seul qui, par décrets, mettra en oeuvre cette politique d'insertion. C'est au niveau décentralisé que les chefs d'entreprises, les représentants de la puissance publique, les responsables de l'enseignement, devront multiplier les expériences. La somme de ces expériences permettra d'offrir une première chance à tous. C'est un devoir moral que Jacques CHIRAC résumait dans son discours aux jeunes, à Paris, à la veille de l'élection présidentielle, en ces termes : Que chaque jeune en France, à la fin de ses études, ait droit à une formation, à un stage, à une insertion et à un emploi". Sachez que cela continue à motiver, jour après jour, l'action du gouvernement.
Notre politique vise à rendre la croissance plus riche en emplois, en abaissant le coût du travail pour les entreprises, en favorisant le développement des services, en encourageant l'aménagement du temps de travail. Donner un horizon à nos jeunes, redonner espoir à ceux qui ont perdu leur emploi, exige le concours de tous les partenaires sociaux mais il y va de l'intérêt national. Une telle cause doit nous conduire à dépasser l'esprit de chapelle et à mettre en cause les comportements routiniers. N'y a-t-il pas encore beaucoup de Bastilles à prendre ?
Troisième défi : repenser le rôle de l'État. Il fallait, en 1946, inventer un État fort, capable de surmonter notre tendance -- dite gauloise -- à la division et de guider la mutation qui allait nous faire passer d'une société encore largement rurale, liée à notre empire colonial, au statut de puissance économique moderne, pleinement engagée dans la construction européenne.
Alors que cette mutation est aujourd'hui accomplie, l'État fort d'une autorité restaurée en 1958 doit à nouveau se mettre en question. D'une certaine manière, on peut dire que l'État est victime de son succès qui l'a conduit à étendre son empire sur un nombre croissant d'activités. Chacun est conscient que cette extension, justifiée au début par les besoins de la société, a pris une telle ampleur aujourd'hui que, loin d'assurer le progrès, elle risque parfois de l'étouffer.
L'État, au 21ème siècle, devra donc se recentrer autour des fonctions que nul ne peut tenir à sa place. Il devra non seulement exercer ses responsabilités régaliennes, modernisées au demeurant comme nous venons de le décider pour notre défense, mais il aura aussi la mission, dans un monde en mutation permanente, de permettre aux individus comme aux partenaires sociaux de maîtriser le changement, de maintenir la cohésion nationale et notre vitalité culturelle. Il devra aussi être plus proche des citoyens, plus attentif à leur aspiration profonde, condition nécessaire de nos jours pour qu'il soit lui-même écouté et respecté.
Or, si les collectivités locales ont reçu des compétences croissantes depuis quelques années, l'État n'a pas toujours su en tirer les conséquences, d'où une hypertrophie des administrations centrales, un enchevêtrement des responsabilités auquel il est nécessaire de trouver des solutions. La réforme de l'État, à laquelle nous travaillons et qui est une oeuvre de longue haleine, constitue une des tâches prioritaires que j'ai assignées à mon gouvernement.
Enfin, il y a la nécessaire adaptation de nos services publics. Cette notion de service public à la française est-elle aujourd'hui périmée ? Je le dis avec force : "Certainement pas !". Nous devons conserver comme élément essentiel de notre contrat social, une haute idée du service public. Mais qu'est-ce, aujourd'hui, que le service public ?
C'est d'abord -- ne l'oublions pas -- le service du public, c'est-à-dire le sens de l'intérêt général dont les agents tirent fierté, à juste titre, et c'est aussi, de plus en plus, la réponse aux attentes non seulement de l'usager et du client mais aussi du citoyen. Il reste que si les principes de base du service public, la qualité, l'égalité, la continuité, l'accessibilité demeurent, les modalités, elles, doivent évoluer avec leur temps. Qui pourrait soutenir, par exemple, que la desserte ferroviaire ou les télécommunications n'ont pas aujourd'hui à être repensées dans un monde où les moyens de transport et de communication se sont multipliés ?
Cette évolution, rendue souvent nécessaire par l'existence d'une concurrence nationale ou internationale, est profitable en définitive à l'usager. Peut-elle préserver ce qui fait l'essence du service public en France ? Je le crois, à condition que nous libérions l'esprit d'initiative au sein de nos services publics, que nous y valorisions les ressources humaines, que nous y développions le dialogue social qui est très souvent embryonnaire sur les finalités mêmes de l'entreprise. Et on y arrive !
La clarification des responsabilités entre la SNCF et l'État, la mutation qui est en train de s'accomplir de FRANCE TELECOM, illustrent cette conviction.
Quatrième défi : le maintien de la solidarité et de la cohésion sociale qui touche au moins à trois domaines essentiels. La Sécurité Sociale, tout d'abord.
La poursuite des dérives financières, qu'on n'arrête pas bien sûr du jour au lendemain, aurait abouti inexorablement à l'effondrement de notre système de protection sociale écrasé sous le poids de sa propre dette. Ce que le gouvernement a proposé c'est donc de gérer autrement et mieux la Sécurité Sociale pour en préserver précisément l'existence. C'est un appel à l'esprit de responsabilité que le gouvernement a lancé à tous ceux qui concourent à l'avenir de ce vaste édifice auquel les Français ont raison d'être attachés.
Chacun aujourd'hui comprend que, pour préserver le long terme, nous ne pouvons plus ignorer les tendances lourdes de notre société, qu'il s'agisse de son vieillissement, de l'allongement de l'espérance de vie ou de la demande accrue de soins.
J'ajouterai que, dans notre effort pour moderniser la Sécurité Sociale, toute l'initiative ne doit pas venir d'en haut, là non plus. C'est qu'il appartient aussi aux acteurs du système de santé de participer à l'innovation et de multiplier les expériences.
Autre domaine essentiel de la solidarité : la lutte contre l'exclusion sociale et le combat pour l'intégration. L'État est responsable des grandes orientations dans ce domaine. Il a le devoir d'établir les cadres législatifs qui s'avèrent nécessaires, comme ce sera le cas avec le projet de loi pour la cohésion sociale que le gouvernement prépare pour l'automne et qui reposera tout entier sur l'exigence de dignité humaine, meilleure arme de la lutte contre l'exclusion.
Dans le même esprit, le remplacement du service national obligatoire, qui vous concerne, vous, au premier rang, tel que l'a proposé le Président de la République, son remplacement par un rendez-vous citoyen, concourra au même objectif, en permettant de détecter les difficultés de toutes natures dont souffrent souvent de nombreux jeunes et de leur offrir, à cette occasion, une nouvelle chance.
Ici encore, l'État doit avoir la sagesse de reconnaître que les collectivités locales, les associations, les milieux éducatifs, sont les acteurs déterminants de ce combat dont dépend l'avenir de notre cohésion nationale. Cette lutte pour l'intégration de tous nos enfants passe par le creuset irremplaçable qu'est l'école où doivent être jetées non seulement les bases du savoir mais aussi celles du comportement civique et du respect de l'autre.
Il est enfin un aspect particulier de l'intégration qui présente une sensibilité particulière -- je le sais -- je veux parler de l'intégration dans la communauté nationale des immigrés entrés légalement dans notre pays, souvent il y a fort longtemps, et de leurs familles. La France est la terre des droits de l'Homme et nous avons une tradition républicaine d'accueil à laquelle l'immense majorité de nos concitoyens sont attachés. La générosité de notre pays ne s'est d'ailleurs jamais démentie lorsque ceux qui ont choisi la France, parfois sous la pression de circonstances dramatiques, ont voulu vivre comme des Français. Notre pays n'en est que plus fondé à se montrer rigoureux dans l'application des lois qui régissent l'immigration.
Notre démarche, qui a pour but de favoriser la pleine intégration dans la communauté nationale, appelle une contrepartie : l'adhésion aux valeurs républicaines. C'est un principe sur lequel nul ne doit transiger parce qu'il est essentiel au maintien de notre cohésion et de notre dynamisme.
Cinquième défi : l'Europe. L'Europe est bien plus qu'une expression géographique, économique ou culturelle. Elle incarne désormais -- et nous le savons même si parfois nous en avons un peu peur -- une part de notre destin, et c'est sans doute la différence la plus profonde avec le monde de 1946. Qui eût cru, à l'époque, qu'un demi-siècle plus tard, l'amitié entre la France et l'Allemagne serait le ciment d'un vaste mouvement d'unité qui, depuis la chute du communisme, s'élargit à l'ensemble du continent ? Qui eût cru, il y a 50 ans, que la pratique de rencontres presque mensuelles entre le Chancelier d'Allemagne et le Président de la République Française deviendrait une sorte de méthode du gouvernement de l'Europe ? Qu'il s'agisse de l'union économique et monétaire, de la politique étrangère et de sécurité commune, de la police ou de la justice, nous sommes engagés dans un dessin collectif qui n'a pas de précédent au cours de l'histoire et qui a pour ambition d'apporter une contribution majeure à la paix et à la prospérité dans le monde.
C'est dans cet esprit européen que le Président de la République a proposé une grande réforme de notre politique de défense : une armée professionnelle -- et le Général de GAULLE avait évidemment tracé la voie -- capable de faire face à des menaces qui ne se situent plus aujourd'hui à nos frontières, une industrie restructurée en vue d'alliances européennes, une profonde adaptation de l'Alliance Atlantique pour y affirmer la personnalité européenne.
Certains -- il est de vieux schémas -- craignent que notre pays ne se dilue dans la construction européenne. Je crois tout le contraire. C'est parce que nous serons capables de nous rassembler autour d'objectifs forts que la France imprimera sa marque au projet européen et qu'elle jouera ainsi, en Europe et dans le monde, un rôle conforme à sa vocation, celui d'une France forte dans une Europe forte.
Voilà les cinq défis que le gouvernement, sous l'autorité du Président de la République, s'emploie à relever. Il dessine les cinq piliers de la société française de demain, et ces cinq piliers -- vous l'avez vu -- ressemblent à ceux qu'avait voulus le Général de GAULLE à la Libération. Ils leur ressemblent mais ils ne sont pas les mêmes. Le passage de la défense nationale à la défense européenne, le passage du service public, du monopole à l'ouverture à la concurrence, le passage du plein emploi par la croissance au plein emploi par l'insertion, la croissance par le marché mondial plutôt que par le marché national ou le seul marché commun, témoignent de l'extraordinaire métamorphose à laquelle nous sommes appelés.
Je refuse donc, une fois encore, le terme de "crise" qui sous-entend que la solution à nos difficultés passerait par le retour à ce qui existait avant. Nous ne retrouverons pas ce qui fut et qu'il ne faut d'ailleurs pas toujours idéaliser. La nostalgie est mauvaise conseillère. Soyons plutôt à la hauteur du monde nouveau. Saisissons les chances nouvelles qu'il nous offre avec l'intelligence de la modernité. Les institutions héritées du Général de GAULLE sont là, qui nous permettent de réussir. Forts de cet atout, forts de notre jeunesse, il nous incombe de répondre aux questions essentielles pour l'avenir du pays, de reconstruire le contrat national plutôt que de nous disperser en querelles insignifiantes.
Le gaullisme n'est certes pas une doctrine immuable. C'est avant tout un état d'esprit et une volonté. C'est un jugement lucide sur les événements. C'est la recherche permanente de l'intérêt national. C'est le sens de l'honneur et le refus de la fatalité. Comprendre le monde dans lequel nous entrons, non pas pour le subir mais pour l'influencer et le façonner, rassembler les énergies autour d'ambitions fortes plutôt que de les diluer dans de médiocres compromis, affirmer la singularité de la France non pour nous y complaire mais pour mieux l'ouvrir aux autres, les grands messages du gaullisme n'ont pas fini de nous inspirer.
(source http://www.archives.premier-ministre.gouv.fr, le 15 mai 2002)