Interview de M. Luc Chatel, secrétaire d'Etat chargé de l'industrie et de la consommation, à "RMC" le 27 mai 2008, sur la crise pétrolière et ses conséquences, ainsi que sur un des axes de la loi de modernisation de l'économie encourageant la négociation commerciale et le développement de la concurrence.

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Texte intégral

G. Cahour.- Le président de la République a annoncé, il y a quelques secondes, des mesures pour aider les Français face à la flambée du pétrole ; quelles sont ces mesures ?

D'abord, le président de la République, justement, je l'ai accompagné ce matin à Rungis parce qu'il voulait à la fois accompagner cette France qui se lève tôt, qui travaille dur et qui ne manifeste pas toujours. Et il voulait expliquer ce qu'est la politique du Gouvernement aujourd'hui, dans un environnement économique incertain avec, notamment, la flambée des cours du pétrole.

Puisque vous m'emmenez sur Rungis, vous dites "pour expliquer les réformes", pourquoi ne pas avoir les expliquées à la halle aux poissons ?

Le président de la République a proposé d'aller au pavillon de la marée, simplement, il faut savoir que ça ferme à 4 heures. Et comme nous sommes arrivés à Rungis à 5h15, il n'a pas pu le faire.

Donc ce n'est pas un manque de courage ?

Non, il n'a pu le faire. Il a même échangé avec le président du Pavillon de la pêche sur tous les sujets d'actualité. Vous savez que le Gouvernement est complètement mobilisé, avec un plan pêche très important, plus de 310 millions d'euros qui va être raccourci sur deux ans. Donc on prend vraiment en compte la spécificité des pêcheurs. Je rappelle que dans cette affaire du pétrole, il y a une spécificité pêche, parce que pour les pêcheurs, la facture de gasoil on la retire du salaire, c'est un régime hallucinant ! C'est comme si on allait déduire des taxis ou des transporteurs le prix du gasoil de la feuille de paie à la fin du mois. C'est comme ça que ça marche dans la pêche.

Parlons du portefeuille du Français lambda : qu'est-ce qui va changer ? Il est question de redistribuer une partie des taxes, c'est ça ?

Non, d'abord, le président de la République a bien insisté ce matin sur le fait qu'il faut être conscient que l'ère du pétrole abondant est derrière nous. On est dans une logique de pétrole qui est en raréfaction, et du pétrole qui va continuer à augmenter. Donc il faut plutôt se préparer à cela et prendre des mesures, des dispositions structurelles, de changement de comportement au lieu de répondre de manière ponctuelle par une redistribution de taxes qui serait neutre pour les Français. Donc c'est pour ça que le Gouvernement investit ; d'abord, il a beaucoup investi dans le nucléaire, il va encore le faire et cela nous préserve, par exemple, en matière électrique puisque 85 % de notre énergie vient de là. Ensuite, par exemple, en tant que secrétaire d'Etat à l'Industrie, je suis en train de lancer une filière des éco-industries. On a un savoir-faire en France, on a de grands groupes énergétiques, des grands groupes de traitement de l'eau, des déchets ; eh bien grâce au "Grenelle de l'environnement", on veut investir dans ces filières porteuses.

Je vois cette dépêche de ce matin, 8 heures : N. Sarkozy va consacrer les recettes supplémentaires de TVA sur les produits pétroliers à un fonds pour venir en aide aux Français les plus touchés par la hausse du pétrole.

Oui, c'est la deuxième idée. C'est-à-dire qu'au-delà des mesures structurelles que je viens d'évoquer, j'aurais pu évoquer aussi la redistribution avec l'écotaxe, le fait qu'on paye moins cher les véhicules qui polluent moins et plus cher les véhicules qui polluent plus. Et donc le Président a évoqué le fait que l'Etat ne doit pas tirer profit de l'augmentation du prix du pétrole. Jusqu'au 31 décembre, il n'en tirait pas profit puisque les recettes de TVA étaient supplémentaires, liées à l'augmentation du pétrole, elles étaient inférieures à la baisse de la TIPP. Je rappelle que la TIPP c'est la taxe au litre vendu, donc elle est proportionnelle au litre...

Je suis désolé, je vous encore une fois la question, mais à qui cela va-t-il servir, à qui cela va-t-il profiter, et comment cela va-t-il profiter aux Français ?

Cela va profiter aux Français, puisque le principe c'est que l'Etat ne doit pas bénéficier de cette hausse du pétrole et donc, le président de la République a évoqué tout à l'heure l'idée d'un fond qui serait constitué par ces recettes supplémentaires de TVA liées à l'explosion du prix du baril. Et ce fond pourrait servir à accompagner un certain nombre de professions en difficulté, ou les Français les moins favorisés. Je prends deux exemples : le Président a évoqué l'augmentation de la prime à la cuve, nous l'avons déjà doublée cette année puisqu'elle est passée de 75 à 150 euros. Cela touche les foyers les plus modestes. Il a évoqué le fait de l'augmenter à 200 euros. Autre exemple : nous allons mettre en place - le décret est en cours de signature - le tarif social du gaz, c'est-àdire que nous allons permettre aux Français qui en ont le plus besoin de bénéficier d'un tarif social, un tarif avantageux. C'est notre façon de répondre à l'urgence des Français qui en ont le plus besoin.

Il y a les Français qui en ont le plus besoin, et puis il y a aussi tous les Français qui sont aujourd'hui confrontés à cette hausse, il y a aussi beaucoup de professionnels. Vous nous avez parlé des pêcheurs, mais il y a aussi beaucoup de professions qui ont besoin de leur véhicule pour aller travailler. Pourquoi ne pas baisser les taxer momentanément, le temps que tout ce que vous êtes en train de mettre en place pour les nouvelles énergies, les énergies renouvelables, les voitures électriques ou à l'hydrogène, pour que toutes ces technologies arrivent, le temps qu'on puisse se passer du pétrole ?

Nous investissons dans ces nouvelles technologies, comme je viens de vous le dire. Ce matin, le président de la République a évoqué une proposition que la France va faire à ses partenaires européens, c'est l'idée qu'il y ait une coordination en Europe en matière de TVA sur le pétrole. Et C. Lagarde a également évoqué ce matin l'idée que ce sujet de l'explosion du baril de pétrole doive être traité au niveau international, au moins au niveau du G7, voire au niveau du G20. Au niveau européen, on doit évoquer la question de la TVA, et il faut sans doute envisager qu'à un moment où le prix explose - je rappelle qu'il a doublé en un an -, le TVA puisse éventuellement être suspendue à partir d'un seuil. Donc c'est l'idée que la France va suggérer à ses partenaires européens.

Et le fait d'être à la présidence de l'Union européenne, c'est un atout pour faire passer ce genre d'idée ?

Oui, cela peut évidemment encourager, sachant que ce sont des décisions qui doivent être prises à l'unanimité, donc la France va proposer, elle n'est pas décideuse en la matière.

Vous allez défendre à partir de demain la loi de modernisation de l'économie, que vous êtes déjà venu nous présenter à plusieurs reprises, avec notamment ce point important qui est les négociations. C'est l'un des grands changements qui concernent les distributeurs et les fournisseurs. En autorisant la négociabilité, c'est-à-dire la possibilité de négocier les tarifs, ce qui est interdit aujourd'hui pour protéger les PME, évidemment, cela va faire baisser les prix. Beaucoup craignent aussi que ça pose de vrais problèmes aux PME, parce qu'il n'y a pas que les grosses entreprises qui négocient avec Leclerc, Auchan et autres, il y a aussi les PME et celles-ci risquent d'être étranglées. Quelles mesures, quel garde-fou vous pouvez assurer à ces entreprises ?

Ces inquiétudes sont évidemment légitimes et nous les avons prises en compte. Que voulons-nous faire ? Nous voulons faire, dans la grande distribution française, ce qui existe dans tout le reste de l'économie française et ce qui existe dans toute la grande distribution européenne, c'est-à-dire que la distribution, c'est du commerce, et le commerce, c'est négocier. Aujourd'hui, un distributeur et un fournisseur ne peuvent pas vraiment négocier leurs conditions générales de vente et leurs tarifs, c'est-à-dire qu'un industriel n'a pas la possibilité de faire des conditions particulières, de différencier son tarif à un distributeur par rapport à un autre. Donc on a une loi, la loi Galland, qui est structurellement inflationniste parce qu'elle pousse distributeurs et industriels, par une conjugaison d'intérêts, à augmenter leurs prix. Et on en a vu les résultats. La semaine dernière, je suis allé faire mes courses à Strasbourg et à Kehl, à 10 kilomètres de la frontière allemande, et j'ai constaté 15 % d'écart sur le même panier de 16 produits et sur des produits de grandes marques, les écarts étaient de 20 à 25 % pour le même produit. Donc ce qu'on va faire, c'est donner la possibilité de négocier, plus transparence. Alors, la liberté de négocier ne doit pas être la loi de la jungle. C'est pour cela qu'on a effectivement prévu dans cette loi des garde-fous. On n'est pas revenu sur l'interdiction de revente à perte. Certains acteurs voulaient nous y entraîner, nous avons refusé. Ensuite, on ne négociera pas sur la base de n'importe quoi, les négociations se feront sur la base des tarifs du fournisseur, de l'industriel, donc on va partir d'une réalité économique. Ensuite, on a prévu un certain nombre de garanties. L'abus de puissance d'achat sera renforcé, c'est-à-dire mieux encadré, on pourra lutter contre des pratiques qui sont souvent dévastatrices pour les PME et nous allons renforcer considérablement les sanctions.

Et les contrôles ?

Et Les contrôles également. J'ai donné l'instruction à la DGCCRF - la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes - de renforcer des contrôles en la matière, on aura une possibilité de sanctionner plus facilement les contrevenants. Donc c'est vraiment un texte qui va permettre plus de liberté et qui est vraiment équilibré. Je dis aux PME, fournisseurs de la grande distribution : "vous avez dénoncé le système actuel, les fameuses marges-arrière, eh bien c'est légitime qu'on vous propose une réforme où vous serez gagnants", voilà.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 27 mai 2008