Interview de Mme Fadela Amara, secrétaire d'Etat chargée de la politique de la ville, à "El Khabar" le 3 avril 2008, sur son parcours politique, sur l'immigration, et les relations franco-algériennes.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : El Khabar

Texte intégral


El Khabar : La plupart des Algériens vous connaissent à travers l'association, « Ni Putes Ni Soumises » que vous avez présidée ici en France. Comment voulez-vous vous présenter ?
Fadéla Amara : Premièrement les Algériens doivent savoir que l'association féminine que j'ai présidée visait à défendre toutes les libertés en générale et la liberté de la femme en particulier. J'ai voulu, à travers cette association, que chaque citoyen vive dans une société libre et démocratique ici en France ou à l'étranger. J'ai essayé aussi de me dresser face à tous ceux qui tentent d'instrumentaliser les religions à des fins politiques, à leur tête les associations islamiques. Les Algériens doivent être sûrs que ma désignation au poste de ministre n'a rien changé à mes positions mais a accru ma détermination car je suis aujourd'hui dans la position de celle qui décide et non celle qui défend.
El Khabar : Comment êtes-vous venue à la politique ?
Fadéla Amara : J'ai commencé à militer alors que je n'avais pas plus de 14 ans, et cela après avoir perdu un de mes frères, Abdelmalek, lors d'un accident de voiture. Je me rappelle bien que l'un des agents de police, venu enquêter, a insulté ma mère en la poussant avec violence. Il lui a crié : « Les bougnoules ne peuvent pas gouverner ici dans notre pays », devant un grand nombre de gens du quartier venus nous soutenir. A ce moment, j'ai ressenti un drôle de sentiment et je me suis dis dans mon for intérieur : mais dans quel pays vivons-nous ?! J'ai alors décidé de militer contre toutes les formes de racisme en France.
El Khabar: Nous savons que vous êtes musulmane pratiquante. Comment vivez-vous votre vie religieuse en étant ministre dans le gouvernement français ?
Fadéla Amara : Oui je suis musulmane et je pratique les cinq fondements. J'effectue mes cinq prières depuis mon enfance même si je trouve de grandes difficultés à prier aux horaires indiquées, je jeune également durant le mois de Ramadhan et je tente d'aménager mon temps durant le mois sacré. Depuis mon entrée dans le monde des associations et de la politique, je n'ai jamais caché que j'étais musulmane pratiquante, mais cela reste une affaire personnelle et ne m'empêche pas d'être laïque en politique.
El Khabar : Ce que nous ne comprenons pas est que vous avez accepté un poste dans ce gouvernement pour travailler avec Brice Hortefeux, ministre de l'Immigration, dont le première mission reste l'expulsion des étrangers qui ont quitté leur pays pour des raisons sécuritaires ou économiques. Vous savez également que le gouvernement s'est fixé l'objectif d'expulser 25 000 immigrés clandestins la saison prochaine et 28 000 cette saison ?
Fadéla Amara : Je dis que 53 % des Français ont voté pour un programme politique qui comprend le problème de l'immigration. Je ne suis pas contre la codification de l'immigration et son organisation, car nous ne nous permettons pas d'accueillir des personnes sans leur assurer les conditions de vie nécessaires, vu qu'elles pourraient être exploitées pour des travaux pénibles contre des salaires dérisoires. Cependant, la France a toujours besoin de main-d'oeuvre étrangère et je pense que le problème de l'immigration doit être géré au niveau européen, tout en continuant à négocier, bien sûr, avec nos partenaires dans les pays d'origine. Nous menons une politique de l'immigration qui sert les deux parties, c'est ce que fait Brice Hortefeux car il a signé des conventions de coopération avec certains pays africains et des quotas ont été déterminés pour les personnes qui seront habilitées à immigrer en France.
El Khabar : Vous avez visité l'Algérie en compagnie du président Nicolas Sarkozy. Selon la presse française, cette visite a eu lieu dans une atmosphère explosive après les déclarations du ministre des Moudjahidine concernant le présidant français. Avez-vous ressenti, personnellement une forme de gène ?
Fadéla Amara : Franchement, je n'ai eu aucun sentiment négatif, mais j'ai ressenti de la fierté en foulant l'aéroport d'Alger. Comment ne pas l'être alors que je retourne à mon pays en tant que ministre.
Le plus étrange est que c'est le président français qui m'a présenté au président Bouteflika, et j'ai saisi cette chance afin de lui transmettre le message d'amour et de considération que lui a envoyé mon père.
Les propos de Nicolas Sarkozy, qui a qualifié la colonisation en des termes sévères, sont une forme de reconnaissance des crimes de la colonisation sous toutes formes, cela est très important. Le discours de Nicolas Sarkozy prononcé à Constantine, contre la colonisation, est une preuve irréfutable que les deux parties vont trouver forcément un terrain d'entente, et d'un autre côté, je partage l'avis de M. Sarkozy lorsqu'il dit que la relation entre les deux pays ne peut pas s'arrêter à ce stade.
Entretien réalisé par A. Taïbi/ Traduit par F.L
source http://fadela-amara.net, le 10 juin 2008