Texte intégral
Chers amis,
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je veux saluer l'initiative de Patrick Devedjian, Marc-Philippe Daubresse, Pierre Mehaignerie, Philippe Juvin et de toute l'équipe dirigeante de l'UMP : renouer avec la pratique des conventions est une excellente idée, pour l'UMP et pour le renouvellement du débat public dans notre pays.
Le rôle d'un parti politique majoritaire n'est jamais évident : il faut faire vivre la dynamique de la victoire et trouver sa place dans le débat public. Il faut soutenir le Gouvernement et valoriser ce qui est fait... Le tout sans oublier de voir loin et de préparer les échéances à venir.
A travers cette convention sociale qui ouvre très largement le débat sur des enjeux cruciaux, l'UMP montre qu'elle remplit bien sa vocation.
1) J'aime le titre choisi pour cette journée : « Innovons pour la justice sociale ! ». Et oui, il s'agit bien d'innover car nous sommes confrontés à de nouveaux défis qui n'ont plus grand chose à voir avec le passé.
Face aux enjeux de la mondialisation et des nouvelles technologies, face à l'augmentation de l'espérance de vie, aux mutations profondes du travail ou de la santé, on ne trouvera pas des réponses « toutes faites » chez les grands maîtres de l'économie politique d'antan...
Cela ne signifie pas qu'il faille renoncer à toutes les leçons transmises par l'Histoire. Mais cela nous invite à abandonner les vieux réflexes et le prêt-à-penser !
Depuis plusieurs décennies, la gauche française est incapable de faire cet effort d'innovation. Du coup, quand le PS abandonne la référence révolutionnaire dans sa déclaration de principe, ça a l'air d'un scoop. En 2008, abandonner la référence au « grand soir » ... A ce train-là, ils prendront en compte les conséquences de la mondialisation d'ici un siècle ou deux.
C'est un des problèmes majeurs de la gauche : elle n'a pas vu que le monde avait changé ! Pour eux, le temps s'est arrêté. Parfois avec Marx. Parfois avec Keynes. Très souvent avec Malthus...
Le débat sur le temps de travail est révélateur de cette incapacité de la gauche à innover. Les 35h sont en effet leur seule proposition phare depuis 10 ans en matière sociale. Elle est très datée...
Leur référence idéologique plus ou moins consciente, c'est le discours marxiste qui considère le travail comme un instrument d'aliénation. Mais ils n'ont pas vu que le travail pouvait être un moyen d'accomplissement personnel et d'engagement social.
Leur référence historique pleinement assumée, ce sont les luttes sociales pour le repos hebdomadaire, pour les congés payés, pour la réduction du temps de travail journalier... Très bien. Moi aussi je suis favorable au repos et au temps libre qui sont indispensables dans n'importe quelle civilisation digne de ce nom ! Mais ils n'ont pas vu que la relation au travail et les conditions de travail avaient été bouleversées par l'explosion de l'économie des services et de l'immatériel. Ils n'ont pas vu que le principe même de comptabilisation du temps de travail heure par heure n'avait plus de sens dans beaucoup de secteurs...
Attention, je ne peins pas un tableau idyllique du monde de l'entreprise. Je ne suis pas en train de vous raconter l'histoire enchantée de « Oui-Oui au bureau ». Je vois le stress au travail, les nouvelles formes de pénibilité et les nouvelles maladies professionnelles... Je constate les abus de certains employeurs et les excès de la financiarisation de l'économie qui rejaillissent sur les salariés. Je sais aussi que le temps de travail n'est pas le seul facteur de compétitivité...
Mais je veux juste dire que les choses sont devenues beaucoup plus subtiles qu'avant. C'est une banalité mais les socialistes n'arrivent pas à l'intégrer : entre un ingénieur en début de carrière qui bosse sur le projet de ses rêves et qui veut se donner à fond pour gagner un maximum et un ouvrier proche de la retraite qui a commencé à 14 ans, il y a un rapport au travail très différent !
On voit bien qu'imposer la même durée de travail maximum à tout le monde, à 35 heures, relève d'une vision déformée de l'égalité et d'une conception dépassée du travail. Sans compter que c'est en complet décalage avec ce que font nos voisins...
Voilà pourquoi l'innovation juste et pertinente, c'est la négociation entreprise par entreprise, branche par branche, pour régler cette question sans aucune idéologie.
Les 35 h, c'est un exemple parmi d'autres car sur tous les sujets, la gauche est incapable de prendre en compte les nouveaux enjeux de la justice sociale !
2) A l'UMP, nous nous devons d'innover, notamment par la méthode
C'est ce que j'ai décidé de faire en invitant les partenaires sociaux à échanger avec tous les députés UMP mardi dernier. L'idée était de travailler ensemble, sans aucun tabou, sur l'accord relatif à la représentativité syndicale et aux 35h, avant d'examiner le projet de loi qui traite de ces sujets.
Bernard Thibault, Laurence Parisot et François Chérèque, tous les trois ensemble pour travailler de façon constructive avec les députés UMP, ça a surpris les observateurs !
Pour tout dire, je suis surpris qu'on soit surpris. On s'étonne que les parlementaires s'impliquent dans le dialogue social ? Mais c'est l'absence des députés sur ces dossiers qui serait étonnante.
Comme si les parlementaires devaient travailler sur tous les sujets, sauf.... sur ceux qui concernent les 23 millions de salariés en France !
L'équilibre de l'assurance chômage, le temps de travail ou la représentativité syndicale, ce sont des enjeux qui touchent tous les Français. Il est normal que cela fasse l'objet d'un travail en toute transparence au Parlement. On ne peut pas tout régler dans des négociations discrètes au siège de tel ou tel syndicat...
C'est vrai qu'avec le succès de la réunion de mardi, nous avons inauguré une démarche complètement inédite mais elle correspond à une conviction ancienne qui me tient à coeur : je veux réconcilier démocratie sociale et démocratie politique !
Je suis très attaché à la démocratie sociale, à l'implication des partenaires sociaux au coeur des réformes. Au 21ème siècle, on ne peut pas réformer le droit du travail ou la protection sociale sans les représentants des salariés et des chefs d'entreprise.
Mais un accord entre partenaires sociaux ne dispense pas les parlementaires de leurs responsabilités. Si les syndicats doivent des comptes aux salariés, nous, députés, nous rendons compte devant tous les Français !
J'ai rappelé au Gouvernement qu'il ne pouvait pas demander aux députés de voter les yeux fermés des textes tout ficelés. De la même façon, si nous ne sommes pas impliqués en amont dans les négociations, les partenaires sociaux ne peuvent pas demander aux députés de valider leurs accords et de les inscrire dans la loi sans en toucher une virgule.
Attention, je n'oppose pas accord syndical et débat parlementaire : je propose d'inventer une nouvelle façon de travailler ensemble, partenaires sociaux et parlementaires.
Lors des grandes négociations syndicales qui ont vocation à se traduire dans la loi, nous ferons des points réguliers. Les partenaires sociaux appuieront « sur pause » et viendront nous faire part de leurs avancées. Nous leur expliquerons nos convictions, ils nous expliqueront leurs impératifs... et nous mettrons ainsi en place une véritable coproduction avec les partenaires sociaux. J'avais utilisé cette expression pour décrire la relation entre le Parlement et le Gouvernement. Mais, vous voyez, cela peut marcher également très bien avec les partenaires sociaux !
Cette façon complètement nouvelle de concevoir le travail du Parlement doit nous permettre d'aller encore plus loin dans la modernisation de notre pays et de faire des réformes sociales qui sont gagnantes pour tout le monde.
3) Je viens de parler d'innovation sur la méthode mais nous devons aussi innover sur le fond.
Comme vous aborderez la question de la protection sociale lors de la table-ronde qui suit mon intervention, je vais apporter ma pierre à l'édifice en vous soumettant des propositions dans ce domaine :
- D'abord sur l'assurance maladie.
Sans remettre en cause l'universalité de la couverture, il est aujourd'hui indispensable de faire des choix. Il faut s'interroger véritablement sur ce qui relève de la solidarité, donc du financement collectif, et sur ce qui relève de la responsabilité individuelle, donc du financement assurantiel.
Cette clarification va dans le sens de la justice sociale car actuellement le remboursement « à l'aveugle » n'assure pas un égal accès aux meilleurs soins pour tous.
Au contraire, il engendre plutôt des inégalités, avec des soins optiques et dentaires très mal remboursés par l'assurance maladie, des « restes à charges » importants - en moyenne de 900euros par an pour 20 % des ménages -, et des dépassements d'honoraires qui ont tendance à se généraliser : ils représentent 2 milliards d'euros chaque année, soit 10 % des honoraires médicaux !
Pour être effectivement solidaire, l'assurance maladie doit répondre à deux questions : Qu'est ce qui doit être remboursé ? A quel niveau le rembourser ? Avec les députés UMP, nous avons beaucoup travaillé sur ces questions, dans le cadre des travaux sur les suites du rapport Attali. Je vous soumets quelques-unes de nos propositions :
. Nous proposons d'expérimenter le transfert au 1er euro de l'assurance maladie aux complémentaires santé pour tous les soins qui ne relèvent pas de la solidarité : ceux dont l'efficacité n'est pas prouvée, dont la pertinence médicale n'est pas avérée, ceux qui relèvent du confort ou de l'esthétique...
. En contrepartie, nous recommandons d'augmenter la prise en charge par l'assurance maladie des frais optiques et dentaires.
. Et surtout, il faudrait alors renforcer les aides à l'acquisition de complémentaires santé. Cette aide dont 2,3 millions de Français pourraient bénéficier ne concerne actuellement que 2 à 300 000 personnes.
- Autre domaine de la protection sociale pour lequel j'ai des innovations à vous soumettre : les retraites.
Le Gouvernement a le courage de mener une réforme importante, que ce soit au sujet des régimes spéciaux, de l'allongement de la durée de cotisations, du cumul emploi-retraite et du travail des seniors.
Ça va dans le bon sens ! Mais à moyen terme, il faudrait sans doute une remise à plat plus globale, qui s'inspire davantage des bons exemples étrangers. Voici deux propositions qui s'inscrivent dans cette remise à plat :
. Pourquoi pas une fusion de tous les régimes dans un régime général qui assure l'égalité de tous les travailleurs entre eux ?
Maintenant que les différents régimes ont convergé ou sont en train de le faire, ça devient jouable. C'est d'ailleurs ce qui était initialement prévu à la création de la Sécurité sociale par le Conseil national de la Résistance : un régime unique pour assurer la solidarité nationale, au-delà des intérêts corporatistes.... Alors bien sûr, il faut prendre en compte les spécificités et les pénibilités des métiers et intégrer beaucoup mieux qu'aujourd'hui la question de l'espérance de vie. Car l'injustice est grande dans le système actuel ! Pour cela, on pourrait développer, à côté du régime général, des régimes complémentaires qui tiendraient compte de ces variables.
. Pourquoi pas un système par points plutôt que le système par annuités, opaque, compliqué et injuste, surtout pour ceux qui ont les carrières les plus chaotiques, notamment les femmes et les travailleurs précaires ?
Aujourd'hui, personne ne sait combien il cotise, combien il touche si il arrête de travailler... Ce sont des calculs très compliqués et il y a tellement de paramètres à modifier qu'on peut rien changer sans tout bouleverser. Quant on veut mettre plus de liberté et lisibilité dans le système, ce n'est plus possible...
A moyen terme, je plaide pour un système par points plus souple, plus lisible et plus juste. C'est ce qu'ont fait les Allemands. C'est proche de ce qu'ont fait les Suédois. C'est ce qu'ont fait les régimes complémentaires en France.
Avec ce système, les cotisations du salarié lui permettent d'acquérir des points retraite tout au long de sa carrière. Un point a une valeur donnée, en fonction des cotisations qui rentrent. En fin de carrière, il suffit de multiplier le nombre de points acquis par la valeur du point pour connaître sa pension annuelle.
C'est tellement plus clair, tellement plus simple et tellement plus juste, avec le même mode de calcul pour tout le monde. Nous aurions beaucoup à apprendre du modèle suédois. Ils ont réussi à travailler sur ce sujet tous partis confondus pendant de longs mois, avec des travaux d'experts très poussés et ils réajustent régulièrement « leur mécanique » pour s'assurer qu'il est juste et efficace... Pourquoi pas nous ?
Conclusion
En politique, le confort, c'est de s'enfermer dans ses certitudes et de répondre toujours la même chose quels que soient les problèmes... C'est la tentation du conservatisme, le piège de la frilosité.
Dans un monde qui bouge à toute allure, ce n'est plus possible ! Il faut savoir se remettre en cause, accepter de se faire bousculer par la réalité et de trouver des réponses adaptées à chaque défi. En bref, il faut être dans l'innovation permanente !
Attention, je ne fais pas l'apologie du bougisme. Je ne vous invite pas à devenir des caméléons sans convictions !
Au contraire, pour tenir bon dans un contexte agité, pour répondre pertinemment dans des situations d'urgence, il faut pouvoir compter sur une boussole fiable. Cette boussole qui nous permet de garder le cap, ce sont justement des convictions solides, des valeurs fortes : l'engagement pour que l'économie soit au service de l'homme et non l'inverse, l'attachement à la liberté d'initiative des hommes et des femmes, la valorisation du mérite et du travail, le refus de l'assistanat qui méprise la dignité humaine, la méfiance à l'égard de la puissance publique lorsqu'elle veut tout régir en lieu et place de ceux qui sont les plus aptes à agir...
Innover, ce n'est pas renoncer à ces valeurs ! C'est sans cesse les remettre à l'ordre du jour pour préparer l'avenir. Voilà le défi pour la majorité aujourd'hui.
Je trouve que c'est un défi passionnant, parce que j'ai toujours pensé, comme Max Weber, que « la politique, c'est le goût de l'avenir ! »source http://www.u-m-p.org, le 13 juin 2008
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je veux saluer l'initiative de Patrick Devedjian, Marc-Philippe Daubresse, Pierre Mehaignerie, Philippe Juvin et de toute l'équipe dirigeante de l'UMP : renouer avec la pratique des conventions est une excellente idée, pour l'UMP et pour le renouvellement du débat public dans notre pays.
Le rôle d'un parti politique majoritaire n'est jamais évident : il faut faire vivre la dynamique de la victoire et trouver sa place dans le débat public. Il faut soutenir le Gouvernement et valoriser ce qui est fait... Le tout sans oublier de voir loin et de préparer les échéances à venir.
A travers cette convention sociale qui ouvre très largement le débat sur des enjeux cruciaux, l'UMP montre qu'elle remplit bien sa vocation.
1) J'aime le titre choisi pour cette journée : « Innovons pour la justice sociale ! ». Et oui, il s'agit bien d'innover car nous sommes confrontés à de nouveaux défis qui n'ont plus grand chose à voir avec le passé.
Face aux enjeux de la mondialisation et des nouvelles technologies, face à l'augmentation de l'espérance de vie, aux mutations profondes du travail ou de la santé, on ne trouvera pas des réponses « toutes faites » chez les grands maîtres de l'économie politique d'antan...
Cela ne signifie pas qu'il faille renoncer à toutes les leçons transmises par l'Histoire. Mais cela nous invite à abandonner les vieux réflexes et le prêt-à-penser !
Depuis plusieurs décennies, la gauche française est incapable de faire cet effort d'innovation. Du coup, quand le PS abandonne la référence révolutionnaire dans sa déclaration de principe, ça a l'air d'un scoop. En 2008, abandonner la référence au « grand soir » ... A ce train-là, ils prendront en compte les conséquences de la mondialisation d'ici un siècle ou deux.
C'est un des problèmes majeurs de la gauche : elle n'a pas vu que le monde avait changé ! Pour eux, le temps s'est arrêté. Parfois avec Marx. Parfois avec Keynes. Très souvent avec Malthus...
Le débat sur le temps de travail est révélateur de cette incapacité de la gauche à innover. Les 35h sont en effet leur seule proposition phare depuis 10 ans en matière sociale. Elle est très datée...
Leur référence idéologique plus ou moins consciente, c'est le discours marxiste qui considère le travail comme un instrument d'aliénation. Mais ils n'ont pas vu que le travail pouvait être un moyen d'accomplissement personnel et d'engagement social.
Leur référence historique pleinement assumée, ce sont les luttes sociales pour le repos hebdomadaire, pour les congés payés, pour la réduction du temps de travail journalier... Très bien. Moi aussi je suis favorable au repos et au temps libre qui sont indispensables dans n'importe quelle civilisation digne de ce nom ! Mais ils n'ont pas vu que la relation au travail et les conditions de travail avaient été bouleversées par l'explosion de l'économie des services et de l'immatériel. Ils n'ont pas vu que le principe même de comptabilisation du temps de travail heure par heure n'avait plus de sens dans beaucoup de secteurs...
Attention, je ne peins pas un tableau idyllique du monde de l'entreprise. Je ne suis pas en train de vous raconter l'histoire enchantée de « Oui-Oui au bureau ». Je vois le stress au travail, les nouvelles formes de pénibilité et les nouvelles maladies professionnelles... Je constate les abus de certains employeurs et les excès de la financiarisation de l'économie qui rejaillissent sur les salariés. Je sais aussi que le temps de travail n'est pas le seul facteur de compétitivité...
Mais je veux juste dire que les choses sont devenues beaucoup plus subtiles qu'avant. C'est une banalité mais les socialistes n'arrivent pas à l'intégrer : entre un ingénieur en début de carrière qui bosse sur le projet de ses rêves et qui veut se donner à fond pour gagner un maximum et un ouvrier proche de la retraite qui a commencé à 14 ans, il y a un rapport au travail très différent !
On voit bien qu'imposer la même durée de travail maximum à tout le monde, à 35 heures, relève d'une vision déformée de l'égalité et d'une conception dépassée du travail. Sans compter que c'est en complet décalage avec ce que font nos voisins...
Voilà pourquoi l'innovation juste et pertinente, c'est la négociation entreprise par entreprise, branche par branche, pour régler cette question sans aucune idéologie.
Les 35 h, c'est un exemple parmi d'autres car sur tous les sujets, la gauche est incapable de prendre en compte les nouveaux enjeux de la justice sociale !
2) A l'UMP, nous nous devons d'innover, notamment par la méthode
C'est ce que j'ai décidé de faire en invitant les partenaires sociaux à échanger avec tous les députés UMP mardi dernier. L'idée était de travailler ensemble, sans aucun tabou, sur l'accord relatif à la représentativité syndicale et aux 35h, avant d'examiner le projet de loi qui traite de ces sujets.
Bernard Thibault, Laurence Parisot et François Chérèque, tous les trois ensemble pour travailler de façon constructive avec les députés UMP, ça a surpris les observateurs !
Pour tout dire, je suis surpris qu'on soit surpris. On s'étonne que les parlementaires s'impliquent dans le dialogue social ? Mais c'est l'absence des députés sur ces dossiers qui serait étonnante.
Comme si les parlementaires devaient travailler sur tous les sujets, sauf.... sur ceux qui concernent les 23 millions de salariés en France !
L'équilibre de l'assurance chômage, le temps de travail ou la représentativité syndicale, ce sont des enjeux qui touchent tous les Français. Il est normal que cela fasse l'objet d'un travail en toute transparence au Parlement. On ne peut pas tout régler dans des négociations discrètes au siège de tel ou tel syndicat...
C'est vrai qu'avec le succès de la réunion de mardi, nous avons inauguré une démarche complètement inédite mais elle correspond à une conviction ancienne qui me tient à coeur : je veux réconcilier démocratie sociale et démocratie politique !
Je suis très attaché à la démocratie sociale, à l'implication des partenaires sociaux au coeur des réformes. Au 21ème siècle, on ne peut pas réformer le droit du travail ou la protection sociale sans les représentants des salariés et des chefs d'entreprise.
Mais un accord entre partenaires sociaux ne dispense pas les parlementaires de leurs responsabilités. Si les syndicats doivent des comptes aux salariés, nous, députés, nous rendons compte devant tous les Français !
J'ai rappelé au Gouvernement qu'il ne pouvait pas demander aux députés de voter les yeux fermés des textes tout ficelés. De la même façon, si nous ne sommes pas impliqués en amont dans les négociations, les partenaires sociaux ne peuvent pas demander aux députés de valider leurs accords et de les inscrire dans la loi sans en toucher une virgule.
Attention, je n'oppose pas accord syndical et débat parlementaire : je propose d'inventer une nouvelle façon de travailler ensemble, partenaires sociaux et parlementaires.
Lors des grandes négociations syndicales qui ont vocation à se traduire dans la loi, nous ferons des points réguliers. Les partenaires sociaux appuieront « sur pause » et viendront nous faire part de leurs avancées. Nous leur expliquerons nos convictions, ils nous expliqueront leurs impératifs... et nous mettrons ainsi en place une véritable coproduction avec les partenaires sociaux. J'avais utilisé cette expression pour décrire la relation entre le Parlement et le Gouvernement. Mais, vous voyez, cela peut marcher également très bien avec les partenaires sociaux !
Cette façon complètement nouvelle de concevoir le travail du Parlement doit nous permettre d'aller encore plus loin dans la modernisation de notre pays et de faire des réformes sociales qui sont gagnantes pour tout le monde.
3) Je viens de parler d'innovation sur la méthode mais nous devons aussi innover sur le fond.
Comme vous aborderez la question de la protection sociale lors de la table-ronde qui suit mon intervention, je vais apporter ma pierre à l'édifice en vous soumettant des propositions dans ce domaine :
- D'abord sur l'assurance maladie.
Sans remettre en cause l'universalité de la couverture, il est aujourd'hui indispensable de faire des choix. Il faut s'interroger véritablement sur ce qui relève de la solidarité, donc du financement collectif, et sur ce qui relève de la responsabilité individuelle, donc du financement assurantiel.
Cette clarification va dans le sens de la justice sociale car actuellement le remboursement « à l'aveugle » n'assure pas un égal accès aux meilleurs soins pour tous.
Au contraire, il engendre plutôt des inégalités, avec des soins optiques et dentaires très mal remboursés par l'assurance maladie, des « restes à charges » importants - en moyenne de 900euros par an pour 20 % des ménages -, et des dépassements d'honoraires qui ont tendance à se généraliser : ils représentent 2 milliards d'euros chaque année, soit 10 % des honoraires médicaux !
Pour être effectivement solidaire, l'assurance maladie doit répondre à deux questions : Qu'est ce qui doit être remboursé ? A quel niveau le rembourser ? Avec les députés UMP, nous avons beaucoup travaillé sur ces questions, dans le cadre des travaux sur les suites du rapport Attali. Je vous soumets quelques-unes de nos propositions :
. Nous proposons d'expérimenter le transfert au 1er euro de l'assurance maladie aux complémentaires santé pour tous les soins qui ne relèvent pas de la solidarité : ceux dont l'efficacité n'est pas prouvée, dont la pertinence médicale n'est pas avérée, ceux qui relèvent du confort ou de l'esthétique...
. En contrepartie, nous recommandons d'augmenter la prise en charge par l'assurance maladie des frais optiques et dentaires.
. Et surtout, il faudrait alors renforcer les aides à l'acquisition de complémentaires santé. Cette aide dont 2,3 millions de Français pourraient bénéficier ne concerne actuellement que 2 à 300 000 personnes.
- Autre domaine de la protection sociale pour lequel j'ai des innovations à vous soumettre : les retraites.
Le Gouvernement a le courage de mener une réforme importante, que ce soit au sujet des régimes spéciaux, de l'allongement de la durée de cotisations, du cumul emploi-retraite et du travail des seniors.
Ça va dans le bon sens ! Mais à moyen terme, il faudrait sans doute une remise à plat plus globale, qui s'inspire davantage des bons exemples étrangers. Voici deux propositions qui s'inscrivent dans cette remise à plat :
. Pourquoi pas une fusion de tous les régimes dans un régime général qui assure l'égalité de tous les travailleurs entre eux ?
Maintenant que les différents régimes ont convergé ou sont en train de le faire, ça devient jouable. C'est d'ailleurs ce qui était initialement prévu à la création de la Sécurité sociale par le Conseil national de la Résistance : un régime unique pour assurer la solidarité nationale, au-delà des intérêts corporatistes.... Alors bien sûr, il faut prendre en compte les spécificités et les pénibilités des métiers et intégrer beaucoup mieux qu'aujourd'hui la question de l'espérance de vie. Car l'injustice est grande dans le système actuel ! Pour cela, on pourrait développer, à côté du régime général, des régimes complémentaires qui tiendraient compte de ces variables.
. Pourquoi pas un système par points plutôt que le système par annuités, opaque, compliqué et injuste, surtout pour ceux qui ont les carrières les plus chaotiques, notamment les femmes et les travailleurs précaires ?
Aujourd'hui, personne ne sait combien il cotise, combien il touche si il arrête de travailler... Ce sont des calculs très compliqués et il y a tellement de paramètres à modifier qu'on peut rien changer sans tout bouleverser. Quant on veut mettre plus de liberté et lisibilité dans le système, ce n'est plus possible...
A moyen terme, je plaide pour un système par points plus souple, plus lisible et plus juste. C'est ce qu'ont fait les Allemands. C'est proche de ce qu'ont fait les Suédois. C'est ce qu'ont fait les régimes complémentaires en France.
Avec ce système, les cotisations du salarié lui permettent d'acquérir des points retraite tout au long de sa carrière. Un point a une valeur donnée, en fonction des cotisations qui rentrent. En fin de carrière, il suffit de multiplier le nombre de points acquis par la valeur du point pour connaître sa pension annuelle.
C'est tellement plus clair, tellement plus simple et tellement plus juste, avec le même mode de calcul pour tout le monde. Nous aurions beaucoup à apprendre du modèle suédois. Ils ont réussi à travailler sur ce sujet tous partis confondus pendant de longs mois, avec des travaux d'experts très poussés et ils réajustent régulièrement « leur mécanique » pour s'assurer qu'il est juste et efficace... Pourquoi pas nous ?
Conclusion
En politique, le confort, c'est de s'enfermer dans ses certitudes et de répondre toujours la même chose quels que soient les problèmes... C'est la tentation du conservatisme, le piège de la frilosité.
Dans un monde qui bouge à toute allure, ce n'est plus possible ! Il faut savoir se remettre en cause, accepter de se faire bousculer par la réalité et de trouver des réponses adaptées à chaque défi. En bref, il faut être dans l'innovation permanente !
Attention, je ne fais pas l'apologie du bougisme. Je ne vous invite pas à devenir des caméléons sans convictions !
Au contraire, pour tenir bon dans un contexte agité, pour répondre pertinemment dans des situations d'urgence, il faut pouvoir compter sur une boussole fiable. Cette boussole qui nous permet de garder le cap, ce sont justement des convictions solides, des valeurs fortes : l'engagement pour que l'économie soit au service de l'homme et non l'inverse, l'attachement à la liberté d'initiative des hommes et des femmes, la valorisation du mérite et du travail, le refus de l'assistanat qui méprise la dignité humaine, la méfiance à l'égard de la puissance publique lorsqu'elle veut tout régir en lieu et place de ceux qui sont les plus aptes à agir...
Innover, ce n'est pas renoncer à ces valeurs ! C'est sans cesse les remettre à l'ordre du jour pour préparer l'avenir. Voilà le défi pour la majorité aujourd'hui.
Je trouve que c'est un défi passionnant, parce que j'ai toujours pensé, comme Max Weber, que « la politique, c'est le goût de l'avenir ! »source http://www.u-m-p.org, le 13 juin 2008