Interview de Mme Rachida Dati, ministre de la justice, à France Inter le 16 juin 2008, sur la situation dans les prisons et le projet gouvernemental de loi pénitentiaire.

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Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.- « L'invité de France Inter » est ce matin la garde des Sceaux et ministre de la Justice. Bonjour R. Dati.
 
Bonjour.
 
La loi pénitentiaire est donc sur les rails. A quelle échéance va-telle, d'après vous, résorber la crise structurelle des prisons française, qui est dénoncée depuis des années, notamment via des rapports parlementaires ?
 
Si vous évoquez la surpopulation carcérale, Monsieur Demorand, il y a deux moyens de lutter contre la surpopulation carcérale : c'est d'abord de construire des places de prison, ce que nous faisons depuis d'ailleurs 2002, nous poursuivons ce programme. Nous avons 50.500 places aujourd'hui, nous en aurons 63.200 en 2012. Et puis, il faut vraiment avoir une politique volontariste d'aménagement des peines, ce que je fais depuis le mois de juin de l'année dernière, et depuis un an, nous avons triplé en moins de trois ans le taux d'aménagement des peines, c'est vraiment un taux d'aménagement sans précédent. Mais encore une fois, l'objectif, l'objectif de cette loi pénitentiaire, c'est de réinsérer les personnes détenues pour lutter contre la récidive, c'est dans l'intérêt de tout le monde, c'est l'intérêt des Français pour leur sécurité, mais c'est également dans l'intérêt des détenus pour éviter qu'ils récidivent.
 
A quelle échéance - je vous repose la question - les prisons françaises seront-elles des lieux dignes d'un pays démocratique, comme le nôtre ?
 
Nous sommes en train de réhabiliter les prisons, nous sommes en train d'en construire. Et, encore une fois, nous aurons près de 3.000 places de plus d'ici la fin de l'année. Donc nous...
 
Ça suffira ? 125% de surpopulation...
 
C'est un taux... vous savez, au niveau européen, nous ne sommes pas les plus élevés en terme de surpopulation, nous sommes dans la moyenne européenne. Simplement...
 
C'est 102 pour l'Europe, 125 pour la France...
 
Simplement, en taux, c'est-à-dire qu'en taux de surpopulation, nous sommes les troisièmes ou quatrièmes ; ensuite, en densité, c'est-à-dire que nous sommes aussi les quatrièmes ou les cinquièmes au niveau européen, c'est-à-dire que c'est le nombre de détenus pour 100.000 habitants, nous sommes encore une fois au milieu de la moyenne européenne. Mais encore une fois, ça n'excuse pas, je ne veux pas dire parce qu'on n'est pas, encore une fois...
 
Lanterne rouge, qu'on va faire cocorico...
 
On prend nos responsabilités. Moi, je rappelle... je vais juste vous donner quelques détails, la dernière grande loi pénitentiaire, c'est 87, la deuxième en 60 ans sera celle que je porterai devant le Parlement. Ça sera l'occasion d'un grand débat national, et également sur la construction de places de prison. Le dernier grand programme date de 87. Et si je reprends les chiffres, parce que c'est un débat que j'ai eu avec d'autres, avec d'autres politiques, j'ai regardé, entre 97 et 2002, le nombre de places de prison a diminué de 4%, sans en construire d'autres, c'est-à-dire, en 2002, on était déjà en surpopulation parce qu'on avait moins de 50.000 places. Donc avec une augmentation de la délinquance sans précédent. Entre 97 et 2002, la délinquance générale a augmenté de plus de 50%, les atteintes aux personnes, pratiquement du même nombre. Donc il y avait un sujet majeur. Les Français étaient préoccupés s'agissant de la sécurité. Donc on a pris nos responsabilités. On lutte contre la délinquance, c'est vrai. Nous appliquons une politique de fermeté qui porte ses fruits, mais également les personnes qu'on sanctionne et qu'on condamne, il faut aussi les priver de leur liberté, mais pas de leur dignité. Donc nous prenons en compte cela par la construction de prisons dignes, mais également par les aménagements de peine en essayant de re-socialiser et réinsérer les personnes privées de liberté.
 
Votre sentiment, votre analyse, R. Dati, les prisons sont-elles une honte pour la République ?
 
Il ne faut pas... enfin, on est toujours en train de s'auto flageller s'agissant de la France. Vous savez...
 
Mais en la matière, est-ce qu'il n'y a pas raison de le faire...
 
En la matière, mais, attendez, bien sûr, vous avez raison, il y a des prisons qui ne sont pas à l'honneur de la France, mais ça n'est pas tous les établissements pénitentiaires, il y a 196 établissements pénitentiaires, et il y a environ 116 maisons d'arrêt. Les établissements pour peines, c'est-à-dire que là où il y a des personnes condamnées, il n'y a pas de surpopulation. Et nous avons un problème dans les maisons d'arrêt. Les maisons d'arrêt, en fait, sont des établissements où il y a des courtes peines. On a un sujet à traiter qui concerne les courtes peines.
 
A quelle date y aura-t-il un prisonnier par cellule ?
 
Alors, l'encellulement individuel, je rappelle que c'est un texte... c'est une mesure qui a été adoptée le 15 juin 2000, par la loi du 15 juin 2000. D'ailleurs, à l'époque, c'était E. Guigou qui avait fait adopter ce texte, elle-même avait demandé le moratoire, parce qu'ils n'avaient pas construit de places de prison. Eux-mêmes étaient déjà confrontés à cette difficulté...
 
A quelle date alors R. Dati ?
 
Il y a eu un moratoire. Il faut savoir que l'encellulement individuel - je tiens à le dire - ne concerne pas les personnes condamnées, il concerne uniquement les personnes « prévenues », c'est-à-dire les personnes mises en examen, présumées encore innocentes. Donc l'encellulement individuel, j'ai pris un décret dans lequel il s'agira d'organiser les demandes de cellules individuelles. Il faut savoir que dans la population carcérale, de nombreux détenus ne souhaitent pas être dans des cellules individuelles. Donc il s'agira d'organiser les demandes et de voir, avec l'accord du juge, comment on procède à des transfèrements de détenus.
 
Vous parlez au futur, à quelle date ce sera appliqué dans les faits, ça ?
 
Le décret a été pris, donc à compter du mois de juin, on a commencé...
 
Mais c'est une échéance de cinq, dix ans, pour qu'il y ait assez de places ?
 
L'essentiel, ce n'est pas exponentiel ou linéaire. Il y a de la délinquance, il s'agit d'appliquer une politique de fermeté s'agissant de la lutte contre la délinquance, il y a des condamnations, ce sont des décisions de justice. Donc les décisions de justice, ce n'est pas des statistiques, ce n'est pas une évolution statistique. Et puis...
 
Enfin, quand même, gouverner, c'est prévoir...
 
Gouverner c'est prévoir, c'est en luttant contre la délinquance, en prévenant la récidive. On a vu qu'aujourd'hui, il y a des résultats, le taux d'aménagement des peines est de plus de 34% en moins d'un an, sans grâce collective, sans réduction de peine automatique. Nous, nous sommes contre, et à titre personnel, je suis contre les réductions de peine ou les grâces collectives comme moyens de régulation de la population pénale. Les Français ne peuvent pas comprendre qu'on remette en liberté les gens simplement parce qu'il n'y a pas de place en prison, ça n'est pas acceptable.
 
Alors il y a une prison qui avait une réputation sinistre dans l'histoire de France, c'était la prison de la Bastille. Le 14 juillet, on célèbre la prise de la Bastille, êtes-vous choquée, R. Dati, par la présence du Président syrien au défilé du 14 juillet, qui vient célébrer justement cette victoire des Droits de l'Homme ?
 
On parle de l'Europe, comme vous l'avez vu, il y a une petite difficulté avec l'Irlande, il ne faut pas oublier que l'Europe a apporté la paix. Ça a été un grand projet, un grand projet avec beaucoup de difficultés pour la construction de cette Europe. Le projet de l'Union pour la Méditerranée est un grand projet, c'est vrai, moi, je trouve que c'est le grand rêve de nombre de peuples, il faut le savoir, et notamment dans cette région. Il faut savoir que dans cette région, dans cette région du Golfe, au Moyen- Orient, c'est capital la paix. Donc il faut pouvoir avancer avec tout le monde, y compris avec ceux qui, à un moment donné, ont été plus en retrait peut-être, qui ont été aussi pas très regardants, s'agissant aussi de leur implication dans la paix, parce que ce n'était pas peut-être de leur intérêt...
 
Mais les recevoir le 13 ou le 15, ce n'était pas mieux que le 14 ?
 
Mais attendez, le 13 juillet, il y a la grande manifestation, la grande réunion de l'Union pour la Méditerranée...
 
Mais le 14...
 
Faut-il... Tous les autres chefs d'Etat sont invités, vous savez, la France peut s'honorer d'être un pays d'accueil, un pays généreux, un pays qui a permis de faire avancer la paix dans d'autres pays. Vous savez, nous sommes connus...
 
Donc ça ne vous choque pas ?
 
Moi, je trouve que ce qui est choquant, c'est de fermer la porte à des bonnes volontés, c'est de ne pas vouloir discuter pour faire dans l'intérêt d'autres pays et d'autres peuples. Il y a des peuples qui souffrent dans cette région du monde, eh ben, s'il faut discuter avec monsieur B. El Assad, s'il doit être là pour le 14 juillet, je crois qu'il ne faut se priver de rien pour éviter la souffrance de nombreuses populations dans cette région du monde.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 16 juin 2008