Déclaration de Mme Christine Boutin, ministre du logement et de la ville, sur la nécessité d'encourager l'urbanisme de qualité, Paris le 18 juin 2008.

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Circonstance : 4e édition de "Vivre les villes", à Paris le 18 juin 2008

Texte intégral


Mesdames, Messieurs,
C'est un réel plaisir que d'inaugurer cette 4ème édition de « Vivre les villes, à la découverte de l'architecture et de l'urbanisme de votre ville » qui se déroulera cette année du 27 au 29 juin 2008.
Comme vous le savez sans doute, cette manifestation, nationale et régionale, est menée sous l'égide de trois ministères :
- le ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement
durable et de l'Aménagement du territoire,
- le ministère du Logement et de la Ville,
- et enfin, le ministère de la Culture et de la Communication.
L'opération a pour ambition de présenter, à nos concitoyens, les enjeux de la Ville à travers des actions de promotion de l'architecture, de l'urbanisme et de l'habitat, conduites par des collectivités territoriales, des organismes publics ou privés ou encore des associations, au niveau local.
Alors que les précédentes éditions n'étaient pas thématisées, le développement durable sera cette année notre fil rouge . Les évolutions contemporaines nous invitent en effet à repenser la ville et la façon d'y vivre. Le défi qui est devant nous n'est rien de moins que l'aménagement d'une nouvelle ville, où l'homme sera réconcilié avec la nature, comme avec les siens. Ce qui - vous en conviendrez - est un formidable « enjeu de civilisation » de ce début du XXIe siècle.
Les cités étaient autrefois les grands centres où les peuples résumaient leur génie : commerce, culture, politique, elles n'étaient pas une simple question de nombre ou d'étendue, elles accompagnaient le développement des grandes civilisations capables de rayonner autour d'elles et de devenir une source de forces pour ceux qui s'en approchaient. Si « les hommes se rassemblaient dans les villes pour vivre » disait ARISTOTE, « ils y restaient ensemble pour bien vivre »...
La ville est en effet avant tout le lieu du progrès social, économique et culturel, l'espace au sein duquel l'homme expérimente à la fois la différence, l'ouverture à la diversité et le dynamisme. C'est aussi le lieu du possible et du choix.
Aujourd'hui cependant, nos villes sont malades et ne remplissent plus cette fonction : étalement urbain, ségrégation urbaine, difficultés de circulation, artères sous embolie, nuisances sonores et olfactives, gestion des déchets problématique... La ville d'aujourd'hui produit plus de mal-être que d'agrément. La ville d'aujourd'hui désagrège la société plus qu'elle ne la rassemble.
Le stress écrase ceux qui n'ont pas les épaules pour supporter le courant rapide de la vie urbaine. La solitude prospère dans un océan humain. Nos villes se délitent en périphérie. Mal conçu, le développement urbain a chassé les plus pauvres dans des banlieues lointaines qui tournent parfois au véritable pandémonium. Nos villes s'usent aussi en leur sein, avec des poches dégradées et un habitat aussi indigne que celui des tours que nous démolissons dans les banlieues dans le cadre de la rénovation urbaine. De très nombreux logements sont totalement inadaptés à la nouvelle donne du Grenelle de l'environnement et à ce train là, nous allons à grand pas vers une fracture énergétique entre riches et pauvres.
Pour enrayer et éviter la déshumanisation de nos villes, il nous faut anticiper et accompagner leurs évolutions. Gardons bien présent à l'esprit qu'en 2008, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, plus de la moitié de la population planétaire vit en ville. En 2050, ce seront probablement 70% des habitants de la planète qui seront urbains.
Pour toutes ces raisons, j'en suis convaincue : le chantier de la ville est la plus grande réforme de structure à venir. Elle conditionnera le bien-être des hommes et des femmes de ce pays, la concorde nationale et le rayonnement futur de la France. Et nous le pressentons tous : aux efforts qu'il nous faut désormais déployer, au lendemain du Grenelle de l'environnement, pour vivre en harmonie avec la nature physique, nous devons conjuguer des efforts tout aussi importants pour repenser la cité en harmonie avec notre nature sociale.
L'enjeu, c'est d'intégrer dans toutes nos réflexions, dans toutes nos actions les grands défis à venir :
- le vieillissement de la population ;
- l'affaiblissement des solidarités naturelle et la montée des solitudes dans une société rongée par l'individualiste ;
- le besoin de cohérence entre l'habitat et l'activité économique dans une société de service ;
- l'avènement du numérique avec le déploiement de la fibre optique ;
- et bien sûr, la nouvelle équation en matière d'énergie et de protection de l'environnement.
Sur ce dernier point, réjouissons-nous : nos compatriotes témoignent d'un authentique souci écologique. Ils sont prêts à faire des efforts et à bouleverser leurs habitudes pour ménager notre planète. Ils pressentent également qu'une ville oxygénée et aérée est une ville apaisée, dans laquelle la vie avec ses semblables est facilitée. A nous, à présent, de les accompagner et de leur proposer des pistes raisonnables et efficaces qui seront susceptibles d'essaimer le plus vite possible chez nos voisins et de par le monde.
J'attends beaucoup de ces trois journées du 27 au 29 juin prochain. J'attends notamment avec beaucoup d'impatience de connaître tout ce qui a pu être expérimenté dans le domaine de la problématique espace public / espace social, un sujet clef pour l'avenir de la convivialité urbaine sur lequel mes équipes et moi-même travaillons et à propos duquel nous avons vraiment besoin de l'expertise et du talent des architectes et des urbanistes.
Par ailleurs, et au titre de ma contribution personnelle, sachez que dans le cadre de cette édition de Vivre les villes , j'ai souhaité poursuivre la réflexion que j'aie entamée il y a plusieurs mois déjà : il s'agit de la question du beau dans la ville .
A cette fin, j'ai invité le 27 juin prochain des élus, des architectes, des urbanistes, des universitaires et des entrepreneurs à la Cité de l'Architecture afin qu'ils débattent des fonctions, des usages, des modalités du « Beau » en milieu urbain.
Chacun de vous peut le constater : avec le temps, beaucoup de nos quartiers sont devenus laids ; laids, sous toutes les coutures, pauvres de forme, lourds de lignes et médiocres d'apparence.
Et pourtant, Christian de Porzamparc l'a merveilleusement exprimé : l'espace a sur l'homme un fort pouvoir émotionnel. Il suffit de considérer, nous dit-il, avec quelle vigueur nous nous prenons soudain à rêver d'habiter un lieu ou, au contraire, à le haïr, pour comprendre qu'il y a là un substrat puissant. Certes, l'émotion que nous procure un espace est recouverte de toutes sortes de contingences simultanées. A la longue, la pratique d'un lieu, sa quotidienneté, dilue la sensation, mais, c'est une donnée d'évidence : les lieux que nous habitons sont importants car ils hantent notre mémoire, construisent notre présent ou nous projettent vers l'avenir.
A cet égard, Mesdames, Messieurs, j'en suis convaincue : qu'on soit riche ou pauvre, la laideur se vit mal ! Et plus on vit dans des conditions difficiles et modestes, plus la laideur vous accable.
Je crois aux vertus de la beauté pour la vie sociale. Je la crois capable d'engendrer les effets les plus positifs en terme de pacification sociale. La beauté permet aux citadins d'être fiers de leur quartier et les incite à se l'approprier. Elle est un puissant facteur d'harmonie sociale. La modeste expérience des villes fleuries en est une parfaite illustration. Dans ces villes qui concourent, les zones où il y a des fleurs sont respectées, jusque et y compris dans leurs quartiers fragiles, où dans la plupart du temps, les déprédations vont pourtant, bon train.
Je crois à la sensibilité universelle. Je crois au postulat esthétique : je crois à l'architecture durable ; celle qu'on a envie de respecter et de conserver parce qu'elle est belle.
Et si aujourd'hui j'ai décidé de mener cette réflexion au grand jour, c'est parce que je suis convaincue que la qualité architecturale doit être offerte à tous et partout, de la maison aux grands espaces publics en passant par l'immeuble collectif. J'affirme en particulier que « plaisir de l'oeil » et « logement social » sont compatibles.
J'ajoute que la question de l'embellissement de nos villes est primordiale à l'heure où le Président de la République vient de fixer un objectif de construction de 500.000 logements nouveaux, dont 120.000 sociaux par an ; à l'heure où la France se positionne en pionnière avec la mise en oeuvre du Droit au logement opposable.
Voilà Mesdames, Messieurs, ce que je tenais à vous dire.
Le thème de la ville n'est pas anodin. Il n'est pas accessoire. Il est même central puisque l'essentiel de la population planétaire devient urbaine.
Le défi qui se trouve devant nous n'est rien de moins que l'invention d'une nouvelle ville, une ville réunifiée qui saura être accueillante, qui sera être bénéfique à l'homme, à tous les hommes, qui saura être belle, qui saura être respectueuse de l'environnement. Le beauté ne devrait-elle pas être une composante essentielle du développement durable ?
A notre tour, comme l'aurait dit Le Corbusier, nous allons devoir « rendre l'espace heureux ».
Et je suis très heureuse que cette nouvelle édition de « Vivre les villes » puisse contribuer à notre réflexion commune.
Je vous remercie.
Source http://www.logement.gouv.fr, le 18 juin 2008