Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur le soutien de la majorité parlementaire à l'action du gouvernement face à la motion de censure déposée par l'opposition, Paris le 19 juin 1996.

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Circonstance : Débat sur la motion de censure déposé par le groupe socialiste, à l'Assemble nationale le 19 juin 1996

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
En déposant une motion de censure, Mesdames et Messieurs les députés de l'opposition, vous avez eu une bonne idée. Vous permettez ainsi à l'Assemblée Nationale et, par delà ses bancs, aux Françaises et aux Français qui nous écoutent, de réfléchir d'abord à ce que vous incarnez aujourd'hui.
Ce sera donc pour moi l'occasion de faire brièvement ce que nous n'avons pu faire ni en 1993 ni en 1995, pour des raisons que chacun ici a bien en tête, c'est-à-dire le bilan des années que vous avez passées au pouvoir.
Je sais que, par habitude intellectuelle tout autant que par commodité pratique, vous feriez volontiers "du passé table rase". Mais nous sommes nombreux à penser qu'on ne comprend bien le présent, qu'on ne prépare bien l'avenir qu'en approfondissant la connaissance qu'on a du passé.
Votre passé gouvernemental qui est encore tout frais ou plutôt votre passif peut aisément se résumer en deux chapitres : gabegie et immobilisme.
Au chapitre de la gabegie, c'est l'abondance si je puis dire ! Et pourtant je m'en tiendrai aux résultats de votre dernière législature 1988-1993. C'est, je le répète, tout frais !
Gabegie dans le budget de l'État en premier lieu.
Voici les chiffres qui figurent dans les lois de finances que vous avez préparées :
1989 : 118 mds F
1990: 106
1991 : 145
1992 : 243
1993 : 333
soit un quasi triplement
Pendant la période 1988-1993, la dépense publique par actif occupe est passée (en F 1995) de 53 946 à 98 190 F (+82 %), et la dette publique (au sens de Maastricht, en F 1995) de 104 595 à 150 523 F (+ 44 %).
De 1988 à 1993, la part des dépenses publiques dans le produit intérieur brut a augmenté de 5 points en France (de 50 à 55 %) alors qu'elle n'augmentait que de 3,3 points dans une Allemagne qui supportait pourtant la charge colossale de sa réunification !
Gabegie dans les comptes de la Sécurité Sociale, en second lieu.
Ici encore, laissons parler les chiffres : le déficit du régime général est passé de 7 mds de F en 1988 à 55 mds de F en 1993 soit une multiplication par 8 ! Les dépenses, elles, ont augmenté de 38 % pendant la même période.
Gabegie enfin dans le secteur public.
A la SNCF, 100 mds F d'infrastructures ont été financés entre 1989 et 1993 par emprunt alors que l'on savait parfaitement que l'entreprise ne pourrait jamais rembourser cette dette.
Au Crédit Lyonnais une stratégie dévastatrice a été menée jusqu'en 1993 par les dirigeants de l'entreprise sans qu'à aucun moment les pouvoirs publics n'aient assumé leur responsabilité d'actionnaire; on évalue actuellement les dégâts à 50 mds F mais chaque jour qui passe apporte de mauvaises surprises.
Que dire du Crédit foncier qui n'est sans doute pas une entreprise publique mais dont l'Etal nomme le gouverneur ? Là encore, quelle réaction ont eu les autorités de tutelle face à une politique aventureuse qui nous laisse aujourd'hui un trou de 10 mds F ?
Je pourrais allonger ma liste et citer aussi les chiffres qui concernent Air France ou GIAT Industrie.
Mais laissons là cette énumération fastidieuse qui risquerait de lasser.
On comprendra, j'en suis sûr, qu'en entendant M. Fabius nous accuser de creuser les déficits publics, je me demande s'il a choisi d'endosser désormais les habits de Tartuffe ou ceux de Pantalon !
Gabegie, donc, mais aussi immobilisme. Durant la précédente législature, aucune des réformes de fond dont notre pays avait un urgent besoin n'a été mise en oeuvre ni même engagée.
C'est le cas pour l'assurance-maladie dont on s'est borné à comptabiliser les déficits.
C'est le cas pour la défense où l'on a tiré aucune des conséquences du bouleversement géopolitique des années 89-90.
C'est le cas pour l'enseignement supérieur où l'on n'a rien fait pour préparer l'arrivée de centaines de milliers d'étudiants supplémentaires.
C'est le cas d'Air France et d'Air Inter qu'on a laissé vivre dans l'illusion que la concurrence ne s'installerait pas sur notre sol... tout en lui faisant racheter UTA, sans lui donner réellement les moyens de le faire.
Et ainsi de suite.
Comment s'étonner dès lors que les Françaises et les Français, au terme de cette législature 1988-1993 - anni horribiles - vous aient infligé la plus sévère sanction électorale qu'un parti politique ait connu depuis bien longtemps ?
Voilà pour le passif.
Chacun comprend que vous souhaitiez tourner la page.
Mais celle que vous prétendez écrire. demain peut-elle donner aux Françaises et aux Français de meilleures raisons de croire en vous ?
Ils jugeront le moment venu.
Qu'on me permette de donner, cependant, mon point de vue. II tient en trois mots : conservatisme, division, compromission. Vous êtes devenus les chantres du conservatisme à la française.
Chaque fois que le gouvernement et sa majorité engagent des réformes qui n'ont hélas ! que trop tardé, vous vous placez en tête du front du refus.
Oh ! parfois, certains d'entre vous ont un sursaut de lucidité et se laissent aller à murmurer: "Oui, c'est ce qu'il faudrait faire, c'est que nous aurions dû faire..." Mais très vite le conformisme du parti fait taire les imprudents. C'est le négativisme qui l'emporte.
Vous êtes contre le sauvetage de la sécurité sociale.
Vous êtes contre la modernisation de notre outil de défense.
Vous êtes contre l'adaptation de nos services publics à l'inévitable concurrence européenne
Vous êtes contre la réorganisation des premiers cycles universitaires.
Mais que proposez-vous à la place ? Mystère... Vous êtes devenus les plus farouches défenseurs du statu quo, c'est-à-dire du déclin français.
Conservatisme et division.
Car vos chefs se surveillent et se déchirent. N'est-il pas d'ailleurs significatif que soit absent de cet hémicycle - par la force des urnes - pour défendre vos idées, celui qui veut les incarner aux yeux des Français ?
Le ciel de votre avenir politique est donc aussi plombé que celui de votre passé. La seule lueur d'espérance que vous croyez y entrevoir vient sans doute du comportement du Front National et des consignes désormais répétées qu'il donne à ses électeurs de reporter leurs voix sur vos candidats pour faire échec aux nôtres. Quand dénoncerez-vous avec vigueur et constance de telles compromissions ?
Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, la situation dont nous avons hérité en 1993.
La nouvelle majorité et le nouveau gouvernement qui en émanait se sont mis immédiatement à la tâche. Le redressement et les réformes ont été engagés sans tarder, malgré les contraintes inhérentes à la cohabitation.
L'élection présidentielle de 1995 et l'arrivée de Jacques Chirac à la fonction suprême de la République ont évidemment permis de lever ces contraintes et de donner à l'action gouvernementale un nouvel élan.
C'est maintenant de cela que je voudrais vous parler.
Car le principal intérêt d'une motion de censure, c'est quand même de permettre au gouvernement et à la majorité qui le soutient de faire le point de leur travail commun.
On s'en rend compte, en dressant le bilan de la session unique qui s'achève (la première, soit-dit en passant, de l'histoire de la Vème République, ce qui constitue en soi une première réforme nécessaire et un pas très important vers le rééquilibrage de nos institutions voulu par le Président de la République), on s'en rend compte donc : nous avons ensemble beaucoup et bien travaillé pour la réputation de la France et pour le bien-être des Français.
Je m'en tiendrai à l'essentiel.
1. Nous avons arrêté la dérive des dépenses publiques :
- loi de finances rectificative 1995
- loi de finances initiale 1996 (ramène le déficit à 287 mds F, soit une réduction de près de 15 % par rapport à celui de 1993)
2. Nous avons mis en place de nouveaux instruments pour " gouverner " la sécurité sociale, principalement l'assurance-maladie.
Le dispositif prévu par cette grande réforme n'est pas encore pleinement opérationnel ; la loi organique relative aux lois de financement de la Sécurité Sociale, pour ne prendre que cet exemple, n'est pas encore définitivement adoptée.
Mais la réforme est en marche.
Les récentes estimations avancées par la commission des comptes compétente ont alarmé.
Je ferai à ce sujet quelques remarques simples :
- d'abord, restons prudents devant ces prévisions de mi-année, souvent infirmées quelques mois plus tard. Qui avait prévu que notre croissance économique au 1er trimestre atteindrait 1,2 % ?
- ensuite, le chiffre de 48 mds F, que je ne fais pas mien, marque une décélération de près de 50 % par rapport à ce qui aurait dû se passer si nous n'avions rien fait.
- en troisième lieu, il est clair qu'on n'arrête pas du jour au lendemain un paquebot qui court sur son erre.
- enfin, le débat prévu en octobre prochain sur le financement de la sécurité sociale sera l'occasion pour nous de prendre ensemble, et dans l'esprit de la réforme, les mesures qui s'imposent pour atteindre nos objectifs - à l'exclusion je le dis d'emblée de tout prélèvement supplémentaire.
3. Quoi qu'il en soit, nous avons rétabli la confiance internationale dans la gestion de "l'entreprise Fiance".
A preuve : l'évolution extrêmement favorable de nos taux d'intérêt, à court et moyen terme.
4. Nous avons lancé l'offensive tous azimuts pour l'emploi :
- C.I.E. à compter du 1er juillet 1995
- allégement des charges sur le travail peu qualifié
- plan PME-PMI
- aménagement et réduction du temps de travail (1ers acquis; nouveau sommet en juillet)
- emplois de proximité (pacte de relance pour la ville, transformation de l'ACTP en 1ère étape de la prestation autonomie)
- insertion des jeunes (sommet du 13 juin : C.I.E., jeunes en difficulté, réforme de l'apprentissage, programmes régionaux... + réforme de l'éducation)
Premiers résultats
- Chômage des jeunes : baisse de 10.000 sur les 4 derniers mois; baisse de 9.100 entre avril 1995 et avril 1996 (- 1,5 %).
- Chômage de longue durée: baisse de 108.600 entre avril 1995 et avril 1996 (- 9,6 %)
- Chômage total : baisse de 19.600 sur les deux derniers mois ; stabilité sur trois ans (- 5.700 depuis juillet 1993) alors que le chômage a doublé (+ 1.500.000) entre 1981 et 1993.
- Emploi
Les effectifs employés dans le secteur marchand ont augmenté de 140 800 en 1995 (+ 2,2%).
Comparaison : de 1980 à 1994, la croissance moyenne de l'économie a été de 2 % et l'augmentation de l'emploi de 25 000 en moyenne par an.
L'an dernier, la croissance a donc été plus riche de 100 000 emplois environ que pendant chaque année de la décennie précédente !
Ce résultat est notamment dû à notre politique d'allégement des charges sur les bas salaires; c'est ainsi que sur un an le chômage des manoeuvres et ouvriers à baisser de 3 %.
5. Nous avons lancé des réformes considérables.
- Réforme de la sécurité sociale
- Réforme de la défense nationale et des industries d'armement
- Réforme de plusieurs grands services publics :
France Télécom
SNCF
EDF
Je l'ai dit, les premiers résultats encourageants apparaissent :
- croissance du 1er trimestre 1996
- baisse des taux d'intérêt
- stabilisation du chômage,
- inflation maîtrisée
- franc stable
- exportations dynamiques
- dépenses de santé dans la bonne direction
Ces résultats sont encore modestes. Mais je les crois solides. A une condition : c'est que, malgré les difficultés, nous gardions le cap. Telle est l'ambition que je vous propose pour les deux ans qui viennent, Jusqu'au rendez-vous démocratique de 1998 : garder le cap d'une gestion sérieuse ; nous préparer à entrer dans l'ère de la monnaie européenne; amplifier notre oeuvre de réforme.
Je reprendrai brièvement ces trois points :
a. La bonne gestion
Le débat d'orientation budgétaire a permis de dégager une ligne claire : il faut maîtriser les dépenses pour réduire le déficit et baisser les impôts.
C'est dans cet esprit que nous préparons un projet de loi de finances 1997 et les programmes quinquennaux qui l'accompagneront.
b. La monnaie unique
C'est un choir économique : stabilité et compétitivité.
C'est surtout un choix politique: le nouveau départ de l'Union Européenne.
c. Les réformes
Celle de l'enseignement supérieur et plus largement de l'éducation.
Celle de l'État
Celle des impôts.
En outre l' État assumera sans faiblesse ses fonctions régaliennes :
l'action internationale, à laquelle le Président de la République a donné un nouveau prestige et une nouvelle crédibilité
le contrôle des mouvements de population (intégration -respect des règles, la sécurité et la tranquillité publique
Conclusion
Depuis plus d'un an maintenant le Gouvernement agit, sous l'impulsion du Président de la République, pour mettre en oeuvre la politique approuvée par le peuple français au soir du 7 mai 1995.
Depuis plus d'un an maintenant le Gouvernement que je dirige bénéficie du soutien actif et sans faille de la majorité parlementaire.
Forte du soutien qu'elle a apporté avec enthousiasme à Jacques Chirac lors du deuxième tout de l'élection présidentielle, cette majorité est aujourd'hui plus unie que jamais.
Son souci, je le sais et je l'en remercie, est de continuer d'agir au Parlement mais aussi sur le terrain pour que les choir du Gouvernement soient toujours plus pertinents et toujours mieux compris des Françaises et des Français.
Nous avons rendez-vous avec nos concitoyens en 1998 et nous avons confiance dans leur jugement.
Notre politique a commencé de produire ses effets dans un contexte économique pourtant difficile et nous n'en changerons pas les grandes lignes. La qualité que le peuple français attend de nous aujourd'hui, c'est d'abord la ténacité dans l'effort. Tous ensemble, Mesdames et Messieurs les députés de la majorité nous saurons dans les semaines et les mois qui viennent en faire preuve. Tous ensemble, nous irons unis à la bataille législative, unis autour de notre bilan qui sera celui de la législature tout entière mais aussi unis autour de notre projet dont nous commencerons en 1997 à dessiner les contours pour dire à nos concitoyens comment nous voyons la France de l'an 2000.
Dimanche dernier à Bayeux, à l'occasion du 50ème anniversaire du discours historique prononcé dans cette ville par le Général de Gaulle, j'ai indiqué quels étaient à mon sens les défis que notre pays doit relever dans la perspective de son entrée dans le 21ème siècle.
Le passage de la défense strictement nationale à la défense européenne; le passage du service public de la situation de monopole à la situation de concurrence; le passage du plein emploi par la croissance au plein emploi par l'insertion; la croissance par le marché mondial plutôt que par le marché national ou le seul "Marché Commun", autant de mutations qui montrent l'extraordinaire métamorphose à laquelle nous sommes appelés.
C'est dire quel effort sur nous-mêmes nous avons à réaliser.
Comprendre le monde dans lequel nous entrons, non pour le subir mais pour l'influencer; rassembler les énergies autour d'ambitions fortes, plutôt que de les diluer dans de médiocres compromis; affirmer la singularité de la France, non pour s'y complaire mais pour mieux s'ouvrir aux autres : voilà une ambition qui peut nous rassembler.
C'est pourquoi je vous demande de renouveler votre confiance au Gouvernement en repoussant la motion de censure qui vous est proposée.
(source http://www.archives.premier-ministre.gouv.fr, le 15 mai 2002)