Déclaration de Mme Christine Boutin, ministre du logement et de la ville, sur l'incidence de la qualité architecturale des villes et notamment de l'habitat social, sur les relations sociales, Paris le 27 juin 2008.

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Circonstance : Table ronde 4e édition "Vivre les villes", Paris le 27 juin 2008

Texte intégral


Monsieur le Ministre, cher Jean-Jacques DESCAMPS,
Monsieur le président, Cher François de MAZIERES,
Monsieur le président du Conseil National de l'Ordre des Architectes, [Lionel DUNET]
Cher Dominique PONNAU,
Cher Roland CASTRO,
Cher Sylvain AUGIER,
Cher François RIVIERE,
Mesdames, Messieurs,
La ville est le cadre dans lequel près des deux tiers de l'humanité vont travailler, se déplacer, se loger, se rencontrer, vivre enfin, d'ici dix ans. En France, comme ailleurs, la ville est devenue un lieu emblématique de la modernité, de ses ruptures, de ses tensions, de son attrait également. La ville émerge donc comme une question de civilisation.
Comment acteurs publics et acteurs privés peuvent-ils aménager la ville que nous voulons pour demain? C'est le chantier que j'ai lancé cet hiver avec l'aide de plusieurs d'entre vous. Je pense en particulier à Roland CASTRO et François RIVIERE.
Dans le cadre de « Vivre les villes 2008 », j'ai souhaité qu'ensemble, nous poussions la réflexion sur les fonctions, les usages, les modalités du « Beau » en milieu urbain.
Car notre défi, c'est de rendre la ville durable. Nous devons mettre en acte tous les volets du développement durable : volet économique, volet environnemental et volet social bien entendu.
Je voudrais néanmoins attirer l'attention sur un autre aspect que j'estime capital : il s'agit aussi de rendre la ville plus belle. Certes, il peut paraître incongru ou périlleux de parler de la beauté. Et pourtant...
La beauté dans la ville se rapporte à l'architecture, aux couleurs, aux lumières, à la réhabilitation de l'ancien, à la qualité des entrées de la ville, aux espaces publics et d'une manière générale, au paysage,... Je crois en effet important d'associer les paysagistes à ce chantier. Ils apportent une sensibilité supplémentaire et invitent à conjuguer l'art architectural et urbain avec la nature.
La beauté relève certes de l'absolu, de l'insaisissable, de la transcendance mais également de la subjectivité puisque c'est par nos sens que s'émeut notre sensibilité esthétique.
Pour autant, certains jugements emportent l'unanimité face à la beauté par exemple d'un monument, d'un paysage ou d'un visage. N'est-ce pas là le signe que la beauté est un vecteur puissant de rencontre entre les personnes ? Comment expliquer l'engouement actuel pour les succès de librairie qui offrent à nos yeux de magnifiques paysages, monuments et villes ?
Cependant, je pense que vous serez nombreux avec moi pour considérer qu'il y a aujourd'hui un manque évident de qualité esthétique « ordinaire » dans nos villes. Pour quelques quartiers somptueux, en effet combien d'oubliettes, de trappes et de coulisses obscures ? Combien de banlieues, sans attrait, sans mémoire, ni message.
Tout me porte à croire, en outre, que le dépérissement esthétique va de pair avec le dépérissement de l'harmonie sociale et plus encore, de la ville comme projet collectif.
Alors que la laideur divise et attise les tensions, la beauté n'aurait-elle pas des vertus pacificatrices ? Parce qu'unificatrices ?
Et si l'appropriation d'un milieu de vie de qualité était pour l'homme une nécessité tout aussi vitale que celle du toit ou du repas ? Et si la beauté dans la ville était un peu plus d'humanité dans sa vie ?
Entendons-nous bien : je ne parle bien évidemment pas de luxe. Je parle d'un cadre de vie conforme à ce qu'est l'homme et propice à sa vie en société. La beauté est multiple et elle peut être sobre et simple ; elle n'est pas non plus nécessairement chère.
Certains d'entre vous m'ont déjà entendue sur le thème des vertus sociales de la beauté et du pouvoir émotionnel de l'espace sur l'homme, si bien dépeint par Christian de PORZAMPARC : les lieux hantent notre mémoire, construisent notre présent ou nous projettent vers l'avenir. Et de ce point de vue, la beauté agit sur nous comme une potion magique en réveillant en nous ce qu'il y a de meilleur.
Sylvain AUGIER, qui survole la France - et la planète - depuis plus de 15 ans est vraisemblablement le meilleur ambassadeur de cette évidence. J'en profite pour le remercier vivement du travail qu'il a entrepris, avec sa Fondation, pour faire découvrir aux Français, la beauté de nos coeurs de villes et la nécessité de sauvegarder ce patrimoine architectural et paysager, pour notre bien-être au quotidien.
En nous invitant à nous émerveiller - acte ô combien essentiel ! - il ne fait pas que réjouir nos yeux : il développe notre sensibilité, éveille notre intelligence à la découverte de la réalité qui nous entoure et contribue grandement à l'amélioration du bien-vivre ensemble et à la paix sociale.
En affirmant cela, je ne dis pas pour autant que l'histoire a le monopole du beau. L'enjeu n'est pas seulement de nous cantonner à l'existant. Je suis aux antipodes d'une pensée qui aurait pour objectif de figer nos villes et d'en faire des musées à ciel ouvert.
Au contraire, il s'agit bien d'être créatifs pour répondre aux défis qui sont les nôtres : il est aussi et peut être, avant tout, nécessaire de garder à l'esprit le demi-million de nouveaux logements (dont environ, un quart de logements sociaux), que nous voulons essayer de construire chaque année en France.
Ce gigantesque défi, le président de la République l'avait en tête lorsqu'il a plaidé, ici même, pour "une nouvelle ambition" et "un nouveau souffle créatif" de l'architecture en France. Je relève, au passage, que c'est une première dans l'histoire de la Vème République, de voir un président conscient des défaillances dans la façon de fabriquer la ville et à ce point soucieux d'y remédier.
C'est d'ailleurs dans cette perspective que nous venons de lancer avec Lionel DUNET, Président de l'ordre des architectes, ce grand débat sur le rôle de l'architecture dans la ville du XXIe siècle. Je souhaite vivement que ce dialogue que nous avons voulu mener ensemble, en nous appuyant sur l'outil numérique, contribue à faire émerger une conscience commune des enjeux et ouvre sur des perspectives nouvelles et opérationnelles.
Notre immense besoin de logements ne doit pas nous conduire à brader la qualité, surtout pour les plus modestes.
Le beau, c'est un droit pour chacun, en raison de sa dignité éminente. Et je reprendrai là encore une formule du président : « Ce n'est pas parce qu'on n'a pas les moyens d'habiter dans un immeuble haussmanien qu'on doit forcément habiter dans quelque chose sans forme ».
A cet égard, j'ai confié une mission sur la qualité architecturale dans le logement social à Roland CASTRO dont nous avons encore pu apprécier cet après-midi encore le regard qu'il porte sur la ville, regard large et profond qui englobe les plus défavorisés, ce n'est pas la moindre de ses qualités. J'attends avec impatience ses réflexions et préconisations qu'il me remettra la semaine prochaine.
Dans le même registre, ce n'est pas parce qu'on est sans le sou et sans toit, que le centre d'hébergement qui vous abrite doit être fatalement spartiate et esthétiquement affligeant. Je suis même convaincue du contraire ! La beauté participe de la qualité des relations sociales et à ce titre, elle est d'autant plus nécessaire que la promiscuité est forte. Humaniser les centres d'hébergement, comme je m'y suis engagée fortement, entre pour moi dans cette même dynamique.
Vous voyez que c'est dans l'ensemble des champs de ma responsabilité que je compte diffuser cette culture et engager de nouvelles pratiques. La beauté doit devenir une question récurrente dans nos actions pour le logement, la ville et la lutte contre l'exclusion.
Techniquement, je ne peux croire que nous ne soyons pas capables de faire du beau à moindre coût ; la seule question ? C'est de le vouloir !
Dans son superbe discours sur Brasilia, en 1959, André MALRAUX proclamait que l'homme devait enfin se donner « des formes dignes de lui ». Cette formule résume parfaitement ma pensée.
Mettre de la beauté dans la ville, c'est repenser la ville à la mesure de l'homme. C'est ce que nous devons faire, et toujours pour paraphraser Malraux, nous devons le faire avec « Audace, énergie, confiance ». Je sais pouvoir compter sur vous tous ici présents pour accomplir cette oeuvre.
Je vous remercie,
Source http://www.logement.gouv.fr, le 2 juillet 2008