Texte intégral
Q - Monsieur Kouchner, après le "non" irlandais l'Union européenne est à nouveau en crise. Comment la France veut-elle procéder pour résoudre le problème pendant sa Présidence ? Les Irlandais devront-ils voter une nouvelle fois comme en 2000?
R - Nous n'en sommes pas là. Aujourd'hui est le temps de l'analyse, de l'écoute, du dialogue et de la compréhension. C'est ce dont ont convenu les chefs d'Etats ou de gouvernement. Nicolas Sarkozy ira à Dublin rencontrer nos interlocuteurs irlandais, mieux comprendre ce vote et aider les autorités irlandaises. A Bruxelles, le Conseil européen est convenu que cette réponse se ferait à 27. Nous nous donnons donc rendez-vous en octobre.
Q - Pendant sa Présidence la France veut avancer sur les dossiers - immigration, environnement/énergie, défense, agriculture. Est-ce que maintenant elles sont menacées de paralysie ?
R - Ce "non" redouble notre détermination à avancer dans les quatre priorités que vous avez citées car ce sont toutes des sujets sur lesquels les citoyens européens attendent des résultats. Même lorsque nous avons travaillé sur ces priorités, nous ne sommes pas partis du principe que nous allions pouvoir d'ores et déjà utiliser les possibilités offertes par le nouveau Traité. Il devait entrer en vigueur au 1er janvier 2009. Nous devons sortir de ces débats institutionnels qui intéressent peu les habitants de nos pays et qui donnent de l'Europe une image froide et désincarnée.
Q - Quelle image l'Europe doit-elle donner ?
R - Nous devons trouver des réponses aux questions de migrations, accueil des immigrants légaux, organisation de l'asile, surveillance de nos frontières ; prendre des mesures concrètes pour améliorer la qualité de notre environnement ; trouver des moyens supplémentaires pour agir dans les crises qui frappent la planète. C'est ce que nous voulons faire pendant ces six mois.
Q - Comment expliquez-vous le malaise croissant des citoyens européens par rapport à l'Union européenne ?
R - Je crois que nous avons eu tort de nous focaliser ces dernières années sur les questions institutionnelles. Lorsque vous avez une automobile, son utilité est de la conduire pour qu'elle vous transporte d'un endroit à un autre, pas de passer son temps la tête dans le capot. Faire l'Europe est beaucoup moins une évidence que cela l'était à la sortie de la guerre. Les Européens ont oublié les déchirures du passé, ils sont en moyenne plus heureux, plus riches. Tant mieux. Par rapport à cette évolution, nous devons continuer de faire l'Europe bien entendu, mais d'une autre manière, plus pédagogique. Nous devons travailler à donner plus de preuves d'Europe, ou en tous cas à les rendre plus visibles et évidentes.
Q - L'Union pour la Méditerranée est maintenant sur les rails après beaucoup de rififi. Qu'en espérez-vous ?
R - Le projet d'Union pour la Méditerranée lancé par le président de la République sera en effet un moment fort de la Présidence française de l'Union européenne. C'est une initiative d'une grande ambition : rapprocher les peuples de la Méditerranée en renforçant la coopération euro-méditerranéenne autour de projets concrets. Le 13 juillet s'ouvrira le Sommet de Paris pour la Méditerranée, rassemblant la plupart des chefs d'Etat et de gouvernements d'Europe et de la Méditerranée.
Q - Que pensez-vous des propositions de la Commission européenne dans ce domaine, qui veut empêcher que la France ait la co-présidence de l'Union pour la Méditerranée ?
R - Les propositions de la Commission sont le fruit d'un travail commun. La Commission a repris l'essentiel des propositions faites par la France : une impulsion politique renouvelée au plus haut niveau à travers des sommets réguliers au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement.
Pour ce qui est plus précisément de la co-présidence européenne de l'Union pour la Méditerranée, la Commission n'écarte a priori aucune possibilité. Il y a tout de même de la résistance face à ce projet, le gouvernement allemand lui-même ne paraît pas enthousiaste...
En tout cas, je veux souligner que depuis l'accord de Hanovre le 3 mars entre la chancelière Merkel et le président Sarkozy, nos deux pays sont exactement sur les mêmes positions concernant l'Union pour la Méditerranée; l'Allemagne est un partenaire très actif aux côtés de la France dans ce projet désormais européen et euro-méditerranéen, et dont nos deux pays ressentent l'importance pour toute l'Europe.
Q - Une autre priorité française concerne les questions climatiques et énergétiques. La France va-t-elle proposer de donner un rôle plus important au nucléaire en Europe pour lutter contre le réchauffement ?
R - Chaque pays est libre de son bouquet énergétique. Pour autant, c'est un fait indéniable, l'électricité produite à partir de l'énergie nucléaire permet de diminuer la dépendance énergétique extérieure tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre.
Quand l'électricité est produite à partir du nucléaire, elle permet de réduire la dépendance au gaz et d'atténuer les tensions sur le marché des hydrocarbures.
La France plaide en faveur de toutes les énergies sobres en carbone - nucléaire, renouvelables, captage-stockage du carbone -, sans ostracisme ni tabou.
Bien évidemment, le nucléaire ne peut être développé qu'avec la prise en compte des garanties de sûreté, de sécurité et de non-prolifération.
Q - Après le drame en Birmanie, vous avez lancé l'idée d'élargir "la responsabilité de protéger" aux catastrophes naturelles et ce même contre l'avis des gouvernements touchés. Souhaitez-vous discuter cette idée pendant la Présidence française ?
R - Face aux risques d'une catastrophe humanitaire majeure, je n'ai pas hésité à invoquer la responsabilité de protéger. C'est le débat que j'ai voulu lancer au Conseil de sécurité. Bien sûr, il y a eu des interrogations et certaines oppositions ; fallait-il pour autant rester silencieux ? La junte a longtemps refusé de laisser entrer dans le pays des secours étrangers. Auriez-vous été jusqu'à passer outre ?
L'inaction serait coupable. Je peux comprendre les craintes de ceux qui pensaient que l'invocation de la responsabilité de protéger puisse conduire la junte à se fermer davantage aux demandes de la communauté internationale. Ce n'est pas ce qui s'est passé : la France a pu dans le même temps parler haut et fort de la responsabilité de protéger et envoyer de l'aide humanitaire par avion ; la cargaison du bateau français, qui avait été refusée initialement, a fini par atteindre les populations. Par ailleurs, au Conseil de sécurité, d'autres Etats se montrent progressivement prêts à partager notre approche sur cette question.
Ce drame nous rappelle que pour faire progresser la responsabilité de protéger, nous devons élargir le cercle de ceux qui appuient et défendent sa mise en oeuvre. L'Union européenne peut y contribuer.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 juillet 2008