Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, à La Chaîne Info le 1er juillet 2008, sur les projets fédérateurs pour l'Europe et le règlement des problèmes institutionnels, le mode d'élection des sénateurs et une éventuelle refonte de la carte géographique de la France.

Prononcé le 1er juillet 2008

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- Le Président polonais refuse de ratifier le Traité de Lisbonne après le non irlandais. Est-ce le coup de grâce pour ce texte ?
 
Je ne le pense pas, mais de toute façon, je pense qu'il faut inventer une nouvelle voie pour un nouvel élan européen. Je crois que, de toute façon, sur le Traité de Lisbonne, il faut avancer avec le maximum de ratifications, et le moment venu, discuter avec les pays récalcitrants. Mais ce que nous disent les peuples, c'est qu'ils ne veulent pas de cette Europe lointaine, ils ne veulent pas, non pas du projet européen, mais de l'actuelle gouvernance européenne.
 
Une nouvelle voie européenne, c'est-à-dire que vous prônez l'abandon d'un chantier institutionnel, de la recherche d'une mécanique, pour aller au plus près du concret ?
 
Je pense qu'il faut passer de l'Europe d'un projet, la Constitution, le projet commun, l'Europe qui se fixait comme objectif une gouvernance et qui a un peu confondu la gouvernance et le projet, donc, non pas l'Europe d'un projet mais l'Europe des projets, des sujets très concrets. Comment on a bâti l'Europe ? Qu'est-ce qui a marché en Europe ? La Politique agricole, le charbon, l'atome. Donc, aujourd'hui, l'Union pour la Méditerranée, projet fédérateur, l'Union pour l'énergie. Remontons, comme ça a été le cas pour la PAC, une politique commune de l'énergie, qui rassemblera, qui fédérera, des objectifs un peu moins ambitieux mais plus proches du citoyen et plus concrets.
 
Une politique commune à 27 ou bien vous prônez le passage à des coopérations renforcées : ce qu'on peut faire à 27 on le fait à 27, mais on fera surtout thème par thème, à six, à huit, à dix ?
 
Il faut tenter les 27 mais pouvoir se replier à six, à huit ou à dix. Il faut pouvoir se replier, comme on l'a fait pour la zone euro. Mais il faut avoir une logique de politique commune. Il n'y a pas en Europe que la politique commune de la concurrence. Il doit y avoir d'autres politiques. Celle, je crois très importante, de la paix qui sera notamment portée par l'Union pour la Méditerranée. L'Union pour la Méditerranée, c'est un grand projet fédérateur, c'est bon pour l'Europe parce que l'adresse mondiale des citoyens européens, c'est le monde euro méditerranéen, et c'est bon pour la paix, dans la rive sud, car on va mettre autour de la table des gens qui actuellement ne se parlent pas parce qu'ils ont des frontières brûlantes, des frontières enflammées. Donc, un projet de paix et de développement, l'Union pour la Méditerranée. Un projet concret pour lutter contre l'augmentation de l'essence, pour nous protéger en matière d'approvisionnement d'énergie, et notamment d'énergie fossile, une politique d'union pour l'énergie. Voilà des approches nouvelles que N. Sarkozy va, je pense, mettre en oeuvre, parce qu'il souhaite le retour de la politique en Europe.
 
Alors, il l'a dit hier, il veut se battre par exemple pour la TVA, la TVA sur la restauration. Comment peut-on espérer y arriver alors que les pays récalcitrants n'ont pas chanté d'avis, notamment les Allemands ? Que vous-même, Premier ministre, vous aviez échoué ? Et ça fait plus de six, sept ans qu'on nous parle de cette TVA qui ne vient pas ?
 
Les idées avancent. On avait fait quelques avancées, un certain nombre de pays avaient été convaincus. Je pense qu'aujourd'hui quand même, les Européens doivent se rendre compte qu'il faut qu'ils parlent à leurs citoyens. Car c'est bien beau de parler des pouvoirs du Parlement, de la Commission, et du Conseil, mais on parle de choses très lointaines, et on ne parle pas du prix de l'essence et de la TVA sur la restauration. Il faut parler du concret. L'Europe, dans un monde dangereux doit protéger ses citoyens. Il faut donc que l'Europe, avec la capacité politique qu'a N. Sarkozy, s'attelle aux vrais sujets qui concernent les citoyens européens.
 
Protéger par exemple contre l'immigration clandestine. Comment rapprocher l'Espagne - vous étiez hier en Espagne, qui a pratiqué des régularisations massives - et la France ?
 
Je crois qu'il est très clair que, il nous faut réguler les flux migratoires. Il est clair qu'il faut lutter contre l'immigration clandestine. Pourquoi ? Pour pouvoir réussir l'intégration des immigrés. Si on veut que les immigrés puissent s'intégrer dans nos sociétés européennes, on ne peut pas accueillir toute la misère au monde. Il faut réguler ces flux migratoires, lutter contre l'immigration clandestine, et pouvoir faciliter l'intégration des immigrés. C'est le projet qui est en discussion, à l'initiative de B. Hortefeux. Les Espagnols veulent l'amender, discutons, mais il faut aboutir pour réguler l'immigration en Europe.
 
Réguler ça peut vouloir dire "régulariser" ceux qui sont clandestins, et qui sont là...
 
Pas de manière massive comme l'a fait l'Espagne. De manière adaptée à la capacité d'intégration du pays.
 
La Banque centrale européenne se bat contre l'inflation et non pas pour la croissance, ce n'est pas son objectif. Elle envisage jeudi de relever ses taux d'intérêt. Faut-il l'en dissuader ?
 
Je pense qu'il faut simplement sensibiliser la Banque centrale européenne à l'opinion publique européenne. L'opinion publique européenne fait de l'emploi et de la croissance une priorité. Je pense que ce qui nuit à l'Europe aujourd'hui, c'est que les citoyens ont le sentiment que les décisions ne sont pas prises en fonction de leurs attentes, qu'ils ne sont pas écoutés en Europe. C'est pour cela qu'il faut le retour de la politique en Europe.
 
Comment sensibilise-t-on Monsieur Trichet ? Il n'a pas l'air très sensible.
 
Les ministres s'en sont occupés hier, plusieurs déclarations ont alerté la Banque centrale, y compris des déclarations venant d'Allemagne. C'est nouveau et c'est important.
 
V. Giscard d'Estaing souhaite que cette Présidence française soit modeste. Vous, comment la qualifieriez-vous ?
 
Je dirais qu'il faut qu'elle soit imaginative, parce qu'il faut sortir de la difficulté qui est une impasse aujourd'hui. Et donc, il faut, comme l'est N. Sarkozy, être créatif. Il est important de trouver les voies de sortie. Et pour moi, la voie de sortie, c'est de reprendre les mécaniques qui ont marché, du type de CECA, d'Euratom, etc., et de bâtir pour l'énergie ou pour l'Union pour la Méditerranée des dynamiques de rassemblement thématiques, qui font que les pays, 27 ou quelquefois moins, se rassemblent sur un projet et mobilisent les énergies.
 
N. Sarkozy a-t-il raison de dire : "tant qu'on n'a pas réglé nos problèmes, notamment les problèmes institutionnels, pas d'élargissement". C'est un chantage ?
 
Je pense qu'il a raison parce que, il est clair qu'on est allés trop vite dans les élargissements. Et les Français l'avaient dit dès le début. À force d'avoir choisi l'élargissement sur l'approfondissement, aujourd'hui l'élargissement met en cause l'approfondissement. Et donc, il est évident qu'il faut stopper les élargissements pour qu'on puisse sortir de la crise, et d'ailleurs, qu'on puisse dire aux parties nouvelles, à tous ces pays qui vont rejoindre comme nouveaux adhérents ce grand contrat qu'est le contrat de l'Europe, il faut que ces pays-là puissent savoir quel est le chemin que l'on leur propose.
 
N. Sarkozy l'a confié hier, il dira la semaine prochaine au Japon, lors du G8, s'il ira ou non en Chine, à Pékin pour les Jeux Olympiques. Que lui recommandez-vous, que souhaitez-vous ?
 
Je souhaite qu'il y aille, j'ai déjà réservé mon billet d'avion pour l'accompagner. Donc, je souhaite vraiment qu'il puisse être présent aux Jeux Olympiques. Pourquoi ? Parce que les Jeux Olympiques à Pékin c'était à la fois, du côté de Pékin comme du côté de l'Occident, le souhait d'accompagner la politique d'ouverture de la Chine. Je crois qu'on n'a pas intérêt à ce que la politique soit celle d'un ultranationalisme en Chine ; une Chine qui s'enfermerait sur ses frontières. Les dirigeants chinois ont choisi une politique d'ouverture, avec les Jeux, avec l'Exposition universelle de Shanghai en 2010. Il ne faut pas une réponse de fermeture à une politique d'ouverture. Il faut accompagner l'ouverture de la Chine, avec nos valeurs, avec nos convictions, avec notre libre parole, il faut être présent. On n'a rien à gagner à l'isolement de la Chine.
 
Alors, fermeture et ouverture : en première lecture, le Sénat a considérablement amendé la réforme des institutions. Sur l'adhésion par exemple d'un nouveau pays à l'Union européenne, un référendum était obligatoire, le Sénat n'en a pas voulu. Un référendum d'initiative populaire, mais spécifique pour une nouvelle adhésion, est-elle une solution qui vous conviendrait ?
 
C'est une solution qu'il faut travailler, c'est une perspective de solution. Je pense qu'en effet, ce que le Sénat a demandé, c'est qu'il n'y ait pas un pays désigné dans notre Constitution...
 
La Turquie ?
 
La France ne va pas dans sa Constitution désigner un adversaire. Et donc, pour les processus d'adhésion, quel que soit le pays, le processus sera le même. Que l'on passe par un référendum - c'était la proposition Chirac - ou que l'on donne au Président la possibilité de choisir le référendum ou la voie parlementaire, c'était la solution du Sénat. Si on a une solution avec le référendum d'initiative populaire, je n'y vois pas d'inconvénient, il faut travailler cela avec l'ensemble des sénateurs et des députés. Mais je pense qu'il y a là une perspective qui peut nous mobiliser les uns et les autres. Il faut que ce texte soit voté.
 
Êtes-vous prêt à amorcer une réflexion sur le mode d'élection des sénateurs - on sait que c'est une revendication des socialistes pour au moins laisser passer ce texte - ouvrir la réflexion simplement, pour dire : il faut bouger ?
 
Je pense qu'avec les socialistes et à l'intérieur du Sénat, on peut avoir les discussions nécessaires. Je pense que cette discussion n'est pas dans le cadre de la Constitution. Il faut trouver les équilibres politiques des trois cinquièmes nécessaires pour le Congrès à l'intérieur du texte et pas avec des promesses sur un autre texte. Mais je crois vraiment qu'il est nécessaire que cette loi passe. Je serai militant jusqu'au bout pour les trois cinquièmes parce que c'est le nouveau Parlement du XXIème siècle qu'on va inventer. On va avoir des pouvoirs considérables. Et je ne comprends pas ceux qui disent que N. Sarkozy est un hyper-président, omniprésent, omnipotent, et qui ne veulent pas, ces gens-là, voter pour un Parlement plus actif, plus responsable, et qui équilibre nos institutions ! C'est un vote de responsabilité. Le Parlement du XXIème siècle se décidera le 21 juillet au Congrès de Versailles. Et là, chacun sera devant ses responsabilités.
 
N. Sarkozy semble devenir favorable à la suppression du département, du moins à une refonte de notre carte géographique. Êtes-vous inquiet ?
 
Non, pas du tout. Je pense qu'il est clair qu'on a tous fait le constat qui est le même : il y a trop de structures et une certaine dispersion. Il y a donc deux solutions : une première solution, c'est le département qui rejoint la région dans une collectivité rassemblée, une collectivité unique avec deux collèges, la proximité, collège départemental, la région, collège économique ; une collectivité, deux collèges. Donc, un rapprochement départements-régions, première hypothèse. Deuxième hypothèse, on garde le département, mais à ce moment-là, on agrandit les régions, on divise par deux le nombre des régions, c'est-à-dire, qu'on multiplie par deux la taille des régions, et là, on a des régions européennes, et là, on a un schéma d'aménagement qui est adapté. Donc, simplification. Il y a deux options, nous voulons y travailler.
 
Vous vous battez pour que dans la loi de modernisation économique, sur les grandes surfaces, on garde un pouvoir de contrôle des maires, notamment sur les surfaces de moins de 300 mètres carrés. Pourquoi ? Vous voulez protéger le petit commerce et ses prix élevés ?
 
Non, ce n'est pas des prix élevés, parce que la proximité c'est un prix très important pour la cohésion sociale et pour le lien social. Tout le monde n'habite pas dans les très grandes villes, tout le monde n'est pas parisien dans ce monde. Je suis un peu révolté de voir que l'analyse économique est toujours centrée sur quelques arrondissements de Paris ! Nos petites villes aujourd'hui dans toute la France ont besoin d'un commerce de proximité, parce que le prix de l'essence c'est cher. Quand il faut aller dans la grande ville, dans les grandes surfaces, parce qu'il y aussi des économies à faire, en faisant en sorte qu'on puisse acheter près de chez soi. Donc, j'ai trouvé que cette loi LME était un peu trop favorable aux grandes surfaces. Donc, il y a plusieurs amendements que je soutiens au Sénat. Il y en a un que je demande, c'est de faire en sorte que l'ancienne loi puisse s'appliquer à la demande des maires dans les territoires de moins de 20.000 habitants. À moins de 20.000 habitants, on peut aujourd'hui faire appel, c'est le maire qui saisit la commission d'urbanisme commercial. Et là, je pense qu'on a une solution. On ne peut avoir une vision pour les grandes villes. Là, je suis d'accord pour les surfaces plus grandes. En revanche, pour nos territoires, équilibrer entre le rural et l'urbain, là, cette loi s'applique jusqu'à 20.000 habitants.
 
Pour finir, en un mot, si un texte légalisant les mères porteuses arrive au Sénat, le votez-vous, ou votez-vous contre ?
 
Je serai réservé.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 1er juillet 2008