Déclaration de Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et aux droits de l'homme, sur le rôle de la Cour pénale internationale au service de la défense des droits de l'homme, à La Haye le 3 juillet 2008.

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Circonstance : 10eme anniversaire de la Cour pénale internationale, le 3 juillet 2008

Texte intégral

Altesse,
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président,
Monsieur le Procureur,
Mesdames et Messieurs les Juges,
Excellences, Mesdames et Messieurs,
Je voudrais aujourd'hui vous dire quelques choses simples, mais que je ressens profondément.
Ces convictions fondent mon engagement au service de la défense et de la protection des Droits de l'Homme ; j'essaie de les porter, de les faire vivre dans la tâche ministérielle que le président Sarkozy et le Premier ministre m'ont confiée et que la France va avoir l'honneur et l'ambition d'incarner pour les six prochains mois de la Présidence de l'Union européenne.
La première de ces convictions c'est qu'il existe des valeurs universelles et qu'il faut toujours rester à l'avant garde de la défense de ces principes qui sont au coeur de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, dont nous allons célébrer le 60ème anniversaire en décembre à Paris.
La liberté de l'Homme est un combat ; le combat pour sa dignité est une lutte de tous les jours, qui doit être menée avec lucidité et opiniâtreté.
Il faut sans cesse réaffirmer notre commune humanité, lutter pour la défense et la protection de ces droits universels et indivisibles. Si la liberté ne s'aliène pas, il faut pourtant la protéger.
La protéger des atteintes de toutes les formes organisées de l'oppression ; la protéger de cette violence parfois de l'homme contre l'homme.
La deuxième conviction, c'est que les rapports entre les Etats affrontés dans la rivalité de leurs intérêts et dressés les uns contre les autres dans l'affirmation de leurs prérogatives souveraines ont souvent conduit au malheur des peuples et des personnes.
Le système des Nations unies s'est construit au lendemain de la pire barbarie, de l'ensauvagement le plus terrible. Le XXIe siècle fut celui du totalitarisme, des crimes contre l'humanité, des génocides.
Depuis soixante ans les Droits de l'Homme s'incarnent dans le droit international ; c'est ce progrès du droit positif que je voudrais saluer aujourd'hui ; conventions après conventions, statuts après statuts, protocoles après protocoles la communauté internationale érige un rempart de droit et de règles au service de la protection des droits de chacun.
Cette juridicisation de la vie internationale est un acquis irréversible ; il ne faut pas la craindre tout en évaluant lucidement parfois les obstacles, les tensions qui existent entre morale et pouvoir, justice et paix, éthique et réalité des rapports de force internationaux.
La troisième conviction c'est que l'impunité est battue en brèche. La lutte contre l'impunité est l'une de mes priorités.
Longtemps, l'Histoire a réglé sa marche implacable sur l'oubli des victimes. Longtemps, l'auteur d'un crime de masse perpétré sous le couvert de ses immunités de pouvoir et la raison d'Etat, vivait à l'abri de toutes sanctions. Longtemps, les crimes commis par des dirigeants au pouvoir contre leurs propres populations n'encouraient pas la sanction. Longtemps, cet ordre westphalien où la souveraineté des Etats oppose un mur infranchissable à la justice et à ses réparations a paru triompher contre l'inviolabilité sacrée de la personne humaine.
Aujourd'hui, la justice pénale internationale est un glaive suspendu sur la tête des auteurs de crimes contre l'humanité.
Aujourd'hui, nous célébrons donc ensemble cette avancée du droit en commémorant le 10ème anniversaire de l'adoption du Statut de Rome qui a institué la Cour pénale internationale.
Les lois et les traités ne valent que s'ils sont appliqués. Sinon ils restent, dans une belle expression française, lettre morte.
Aujourd'hui, je viens devant vous réaffirmer solennellement l'engagement politique et diplomatique de la France à soutenir résolument la justice pénale internationale. Je le dis devant vous, Monsieur le Président Kirsch, je vous le dis, Monsieur le Procureur Moreno-Ocampo. Nous saluons aujourd'hui votre action déterminée au service de la Cour pénale internationale.
Je voudrais d'abord vous dire que cette Cour, ce n'est pas simplement une juridiction pénale internationale ; c'est aussi une lueur d'espoir.
Il y a quelques semaines, je me suis rendue à Bukavu, à l'est de la République démocratique du Congo. J'ai marqué encore en moi le témoignage du médecin directeur de l'hôpital de Panzi. Dans le centre que dirige le docteur Mukwege plus de trois mille femmes sont soignées pour les violences sexuelles qui leur ont été infligées. Trois mille femmes soignées alors qu'en six mois seulement en 2007 près de 30.000 ont été violées dans l'est du Congo !
Je me suis entretenue avec plusieurs de ces femmes. Elles m'ont dit leurs souffrances. Je leur ai parlé de la Cour pénale internationale. Dérisoire me direz-vous lorsque l'on rapporte ces mots à l'immensité de leur martyre et de leur détresse !
Mais pourtant, en leur apprenant que la Cour existait, qu'elle enquêtait, qu'elle agissait, qu'un jour leurs bourreaux comparaîtraient devant des juges et seraient châtiés pour leurs crimes, nous leur faisions savoir que la règle du jeu avait changé !
Nous leur faisions savoir que les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité ne relevaient pas de la fatalité mais que, comme tous les actes criminels, ils engageaient la responsabilité de ceux qui les commettaient et qu'ils devaient être sanctionnés.
Voilà la nouveauté de la Cour pénale internationale ! Il ne s'agit pas seulement de juger les criminels vaincus et emprisonnés comme à Nuremberg et Tokyo ; ou, pour l'essentiel, comme les tribunaux ad-hoc pour l'ex-Yougoslavie ou le Rwanda, ou bien encore les juridictions mixtes pour la Sierra Leone ou les Khmers rouges. La justice pénale internationale intervient maintenant dans le moment où sont commis ces crimes.
Nous faisons savoir aussi à ces femmes qu'en entendant leur souffrance, sans pouvoir malheureusement réparer l'étendue de leur martyre, l'action de la Cour contribue à la restauration de leur dignité. C'est ce statut central que la Cour réserve aux victimes dans la procédure, et pour laquelle la France a tant oeuvré, qui constitue aussi une avancée majeure. Elles ne sont plus, ces femmes, reléguées au rang de témoins impuissants retranchés dans leur souffrance, mais elles sont les acteurs, les actrices à part entière des procès qui les concernent.
Je souhaite à cet égard rappeler l'institution du Fonds d'affectation spéciale au profit des victimes dont Mme Simone Veil préside le Conseil de direction. Je voudrais saluer son engagement personnel et actif. Ce fonds dépend de la contribution volontaire des Etats. Il est essentiel que tous les Etats parties se mobilisent pour le développement de ce fonds qui joue un rôle crucial.
J'entends parfois dire que la Cour souffre d'un manque de soutien ou que son action n'est pas autant soutenue qu'elle devrait l'être.
Je voudrais dire que le soutien de la France et de l'Union européenne est sans faille. Que la Cour se rassure : elle forme un rouage essentiel d'un système international complexe ; il faut sans doute prendre en compte le temps de l'action diplomatique et celui de la justice sans s'irriter que le temps du diplomate ne soit pas celui du procureur. Ce qui importe, c'est que justice soit faite. La justice pénale internationale, comme toute justice hélas, a son tempo qui crée des impatiences et des frustrations qui sont à la mesure des crimes qui sont jugés ; mais il faut reconnaître que le temps ralenti de la justice l'est aussi souvent par nécessité et par respect des droits de toutes les parties.
Faut-il pour autant s'inquiéter ? La Cour est-elle remise en cause ou son statut contesté ? Les Etats coopèrent t-ils suffisamment avec elle ?
Plusieurs choses méritent d'être relevées et dites :
D'abord la Cour est un tribunal extraordinairement jeune ! Vouloir dresser son bilan est prématuré ! Il convient bien plutôt d'admirer la rapidité avec laquelle cette institution judiciaire entièrement nouvelle, qui bouleverse les conceptions les plus anciennes dans l'ordre international, s'est mise en place ! La convention portant Statut de la CPI a été signée à Rome le 17 juillet 1998 ; elle est entrée en vigueur le 1er juillet 2002 ! En 2008, la Cour compte 106 Etats parties !
Ensuite, la Cour est en place, elle fonctionne, elle a adapté ses procédures, elle enquête sur quatre situations, dans ses cellules quatre détenus attendent de comparaître devant leurs juges. La Cour doit maintenant conduire les procès à leur terme.
L'arrestation de hauts dirigeants n'a pas eu les conséquences que certains redoutaient, en opposant fallacieusement paix et justice. Il faut continuer de soutenir bien au contraire qu'il n'y aura pas de paix sans justice. Il faut saluer à cet égard la remise très prochaine à la Cour de Jean-Pierre Bemba.
Tout est-il parfait ? Bien sûr que non !
Nous devons d'abord continuer à viser à l'universalisation de la Cour et convaincre par exemple les Etats-Unis, la Russie, la Chine et l'Inde de ratifier le Statut. La France et l'Union européenne poursuivront leur travail de conviction en faveur de cette universalisation.
Ensuite, si la Cour pénale internationale est indépendante, elle ne se suffit pas à elle-même. C'est une juridiction sans police, sans gendarmerie dont les décisions n'ont de force exécutoire que pour autant que les Etats concourent à leur mise en oeuvre. La coopération des Etats est une condition essentielle du succès de la Cour. Elle suppose la mobilisation et la coopération des systèmes judiciaires nationaux. Bref, elle suppose une volonté politique. En outre, dans un contexte où seul le Conseil de sécurité est investi par la Charte des Nations unies d'un pouvoir de contrainte à l'encontre de tous les Etats, la Cour et le Conseil de sécurité doivent continuer à marcher dans la même direction.
L'expérience de la Cour avec le Soudan et la situation au Darfour illustrent cette nécessité. Vous le savez, la France a été à l'initiative de la résolution 1593 par laquelle le Conseil de sécurité a déféré au procureur de la Cour pénale internationale la situation au Darfour depuis le 1er juillet 2002. Les mandats d'arrêt doivent être exécutés. Ni la France, ni l'Union européenne ne transigeront. Il ne faut s'attendre à aucune complaisance. Lorsque les Droits de l'Homme sont massivement bafoués, et ils le sont au Darfour, les auteurs et les responsables de ces crimes doivent répondre de leurs actes. Il est impératif que les autorités du Soudan coopèrent sans condition avec la Cour et lui livrent les deux personnes contre lesquelles les juges ont délivré un mandat d'arrêt. La communauté internationale doit continuer d'exercer sur ce pays une pression très forte. Sans quoi les personnes qui au Soudan entravent délibérément l'action de la Cour s'exposeront aux mesures les plus contraignantes.
Il faut enfin que les Etats parties lèvent leurs réserves et adaptent leur droit interne au Statut. Aujourd'hui, je suis enfin en mesure d'annoncer que la France a retiré la réserve prévue à l'article 124 du Statut, selon laquelle elle n'accepterait la compétence de la Cour pour les crimes de guerre qu'une fois écoulé un délai de sept ans. Je suis également en mesure d'annoncer que le parlement français poursuit son travail d'adaptation de notre droit interne : un projet de loi en cours d'examen au Sénat doit venir compléter les dispositions actuellement applicables au génocide et aux crimes contre l'humanité. Nous espérons l'adoption définitive du projet de loi avant la fin de cette année.
Voilà les messages que je souhaitais adresser à votre assemblée au nom des autorités françaises mais également en ma qualité de représentante du pays qui assume, depuis trois jours maintenant, la Présidence de l'Union européenne.
Les peuples réclament la justice. Les Etats et les institutions judiciaires internationales doivent en être les garants.
Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 juillet 2008