Déclaration de Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, sur les violences contre les femmes, notamment les violences au sein du couple, les violences et le harcélement moral, Paris le 25 janvier 2001.

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Circonstance : Assises nationales contre les violences envers les femmes à Paris le 25 janvier 2001

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Être reconnue à égalité de dignité dans l'exercice du droit, dans l'image projetée et utilisée, dans les comportements de société, dans les rapports privés, c'est l'essence même du juste combat que mènent les femmes depuis si longtemps. Les Assises nationales contre les violences subies par les femmes, qui nous réunissent aujourd'hui, s'inscrivent dans le droit fil de cette conquête de dignité, de justice, d'égalité.
Je n'ai pas la prétention qu'elles bouleversent des rapports de force millénaires vous vous en doutez. Mais notre rencontre est un moment important.
Important d'abord pour mieux faire connaître la nature et l'ampleur des violences subies grâce à l'enquête scientifique menée par une équipe de chercheurs de l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne et que je remercie chaleureusement. C'est la première fois qu'une grande enquête nationale est réalisée en France sur ce douloureux sujet de société, enquête qui recevra le label de l'INSEE et qui se prolongera dans les Départements d'Outre-Mer. Plus de deux ans de travail nous seront restitués par Maryse JASPARD et Élisabeth BROWN.
Les premières conclusions de l'enquête ont alerté l'opinion publique qui, majoritairement, ne connaissait pas la gravité du sujet comme le connaissaient les associations et les services confrontés à ces douloureuses situations, acteurs de terrain auxquels je voudrais aussi rendre un hommage appuyé et sincère.
J'ai souhaité cette enquête pour avoir une parole publique plus forte, pour rendre plus visible un sujet de société encore tabou, tabou plus qu'on ne le pense. Dix ans après les premières assises, c'est un sujet qui dérange, un sujet qui préoccupe fortement nos 15 pays de l'Union européenne, unis dans une démarche commune : " violences, tolérance zéro " et qui ont adopté le ruban blanc de protestation venant du Québec tant il est vrai que les violences traversent les océans et les continents.
Cette enquête très ambitieuse effectuée auprès de 7 000 femmes ne pouvait toutefois concerner l'ensemble des violences et je pense plus particulièrement aux mutilations sexuelles ou à la prostitution.
Je pense que cette parole publique sur les violences au sein du couple, identifiant les viols, les violences sur les lieux publics, les violences sur les lieux de travail - harcèlement sexuel bien sûr mais aussi harcèlement moral qui vient d'être reconnu dans la loi de modernisation sociale - cette parole relevait de ma responsabilité de Secrétaire d'Etat aux Droits des femmes.
Cette prise de conscience, nous la devons beaucoup au combat de personnalités du secteur associatif ou du monde de la recherche qui n'ont eu de cesse de dénoncer la nature sexiste des violences. Leurs analyses scientifiques et leur approche sociologique ont contribué à lever le voile sur ce fait de société. Je pense notamment à Nicole-Claude MATHIEU et Marie-Victoire LOUIS.
Je tiens encore à saluer le travail remarquable réalisé par les associations. Je rends hommage à la qualité de leurs actions, à la pugnacité de leur engagement auprès des femmes en grande difficulté. Je m'efforce de consolider le soutien financier accordé aux associations nationales et locales. Il convient, en effet, de les aider à mettre en uvre des opérations plus nombreuses de prévention, d'accueil, d'accompagnement, de réinsertion. Le tissu associatif est, j'en suis convaincue, irremplaçable. Les permanences téléphoniques nationales destinées aux femmes victimes de violences, créées sous l'impulsion du Secrétariat d'Etat aux droits des femmes, en témoignent.
Le numéro vert " Viols-femmes-information ", géré par le collectif féministe contre le viol depuis 1986, la permanence de l'Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail depuis 1987 et celle de la Fédération Nationale Solidarité Femmes, " Violences conjugales - Femmes infos service " depuis 1992 montrent combien l'action de proximité est essentielle.
Il faut en premier lieu libérer la parole.
Aussi, j'ai voulu mettre en exergue, sur les cartons d'invitation de ces assises, la citation de Madame Patrizia ROMITO :
" Nommer implique de rendre visible l'invisible, de définir comme inacceptable ce qui paraissait acceptable et de montrer constamment que ce qui semblait naturel pose problème ".
De même, le visuel et le slogan " En cas de violence, brisez le silence " qui signent ces assises, résument parfaitement ma conviction qu'un tabou pèse encore sur ce sujet dramatique.
Il faut sortir de l'indicible et du déni, sortir de l'ombre les violences subies par les femmes et libérer la parole.
Selon l'expression de Nicole-Claude MATHIEU :
" La violence physique et la contrainte matérielle et mentale sont un coin enfoncé dans la conscience. Une blessure de l'esprit. "
J'assigne à ces assises un double objectif :
Faire largement connaître les données issues de l'enquête nationale sur les violences envers les femmes et cerner dans leur diversité les violences.
Donner une visibilité au travail partenarial qui s'inscrit dans l'approche globale que j'ai adoptée pour traiter ce dossier, et renforcer les partenariats en impliquant tous les acteurs : institutionnels, associatifs, experts, professionnels et élus.
De l'enquête ENVEFF, je ne mentionnerai ici que quelques éléments qui ont particulièrement retenu mon attention et confirment hélas l'ampleur d'un phénomène que nous soupçonnions déjà.
Les violences envers les femmes ne sont pas des accidents et, pour reprendre les mots de Madame ROMITO, " une fatalité de la vie, l'une de ces choses qui peuvent arriver " : toutes les femmes peuvent être confrontées un jour ou l'autre de leur vie par un acte de violence, un viol ou des agressions, uniquement parce qu'en tant que femmes elles sont particulièrement exposées aux processus de violences.
L'enquête révèle qu'une femme sur dix vivant en couple a été l'an dernier confrontée à des situations de violences répétées, souvent verbales et psychologiques, mais aussi parfois physiques, voire sexuelles, toutes destructrices, que cette femmes soit, dans des proportions très proches, cadre supérieure, femme au foyer, employée ou ouvrière.
Contrairement à ce que l'on aurait pu penser, les femmes sont davantage en danger chez elles que dans la rue ou sur leur lieu de travail.
Les données de l'enquête sont également préoccupantes en matière d'agressions sexuelles, en particulier sur le viol. En 1999, environ 48 000 femmes, âgées de 20 à 59 ans, auraient été victimes d'un viol.
Par l'effort de chacun, si nous partageons une volonté commune, par notre capacité à nouer des partenariats au niveau national comme au niveau local, nous permettrons à ces visages flous de femmes blessées, qui doutent terriblement d'elles-mêmes, de s'affermir et peu à peu de reprendre confiance.
Cette action de sensibilisation je l'ai moi-même entreprise au sein du Gouvernement dès 1999, en créant des partenariats.
Avec Élisabeth GUIGOU, alors Garde des Sceaux, nous avons chargé un groupe de travail interministériel de faire le point sur la législation et les pratiques des juridictions en France tant sur le plan civil que pénal. Nous avons également demandé une comparaison avec les législations des autres pays de l'Union européenne. Ce travail est en cours et a déjà donné lieu à un rapport d'étape sur le comportement des juridictions et à la publication d'un fascicule sur la loi.
J'ai cosigné avec Louis BESSON, Secrétaire d'Etat au logement, la circulaire du 8 mars 2000 sur l'accès au logement des femmes en grande difficulté. Les préfets doivent veiller à ce que les femmes victimes de violences et contraintes de quitter leur domicile soient considérées comme prioritaires dans l'accès au logement social.
Dominique GILLOT, Secrétaire d'Etat à la Santé et aux Handicapés, a confié à un comité d'experts en septembre dernier le soin d'évaluer les conséquences directes et à long terme des violences sur la santé des femmes. Les premières conclusions et propositions de ce groupe seront exposées cet après midi dans le cadre de la troisième table ronde par son président, Monsieur le Professeur HENRION. Je ne doute pas que les professionnels de santé seront sensibilités à ce problème humain de société.
Mais lutter contre les violences c'est aussi lutter en amont, mettre en place des politiques préventives, agir sur les schémas et les représentations culturels. C'est pourquoi j'ai souhaité signer une convention avec les Ministres de l'Education nationale et de l'agriculture le 25 février 2000.
C'est dans les cours de récréation de l'école maternelle qu'on doit apprendre aux petits la tolérance, le respect de la différence, le respect de l'autre.
Ces travaux en partenariat vont se poursuivre. Mais au-delà, d'autres initiatives sont d'ores et déjà lancées autour de quatre axes concernant un renforcement des réseaux, une grande campagne de communication, un volet d'actions de prévention et d'accompagnement avec un soutien renforcé aux associations, enfin la construction de partenariats de proximité pour répondre d'une façon globale aux besoins des personnes victimes de violences et favoriser leur retour à l'emploi.
Un quatre pages " L'égalité en marche " vous présente le détail des mesures. Vous trouverez ces feuillets dans la mallette transparente qui vous a été remise.
Je souhaite cependant souligner certaines mesures de ces quatre axes.
Concernant le réseau, je sais qu'une une vingtaine de commissions départementales de lutte contre les violences n'ont pas encore été créées ; d'autres ne se sont pas réunies depuis des années. J'ai saisi par circulaire les Préfets et je veillerai à ce qu'elles soient effectivement mises en place d'ici cet été. Je vous rappelle que cette initiative avait été prise par Michèle ANDRE en 1989 et que l'efficacité de ces structures est liée à leur composition, puisqu'elles regroupent les principaux services déconcentrés de l'Etat et les acteurs associatifs. Il nous faut partout en France un réseau de vigilance, d'information et d'action.
Une instance nationale de coordination et d'animation de ces commissions sera créée, où siègeront également des élus.
Les commissions départementales seront actrices de notre grande campagne de communication.
Vous avez en main une mallette qui contient toute une ligne de documents que nous avons créés pour notre campagne de communication et d'actions 2001-2002.
Je crois au pouvoir de la parole et des mots ; nous disons :
" En cas de violence, brisez le silence ".
De très nombreuses affiches et 450 000 cartes comportant les numéros téléphoniques d'urgence seront distribuées sur tout le territoire en France et dans les Départements d'Outre-Mer, en coopération avec le milieu associatif. Des brochures spécialisées ont été renouvelées pour tous les services qui doivent assumer l'accueil, l'écoute, l'information, que ce soient les travailleurs sociaux, les milieux hospitaliers, la justice, la police ou la gendarmerie.
Je compte aussi beaucoup pour soutenir cette campagne d'information sur le Service Droits des femmes, " mon " administration qui assume un travail remarquable que je souhaitais publiquement souligner.
A propos du troisième axe je souhaiterais insister sur le soutien renforcé aux associations. Chacun sait ici que le budget Droits des femmes est un petit budget d'Etat même s'il a été fortement augmenté ces trois dernières années. Néanmoins une priorité politique doit se traduire par un effort financier visible.
Je souhaiterais insister particulièrement sur les permanences téléphoniques qui font face à des appels de plus en plus nombreux de femmes en détresse. Par exemple, en 1998 la Fédération Nationale Solidarité Femmes recevait 600 appels par semaine. En fin d'année 2000 elle en assumait 1 500 !
Loin de moi l'idée de laisser croire que les violences s'accentuent depuis deux ans, mais la parole se libère. Les femmes prennent conscience qu'elles peuvent dire non aux violences. Nous devons donc à l'évidence conforter les moyens des associations assumant l'écoute téléphonique, tant au niveau national qu'au niveau local. C'est pourquoi leur budget en 2001 sera augmenté d'un tiers par rapport à leur budget 2000.
Enfin sur le quatrième axe je voudrais vous présenter une approche innovante qui fera l'objet d'expérimentations en croisant le budget Droits des femmes et celui de la Formation professionnelle.
J'ai visité des centres d'accueil qui permettent aux femmes victimes de violences non seulement d'avoir un toit, mais aussi une écoute et un accompagnement psychologique, une formation, une insertion professionnelle, un accès à un logement permanent.
C'est la globalité de ces actions qui permet à ces personnes de reconstruire leur identité et de retrouver leur autonomie. Je peux citer par exemple le Foyer Broceliande de Rennes.
J'ai donc proposé de créer des partenariats avec des collectivités locales qui veulent expérimenter, au-delà de l'accueil, des actions de formation et de retour à l'emploi et s'appuyant sur des parcours individualisés. Les trois premiers protocoles concerneront le Conseil général du Finistère, la Communauté d'agglomération de Sénart en Ile-de-France et la commune de Belfort.
Au-delà de ce plan d'actions, mon propos sur les violences subies par les femmes doit aborder également l'une des formes les plus intolérables d'atteinte à la dignité et à l'intégrité humaine, celle du trafic des êtres humains.
Déjà en juin dernier à New York lors du rendez-vous de Pékin +5, j'ai tenu à réaffirmer à la tribune des Nations Unies la position abolitionniste de la France. Nous ne pouvons que nous réjouir du résultat des négociations de Vienne relatives au protocole additionnel à la Convention sur la Criminalité Transnationale Organisée portant sur le trafic des personnes. La signature à Palerme, le 15 décembre dernier, de ces textes représente une victoire décisive contre la normalisation et l'exploitation des êtres humains. Restons désormais vigilants quant à son application.
J'ai tenu à constituer récemment un comité réunissant les représentants de tous les ministères concernés par la traite des êtres humains. Ce comité me permettra de définir les actions concertées afin de mieux protéger, accompagner, réinsérer les victimes de ce trafic odieux et organisé au niveau international.
Je tiens à rendre hommage à la Sénatrice Dinah DERICK, et à la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité qu'elle préside, qui ont fait un travail très approfondi sur ce sujet et dont le rapport d'activité sera rendu public le 8 février prochain.
Mesdames et Messieurs, le moment de conclure mon propos est arrivé. Pourrais-je me permettre de m'éloigner un instant de ce combat contre les violences subies par les femmes pour réaffirmer ma conviction que c'est une approche globale du sujet Droits des femmes et égalité qui nous permettra d'avancer.
J'ai eu la très grande chance de construire et de porter la loi sur la parité en politique, d'abord avec Élisabeth GUIGOU, alors Garde des Sceaux, puis avec le Ministre de l'Intérieur. Le partage du pouvoir c'est une conquête majeure de l'égalité, voulue par le Premier ministre, qui rénovera la vie publique et dont les ondes de choc, j'en suis certaine, n'ont pas fini de bouleverser toutes les autres sphères de la vie économique et sociale ; je citerai l'égalité professionnelle, celle du choix des métiers, celle des salaires, la place des femmes dans les lieux de décision ; un jour, l'image même de la femme en sera modifiée et nous ne subirons plus son exploitation grossière et commerciale, que ce soit au travers de certaines publicités, productions ou bien pire du trafic des êtres humains.
Mais il faudra du temps ! Nous devons donc continuer à dénoncer les comportements de société insupportables et agir. C'est le sens même de ces Assises.
(Source http://www.social.gouv.fr, le 26 avril 2001)