Déclaration de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, sur les positions du PCF concernant les DOM, notamment le projet de loi d'orientation sur l'outre-mer, au Sénat le 5 décembre 2000.

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Circonstance : Colloque sur les DOM au Sénat le 5 décembre 2000

Texte intégral

Chers amis et chers camarades,
C'est avec grand plaisir que je retrouve ici des visages connus: je n'ai rien oublié des rencontres et débats que j'ai eus dans plusieurs de vos pays, ou ici à Paris. Et je me réjouis de cette initiative d'aujourd'hui. Elle nous permet de prolonger ensemble la réflexion sur l'avenir de chacun de vos pays.
Mais avant de poursuivre mon propos vous comprendrez que je dise quelques mots à propos des récents événements de Guyane.
C'est avec une très grande fermeté que les communistes français ont condamné l'utilisation de la force à l'encontre de l'action pacifique de nombreux Guyanais rassemblés avec leurs élus et des représentants syndicaux et associatifs.
Le Parti communiste français souhaite que les différentes contributions guyanaises fassent l'objet d'un véritable débat public et d'une consultation populaire afin qu'il soit apporté, comme cela est légitime, des réponses justes et adaptées à l'identité propre de chaque peuple des départements d'Outre-mer.
Concernant l'avenir de chacun de vos pays, disais-je, le débat a été lancé voici bientôt deux ans, avec la décision gouvernementale de préparer une " loi d'orientation ".
De mon point de vue, il n'a pas été mené dans les meilleures conditions.
Je sais les interrogations, voire les réactions d'hostilité que ce projet de loi a suscitées chez certains d'entre vous. Je sais aussi les difficultés rencontrées, dans chacun des départements d'Outre-Mer, pour faire émerger des projets forts et cohérents, tant sur le plan économique et social que sur le plan institutionnel.
C'est que nous sommes, en effet, dans des situations de crise très préoccupantes, et qui perdurent. Ces situations, vous les connaissez, bien sûr, mieux que moi, mieux que nous. Je tiens à en dire quelques mots en débutant mon propos. Elles sont communes à vos quatre pays, et y revêtent une particulière gravité. Il est du devoir des responsables politiques, et de la communauté nationale de le reconnaître: ce sont des séquelles inacceptables du système colonial.
Vous le savez, il y a plus de 50 ans -c'était en 1946- nos aînés du Groupe communiste à l'Assemblée nationale déposaient, sur demande pressante des députés des Antilles et de la Réunion, une proposition de loi dite de " départementalisation ", qui visait à supprimer " l'indigénat " et à établir l'égalité de vos populations avec celles de l'Hexagone.
Cette proposition était certes généreuse. Mais elle comportait des risques, comme ceux de l'assimilation et d'une dépendance maintenue. En tout cas, il aura fallu un demi-siècle pour que vos luttes et nos interventions -et pas seulement les nôtres- aboutissent à l'égalisation du SMIC. En revanche, le RMI et plusieurs prestations familiales restent encore minorées. Et cela nous ne l'acceptons pas.
Nos parlementaires -Robert Bret au Sénat et Jacques Brunhes à l'Assemblée- ont mené avec ténacité et énergie bataille sur ces questions, et ils ont eu raison. Tout comme ils l'ont fait sur le mal-développement qui frappe cette " Outre France " -selon le mot de l'un d'entre vous- ainsi que sur les moyens nécessaires à l'exercice d'une vraie responsabilité. Des moyens qui vous font cruellement défaut pour décider, enfin, de ce qui est bon pour vous, et de ce qui ne l'est pas.
Dans sa toute dernière lecture à l'Assemblée la loi d'orientation a reçu -sous forme d'un amendement du Secrétaire d'Etat à l'Outre-Mer, Christian Paul- un ajout qui constitue, à nos yeux, une possible ouverture institutionnelle. Je comprends qu'on puisse ne pas s'en satisfaire, pourtant je veux attirer l'attention sur le fait que la droite ne s'y est pas trompée: dès le 16 novembre, elle déposait deux recours auprès du Conseil constitutionnel, sur l'instauration du congrès et sur la faculté laissée aux DOM de négocier des accords internationaux avec les Etats de leur région.
A vrai dire, et comme à chaque fois que des problèmes de fond sont à trancher -je pense bien sûr aux békés- c'est l'intervention populaire qui, en fin de compte, peut permettre d'emporter la meilleure décision.
D'où mon accord total avec cette formule, récemment utilisée par un de mes camarades antillais: " la balle est dans notre camp! ". De notre point de vue, en effet, le vote de cette loi d'orientation n'est pas un aboutissement, mais un commencement. C'est pourquoi nous souhaitons, par exemple, que l'excellent travail engagé par anticipation en Guyane, trouve rapidement les moyens de sa mise en oeuvre, qui n'a déjà que trop tardé. Je suivrai donc avec une particulière vigilance l'avancement de ce dossier pilote, à propos duquel je crois savoir qu'il est prévu, le 18 décembre, une première vraie réunion de mise en oeuvre. Et quand je dis " suivre ", ce n'est pas pour me placer en spectateur passif. Après notre travail au Parlement, nos initiatives publiques ont, je crois, rejoint les vôtres à chaque fois que nous avons été sollicités pour le faire.
Dans le même esprit nous avons aussi exprimé notre inquiétude, et présenté nos propositions lors du récent sommet de la gauche plurielle. Et vous avez pu le constater l'accord est loin d'être réalisé sur l'avenir des Départements d'Outre Mer.
C'est pourquoi, nous avons décidé de mettre en place un groupe de travail pour essayer d'avancer. Vous pouvez compter sur nous pour être attentifs à ce que tout ce que vous apportez aujourd'hui y soit entendu. Car à l'évidence, comme le disait Meriem Derkaoui après le vote de l'Assemblée, exprimant notre sentiment profond, " rien n'est réglé ".
Je souhaite à présent vous dire comment, pour leur part, les communistes envisagent de se positionner dans ce débat.
D'abord, nous demeurons fidèles à la dimension anticolonialiste qui a tant marqué, tant structuré, notre propre histoire -l'histoire du Parti communiste français- et nous réaffirmons le droit de chaque peuple à son autodétermination.
Pour avoir été -et pour être encore- parmi les plus ardents à combattre le racisme, et à défendre le droit à réparation de l'esclavagisme si longtemps pratiqué par la France, nous poursuivons le travail de mémoire que le 150ème anniversaire de l'abolition n'a pas clos. Non, notre pays n'est pas quitte de sa dette historique à votre égard.
C'est dire que des efforts urgents sont à entreprendre, pour redistribuer des terres cultivables; pour redynamiser des productions assurées de débouchés; pour assurer la pérennité des règles du marché communautaire; pour trouver, avec vous, des solutions adaptées aux problèmes de l'eau, de l'énergie, des transports ou du commerce régional.
Cela exige, à nos yeux, que les populations directement concernées soient parties prenantes de ces solutions. Que leur pleine responsabilité puisse s'exercer par des voies et moyens spécifiques. C'est ce que prévoyait le Traité d'Amsterdam, dont l'article 299/2 n'a pourtant pas trouvé le moindre début de mise en oeuvre. Mais on touche là au caractère encore éminemment libéral de l'actuelle construction européenne. Voilà un enjeu qui appelle aussi, avec la mobilisation populaire, une intervention politique forte. C'est pourquoi, pour notre part, nous serons à Nice où, à la veille du sommet européen qui doit clore la Présidence française, nous organisons un sommet de la gauche transformatrice européenne. Et nous serons également présents, demain, à la manifestation pour une Europe de progrès et de coopération.
N'avons-nous pas à affronter, les uns et les autres l'offensive généralisée du libéralisme le plus débridé? Et la présence de la gauche plurielle au gouvernement de la France ne fait pas disparaître par miracle cette offensive, nous le savons tous. N'avons-nous pas, face à cette offensive, à construire ensemble les mouvements de résistance, et pour des alternatives européennes?
Nous avons les uns et les autres, dans les Départements d'Outre-Mer comme sur le continent, à faire face ensemble à ce libéralisme qui est cause des difficultés dont nous souffrons. Avec les conséquences très spécifiques et aggravantes de cette logique ultralibérale dans vos pays.
Dans le même temps, partout dans le monde, tentent de se créer et de se développer des unions de pays et de peuples qui, isolés, n'ont aucune chance de résister à la domination américaine, et à sa volonté de l'imposer sur la planète.
Je suis absolument convaincu que nous avons intérêt, pour donner plus de force et d'efficacité à nos combats spécifiques, à resserrer nos liens et à nous retrouver dans des actions et des mouvements communs contre un adversaire qui n'est pas tant " la France " que les politiques libérales que je viens d'évoquer.
C'est en tout cas la fraternelle proposition que je vous fait aujourd'hui, dans la continuité des solidarités actives qui sont l'essence de nos relations.
En vous écoutant attentivement, nous allons engranger de précieuses contributions que nous allons ensuite faire fructifier, aussi bien mes camarades dans leur important travail parlementaire, que nous-mêmes en tant que parti. Et nous les porterons dans nos débats au sein de la gauche plurielle comme dans nos initiatives de luttes.
Vous savez aussi, puisque ce sont vos interlocuteurs permanents, que nous disposons avec Meriem Derkaoui, André Belleville et Jean Querbes, d'une équipe de militants et de responsables acquis à votre cause, connaissant bien vos problèmes et les réalités de vos pays. Je souhaite, sur un pied d'égalité et dans le respect mutuel des appréciations et positionnements qui peuvent parfois différer, que nous trouvions -ce qui devrait être facile- les voies et moyens d'un combat commun plus permanent en faveur d'évolutions profondes, y compris statutaires, dans le cadre de la République.
Mais cela, c'est évidemment à chacun de vos peuples, dûment consultés et associés, qu'il revient d'en décider.
Un dernier mot à ce sujet. J'ai lu avec émotion, il y a quelques jours -dans L'Etincelle
je crois- un article qui souligne, dans la crise actuelle, la " clochardisation ", la " perte de fierté et d'amour propre " du Guadeloupéen d'aujourd'hui. Je ne doute pas, malheureusement de cette réalité. Mais je ne voudrais pas que cela conduise au pessimisme voire à la résignation. Ni l'un ni l'autre ne seraient justifiés. Nous connaissons aussi ces conséquences dramatiques des politiques libérales. C'est par la lutte, toutes les luttes, sociales et politiques, que l'on permettra aux victimes de cette politique de retrouver fierté et dignité. Nous avons là, ensemble, une tâche urgente à accomplir et une responsabilité commune pour leur donner l'ampleur et la force nécessaires.
Je vous propose que nous nous y engagions, avec l'assurance de notre plus grande solidarité et en associant à l'indispensable lucidité " l'optimisme de notre volonté commune ", et qui est au coeur même de notre engagement communiste.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.pcf.fr, le 19 décembre 2000).