Texte intégral
Madame la Commissaire,
Mesdames et Messieurs les députés,
Messieurs les présidents,
Mesdames, Messieurs,
je suis ravie de vous accueillir aujourd'hui à Strasbourg pour discuter ensemble de l'avenir des médias de service public à l'ère du numérique.
L'ère du numérique est déjà une réalité. Une réalité quotidienne et ce dans toute l'Union européenne : en moyenne, près de 40% des foyers européens reçoivent aujourd'hui la télévision en mode numérique. L'équipement des foyers en connexion Internet, en augmentation constante, se situe entre 22% et 86% selon les pays. Le taux moyen de pénétration du haut débit, en pourcentage de la population, est passé de 16,3% en janvier 2007 à 20% en janvier 2008.
Surtout, alors même que, dans de nombreux pays européens, l'augmentation des prix de l'énergie et des matières premières restreint le pouvoir d'achat des ménages, l'essor de l'équipement en technologies numériques devrait se poursuivre. Si tel est le cas, c'est bien parce que l'information sous toutes ses formes est un besoin essentiel de nos concitoyens, que notre économie est de plus en plus fondée sur la circulation des idées et du savoir et que les avantages qu'apportent la connexion à Internet et la numérisation sont de plus en plus déterminants et prégnants dans la vie quotidienne.
Que signifie cette ère du numérique pour les médias de service public ? C'est la question qui nous réunit aujourd'hui, la question sur laquelle nous devons tous nous pencher afin de déterminer les facteurs de succès de l'adaptation à ce nouvel environnement.
Je pense que nous partageons tous ici un attachement réel au modèle européen du service public de l'audiovisuel. Ce modèle est culturel. L'existence de ce service public est une spécificité européenne. Il participe de l'identité de l'Europe, il conforte cette identité. Nous voulons tous voir ce modèle trouver le chemin de son développement dans l'ère du numérique.
Si le périmètre exact des missions de service public confiées à l'audiovisuel public peut faire débat - ce ne sont pas les représentants des télévisions commerciales présentes dans cette salle qui me contrediront - personne ne souhaite un service public de l'audiovisuel affaibli et marginalisé, personne ne veut d'un service public qui aurait raté le virage du numérique. Dès lors que la concurrence entre service public et service commerciaux de l'audiovisuel reste saine, dès lors que cette concurrence est encadrée par des règles adaptées et légitimes, tout le monde a intérêt à ce que le service public audiovisuel trouve son public et fasse vivre sa spécificité.
Le modèle européen de l'audiovisuel public est au service de la démocratie, du pluralisme des médias et de la diversité culturelle. Il se caractérise par ses exigences de programmation, par son accessibilité au plus grand nombre, par son indépendance et par sa coexistence avec un secteur commercial fort. C'est ce modèle qu'il s'agit de faire vivre dans le nouvel environnement numérique.
Comment maintenir, tout d'abord, l'accessibilité au grand public des médias de service public à l'ère du numérique ? Pour répondre à cette question, il faut prendre en compte deux facteurs : d'une part l'importance grandissante des services numériques et d'autre part la persistance d'une fracture numérique. Les modes de diffusion numériques doivent remplacer à terme les modes de diffusion analogiques. Les services non linéaires, notamment, prennent une importance croissante et commencent à entamer la part du temps de loisir consacrée à la télévision traditionnelle, et notamment chez les jeunes. Mais la fracture numérique exige de maintenir une palette complète de modes de diffusion, rendant les services audiovisuels accessibles y compris à ceux qui n'ont pas accès à la plupart des technologies numériques.
Nous pouvons d'ores et déjà distinguer deux écueils à éviter : le premier serait de ne pas développer les services numériques et de laisser le seul secteur commercial investir ces nouveaux supports. Ce serait à coup sûr le choix de la marginalisation et de l'archaïsme. Ce risque, me semble-t-il, été perçu et pris en compte. En effet, les médias de service public de l'Union européenne ont activement investi l'univers du numérique. Dans nombre de pays, ils ont joué un rôle clé dans le lancement et l'adoption de la télévision numérique terrestre. Ils ont ainsi lancé, depuis 2000, plus d'une quarantaine de nouvelles chaînes, dont la moitié sur la télévision numérique terrestre. On recense d'ores et déjà, au sein de l'Union européenne, au moins 21 offres publiques de télévision de rattrapage, 18 services de podcast et 7 plates-formes de vidéo à la demande publiques. Les services mobiles ne sont pas en reste : on dénombre quelque 15 offres publiques de télévision mobile dans l'Union.
Un autre écueil serait de développer ces services au détriment du public qui serait victime de la fracture numérique. Ce serait une double trahison de la mission du service public qui suppose l'universalité et qui vise à la cohésion sociale et au pluralisme de l'information au service de la démocratie. Tous les publics doivent continuer de bénéficier de l'ensemble de la programmation des chaînes. Il en va de la légitimité même du service public de l'audiovisuel.
Le modèle européen de l'audiovisuel public, c'est aussi une exigence de qualité de la programmation. Comment faire vivre cette exigence dans le nouvel environnement numérique ? Voilà également une vraie question qui doit nous mobiliser au cours de ce colloque. Tant qu'il s'agit de télévision numérique terrestre ou de télévision de rattrapage, cette exigence peut demeurer identique à celle qui a présidé à la télévision analogique. Dès lors qu'il s'agit de nouveaux services, comme la vidéo à la demande ou la télévision mobile par exemple, la question mérite que l'on s'y attarde. Ainsi, pour la vidéo à la demande, il faut bien évidemment constituer un catalogue qui soit divers et de qualité. Mais il faut aussi simplement trouver une façon de présenter les oeuvres disponibles sur les pages d'accueil qui rende compte de cette diversité, afin de donner envie au public d'explorer les marges du box-office, de découvrir des oeuvres peut-être moins connues, plus confidentielles. Le numérique doit être une vraie chance pour les créateurs de rencontrer un nouveau public. Pour la télévision mobile personnelle, il faut adapter les critères de qualité à de nouveaux formats, beaucoup plus courts et donc plus denses, qui n'auront pas la même structure narrative. C'est un vrai défi et un nouveau terrain qui s'ouvre pour la création.
Cela étant dit, une question essentielle se pose dans le nouvel environnement numérique : quelles pourraient être les règles de juste concurrence entre le secteur public de l'audiovisuel et les services commerciaux ?
Pour répondre à cette question il faut d'abord que les autorités nationales définissent les missions du service public. Il faut aussi réfléchir aux processus par lesquels les missions de service public sont confiées aux opérateurs publics au sein de l'Union européenne. Il faut enfin s'interroger sur les conditions de financement du service public de l'audiovisuel. Il est évident que la concurrence avec le secteur commercial ne se fera pas de la même manière selon que le service public est financé uniquement par la redevance, par d'autres ressources publiques ou par la publicité. La logique veut que les financements publics soient mobilisés pour offrir une programmation spécifique. Moins le service public est financé par la publicité, plus sa programmation sera spécifique. En effet, un service public par trop semblable aux services commerciaux pourrait courir le risque, à terme, de perdre sa légitimité à prétendre à un financement public.
En matière de financement des médias de service public à l'ère du numérique, il est un sujet sensible : il s'agit de l'émergence de services payants, qui pose naturellement problème s'agissant du service public de l'audiovisuel. Ne risquerait-t-on pas de conclure hâtivement si l'on devait considérer a priori que les services payants sont par principe incompatibles avec le service public ? Cherchons à mesurer pleinement les conséquences d'une telle éventualité. Certaines plates-formes numériques, comme la télévision mobile par exemple, ont des modèles économiques particuliers, variables d'ailleurs suivant les pays : il serait dommage de retirer au service public la possibilité de s'adapter à ces spécificités. Je souhaite que ce colloque soit l'occasion d'approfondir cette question : si nous voulons que le service public soit présent sur toute la palette des services audiovisuels numériques, nous devons lui donner toutes les marges de manoeuvre qui ne heurtent pas ses principes fondateurs.
Toutes ces problématiques liées à la concurrence rejoignent ici l'actualité du programme de travail de la Commission européenne. Je me permets de me tourner maintenant vers vous, Madame la Commissaire, pour vous dire les attentes, les questionnements aussi, que suscite la révision prochaine de la communication de la Commission sur les aides d'État à l'audiovisuel public. Pour ma part, je considère que la communication actuelle a fait la preuve de son adéquation et de sa souplesse. Elle a en effet permis à la Commission de vérifier la conformité des systèmes de financement des services publics de l'audiovisuel dans de nombreux États membres présentant des caractéristiques très variées.
Car une des caractéristiques les plus prégnantes de ce que l'on appelle le « modèle européen de l'audiovisuel public », c'est finalement - et c'est ce qui fait toute sa force et sa pertinence - le fait qu'il y a autant de « modèles » que d'États membres ; c'est, au-delà des fondamentaux communs que nous avons passés en revue, la très grande diversité des audiovisuels publics des États membres de l'Union européenne. Cette diversité résulte de la diversité des cultures, des histoires et des traditions et des besoins sociétaux des États.
La convergence numérique ne signifie pas, bien au contraire, une quelconque convergence des missions, des modèles économiques et des modes de financement, a fortiori des modes de gouvernance : pour rester pertinentes, toutes ces caractéristiques des services publics audiovisuels doivent rester, comme elles le sont aujourd'hui, en prise directe avec les réalités et les besoins de chaque État membre. Et c'est plus que jamais vrai dans la phase de mutations rapides que nous connaissons actuellement.
Comment, dans ces circonstances, trouver une interprétation des règles de la concurrence qui puisse s'appliquer à tous les Etats, tout en permettant une adaptation à chacun des cas particuliers qui se présentera à l'examen de la Commission ? Il ne m'appartient pas, Madame la Commissaire, d'apporter une réponse définitive à cette question. Toutefois, je pense pouvoir dire que cette interprétation devra s'appuyer, comme c'est le cas aujourd'hui, sur des principes suffisamment souples et adaptables, dans l'esprit du protocole d'Amsterdam, qui décline le principe de subsidiarité.
En ce sens, l'application des règles relatives aux aides d'Etat aux services public de l'audiovisuel doit rester au cas par cas, en se fondant sur un examen attentif et approfondi de la situation de chaque Etat membre par la Commission européenne. Il serait inutile, voire nuisible de définir des principes d'interprétation par trop précis, qui viendraient par la suite contraindre la liberté d'appréciation de la Commission. En cette matière, les bonnes décisions naîtront d'un dialogue exigeant, constructif et concret entre deux libertés :
- d'une part, la liberté dont dispose chaque État membre pour définir, conférer et évaluer la mission de service public confiée aux opérateurs publics et pour pourvoir à son financement ;
- d'autre part, la liberté dont dispose la Commission dans sa mission de gardienne des Traités et des règles relatives à la concurrence et aux aides d'Etat.
Madame la Commissaire, Mesdames et Messieurs les députés, Messieurs les présidents, Mesdames, Messieurs, j'ai pleine confiance en notre capacité, rassemblés par notre ambition renouvelée pour les médias de service public, à dégager des convergences fortes, capables de fonder des propositions porteuses d'avenir. Loin d'être un obstacle à surmonter, la diversité de nos expériences et de nos points de vue est un gage de succès, la garantie de la prise en compte de tous les enjeux et de tous les défis qui feront la richesse et la pertinence des médias de service public européens à l'ère du numérique.
Je nous souhaite à tous deux journées riches en discussions passionnantes et je cède avec grand plaisir la parole à Mme Neelie KROES, commissaire européenne à la concurrence, qui nous fait l'honneur d'être parmi nous aujourd'hui.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 4 août 2008