Déclaration de Mme Paulette Guinchard-Kunstler, secrétaire d'Etat aux personnes âgées, sur l'organisation du maintien à domicile, la professionnalisation du personnel médical, la réforme tarifaire et les différences de situation entre domicile et établissement, à l'assemblée Nationale le 18 avril 2001.

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Circonstance : Débat "Pour un accompagnement des personnes âgées", à l'Assemblée Nationale le 18 avril 2001

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
J'aborde ce débat avec émotion, d'abord parce que Lionel JOSPIN m'a confié ces responsabilités de Secrétaire d'Etat à un moment si décisif pour l'avenir de la politique du vieillissement, mais aussi parce que je pense à toutes les personnes âgées et à tous les professionnels que j'ai côtoyés au long de mon parcours professionnel et militant. Je pense aux échanges que nous avons eus, aux complicités qui nous ont rapproché, aux combats que nous avons partagés, aux espoirs qui nous ont animés. Ces espoirs, je les vois se concrétiser aujourd'hui ; j'ai la conviction de contribuer, aux côtés d'Elisabeth GUIGOU, à la mise en uvre d'une réforme essentielle.
J'ai plaidé contre des conceptions assistancielles de l'aide à l'autonomie : nous vous présentons aujourd'hui la création d'un droit objectif universel.
J'ai plaidé pour une coordination gérontologique de terrain ; cette loi nous offre aujourd'hui de nouveaux outils, dont la mise en uvre pourra s'appuyer sur les comités locaux d'information et de coordination (Clic) et les réseaux de soins.
J'ai plaidé pour la professionnalisation de l'aide à domicile, dans le respect du libre choix et de l'autonomie des personnes âgées, et pour une meilleure reconnaissance des professionnel(le)s : la loi reconnaît pleinement cette orientation en créant un fonds de modernisation dont les objectifs majeurs seront professionnalisme et qualité des services rendus.
J'ai plaidé pour une meilleure qualité des prises en charge, tant en institution que dans les services à domicile, et je suis heureuse aujourd'hui qu'un accent majeur soit mis sur cette exigence. Votre Assemblée, et Pascal Terrasse avec d'autres , a contribué à promouvoir cette exigence en adoptant à l'unanimité le projet de loi rénovant l'action sociale et médico-sociale. C'est dans ce sens également que s'inscrivent le conventionnement des établissements et la création du fonds de modernisation de l'aide à domicile.
Elisabeth GUIGOU a apporté, en ce qui concerne la nature de la prestation, son esprit, le choix des gestionnaires et le cadre partenarial dans lequel il s'inscrit, des réponses décisives.
Permettez-moi à présent d'ajouter quelques mots sur des sujets qui, je le sais par la richesse des débats du groupe d'études des personnes âgées de l'Assemblée, préoccupent des élus, des professionnels ou des militants de l'autonomie, femmes et hommes de bonne volonté qui savent bien que nous sommes sur le point d'accomplir, avec ce projet de loi, des progrès majeurs, mais qui s'interrogent sur certaines problématiques très concrètes . Même s'ils sont parfois troublés par certains souvenirs fâcheux légués par la P.S.D, je sais qu'ils seront convaincus, car d'eux dépendra la dynamique que nous voulons créer.
C'est dans cet esprit que je voudrais aborder quatre sujets : les différences de situation entre domicile et établissement, la réforme tarifaire et son accompagnement, l'organisation du maintien à domicile et la professionnalisation des tous les acteurs qui, en hébergement comme à domicile, assurent l'accompagnement des personnes âgées.
Premier point, les différences de situation entre domicile et établissement.
La comparaison entre domicile et établissement doit tenir compte de la configuration des services rendus dans chacun de ces lieux, et du fait que les forfaits soins en établissement prennent en charge 70% des dépenses de personnel qualifié sur les fonctions d'accompagnement, qu'elles soient exercées par des professionnels paramédicaux ou par des personnels sociaux.
Le budget soins en établissement intègre l'essentiel des dépenses de personnel concourant au nursing , à tout ce qui touche à l'aide dans les actes de la vie quotidienne.
Les établissements ne sont donc nullement mal traités. Le financement des dépenses d'aide à l'autonomie y est accru, et ceci selon des règles homogènes sur l'ensemble du territoire.
Nous mettons fin à l'inégalité entre établissements selon qu'ils pouvaient bénéficier ou non de dotations de l'assurance maladie.
Tous les établissements pourront bénéficier de ce type de concours, et c'est déjà un progrès considérable en termes de solidarité nationale et de réduction des inégalités.
Nous avançons donc bien sur deux fronts : améliorer et rendre plus égales les conditions financières et humaines de la prise en charge en établissement, élargir le champ du possible en matière de maintien à domicile.
En second lieu, je souhaite aborder rapidement la question de la réforme tarifaire et de son accompagnement. Certains grands réseaux de gestionnaires d'établissements ont manifesté des inquiétudes, ou avancé d'autres hypothèses de travail, tout en réagissant de manière pragmatique et responsable.
Je souhaite leur dire que leurs inquiétudes sont entendues, et que les difficultés qu'il feront remonter seront traitées. En liaison avec Elisabeth GUIGOU, je veillerai à mettre en place des procédures de régulation adaptées.
Un groupe de veille et de suivi sera constitué, associant ces grands réseaux, qui aura pour objet d'accompagner la réforme tarifaire d'un point de vue financier mais aussi de la qualité de la prise en charge des personnes âgées . Une concertation sera entreprise avec les organisations les plus concernées pour préciser les dispositions applicables aux petites structures, aux foyers logements .. De nombreux centres communaux d'action sociale m'ont alertée sur ces point, sur lesquels je ferais des proposition d'ici l'été.
Certains grands réseaux ont émis l'idée d'un retour à une tarification binaire h ébergement/soins, y compris du reste parmi ceux qui avaient été parmi les premiers à souhaiter dissocier les trois fonctions d'hôtellerie, d'aide à l'autonomie et de soins. Je peux comprendre certains de leurs arguments, mais je suis tout simplement d'avis qu'il ne faut pas trop souvent changer son fusil d'épaule. La priorité est d'utiliser au mieux les fonds importants mobilisables auprès de l'assurance-maladie, de réduire les inégalités entre établissements, de concrétiser un système de conventionnement.
La mise en uvre de la nouvelle tarification, qui sera un des éléments importants du bilan prévu par la loi, s'inscrit pleinement dans une logique de qualité puisqu'elle se fixe comme objectif contractuel par le biais d'un cahier des charges d'améliorer la qualité de vie en développant une meilleure prise en charge des personnes âgées.
Troisième sujet, l'organisation du maintien à domicile.
Trois objectifs caractérisent notre approche :
1. Réaffirmer nettement la place et l'utilité des services de maintien à domicile : sur ce point l'article 236-6 affirme clairement qu'en cas de perte d'autonomie importante, il doit être fait appel à un prestataire. Parallèlement, une clarification des fonctions de prescripteur de l'aide et de prestataire s'impose pour éviter tout risque de rente de situation ou de confiscation dans l'expression des besoins.
2. Respecter le libre choix des personnes âgées : en permettant le recours à des formules de mandataire ou d'embauche directe dans les situations où la personne âgée peut exercer un libre choix conscient et quand les prestataires ne sont pas en mesure d'offrir les services nécessaires.
3. Enfin il me paraît essentiel d'affirmer la dimension individuelle du plan d'aide.
Parce que chaque vieille dame et chaque vieux monsieur est riche de son histoire, de ses souffrances, de ses joies, parce que chaque vie est toujours différente, toute prise en charge, tout accompagnement doit être particulier, adapté à la situation, à l'histoire, aux difficultés de chacun , à la particularité de chaque famille, à la spécificité de chaque lieu de vie. Je pense notamment aux situations particulières des personnes âgées souffrant de la maladie d'Alzheimer.
Le plan d'aide doit se saisir de toutes les solutions possibles, du ménage à faire, du repas à préparer, du déplacement dans un accueil de jour pour soulager la famille ; mais aussi du déplacement de la vieille dame isolée et sans moyen de locomotion qui veut aller se recueillir sur la tombe de son conjoint, de son fils ou de sa fille, d'un être proche. La loi prévoit cette liberté dans l'offre de soins nouveaux, elle permettra aux associations d'offrir de nouvelles possibilités pour répondre aux besoins de chaque situation.
Le quatrième sujet que je veux aborder, c'est la professionnalisation de tous ceux qui entourent et accompagnent les personnes âgées, qu'ils travaillent en institution ou dans les services de maintien à domicile. Je veux en faire un axe majeur de mon action au gouvernement et le fonds de modernisation de l'aide à domicile, créé par la loi, nous donnera les moyens de notre volonté. Dans les institutions, la politique de qualification des personnels en place est un objectif essentiel pour améliorer la qualité de la prise en charge des personnes âgées.
En entendant les femmes et les hommes qui depuis longtemps entourent les personnes âgées en perte d'autonomie, je suis intimement persuadée que de tous les métiers de l'accompagnement et du soin, c'est probablement l'un des plus difficiles, parce qu'il les confronte à la fin de la vie, à la vieillesse, au deuil et renvoie à sa propre vieillesse, à son propre départ.
J'aimerais si vous le permettez vous lire ce qu'écrit une femme qui a passé toute son existence au service des personnes âgées et qui témoigne à la fois de ses difficultés et de ses bonheurs :
" Et pourtant j'ai presque tout appris d'eux,
le refus de la déchéance,
le refuge dans la démence,
l'angoisse du temps qui passe,
l'interrogation sur l'au-delà,
la crainte du dernier passage,
l'humiliation de la dépendance,
J'ai appris cela d'eux.. tout simplement
A vivre le silence entre quelques phrases inachevées"
Charlotte MEMIN - Projet de vie avec les personnes âgées en institution
Trop peu, aujourd'hui encore, sont formées aux difficultés de l' accompagnement et de la prise en charge, difficultés de se retrouver seul face à la dépression, aux plaintes de la personne âgée, à la souffrance et à l'inquiétude des familles. Cette loi, par les moyens qu'elle prévoit, va conduire à un vrai changement pour les professionnels de ce secteur.
Vous le voyez, nos objectifs sont clairs : combiner des prises en charge en établissement et à domicile, conjuguer le suivi médical et l'appui social, diversifier l'offre de services à domicile et par là offrir la possibilité de répondre au plus près aux aspirations et aux besoins propres à chaque personne.
Mesdames et Messieurs les Députés, je réaffirme, au moment de conclure, qu'il nous faut plus que jamais uvrer à changer le regard sur l'âge et le vieillissement. Ce projet de loi peut y contribuer, en choisissant l'autonomie contre la dépendance, en bâtissant une aide qui ne soit pas limitée aux économiquement faibles, mais qui affirme un droit universel, face à des risques qui nous concernent tous.
Ce débat doit aussi contribuer à faire changer le regard sur les vieux ; les problèmes liés au vieillissement et au grand âge ne sont pas des enjeux de rhétorique, ce sont des enjeux qui nous touchent au plus intime de nous mêmes.
Simone de Beauvoir, il y a près de 40 ans, nous mettait en garde : " Si l'adulte refuse au vieillard toute possibilité de communication en privant de sens ses paroles, ses gestes, ses appels, celui-ci s'enferme en lui-même, il désapprend le langage, il glisse hors de l'espèce humaine. " Ce devoir d'humanité auquel nous confronte la vieillesse, je suis convaincue que cette loi nous donne les moyens de l'exercer.

(Source http://www.social.gouv.fr, le 26 avril 2001)