Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes, notamment sur le rejet par référendum de la ratification du Traité de Lisbonne par l'Irlande et le nucléaire iranien, Vienne le 17 juillet 2008.

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Circonstance : Conférence de presse conjointe de M. Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes, et de Mme Ursula Plassnik, ministre autrichienne des affaires européennes et internationales, à Vienne (Autriche) le 17 juillet 2008

Texte intégral

Je suis très heureux de travailler avec la ministre des Affaires européennes et internationales, Ursula Plassnik. Entre la diplomatie française, que vous avez saluée pour son efficacité à propos de l'Union pour la Méditerranée, et la diplomatie autrichienne, il y a de nombreux terrains communs. Nous avons beaucoup travaillé les uns et les autres sur la question du Moyen-Orient.
Nous nous réjouissons de la tournure positive de la situation. Il y a eu la venue à Paris du président Bachar Al Assad après un accord avec les Israéliens, pour commencer les pourparlers. Au Liban, il y a eu l'élection du président Michel Sleimane, et juste avant la Conférence de Paris, la nomination du gouvernement de Fouad Siniora. Je félicite nos amis autrichiens d'avoir organisé le 23 juin dernier la Conférence des donateurs pour la reconstruction du camp de réfugiés palestiniens de Nahr el Bared. Il y a eu un accord grâce aux pourparlers entre les Syriens et les Israéliens, facilités par les Turcs. Il y a eu des pourparlers entre le Hamas et Israël, facilités dans ce cas par les Egyptiens. Il y a entre Israël et les Palestiniens beaucoup d'espoir mais également beaucoup d'insatisfaction. La diplomatie française est très active sur ce dossier depuis un an, nous disposons de fonds mais les projets manquent.
Nous soutenons nos amis autrichiens concernant les voies transalpines, et particulièrement la façon dont on pourrait consacrer plus d'argent et de soutien européen au ferroutage et à la traversée des Alpes. Nous essayons depuis longtemps de mettre les camions sur les rails, ce qui se révèle difficile non seulement parce que nous n'avons pas assez de matériel mais aussi parce qu'il faut changer les habitudes des transporteurs. Lors du Sommet de l'Union pour la Méditerranée, nous avons abordé la question des autoroutes de la mer, ce qui apparaît plus facile à appliquer. Dans le cadre du transport routier, il faut un important changement à la fois culturel et économique.
Nous avons également évoqué la sécurité nucléaire. Le débat sur le nucléaire est légitime. En France, nous ne nous satisfaisons pas seulement de l'énergie nucléaire. Nous consacrons beaucoup d'argent à la recherche sur les énergies renouvelables mais aussi à la recherche d'autres formes d'énergie. Ainsi, parmi les projets proposés lors du Sommet de Paris de l'Union pour la Méditerranée, il y a celui qui consiste à installer autour du pourtour méditerranéen une ceinture de panneaux solaires. Je suis d'accord avec Ursula Plassnik pour dire que la sécurité nucléaire est un thème commun à tous. Nous y sommes très attentifs et je crois que nous en sommes relativement spécialistes. A la suite de l'incident à Tricastin, il y a quelques jours en France, il a été décidé de faire analyser les nappes phréatiques autour de toutes les centrales nucléaires du pays. C'est Jean-Louis Borloo, le ministre de l'Etat chargé de l'Environnement qui est chargé de ce dossier. Les centrales nucléaires sont extrêmement surveillées.
Je voudrais juste dire un mot sur l'Irlande. Ursula et moi partageons la vision qu'il ne faut pas se précipiter. Il faut laisser le temps aux Irlandais de nous expliquer, et de nous proposer des solutions. Il ne s'agit pas de leur proposer une analyse de leurs besoins et des raisons pour lesquelles ils ont voté "non". Ils le feront à un moment donné, peut-être pendant la Présidence française, mais ce n'est pas obligatoire. Les vingt-sept pays de l'Union européenne doivent choisir entre le Traité de Lisbonne et celui de Nice. Il n'y a pas d'autre solution. Pour le moment, le président Sarkozy et moi-même nous nous rendrons le 21 juillet en Irlande pour écouter nos amis irlandais et pour essayer de comprendre ce que nous pouvons éventuellement faire. Si on nous répond que l'on ne peut rien faire, ce ne sera pas une offense, nous attendrons.
Q - Quelles sont vos attentes avec l'Iran après les négociations et quels sont les compromis ?
R - Sur l'Iran, il y aura des pourparlers à Genève. Nous avons appris qu'un dialogue s'amorcera avec les Iraniens. Cette proposition a été rendue possible grâce à la lettre, signée par les six pays, c'est à dire, l'Allemagne, le Royaume-Uni, la France, les Etats-Unis, la Chine, et la Russie, que nous avons adressée aux Iraniens, et que le Haut Représentant pour la PESC, M. Javier Solana, a apporté lui-même à Téhéran. Elle faisait suite à quatre résolutions du Conseil de sécurité demandant l'arrêt de l'enrichissement en uranium, et les possibilités d'exploration précisées par l'Agence internationale d'Energie atomique. Après la première résolution, trois résolutions avec des sanctions ont été votées à l'unanimité par le Conseil de sécurité, plus l'Allemagne. Ces sanctions ont été mises en pratique, je demande d'ailleurs aux pays de ne pas entraver l'application des sanctions par l'intermédiaire par exemple d'investissements. La France, que ce soit ses compagnies pétrolières et gazières comme Total ou ses automobiles comme Renault, Peugeot, a gelé ses investissements. La troisième résolution était encore plus précise et concernait les personnes, les banques, les circuits financiers.
Nous avons toujours dit qu'il ne faut pas seulement voter et imposer des sanctions, mais il faut maintenir le dialogue. Ce n'est pas un secret que de dire que la France a souvent parlé avec les Iraniens. D'abord, j'ai parlé avec le ministre des Affaires étrangères iranien, puis des représentants iraniens sont venus à Paris, on les a rencontrés, et nous nous sommes téléphonés toutes les semaines. Mais cela n'a rien donné. Dans la réponse que les Iraniens nous ont envoyée, à la suite de la lettre des Six transmise par Javier Solana, ils ont accepté le dialogue mais ils n'ont rien dit sur l'enrichissement. Nous avons continué, nous avons dit qu'il fallait que le dialogue ait lieu. Hier, Mme Rice m'a appelé pour me dire qu'il y aurait un représentant à Genève. Il serait prématuré de vous dire que je mets beaucoup d'espoir dans ce début de dialogue. L'Iran est un grand pays, une grande culture, ils doivent occuper la place qui leur revient dans la région. Pour régler les problèmes de l'Afghanistan et du Moyen Orient, il faut tenir compte de la position géographique iranienne. Nous espérons, tout en restant vigilant, que le dialogue va aboutir. Ce n'est pas parce qu'on va commencer à parler que leur façon de négocier va changer. C'est cela, un grand pays. C'est aussi une grande tradition de diplomatie. J'en espère beaucoup, mais je n'en attends rien.
Q - Avez-vous plus de détails sur le projet français sur la centrale d'achat européenne de gaz.
R - C'est, en effet, l'une des propositions que la France mettra en avant, à propos de l'énergie et du climat, comme une des priorités. Mais la Présidence française n'est pas davantage une présidence qui succède aux Slovènes et qui précède les Tchèques. C'est une représentation des vingt-sept pays, qui agit pour le consensus autour des propositions - c'est très collectif.
Nous pensons qu'il convient d'adopter face aux Russes - mais pas seulement -, qui détiennent dans ce domaine la clé du rapport entre les prix du gaz et du pétrole, une attitude commune de l'Europe. Or, les Russes négocient avec nous comme si l'Europe n'existait pas. Ils négocient avec les pays un par un, ce que je peux comprendre, mais ce n'est pas à notre avantage.
L'idée serait, tout d'abord, d'exprimer ou de bâtir une solidarité européenne des consommateurs, des nations consommatrices. Cela dit, la France est un peu à l'abri de tout cela, car nous n'avons qu'un pourcentage assez faible de gaz qui vient de Russie : 27 à 30 %. Le reste nous parvient de Norvège et d'Algérie. Pour pouvoir exprimer une solidarité des consommateurs, il nous faut une solidarité de l'approvisionnement. Mais il nous faudra du temps avant d'avoir une centrale d'achat commune, ce qui serait bien sûr un objectif très intéressant, très important. Il faudrait une solidarité et un échange comme nous le faisons pour l'électricité. Vous savez, l'électricité se répartit en fonction des besoins des uns et de la production des autres. On devrait pouvait faire la même chose avec le gaz, c'est à dire garantir l'approvisionnement en gaz même si le robinet a été fermé, en cas d'incident ou s'il y a des préoccupations particulières, en demandant aux Etats qui ne sont pas touchés de le fournir.
Voilà, petit à petit, comment nous construirons une centrale d'achat de la solidarité en matière de consommation d'énergie et que nous pourrons peut-être pratiquer différemment avec les fournisseurs, c'est-à-dire, en particulier, avec la Russie.
Q - Avez-vous avez abordé avec votre interlocuteur le sujet des otages autrichiens qui sont retenus depuis plusieurs mois au Mali et y a-t-il du nouveau ?
R - Oui, nous en avons parlé et nous avons apporté à nos amis autrichiens, lorsqu'ils nous le demandaient, des connaissances un peu particulières sur cet endroit difficile qu'est le Maghreb, en particulier la zone saharienne. Nous sommes à leurs dispositions pour continuer s'ils nous le demandent.
Q - Que peut l'Union pour la Méditerranée sur les questions de culture et de migration ?
R - L'immigration fait partie très précisément des priorités de la présidence française de l'Union européenne. Nous n'allons pas développer tous les sujets. Dimanche dernier, nous en avons proposé six. Il est donc évident que l'immigration fait partie des priorités, tout comme la culture. Il y a par exemple un projet d'échange des étudiants tout autour de la Méditerranée grâce à un Erasmus européen.
Concernant l'immigration, quarante-trois pays ont participé au sommet de l'Union pour la Méditerranée et, pratiquement, deux réponses ont émergé. Premièrement, nous aimerions pouvoir harmoniser nos actions comme nous tentons de le faire. L'Europe continue, quel que soit le résultat du référendum irlandais, et le pacte pour l'immigration est accepté par tous les Etats de l'Union européenne. Nous avons donc déjà une attitude commune et il faudra faire participer les autres pays. Deuxièmement, c'est en développant l'économie de tous ces pays, en allant ensemble qu'on peut développer une attitude commune sur l'immigration.
Ce qui est original, c'est qu'il y a une coprésidence de l'Union pour la Méditerranée : l'Egypte et la France pour le moment. Cette coprésidence portera aussi bien sur le secrétariat que sur tous les projets : des coprésidences Sud-Nord, Nord-Sud. On pourra dès lors travailler ensemble. Il faut que nous accueillions ces populations selon la morale, l'éthique et la culture des Droits de l'Homme qui sont les valeurs de l'Europe.
Q - Une des raisons pour le "non" irlandais serait leur peur de perdre leur commissaire à Bruxelles. La France serait elle d'accord de renoncer au principe de rotation en faveur d'un commissaire fixe par pays ?
R - Je ne pense pas qu'on puisse dire que l'Irlande a voté "non" pour ne pas perdre son commissaire, car c'est en votant "non" que cela pourrait éventuellement arriver. En tout cas, la restriction, c'est-à-dire la diminution du nombre des commissaires vient du Traité de Nice et non pas du Traité de Lisbonne. C'est en effet en appliquant les termes du Traité de Nice que l'on pourrait, à un moment donné, se dire qu'il faut réduire ce nombre. Et d'ailleurs, si à partir du 1er janvier prochain, c'est le Traité de Nice qui est en application, il le faudra. Je ne pense donc pas que ce soit la bonne explication. Même si les institutions, je vous l'accorde, ne sont pas très lisibles, elles sont là pour que l'Union européenne agisse afin de satisfaire les besoins de services publics, mais aussi de rêve, d'engagement, de défense des valeurs démocratiques, de lutte contre le chômage, etc. C'est cela qui fera parler, ou voter peut-être, les citoyens européens de façon plus positive.
Q - Savez vous si une délégation diplomatique américaine est à Téhéran ? Mme Rice vous en a-t-elle parlé ?
R - Je ne sais pas s'il y a un envoyé américain en Iran. Dans ma conversation avec Mme Rice, hier, nous avons parlé du Zimbabwe, sujet très grave, du Kosovo et de l'Iran. Elle m'a annoncé une bonne nouvelle et je partage le sentiment du ministre des Affaires étrangères autrichien que c'était une bonne nouvelle que d'annoncer la participation d'un diplomate américain à Genève : voilà ce que je sais. Est-ce qu'il y a des diplomates américains en Iran ? Cela je n'ai pas eu l'honneur d'être averti.
Q - Et si c'est le cas ?
R - Si c'est le cas, cela regarde les Américains. Personnellement je trouve cela bien. Mais, honnêtement, cela m'étonnerait qu'il y ait en même temps un diplomate "inside, starting the talks outside".

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 juillet 2008