Texte intégral
Hervé Morin, ministre de la Défense -
La France vient de payer un lourd tribut pour son engagement en Afghanistan.
Je voudrais, à la suite de Guy Teissier, rendre une nouvelle fois hommage à nos soldats qui ont payé leur engagement du sacrifice ultime. Ils ont fait preuve d'un courage, d'une volonté et d'un professionnalisme extraordinaires. Je me suis rendu ce matin dans les hôpitaux Bégin et Percy où j'ai rencontré les soldats blessés. Leurs témoignages montrent un sang-froid, une lucidité et un courage hors pair. Mes pensées vont aussi à leurs familles, leurs amis, leurs frères d'armes qui sont dans la peine comme l'a été toute la communauté militaire, durement touchée par la perte de dix de nos camarades. C'est dans cet esprit que nous nous sommes rendus sur place avec le président de la République et M. Bernard Kouchner.
Avant de donner un certain nombre d'éclairages sur l'embuscade et l'environnement militaire dans lequel se déroulait cette opération, je voudrais vous rappeler le cadre politique et juridique de notre présence. La France est présente en Afghanistan depuis 2001 avec trente-sept autres pays, parmi lesquels certains qui n'ont pas une grande tradition d'opérations extérieures, comme les pays scandinaves, et même des pays neutres, tels que l'Autriche et l'Irlande.
En second lieu, nous intervenons en Afghanistan dans le cadre d'un mandat des Nations unies, et plus précisément de la résolution 1386 du 20 décembre 2001, qui a créé la FIAS - la Force internationale d'assistance et de sécurité. Son mandat est renouvelé chaque année par une résolution du Conseil de sécurité, et il l'a été la dernière fois en septembre 2007.
Ce mandat comporte quatre missions : aider le gouvernement afghan à étendre son autorité à l'ensemble du pays ; mener des actions destinées à assurer la stabilité et la sécurité en coordination avec les forces de sécurité nationales afghanes ; encadrer et soutenir l'armée nationale afghane ; enfin, apporter un soutien aux programmes du gouvernement visant à désarmer les groupes illégaux. Cette résolution est placée sous le chapitre VII de la Charte des Nations unies, qui permet aux unités d'exercer leur droit à une légitime défense renforcée.
La FIAS, coalition de pays volontaires déployés sous l'autorité du Conseil des Nations unies, est placée, depuis août 2003, sous commandement de l'OTAN. A ce jour, trente-huit pays y participent, dont douze n'appartiennent pas à l'OTAN et vingt-cinq sont membres de l'Union européenne. Au sein de cette dernière, seules Chypre et Malte ne sont pas présentes en Afghanistan.
Cette force compte quelque 51.000 hommes, répartis dans cinq régions. Avec environ 3.300 soldats, la France se place derrière les Etats-Unis - 19.000 hommes -, le Royaume-Uni - 8.600 -, et à peu près au même niveau que les grandes nations occidentales, Italie, Allemagne et Canada. Le nombre de nos soldats présents en Afghanistan varie tous les jours en fonction des allers et des retours mais il est en gros de 3.300 hommes, dont 450 au titre de la composante "air", 300 au titre des bateaux qui patrouillent au large des côtes pakistanaises dans le cadre de la lutte contre les trafics, une trentaine au titre d'Epidote, c'est-à-dire de la formation des officiers afghans, une quarantaine au titre du soutien "air" et, enfin, 2.500 hommes sur le terrain dans la région centre, quelques-uns participant à une OMLT - Operational Mentor and Liaison Team - avec les Hollandais.
Compte tenu du mandat des Nations unies, l'enjeu est donc double pour la coalition. Au niveau afghan, il s'agit de reconstruire le pays, de le stabiliser et de consolider l'Etat de droit. Au niveau international, il s'agit de lutter contre le terrorisme, menace essentielle pour les démocraties et la communauté internationale. New York, Madrid, Londres, Casablanca, Alger, Bali ont ainsi été le théâtre d'attentats majeurs ces dernières années. Le terrorisme l'a prouvé : il frappe et peut frapper partout.
Notre engagement en Afghanistan a également pour but la défense des Droits de l'Homme. Puis-je rappeler que, sous le régime moyenâgeux des talibans, de 1996 à 2001, les Droits de l'Homme étaient bafoués, la condition des femmes était indigne, les jeunes filles n'étaient ni scolarisées ni soignées, alors qu'on lapidait dans les stades aux mi-temps des matchs de football ? Même les cerfs-volants des enfants étaient interdits. A travers la destruction des Bouddhas de Bâmyiân, la culture et la civilisation afghanes elles-mêmes étaient mises en cause par le régime des talibans.
Compte tenu de son mandat, la communauté internationale doit remplir une triple missions : la pacification et la restauration de la stabilité de l'Afghanistan, la mise en place de formations militaires et de sécurité pour que l'Afghanistan puisse retrouver sa propre souveraineté et l'exercer, l'engagement d'un programme de reconstruction et de développement de l'Afghanistan.
En ce qui concerne tout d'abord la pacification et la restauration de la stabilité de l'Afghanistan, la FIAS a désormais repris pied sur la quasi-totalité du territoire, à l'exception de l'extrême sud-ouest du pays, très peu peuplé. Cette pacification et cette stabilisation sont indispensables pour pouvoir transférer la responsabilité de leur sécurité aux Afghans eux-mêmes et assurer la reconstruction et le développement du pays.
Les Afghans reprennent actuellement, comme la France l'avait souhaité, la gestion de leur capitale. Progressivement, l'ensemble des zones situées autour de Kaboul leur sera transféré. Au cours de l'année 2009, l'armée et la police afghanes doivent aussi recouvrer la vallée de l'Ouzbin, où sont tombés nos soldats. A terme, c'est toute la région Centre-Capitale qui sera sous contrôle afghan, nos forces n'agissant qu'en soutien.
Le regain des violences que nous connaissons actuellement est essentiellement lié - j'insiste sur ce point - à l'accroissement des opérations menées par l'Alliance atlantique et les forces de sécurité afghanes dans des zones qui, jusqu'à présent, étaient considérées comme des sanctuaires d'extrémistes. C'est parce que nous sommes de plus en plus présents que le nombre d'opérations menées par les talibans s'accroît. Ainsi en 2007, 70 % des incidents relatifs à la sécurité ont eu lieu dans seulement 10 % des 398 districts du pays, soit sur un territoire qui rassemble 6 % de la population.
La deuxième mission de la communauté internationale consiste à former les forces de sécurité afghanes afin de donner à l'Afghanistan la capacité d'assurer lui-même la stabilisation et la pacification.
L'armée nationale afghane compte aujourd'hui environ 50.000 hommes contre 20.000 il y a quelques mois. Notre ambition est de porter ses effectifs, dans un délai relativement bref, à 120.000 hommes. Les progrès sont là, vous le verrez, Monsieur le Président de la commission de la Défense, quand vous vous rendrez à nouveau en Afghanistan. Si vous interrogez les soldats de l'armée nationale afghane, ils vous diront que celle-ci, en l'espace de six mois, se transforme progressivement en une véritable armée : nous avions des guerriers, ils deviennent des soldats.
Nous agissons à quatre niveaux. Tout d'abord, nous accompagnons les unités afghanes. La FIAS a introduit le concept des "Operational Mentoring and Liaison Team", les OMLT, grâce auxquelles les hommes de la FIAS - dont environ trois cents pour la France - assurent graduellement la formation de l'armée nationale.
Nous assurons aussi la formation des officiers : 160 stagiaires sont actuellement concernés et, depuis le lancement de cette action dénommée "Epidote", nous avons formé plus de 5.000 officiers.
Nous avons également cré??, avec les Allemands, une école de logistique : la "Driver mechanic school" de Kaboul sera en service en 2009.
Nous assurons enfin la formation des commandos afghans. Six bataillons sont formés par des forces spéciales françaises et américaines. Le premier cycle de formation a permis d'accueillir environ 600 militaires.
Le programme de reconstruction et de développement de l'Afghanistan constitue notre troisième mission après la stabilisation et la formation. Je laisse à Bernard Kouchner, qui a joué un rôle majeur dans l'organisation de la Conférence de Paris, le soin d'évoquer cette question. Je rappelle toutefois que, grâce à l'initiative de la France, vingt milliards de dollars ont été promis par la communauté internationale pour le développement de l'Afghanistan.
Je citerai aussi quelques chiffres qui montrent les progrès accomplis. Le nombre d'enfants scolarisés est passé de 900.000 à 6,5 millions, parmi lesquels 1,5 million de jeunes filles. La mortalité infantile a chuté de 26 %. Le pourcentage de la population afghane ayant accès aux soins est passé de 8 à 80 %. L'Afghanistan compte aujourd'hui 103 hôpitaux et plus de 800 centres de soins. Quatre mille kilomètres de routes ont été construits, il n'en existait que cinquante lorsque nous sommes arrivés. Par ailleurs, les forces de la coalition ont conduit plus de mille projets de développement dans le cadre des actions civilo-militaires "CIMIC".
Il faut enfin citer les progrès démocratiques : une élection présidentielle s'est tenue en 2003, et le prochain scrutin est prévu pour l'année prochaine.
Bien entendu, de nombreux progrès restent à accomplir et nous sommes confrontés, sur le plan intérieur, à trois faiblesses majeures. Il s'agit tout d'abord de l'état de la police afghane qui, si elle compte 75.000 hommes, demeure une force peu fiable, gangrenée par la corruption et avec un niveau d'instruction et de formation très variable. Le trafic de drogue pose également un grave problème puisqu'on estime que 90 % de la production mondiale d'héroïne proviennent d'Afghanistan. Enfin, la corruption reste extrêmement développée dans les structures administratives du pays.
Dernière difficulté majeure : le rôle joué par un certain nombre de pays voisins. Je pense notamment au Pakistan, qui de toute évidence doit faire l'objet d'une pression internationale accrue, afin qu'il ne serve plus de base arrière aux talibans.
J'en arrive aux événements du 18 août. Il convient de mettre fin à certaines rumeurs et de reconstituer l'opération telle qu'elle a été menée. La reconstitution que je vous présente a été élaborée par l'état-major des armées à partir de l'ensemble des témoignages des soldats qui ont participé à l'opération, mais aussi de l'examen précis des commandements donnés et consignés. Ce travail a été effectué durant tout ce week-end.
Depuis le 8 août, après l'Italie, la France est responsable de la vallée de l'Ouzbin. Cette responsabilité va de pair avec celle de la région centre-capitale. C'est dans le cadre d'un système tournant avec la Turquie que nous avons succédé aux Italiens pour le commandement de la région centre dont cette vallée du district de Surobi fait partie.
Entre le 8 août et le 15 août, rien ne permettait de prévoir l'attaque massive dont nos forces ont fait l'objet. Le 15 août, celles-ci ont entamé une mission de trois jours qui avait pour but, d'une part de reconnaître un terrain dont nous venions de reprendre le contrôle, d'autre part de nouer des relations avec les populations de la vallée afin de ré-instaurer progressivement la sécurité du district.
Le 18 août, la mission débute à 9 heures avec une section du 8e RPIMa, des éléments de l'armée nationale afghane, une section du régiment de marche du Tchad et quelques forces spéciales américaines. A 13 heures 30, la section de tête de la colonne du 8e RPIMa entame à pieds la reconnaissance du col situé à 2 000 mètres d'altitude, suivie des forces américaines, de Rouge 4, la section du régiment de marche du Tchad et des éléments de l'armée nationale afghane. En partant de Sper Kunday, village à partir duquel on monte au col, Carmin 2, la section du 8e RPIMa à laquelle appartiennent neuf de nos soldats qui vont périr, a pour objectif d'aller jusqu'au col et de reconnaître ce territoire. Il s'agit d'une procédure habituelle et nos soldats sont appuyés par des VAB, véhicules de l'avant blindé, dont les automitrailleuses assurent la couverture des fantassins engagés sur le col.
A 15 heures 45, le groupe de tête est attaqué. Les insurgés - selon nos informations, ils sont une petite centaine - attaquent aussi, en même temps, l'arrière de la section et la section de l'armée nationale afghane qui la suit. Rouge 4, placée en appui et qui aurait pu venir au secours de Carmin 2, est également attaquée. Dans une opération parfaitement concertée, les insurgés ont entrepris de "fixer" la totalité de la patrouille conduite par Carmin 2. Les combats sont extrêmement durs et, à 15 heures 52, la section de tête alerte la FOB Tora, le camp de base d'où partent les missions.
A 16 heures 10, soit 25 minutes après le début des hostilités, la section de réaction rapide en place au camp de base de Tora est envoyée en renfort. Elle arrive sur zone à 17 heures, cinquante à cinquante-cinq minutes après son départ.
A 16 heures 10, selon une procédure classique, une demande d'appui aérien est formulée par la section. A 16 heures 20, des avions A10 américains, spécialisés dans l'appui au sol et dotés d'une grande puissance de feu grâce à un canon mitrailleur, sont sur zone. Ils sont guidés par les forces spéciales américaines de la mission dont les JTAC (Joint terminal attack controller) sont capables, depuis le sol, de désigner leurs objectifs aux avions par laser. Mais les avions ne tirent pas, estimant les insurgés et nos soldats trop imbriqués. Les talibans ont en effet compris qu'il leur fallait coller au maximum aux forces de l'alliance pour éviter les frappes aériennes.
A 17 heures 40, les avions A10 peuvent enfin délivrer le feu. Ils tirent plus de 1 400 munitions, sans, je le confirme, qu'aucun tir fratricide ne soit à déplorer. Ce matin encore, j'en ai parlé avec les soldats hospitalisés : il est vrai que la puissance de feu des avions est telle que leur intervention est extrêmement marquante ; il est également vrai qu'ils ont parfois tiré assez près de nos soldats, mais c'est parce que ces avions ont pu tirer que nos soldats ont pu commencer à décrocher. Jusqu'à ce moment, nos hommes ne voyaient pas les insurgés et se retrouvaient pris, à chacun de leur mouvement, sous le feu ennemi venant de l'est, du nord comme de l'ouest, l'encerclement étant progressif.
Les manoeuvres de nos soldats se sont faites sous les ordres du chef de section qui a toujours été en contact avec ses hommes et avec l'arrière. Grâce à la décision très courageuse de cet adjudant qui a ordonné le décrochage, nous avons probablement évité des pertes beaucoup plus lourdes. Comme nous avons pu le reconstituer, grâce aux témoignages de tous les soldats engagés, tout cela s'est fait avec professionnalisme, sang-froid et une maturité exceptionnelle. Un seul exemple : presque tous les soldats ont veillé à conserver, en dépit du feu de l'ennemi, un chargeur pour pouvoir se défendre jusqu'à la phase de repli.
Les tirs talibans sont alors encore trop nourris pour que l'on puisse poser un hélicoptère et évacuer les premiers blessés sans risque. Ces derniers ne pourront être emmenés qu'après 20 heures quand la zone d'atterrissage des hélicoptères aura été sécurisée.
A 20 heures justement, les renforts complémentaires provenant de Kaboul sont sur zone et permettent alors d'inverser le rapport de forces. Ils sont appuyés par des drones Predator, envoyés par les forces américaines.
Dans le même temps, les forces françaises ont réussi à sécuriser une zone pour que les hélicoptères puissent se poser, ce qui permet, outre l'évacuation des blessés, d'assurer l'approvisionnement en eau et en munitions de nos troupes, notamment des véhicules blindés qui assuraient l'appui feu depuis le village de Sper Kunday, à 1 500 mètres à vol d'oiseau du col. Je rappelle que le camp de Surobi se trouve à une heure et Kaboul à deux heures trente.
Pendant toute la nuit, les rotations d'hélicoptères Caracal se poursuivront. Permettez-moi de saluer les équipages qui ont assuré quatorze heures de vol d'affilée, dont neuf heures de nuit, dans des conditions très hostiles.
Le terrain est repris par nos forces le matin du 19 août. Nous contrôlons à nouveau la zone à partir du début de l'après-midi jusqu'au moment où le commandement de la région Centre décide de décrocher les hommes pour qu'ils reviennent au camp de Tora.
Le bilan du côté des rebelles est bien entendu incertain. Mais selon les services de renseignement alliés, nos ennemis auraient perdu une quarantaine d'hommes, dont un important chef taliban, et compteraient une trentaine de blessés.
Nous tirerons, bien entendu, tous les enseignements de l'opération du 18 août, comme nous les tirons après chacune de nos opérations, afin de progresser sans cesse dans les missions que nous menons. Je présenterai ce retour d'expérience au président de la République dans les jours qui viennent.
Evidemment, nous mettons tout en oeuvre pour protéger nos soldats. Ils sont bien équipés et suivent une formation spéciale extrêmement difficile de 6 mois avant de partir pour l'Afghanistan. Ils sont tous des professionnels aguerris, prêts au combat dans les situations les plus extrêmes. Mais puis-je ajouter que le risque zéro n'existe pas dans les armées ? Nous ne pouvons que limiter le risque au maximum, et c'est ce que nous faisons grâce à toutes les décisions que nous avons pu prendre depuis des mois.
En conclusion, je voudrais insister sur quelques points. Même si l'Afghanistan se situe à près de 7 000 kilomètres de Paris, ce qui s'y passe concerne notre sécurité et la sécurité de nos concitoyens. En Afghanistan, nous luttons contre le terrorisme international. Nous évitons la déstabilisation totale d'une région extrêmement fragile, qui a pour voisins l'Iran et le Pakistan. Nous défendons une cause juste : celle des Droits de l'Homme, de la dignité de la femme, de la démocratie. Nous défendons nos valeurs les plus fondamentales.
Vous le constatez avec ces opérations : les talibans savent que le rapport de force ne leur permet pas d'espérer contrôler à nouveau les zones dans lesquelles nous sommes implantés. Leur objectif est donc différent : il s'agit de marquer les esprits, de couper nos forces du soutien de leurs opinions publiques, de faire douter ces dernières pour que certains pays finissent par céder.
Et pourtant, je suis convaincu que nous n'avons pas d'autre choix que de poursuivre l'effort mené par la communauté internationale. Cet effort sera nécessairement long. On ne peut pas restaurer en six ans un pays frappé par la guerre depuis tant d'années. Mais nous n'avons pas le droit de perdre.
Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes -
Le débat sur notre engagement en Afghanistan est plus que jamais indispensable. Il est même tout à fait nécessaire de vous tenir en permanence au courant. Après le sacrifice de nos soldats, tout le pays, à travers la représentation nationale, doit se trouver uni et solidaire derrière cet engagement majeur. Il ne pourra l'être que si l'information s'améliore et si les légitimes questions trouvent des réponses.
Cette discussion n'est pas la première sur ce sujet. Nous avons eu des débats en séance publique, j'ai été entendu par vos commissions à plusieurs reprises et j'ai pris l'initiative, après la Conférence de Paris, au mois de juin dernier, de réunir un certain nombre d'entre vous pour vous rendre compte régulièrement de notre action.
Notre séance d'aujourd'hui sera suivie, dès l'ouverture de la session extraordinaire, d'une déclaration du gouvernement puis d'un vote. Nous avons la volonté, vous le constatez, d'associer la représentation nationale à notre action en Afghanistan.
A ce jour, vingt-quatre de nos soldats sont tombés en Afghanistan, dix d'entre eux lors de l'embuscade tragique du 18 août. Ils sont tombés pour une certaine idée de la dignité humaine et de la liberté à laquelle la majorité du peuple afghan aspire, je vous l'assure. Ils sont tombés pour rendre ce monde plus sûr. Je veux ici rendre, à nouveau, hommage à leur mémoire et à leur courage.
Je veux aussi vous dire toute notre émotion, à Hervé Morin et à moi-même, face à la mort de plusieurs dizaines de civils afghans le vendredi 22 août. Tout doit être fait pour que ce type d'accident ne se reproduise pas. Que ce bombardement ait été mené à la demande de forces américaines et afghanes n'y change rien, pas plus que la tactique des talibans utilisant des civils comme boucliers humains. Tragique sur le plan moral, ce type de bavure est désastreux sur le plan politique car il renforce le rejet des forces étrangères par la population.
Face à cette tragédie, nous devons être irréprochables et fidèles à la stratégie définie par nos alliés à Bucarest, et avec toute la communauté internationale lors de la Conférence de Paris. Et, contrairement à ce qui a pu être dit ou écrit ici ou là, cette stratégie-là est claire. Je voudrais maintenant vous l'exposer en détail.
Vous le savez, elle n'est pas seulement militaire et ne peut pas être seulement militaire ; il s'agit d'une approche politique d'ensemble mise en oeuvre avec et pour le peuple afghan, avec et pour son gouvernement élu. J'insiste sur ce point : la France, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, est présente en Afghanistan avec un mandat des Nations unies et le plein appui du gouvernement afghan. Nous avons été appelés. Nous ne représentons aucun impérialisme ; nous sommes au service de la communauté internationale dans son expression la plus légitime, au service aussi de la population afghane représentée par son gouvernement élu.
La situation en Afghanistan reste préoccupante et dangereuse, malgré des progrès indéniables. Cette situation est loin d'être stabilisée comme le montre, de façon sinistre, la tragédie du 18 août. Une inquiétude profonde est liée à la présence nouvelle et croissante de djihadistes internationalistes, relais d'Al-Qaida. Elle nous rappelle que la situation afghane est liée à la situation régionale. Mais n'oublions pas que ces incidents découlent aussi, comme l'a dit Hervé Morin, du fait que la FIAS et l'armée nationale afghane agissent dans des zones où elles étaient largement absentes jusqu'alors. Evidemment, au fur et à mesure que tout le terrain est couvert, les attaques se multiplient.
S'agissant de la drogue, le bilan est rude. En fait, l'Afghanistan produit 93 % de la culture mondiale de pavot, dans un nombre de zones de plus en plus réduit. Il ne reste plus que cinq régions où l'on cultive du pavot, mais dans ces zones-là, les volumes produits sont de plus en plus importants. Ce commerce bénéficie à de nombreux intermédiaires et aussi aux talibans. Les chefs talibans ne donnent, selon les régions, que 25 à 30 % du bénéfice procuré par la vente du pavot. Mais, soyons honnêtes, les talibans ne sont pas les seuls à en profiter. Parmi nos alliés, dans leurs familles, dans leurs clans, certains en profitent également. La lutte est ainsi difficile et les volumes s'accroissent de façon préoccupante. Nous avons donc décidé de nous attaquer aux précurseurs chimiques et d'empêcher l'usage de ces substances par les laboratoires où elles sont utilisées pour le processus de transformation en héroïne. Alors que, en 2007, les cultures produisaient 8 300 tonnes, la quantité de précurseurs chimiques utilisée était presque du double.
La corruption est également un mal endémique et les Droits de l'Homme connaissent une évolution inquiétante malgré quelques progrès. Nous intervenons pourtant chaque fois que cela est nécessaire. Je tiens tout de même à préciser qu'il n'y a jamais eu de gouvernement afghan - quand il en existait un... - sans corruption. Ne nous imaginons pas que nous allons pouvoir éradiquer instantanément la corruption et offrir à l'Afghanistan une parfaite démocratie occidentale. Nous allons, en revanche, améliorer nos rapports et nous préoccuper de plus en plus de la corruption comme l'a montré la Conférence de Paris. Aucun des intervenants n'a manqué de souligner la nécessité de la combattre. Et les associations de défense des Droits de l'Homme, les ONG afghanes, les agences des Nations unies ont toutes souligné ce point dans la réunion qui s'est tenue avec la société civile, quinze jours avant la Conférence de Paris. Mais la corruption ne sera pas éradiquée avant longtemps.
Considérer que ces difficultés anéantissent les efforts qui ont été les nôtres et ceux de nos alliés depuis 2001 serait toutefois une erreur. Ce serait surtout une faute d'y trouver la justification d'un renoncement. Notre place en Afghanistan est aux côtés du peuple afghan et de nos alliés - dont vingt-cinq de nos partenaires européens. Nous la tenons pour consolider les succès obtenus. En matière d'éducation, plus de 6 millions d'enfants sont scolarisés, dont près de 2 millions de petites filles qui étaient interdites d'école avant l'intervention de 2001. En matière sanitaire, 83 % de la population ont accès à des soins, même s'ils sont de qualité très variable. Notre modèle, dans ce domaine, reste l'hôpital français de Kaboul qui va s'étendre puisque le gouvernement a fourni un terrain. Initialement réservé aux soins destinés aux femmes et aux enfants, il dispensera des soins divers - chirurgie et médecine - à toute la population.
S'agissant de démocratie, l'Afghanistan a organisé des élections présidentielles, parlementaires, et provinciales libres et les plus équitables possible, d'après les observateurs internationaux.
En matière d'infrastructures, 4 000 kilomètres de route ont été construits. Mais, pour ce faire, il faut que la zone soit sécurisée. Un effort militaire préalable est nécessaire car la rébellion attaque dès qu'un chantier s'ouvre. Nos ONG et nos agences doivent, autant que faire se peut, être représentées par des Afghans, mais ils deviennent eux-mêmes des cibles. Pour construire des routes, il ne suffit donc pas de dérouler et d'étaler du goudron.
Encore deux ou trois chiffres pour souligner les progrès accomplis : 10.000 personnels de santé, dont la moitié de femmes, ont été formés depuis 2002. C'est considérable puisqu'il n'existait auparavant en Afghanistan aucun système de soins ailleurs que dans les grandes villes. En 2006, 123.000 femmes enceintes ont bénéficié de soins prénataux, contre 8.000 en 2003. Or, pour convaincre une femme enceinte en Afghanistan de se faire suivre médicalement, il faut attendre des mois et enchaîner générosité et persuasion. Au bout d'un certain temps, sept ans d'après mon expérience, on voit arriver - et c'est un triomphe - les femmes enceintes qui viennent accoucher à l'hôpital. Les ONG françaises travaillent en Afghanistan depuis de longues années et elles étaient de loin les plus nombreuses lors de la première guerre dans les années quatre-vingt. Elles sont restées, valeureuses et courageuses, déployant tous les jours des trésors de bravoure pour accéder aux populations. Nous ne l'ébruitons pas, mais les enlèvements sont très fréquents en Afghanistan, visant en particulier les membres des ONG qui demeurent héroïquement sur le terrain. Les services de renseignement et ceux du Quai d'Orsay tentent de libérer ceux qui sont pris. Je veux saluer leur travail. Les organisations internationales des Droits de l'Homme sont là, de même que celles du secteur privé afghan.
La Conférence internationale de Paris a réuni 85 délégations, représentant 68 pays et 17 organisations internationales, dont les organisations des Droits de l'Homme. Près de 20 milliards de dollars ont été recueillis, ce qui prouve l'importance que revêt pour le monde entier la stabilisation de cette zone. Nous avons d'ailleurs nous-mêmes doublé notre aide. Mais, surtout, des engagements politiques ont été pris. Une stratégie a été élaborée, renonçant à la solution militaire seule. Il s'agit d'apporter une aide militaire à la solution civile et politique, c'est-à-dire qu'il faut encore sécuriser les régions avant de passer le pouvoir au plus vite à nos amis afghans. Nous ne pourrons pas partir avant.
Des engagements ont été pris par les autorités afghanes pour intensifier les réformes politiques et économiques dans la perspective des élections de 2009 et 2010, qui doivent poursuivre, et même, dans certaines régions, jeter les bases de l'enracinement de la démocratie. Le gouvernement afghan a adopté une loi anti-corruption, et c'est un progrès majeur, même si je ne peux pas vous promettre qu'elle sera appliquée.
De son côté, la communauté internationale s'est engagée à mieux coordonner ses actions, et à rendre son aide plus efficace. C'est la tâche qui attend le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, M. Kai Eide. Il aura un rôle accru de coordination, et ce ne sera pas une tâche facile car les actions se télescopent parfois. Bien sûr, le chemin sera long, mais ce qui compte, c'est que la mise en oeuvre des décisions politiques et stratégiques prises à la Conférence de Paris a déjà commencé.
Tel est le contexte dans lequel est intervenue la décision du président de la République de renforcer notre présence au sein de la FIAS. C'est une décision courageuse qui répond à une haute ambition pour l'Afghanistan et pour la sécurité du monde. Elle est aussi importante pour la France auprès de ses partenaires. Vous nous voyez abandonner vingt-cinq pays européens ? Abandonner la coalition au moment où le réseau d'Al-Qaida s'est étendu au Maghreb, devenu le théâtre d'attentats organisés en son nom ? Il faut au contraire renforcer notre détermination.
A ceux qui annoncent notre défaite, rappelons que l'objectif n'est pas la victoire militaire, mais la création des conditions qui permettront au gouvernement et au peuple afghans de prendre en main leur destin. Au plus vite, même si ce sera progressif.
Comme vous le savez, la France avait posé comme condition au renforcement de sa présence la redéfinition d'une stratégie de l'Alliance en Afghanistan selon quatre critères indissociables, énoncés par le président de la République : un engagement de tous dans la durée ; une politique globale d'aide à la reconstruction ; un transfert progressif des responsabilités de sécurité aux Afghans ; et une stratégie politique impliquant les pays voisins, en particulier le Pakistan. Je voudrais insister sur ce point : la politique actuelle de certains responsables pakistanais comporte trop d'ambiguïtés, trop de zones d'ombre, pour que nous puissions nous en satisfaire. L'évolution récente de ce pays, avec la perspective d'une élection présidentielle le 6 septembre, peut offrir une occasion, à condition que nous sachions l'exploiter, en concertation avec nos alliés. Sur la base de ces quatre points, plusieurs de nos partenaires européens - l'Allemagne, la Pologne, la Belgique, le Royaume-Uni - ont eux aussi accru leur effort militaire.
A ceux qui décrient la "guerre des Américains", je rappelle que la FIAS regroupe quarante pays, parmi lesquels, je le souligne une nouvelle fois, vingt-cinq des vingt-sept pays membres de l'Union européenne. Les Européens représentent d'ailleurs la moitié des effectifs. A ceux qui dénoncent la "guerre de Bush", je rappelle les positions très claires des deux candidats à l'élection présidentielle américaine sur le nécessaire renforcement de la présence en Afghanistan.
Tout, bien sûr, ne se fera pas en un jour. Il est probable, malheureusement, que nous essuierons encore des pertes, même si, Hervé Morin, l'a souligné, nous faisons tout pour minimiser le risque. Mais les motifs d'espérer sont bien plus grands que l'angoisse. Et ils justifient que nous intensifiions nos efforts pour aider ce pays à assurer son relèvement durable. Nous ne sommes pas en guerre contre le peuple afghan, mais pour lui, et contre le terrorisme. Le terrorisme frappe aujourd'hui à Kaboul, et demain, peut-être, plus près de chez nous. Notre action est légitime, elle est légale, et nécessaire.
Q - (Concernant la durée de cette mission en Afghanistan)
Q - ( A propos de la dénomination de cette opération)
R - Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes - Personne ne peut dire combien de temps nous devrons rester, et vous le savez très bien. Lorsque de telles opérations sont engagées, il faut toujours beaucoup plus de temps que prévu au départ pour obtenir la paix. Or nous sommes bien dans le cadre d'une mission de paix des Nations unies mandatée par une résolution du Conseil de sécurité. J'espère que nous ne serons plus en Afghanistan dans quelques années mais ce serait faire la part belle aux ennemis de la démocratie que de donner une date butoir. Nous resterons en Afghanistan le temps qui sera nécessaire au peuple afghan et à sa représentation légitime pour bâtir la démocratie à laquelle ils aspirent et pour renforcer les institutions.
Est-ce une guerre? Non, pas pour nous. C'est une mission de paix à l'appel du Conseil de sécurité des Nations unies, même si elle donne lieu à des affrontements - et il est inutile de le dissimuler au moment où nous venons de l'éprouver douloureusement - qui sont la même chose que la guerre. Mais ce n'est pas une guerre. Nous sommes en mission auprès d'un gouvernement légitime dans un pays légitime. Vous pouvez toujours discuter des définitions. Ce sont celles qui sont retenues dans le cadre des décisions des Nations unies. A qui donc aurions-nous déclaré la guerre ? Aux Afghans ? A M. Karzaï ? Il n'est pas possible de parler de guerre, même si c'est, malheureusement, la même chose.
Ce n'est pas une guerre ! C'est une bataille qui ressemble à une guerre. C'est un affrontement permanent.
Il ne s'agit pas de prôner la seule logique militaire. Il n'est pas question, et je l'ai dit clairement, de s'en contenter. Il faut établir, grâce à une sécurisation suffisante de certaines régions, les conditions pour que les Afghans reprennent leur destin en main, du plus petit projet des ONG à l'armée et à l'administration. Nous le faisons avec nos partenaires européens. Nous nous rencontrons régulièrement : un rendez-vous est d'ailleurs prévu avec les Anglais à Paris dans quelques jours. Encore une fois, la logique militaire à tout crin est hors de question puisque c'est le contraire de ce que nous pensons.
Q - (Concernant le processus de commandement)
Q - (Au sujet des moyens militaires opérationnels)
R - Hervé Morin, ministre de la Défense - Les opérations et leur planification sont pensées par le général qui commande la région Centre, c'est-à-dire, pour le moment, le général français Stollsteiner. Ces missions sont ensuite approuvées - comme c'était le cas précédemment pour le général italien commandant la région Centre - par le général Mac Kiernan, commandant la FIAS.
Nous aurions fait preuve de légèreté, dites-vous, reprenant ainsi les propos du général Stollsteiner. Pour l'ensemble de l'Afghanistan, on compte entre 100 et 150 missions par jour. Quand, dans une vallée, vous menez tous les jours des missions de reconnaissance, de pacification ou de contact avec la population, et que tout se passe bien, cela vous conduit à préparer votre nouvelle mission toujours avec autant de sérieux, mais en pensant qu'il n'y a pas de raison qu'elle soit différente de celle de la veille.
Quant aux moyens technologiques nécessaires, il ne faut pas se faire d'illusion. La hantise du soldat, c'est l'embuscade, le guet-apens. Vous pourrez déployer tous les moyens militaires et d'observation que vous voudrez, la supériorité technologique ne permettra pas d'éviter aux militaires de tomber dans des embuscades. Les équipages des hélicoptères disent eux-mêmes que lorsqu'ils mènent des missions d'observation, si les forces talibanes ne bougent pas, ils ne les voient pas.
Ce n'est donc pas parce que l'on mettra en oeuvre tous les moyens technologiques de la terre que l'on sera pour autant en mesure de protéger totalement nos soldats. Du reste, s'il ne s'agissait que d'une problématique technologique, les Américains devraient être ceux qui connaissent le moins de drames. Or ils ont perdu plus de 500 hommes en Afghanistan.
Nos fantassins ont mené une mission comme en conduisent tous les fantassins, selon les schémas tactiques que l'on apprend dans les écoles de l'armée française : avec des VAB en soutien, des fantassins sont partis à pieds pour aller en reconnaissance en haut d'un col où, à une distance de cinquante mètres, un feu absolument imprévisible a été déclenché contre eux.
A sa demande, je proposerai au président de la République, au début de la semaine prochaine, l'envoi de moyens supplémentaires d'observation. Cependant, ce n'est pas parce que vous aurez des drones et des hélicoptères supplémentaires que vous éviterez que des talibans embusqués dans la montagne ne surgissent.
C'est d'ailleurs la première fois, que les forces françaises ont eu à faire face à une opération tactique qui démontre l'aguerrissement militaire des talibans. A quelques exceptions près en effet, elles étaient plutôt confrontées jusqu'alors à des engins explosifs improvisés, à des attentats suicides et à des escarmouches engagées d'assez loin. Or, c'est bien une opération militaire qui, en l'occurrence, a eu lieu : on a laissé des hommes monter reconnaître le col, fixé immédiatement ceux qui étaient sur "Sper Kunday" et attaqué les éléments de la section du régiment de marche du Tchad pour les empêcher de se porter à leur secours. C'est là un schéma nouveau qui doit être pris en compte par l'envoi de moyens militaires supplémentaires.
Q - (A propos de l'"afghanisation")
Q - (Concernant la situation des forces démocratiques afghanes) - ( A propos de l'éventualité d'une démarche pacifique et non guerrière à la résolution de cette question)
Q - (Au sujet du rôle des tribus patchounes présentes en Afghanistan et au Pakistan)
Q - (A propos des moyens d'observations complémentaires)
R - Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères - Vous avez employé avec raison une expression que je m'efforce pour ma part de traduire dans les faits, celle d'"afghanisation".
Un peu plus de 50.000 hommes c'est peu, comparés aux Soviétiques ont été jusqu'à 160.000. Mais nous profitons de l'expérience des Russes, et il faut reconnaître qu'ils nous donnent des conseils utiles. Ils nous aident d'ailleurs aussi en nous laissant entrer en Afghanistan par leur territoire.
En tout cas, l'afghanisation c'est ce que nous faisons. C'est ainsi que l'on compte aujourd'hui environ 53.000 hommes au sein des troupes afghanes contre 20.000 voilà peu de temps. De même, les opérations de la FIAS sont menées à 90 % non pas encore sous la direction, mais avec des troupes afghanes, et sont planifiées à 50 % avec ces dernières. L'afghanisation est lente, trop lente, mais nous devons, avant de nous retirer, la mener à son terme.
Monsieur Lecoq, je suis d'accord avec votre analyse, mais vous parlez de guerre. Sans vouloir me battre sur les mots, je parlerai quant à moi d'opérations meurtrières, d'opérations de guerre. Pour nous qui n'avons pas déclaré la guerre, qui ne signerons donc pas d'armistice et qui ne ferons pas la paix, nous sommes engagés dans une mission des Nations unies de soutien à un gouvernement. Pour autant, l'horreur de ce que nous venons de décrire serait certainement suffisante pour parler de guerre, sachant ce contre quoi nous devons également lutter : le 17 juillet 2008 le gouvernement de la province de Ghazni a ainsi échappé à une tentative d'attaque suicide commise par un enfant de treize ans, et il est fréquent que des femmes, particulièrement à Kaboul, lancent aussi des attaques suicides. C'est une situation vraiment effroyable qui se développe.
Quant aux talibans, les uns luttent pour leur région, pour leur pays. Dirigés pour la plupart par le mollah Omar, ils ne sont pas partisans de ce que l'on appelle le djihad global, c'est-à-dire qu'ils ne veulent pas répandre l'islamisme à travers le monde. Ils ne font pas partie de la nébuleuse dont j'ai parlé et qui se développe au Maghreb. Ceux-là sont peut-être des interlocuteurs pour le gouvernement de M. Karzaï. Les Britanniques les ont approchés une fois ou deux, et il y a peut-être des possibilités politiques.
Les autres talibans sont, eux, les combattants du djihad global, et il n'y a pas d'autre façon de s'opposer à eux que brutalement.
Les forces démocratiques existent. Elles sont nombreuses, mais elles sont terrorisées. Outre l'armée qui se constitue, nous travaillons à Kaboul avec les élus et les forces démocratiques qui, si elles ne sont pas exactement semblables aux associations politiques de nos pays, représentent l'espoir, et, j'en suis sûr, l'immense majorité du pays.
Résister aux talibans ? Mais le pays le ferait à 80 % s'il le pouvait ! Encore faut-il sécuriser le plus rapidement possible le territoire. Les Afghans ne sont talibans que parce qu'on les y force. Ils gagnent alors dix dollars par jour tandis que le salaire moyen, lorsqu'il y a du travail, est de cinquante dollars par mois.
Plusieurs éléments unissent les Pachtounes, qu'il s'agisse du trafic de drogue, des relations dans la zone tribale avec les Pachtounes du Pakistan ou de la lutte contre les Tadjiks qui a fait, dans les années 90, des dizaines de milliers de victimes dans des batailles rudes et meurtrières. Tous ces éléments, nous les prenons en compte dans la lutte qui majoritairement oppose les Afghans, appuyés par nous, aux régions pachtounes. Pour autant, faut-il s'appuyer sur les Tadjiks ? Cela a été fait une fois, avec les conséquences graves que vous savez.
Quant aux bases arrière, elles se trouvent, tout le monde le sait, en particulier au Pakistan. Or, il n'y a pas de frontière autre que la "ligne Durand". C'est ce que l'on appelle la zone tribale, où l'on fabrique des armes imitant toutes les armes du monde à bon prix et où se déploie un trafic considérable, celui de la drogue passant majoritairement par-là. Avec 51.000 hommes, ce n'est même pas la peine de penser à une solution militaire. Ce ne serait même pas suffisant pour occuper la zone tribale.
Il y a donc là un problème politique majeur que toute la communauté internationale - les Nations unies, l'Europe, les Etats-Unis - doit prendre en charge, en s'intéressant également à ce que feront le prochain président du Pakistan et la coalition - sachant que le gouvernement et même l'armée comportent des éléments qui travaillent avec les talibans.
R - Hervé Morin, ministre de la Défense - Vous avez raison de parler d'"afghaniser" : c'est d'ailleurs bien à cet effet que nous formons l'armée nationale afghane et que nous commençons à lui transférer la sécurité de certaines parties du territoire. C'est ainsi que les forces de sécurité afghanes vont prendre en charge la responsabilité de la sécurité à Kaboul, puis dans les districts autour de la capitale, l'essentiel de la région Centre devant passer sous le contrôle de l'armée nationale et de la police afghanes au cours de l'année 2009. l'objectif est de faire de même progressivement dans d'autres endroits afin de confier entièrement aux Afghans leur propre sécurité.
Cela vous a peut-être échappé, mais voilà deux mois, après l'attaque d'une prison par les talibans près de Kandahar, c'est l'armée nationale afghane qui a mené l'opération contre les talibans, de la même façon que nous aurions pu le faire. Progressivement, elle sera donc capable de mener des opérations militaires.
Je conteste le mot "guerre". Nous ne sommes pas en guerre contre un Etat, contre un peuple. Nous agissons sous mandat des Nations unies, avec trente-neuf pays de la communauté internationale qui luttent conte le terrorisme. Je vous invite d'ailleurs, si vous accompagnez le président Guy Tessier dans le cadre de la mission parlementaire, à vous rendre dans les vallées et pas seulement dans les camps militaires : vous y verrez que la population est heureuse de voir les forces alliées assurer leur sécurité, que les enfants sont aujourd'hui scolarisés, que les familles afghanes peuvent bénéficier de programmes de santé. L'accueil des populations montre que les Afghans aspirent à la paix et à la sécurité. Après quarante ans de drames permanents, les Afghans ont aussi envie de vivre en paix.
Bernard Kouchner l'a souligné, les langues et les dialectes parlés dans les conversations entre talibans captées par les services de renseignement n'appartiennent pas, pour l'essentiel, à l'Afghanistan, ce qui démontre que le recrutement est extérieur au pays. C'est d'ailleurs ce que déclarait l'un des grands spécialistes du terrorisme et d'Al-Qaida interviewé la semaine dernière par le journal Le Monde.
Concernant, enfin, la question des moyens d'observation complémentaires, les forces alliées ont une immense faiblesse depuis 2001, à savoir le manque de moyens héliportés et aéroportés, et la situation est valable pour l'ensemble de l'Afghanistan. Quant aux drones, s'ils constituent un appui utile, ils ne permettront pas de régler la totalité des problèmes de sécurité qui se posent aux forces.
Le président Chirac avait décidé de retirer les forces spéciales d'Afghanistan, mais de nombreux autres pays ont engagé de telles forces sur place. Dans de telles régions, le renseignement humain est plus important que le renseignement technologique, et des forces spéciales capables de couvrir le spectre de toutes les missions pourraient être utiles, notamment à des fins d'anticipation. Cela fait partie de ce que nous étudions et que nous présenterons au président de la République.
Q - (Concernant la situation sur le terrain et la pertinence de mener de telles opérations)
Q - (Au sujet de l'objet même d'une présence militaire française)
Q - (A propos de l'évolution de la situation démocratique afghane)
Q - (Concernant les zones contrôlées par les forces internationales et les Afghans)
Q - (Au sujet de l'information du peuple français de l'évolution de la situation en Afghanistan)
R - Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères - A quoi bon évoquer le Vietnam ? Ce n'est pas du tout la même guerre et si vous pensez que l'on doit se retirer, dites-le clairement ! Mais nous ne pouvons pas nous retirer maintenant : c'est impossible au regard de notre conception de la démocratie comme de nos engagement et de ceux que nous avons pris avec nos alliés.
Mais ce qui peut changer, par rapport à ce qui s'est passé au temps de l'Angleterre ou de l'Union soviétique, c'est que nous formons - et pas contre leur gré - une armée afghane qui comptera 100.000 hommes. Et viendra alors le temps de nous retirer, pas d'un seul coup, pas brutalement, avec l'accord des Afghans. Nous faisons tout cela, qui ne nous amuse pas, avec l'assentiment et même à la demande des Afghans, et avec leur coopération.
Cela étant, l'Afghanistan ne va pas changer du jour au lendemain et ce que vous dites, est tout à fait juste : les choses progressent mais ce mouvement est horriblement lent. Cela étant, comment faire autrement ? Demandez l'avis des femmes afghanes : elles souhaitent que nous restions et moi je les écoute.
Il existe de nombreux critères d'évaluation. Le territoire que nous défendons maintenant avec les Afghans est beaucoup plus important qu'auparavant : avant, nous n'étions présents qu'à Kaboul, désormais nous rayonnons plus largement, même si nous n'allons pas encore jusqu'à l'extrême ouest. Il ne faut en outre pas oublier les territoires Hazaras et iraniens. Il s'agit donc d'une opération horriblement difficile. Ce n'est pas pour cela qu'il faut y renoncer. Au contraire, il faut la réussir et, pour cela, transmettre aux Afghans les responsabilités. Mais j'insiste à nouveau sur la complexité de la situation. J'ai travaillé pendant huit ans dans la province du Wardak, qui est aujourd'hui entièrement talibane. En revanche, alors que les habitants de la province voisine étaient alors très extrémistes, ils soutiennent désormais le gouvernement. Vous le voyez, les choses changent, en fonction des chefs de guerre mais aussi, bien entendu, des efforts faits par le gouvernement.
Une loi contre la corruption a été adoptée, ce qui aurait été inenvisageable il y a quelque temps. Elle ne sera peut-être pas suffisante mais elle marque un progrès.
Les surfaces de drogue ont diminué plutôt qu'elles n'ont augmenté, peut-être produisent-elles davantage... Cela vous fait rire, mais vous avez sans doute la solution !
Il faut informer les Français en permanence sur le monde tel qu'il est, sur l'Afghanistan non pas tel qu'on le voudrait, mais tel qu'il est, tel qu'il se transforme. Je vous propose d'ailleurs de faire venir en France des représentants de la société civile et du gouvernement pour nous dire comment les choses se passent et s'ils souhaitent que nous continuions.
C'est sur proposition française que l'on a considéré en 2003 qu'il n'était pas raisonnable de changer de commandement tous les six mois et que l'on a choisi de confier le commandement militaire à l'OTAN, mais les décisions politiques demeurent celles de l'ONU et sont approuvées par le Conseil de sécurité.
Q - (Concernant la jeunesse des soldats envoyés sur le terrain des opérations)
Q - (Au sujet de la nature de cette mission de paix et de la mise en place d'un Etat afghan stable)
Q - (A propos de l'équipement logistique des troupes françaises)
Q - (Concernant la situation en Géorgie)
R - M. Hervé Morin, ministre de la Défense - Concernant la jeunesse et la formation de nos soldats, je répondrai que les propos du père de Julien résument fort bien l'état d'esprit des militaires. L'un d'entre eux m'a demandé ce matin de vous dire qu'ils sont bien instruits, totalement aguerris, que c'est leur métier et leur vocation, qu'ils voulaient aller en Afghanistan parce qu'ils avaient le sentiment de servir la France. Je l'illustrerai par un seul exemple : c'est parce qu'on leur a appris à se soigner eux-mêmes et qu'ils ont été capables de se prodiguer des soins, notamment d'auto-garrottage, que deux d'entre eux ont pu rester en vie jusqu'à l'arrivée des secours. L'idée qu'ils ne seraient ni formés ni instruits dans la perspective des combats qu'ils ont à mener est donc pour eux presque offensante.
Il y a au moins une différence entre l'Algérie et l'Afghanistan, c'est que la première réclamait son indépendance tandis que les Afghans souhaitent d'abord vivre en paix et en sécurité.
J'indique enfin que nous n'avons pas pour l'instant connaissance de la présence de missiles sol-air capables de détruire nos hélicoptères, mais un hélicoptère peut être abattu avec bien moins qu'un missile...
R - M. Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères - La guerre en Afghanistan n'est pas seule responsable du trafic international de drogue, qui répond d'abord à une demande et vise à alimenter un marché. Mais il est vrai qu'il procure des bénéfices très importants aux talibans comme à tous les trafiquants. L'agence antidrogue de l'ONU, installée à Vienne, combat l'internationalisation de la consommation de drogues. Le problème sera également abordé lors d'une conférence ministérielle qui sera organisée, dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, le 18 septembre prochain. Nous nous intéresserons particulièrement aux routes de la drogue, à la source et aux précurseurs. Mais c'est également un combat difficile.
Des taliban s'infiltrent dans l'armée afghane et les différents services d'intelligence se coordonnent pour combattre ce phénomène, mais les liens entre les familles et entre les régions compliquent la tâche.
Hamid Karzaï a récemment annoncé qu'il serait candidat à la prochaine élection présidentielle et il est pour l'instant seul en lice. Il existe une opposition tadjike ainsi qu'une opposition de la part du président de l'Assemblée nationale, mais ce dernier ne réunit ni les forces, ni l'argent, ni la popularité nécessaires. Pour le moment, le gouvernement tient. On a dit, en effet, que le président Karzaï était affaibli. Mais comment ne serait-il pas ? Sur le terrain, les gens ne se rendent pas compte des progrès qui sont faits, ils vivent encore dans la terreur. Petit à petit, nous gagnons du terrain, des villages, des régions mais ailleurs les habitants se désespèrent car ils sont en guerre depuis près de 40 ans.
S'agissant de la question différente de M. Bayrou, nous avons en effet pris note que le président Medvedev reconnaissait l'Ossétie du sud et l'Abkhazie. Ce n'est pas une bonne nouvelle et nous condamnons fermement cette attitude. Nous considérons que cette décision va bien évidemment à l'encontre du maintien de l'intégrité territoriale de la Géorgie, ce que nous ne pouvons accepter. En arrêtant la guerre, nous avons fait en sorte, et ce n'était pas si mal, d'éviter que les forces russes prennent Tbilissi et ne renversent elles-mêmes le président Saakachvili, mais cela ne saurait nous consoler.
Nous allons donc prendre des mesures qui seront probablement arrêtées lors du Conseil européen du 1er septembre. Il faudra alors adopter une attitude commune des vingt-sept Etats membres, ce qui me paraîtrait plus efficace que les mesures américaines de rétorsion et que les décisions de l'OMC et de l'OTAN. Le président Medvedev a d'ailleurs envisagé lui-même de rompre les relations avec l'OTAN.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er septembre 2008
La France vient de payer un lourd tribut pour son engagement en Afghanistan.
Je voudrais, à la suite de Guy Teissier, rendre une nouvelle fois hommage à nos soldats qui ont payé leur engagement du sacrifice ultime. Ils ont fait preuve d'un courage, d'une volonté et d'un professionnalisme extraordinaires. Je me suis rendu ce matin dans les hôpitaux Bégin et Percy où j'ai rencontré les soldats blessés. Leurs témoignages montrent un sang-froid, une lucidité et un courage hors pair. Mes pensées vont aussi à leurs familles, leurs amis, leurs frères d'armes qui sont dans la peine comme l'a été toute la communauté militaire, durement touchée par la perte de dix de nos camarades. C'est dans cet esprit que nous nous sommes rendus sur place avec le président de la République et M. Bernard Kouchner.
Avant de donner un certain nombre d'éclairages sur l'embuscade et l'environnement militaire dans lequel se déroulait cette opération, je voudrais vous rappeler le cadre politique et juridique de notre présence. La France est présente en Afghanistan depuis 2001 avec trente-sept autres pays, parmi lesquels certains qui n'ont pas une grande tradition d'opérations extérieures, comme les pays scandinaves, et même des pays neutres, tels que l'Autriche et l'Irlande.
En second lieu, nous intervenons en Afghanistan dans le cadre d'un mandat des Nations unies, et plus précisément de la résolution 1386 du 20 décembre 2001, qui a créé la FIAS - la Force internationale d'assistance et de sécurité. Son mandat est renouvelé chaque année par une résolution du Conseil de sécurité, et il l'a été la dernière fois en septembre 2007.
Ce mandat comporte quatre missions : aider le gouvernement afghan à étendre son autorité à l'ensemble du pays ; mener des actions destinées à assurer la stabilité et la sécurité en coordination avec les forces de sécurité nationales afghanes ; encadrer et soutenir l'armée nationale afghane ; enfin, apporter un soutien aux programmes du gouvernement visant à désarmer les groupes illégaux. Cette résolution est placée sous le chapitre VII de la Charte des Nations unies, qui permet aux unités d'exercer leur droit à une légitime défense renforcée.
La FIAS, coalition de pays volontaires déployés sous l'autorité du Conseil des Nations unies, est placée, depuis août 2003, sous commandement de l'OTAN. A ce jour, trente-huit pays y participent, dont douze n'appartiennent pas à l'OTAN et vingt-cinq sont membres de l'Union européenne. Au sein de cette dernière, seules Chypre et Malte ne sont pas présentes en Afghanistan.
Cette force compte quelque 51.000 hommes, répartis dans cinq régions. Avec environ 3.300 soldats, la France se place derrière les Etats-Unis - 19.000 hommes -, le Royaume-Uni - 8.600 -, et à peu près au même niveau que les grandes nations occidentales, Italie, Allemagne et Canada. Le nombre de nos soldats présents en Afghanistan varie tous les jours en fonction des allers et des retours mais il est en gros de 3.300 hommes, dont 450 au titre de la composante "air", 300 au titre des bateaux qui patrouillent au large des côtes pakistanaises dans le cadre de la lutte contre les trafics, une trentaine au titre d'Epidote, c'est-à-dire de la formation des officiers afghans, une quarantaine au titre du soutien "air" et, enfin, 2.500 hommes sur le terrain dans la région centre, quelques-uns participant à une OMLT - Operational Mentor and Liaison Team - avec les Hollandais.
Compte tenu du mandat des Nations unies, l'enjeu est donc double pour la coalition. Au niveau afghan, il s'agit de reconstruire le pays, de le stabiliser et de consolider l'Etat de droit. Au niveau international, il s'agit de lutter contre le terrorisme, menace essentielle pour les démocraties et la communauté internationale. New York, Madrid, Londres, Casablanca, Alger, Bali ont ainsi été le théâtre d'attentats majeurs ces dernières années. Le terrorisme l'a prouvé : il frappe et peut frapper partout.
Notre engagement en Afghanistan a également pour but la défense des Droits de l'Homme. Puis-je rappeler que, sous le régime moyenâgeux des talibans, de 1996 à 2001, les Droits de l'Homme étaient bafoués, la condition des femmes était indigne, les jeunes filles n'étaient ni scolarisées ni soignées, alors qu'on lapidait dans les stades aux mi-temps des matchs de football ? Même les cerfs-volants des enfants étaient interdits. A travers la destruction des Bouddhas de Bâmyiân, la culture et la civilisation afghanes elles-mêmes étaient mises en cause par le régime des talibans.
Compte tenu de son mandat, la communauté internationale doit remplir une triple missions : la pacification et la restauration de la stabilité de l'Afghanistan, la mise en place de formations militaires et de sécurité pour que l'Afghanistan puisse retrouver sa propre souveraineté et l'exercer, l'engagement d'un programme de reconstruction et de développement de l'Afghanistan.
En ce qui concerne tout d'abord la pacification et la restauration de la stabilité de l'Afghanistan, la FIAS a désormais repris pied sur la quasi-totalité du territoire, à l'exception de l'extrême sud-ouest du pays, très peu peuplé. Cette pacification et cette stabilisation sont indispensables pour pouvoir transférer la responsabilité de leur sécurité aux Afghans eux-mêmes et assurer la reconstruction et le développement du pays.
Les Afghans reprennent actuellement, comme la France l'avait souhaité, la gestion de leur capitale. Progressivement, l'ensemble des zones situées autour de Kaboul leur sera transféré. Au cours de l'année 2009, l'armée et la police afghanes doivent aussi recouvrer la vallée de l'Ouzbin, où sont tombés nos soldats. A terme, c'est toute la région Centre-Capitale qui sera sous contrôle afghan, nos forces n'agissant qu'en soutien.
Le regain des violences que nous connaissons actuellement est essentiellement lié - j'insiste sur ce point - à l'accroissement des opérations menées par l'Alliance atlantique et les forces de sécurité afghanes dans des zones qui, jusqu'à présent, étaient considérées comme des sanctuaires d'extrémistes. C'est parce que nous sommes de plus en plus présents que le nombre d'opérations menées par les talibans s'accroît. Ainsi en 2007, 70 % des incidents relatifs à la sécurité ont eu lieu dans seulement 10 % des 398 districts du pays, soit sur un territoire qui rassemble 6 % de la population.
La deuxième mission de la communauté internationale consiste à former les forces de sécurité afghanes afin de donner à l'Afghanistan la capacité d'assurer lui-même la stabilisation et la pacification.
L'armée nationale afghane compte aujourd'hui environ 50.000 hommes contre 20.000 il y a quelques mois. Notre ambition est de porter ses effectifs, dans un délai relativement bref, à 120.000 hommes. Les progrès sont là, vous le verrez, Monsieur le Président de la commission de la Défense, quand vous vous rendrez à nouveau en Afghanistan. Si vous interrogez les soldats de l'armée nationale afghane, ils vous diront que celle-ci, en l'espace de six mois, se transforme progressivement en une véritable armée : nous avions des guerriers, ils deviennent des soldats.
Nous agissons à quatre niveaux. Tout d'abord, nous accompagnons les unités afghanes. La FIAS a introduit le concept des "Operational Mentoring and Liaison Team", les OMLT, grâce auxquelles les hommes de la FIAS - dont environ trois cents pour la France - assurent graduellement la formation de l'armée nationale.
Nous assurons aussi la formation des officiers : 160 stagiaires sont actuellement concernés et, depuis le lancement de cette action dénommée "Epidote", nous avons formé plus de 5.000 officiers.
Nous avons également cré??, avec les Allemands, une école de logistique : la "Driver mechanic school" de Kaboul sera en service en 2009.
Nous assurons enfin la formation des commandos afghans. Six bataillons sont formés par des forces spéciales françaises et américaines. Le premier cycle de formation a permis d'accueillir environ 600 militaires.
Le programme de reconstruction et de développement de l'Afghanistan constitue notre troisième mission après la stabilisation et la formation. Je laisse à Bernard Kouchner, qui a joué un rôle majeur dans l'organisation de la Conférence de Paris, le soin d'évoquer cette question. Je rappelle toutefois que, grâce à l'initiative de la France, vingt milliards de dollars ont été promis par la communauté internationale pour le développement de l'Afghanistan.
Je citerai aussi quelques chiffres qui montrent les progrès accomplis. Le nombre d'enfants scolarisés est passé de 900.000 à 6,5 millions, parmi lesquels 1,5 million de jeunes filles. La mortalité infantile a chuté de 26 %. Le pourcentage de la population afghane ayant accès aux soins est passé de 8 à 80 %. L'Afghanistan compte aujourd'hui 103 hôpitaux et plus de 800 centres de soins. Quatre mille kilomètres de routes ont été construits, il n'en existait que cinquante lorsque nous sommes arrivés. Par ailleurs, les forces de la coalition ont conduit plus de mille projets de développement dans le cadre des actions civilo-militaires "CIMIC".
Il faut enfin citer les progrès démocratiques : une élection présidentielle s'est tenue en 2003, et le prochain scrutin est prévu pour l'année prochaine.
Bien entendu, de nombreux progrès restent à accomplir et nous sommes confrontés, sur le plan intérieur, à trois faiblesses majeures. Il s'agit tout d'abord de l'état de la police afghane qui, si elle compte 75.000 hommes, demeure une force peu fiable, gangrenée par la corruption et avec un niveau d'instruction et de formation très variable. Le trafic de drogue pose également un grave problème puisqu'on estime que 90 % de la production mondiale d'héroïne proviennent d'Afghanistan. Enfin, la corruption reste extrêmement développée dans les structures administratives du pays.
Dernière difficulté majeure : le rôle joué par un certain nombre de pays voisins. Je pense notamment au Pakistan, qui de toute évidence doit faire l'objet d'une pression internationale accrue, afin qu'il ne serve plus de base arrière aux talibans.
J'en arrive aux événements du 18 août. Il convient de mettre fin à certaines rumeurs et de reconstituer l'opération telle qu'elle a été menée. La reconstitution que je vous présente a été élaborée par l'état-major des armées à partir de l'ensemble des témoignages des soldats qui ont participé à l'opération, mais aussi de l'examen précis des commandements donnés et consignés. Ce travail a été effectué durant tout ce week-end.
Depuis le 8 août, après l'Italie, la France est responsable de la vallée de l'Ouzbin. Cette responsabilité va de pair avec celle de la région centre-capitale. C'est dans le cadre d'un système tournant avec la Turquie que nous avons succédé aux Italiens pour le commandement de la région centre dont cette vallée du district de Surobi fait partie.
Entre le 8 août et le 15 août, rien ne permettait de prévoir l'attaque massive dont nos forces ont fait l'objet. Le 15 août, celles-ci ont entamé une mission de trois jours qui avait pour but, d'une part de reconnaître un terrain dont nous venions de reprendre le contrôle, d'autre part de nouer des relations avec les populations de la vallée afin de ré-instaurer progressivement la sécurité du district.
Le 18 août, la mission débute à 9 heures avec une section du 8e RPIMa, des éléments de l'armée nationale afghane, une section du régiment de marche du Tchad et quelques forces spéciales américaines. A 13 heures 30, la section de tête de la colonne du 8e RPIMa entame à pieds la reconnaissance du col situé à 2 000 mètres d'altitude, suivie des forces américaines, de Rouge 4, la section du régiment de marche du Tchad et des éléments de l'armée nationale afghane. En partant de Sper Kunday, village à partir duquel on monte au col, Carmin 2, la section du 8e RPIMa à laquelle appartiennent neuf de nos soldats qui vont périr, a pour objectif d'aller jusqu'au col et de reconnaître ce territoire. Il s'agit d'une procédure habituelle et nos soldats sont appuyés par des VAB, véhicules de l'avant blindé, dont les automitrailleuses assurent la couverture des fantassins engagés sur le col.
A 15 heures 45, le groupe de tête est attaqué. Les insurgés - selon nos informations, ils sont une petite centaine - attaquent aussi, en même temps, l'arrière de la section et la section de l'armée nationale afghane qui la suit. Rouge 4, placée en appui et qui aurait pu venir au secours de Carmin 2, est également attaquée. Dans une opération parfaitement concertée, les insurgés ont entrepris de "fixer" la totalité de la patrouille conduite par Carmin 2. Les combats sont extrêmement durs et, à 15 heures 52, la section de tête alerte la FOB Tora, le camp de base d'où partent les missions.
A 16 heures 10, soit 25 minutes après le début des hostilités, la section de réaction rapide en place au camp de base de Tora est envoyée en renfort. Elle arrive sur zone à 17 heures, cinquante à cinquante-cinq minutes après son départ.
A 16 heures 10, selon une procédure classique, une demande d'appui aérien est formulée par la section. A 16 heures 20, des avions A10 américains, spécialisés dans l'appui au sol et dotés d'une grande puissance de feu grâce à un canon mitrailleur, sont sur zone. Ils sont guidés par les forces spéciales américaines de la mission dont les JTAC (Joint terminal attack controller) sont capables, depuis le sol, de désigner leurs objectifs aux avions par laser. Mais les avions ne tirent pas, estimant les insurgés et nos soldats trop imbriqués. Les talibans ont en effet compris qu'il leur fallait coller au maximum aux forces de l'alliance pour éviter les frappes aériennes.
A 17 heures 40, les avions A10 peuvent enfin délivrer le feu. Ils tirent plus de 1 400 munitions, sans, je le confirme, qu'aucun tir fratricide ne soit à déplorer. Ce matin encore, j'en ai parlé avec les soldats hospitalisés : il est vrai que la puissance de feu des avions est telle que leur intervention est extrêmement marquante ; il est également vrai qu'ils ont parfois tiré assez près de nos soldats, mais c'est parce que ces avions ont pu tirer que nos soldats ont pu commencer à décrocher. Jusqu'à ce moment, nos hommes ne voyaient pas les insurgés et se retrouvaient pris, à chacun de leur mouvement, sous le feu ennemi venant de l'est, du nord comme de l'ouest, l'encerclement étant progressif.
Les manoeuvres de nos soldats se sont faites sous les ordres du chef de section qui a toujours été en contact avec ses hommes et avec l'arrière. Grâce à la décision très courageuse de cet adjudant qui a ordonné le décrochage, nous avons probablement évité des pertes beaucoup plus lourdes. Comme nous avons pu le reconstituer, grâce aux témoignages de tous les soldats engagés, tout cela s'est fait avec professionnalisme, sang-froid et une maturité exceptionnelle. Un seul exemple : presque tous les soldats ont veillé à conserver, en dépit du feu de l'ennemi, un chargeur pour pouvoir se défendre jusqu'à la phase de repli.
Les tirs talibans sont alors encore trop nourris pour que l'on puisse poser un hélicoptère et évacuer les premiers blessés sans risque. Ces derniers ne pourront être emmenés qu'après 20 heures quand la zone d'atterrissage des hélicoptères aura été sécurisée.
A 20 heures justement, les renforts complémentaires provenant de Kaboul sont sur zone et permettent alors d'inverser le rapport de forces. Ils sont appuyés par des drones Predator, envoyés par les forces américaines.
Dans le même temps, les forces françaises ont réussi à sécuriser une zone pour que les hélicoptères puissent se poser, ce qui permet, outre l'évacuation des blessés, d'assurer l'approvisionnement en eau et en munitions de nos troupes, notamment des véhicules blindés qui assuraient l'appui feu depuis le village de Sper Kunday, à 1 500 mètres à vol d'oiseau du col. Je rappelle que le camp de Surobi se trouve à une heure et Kaboul à deux heures trente.
Pendant toute la nuit, les rotations d'hélicoptères Caracal se poursuivront. Permettez-moi de saluer les équipages qui ont assuré quatorze heures de vol d'affilée, dont neuf heures de nuit, dans des conditions très hostiles.
Le terrain est repris par nos forces le matin du 19 août. Nous contrôlons à nouveau la zone à partir du début de l'après-midi jusqu'au moment où le commandement de la région Centre décide de décrocher les hommes pour qu'ils reviennent au camp de Tora.
Le bilan du côté des rebelles est bien entendu incertain. Mais selon les services de renseignement alliés, nos ennemis auraient perdu une quarantaine d'hommes, dont un important chef taliban, et compteraient une trentaine de blessés.
Nous tirerons, bien entendu, tous les enseignements de l'opération du 18 août, comme nous les tirons après chacune de nos opérations, afin de progresser sans cesse dans les missions que nous menons. Je présenterai ce retour d'expérience au président de la République dans les jours qui viennent.
Evidemment, nous mettons tout en oeuvre pour protéger nos soldats. Ils sont bien équipés et suivent une formation spéciale extrêmement difficile de 6 mois avant de partir pour l'Afghanistan. Ils sont tous des professionnels aguerris, prêts au combat dans les situations les plus extrêmes. Mais puis-je ajouter que le risque zéro n'existe pas dans les armées ? Nous ne pouvons que limiter le risque au maximum, et c'est ce que nous faisons grâce à toutes les décisions que nous avons pu prendre depuis des mois.
En conclusion, je voudrais insister sur quelques points. Même si l'Afghanistan se situe à près de 7 000 kilomètres de Paris, ce qui s'y passe concerne notre sécurité et la sécurité de nos concitoyens. En Afghanistan, nous luttons contre le terrorisme international. Nous évitons la déstabilisation totale d'une région extrêmement fragile, qui a pour voisins l'Iran et le Pakistan. Nous défendons une cause juste : celle des Droits de l'Homme, de la dignité de la femme, de la démocratie. Nous défendons nos valeurs les plus fondamentales.
Vous le constatez avec ces opérations : les talibans savent que le rapport de force ne leur permet pas d'espérer contrôler à nouveau les zones dans lesquelles nous sommes implantés. Leur objectif est donc différent : il s'agit de marquer les esprits, de couper nos forces du soutien de leurs opinions publiques, de faire douter ces dernières pour que certains pays finissent par céder.
Et pourtant, je suis convaincu que nous n'avons pas d'autre choix que de poursuivre l'effort mené par la communauté internationale. Cet effort sera nécessairement long. On ne peut pas restaurer en six ans un pays frappé par la guerre depuis tant d'années. Mais nous n'avons pas le droit de perdre.
Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes -
Le débat sur notre engagement en Afghanistan est plus que jamais indispensable. Il est même tout à fait nécessaire de vous tenir en permanence au courant. Après le sacrifice de nos soldats, tout le pays, à travers la représentation nationale, doit se trouver uni et solidaire derrière cet engagement majeur. Il ne pourra l'être que si l'information s'améliore et si les légitimes questions trouvent des réponses.
Cette discussion n'est pas la première sur ce sujet. Nous avons eu des débats en séance publique, j'ai été entendu par vos commissions à plusieurs reprises et j'ai pris l'initiative, après la Conférence de Paris, au mois de juin dernier, de réunir un certain nombre d'entre vous pour vous rendre compte régulièrement de notre action.
Notre séance d'aujourd'hui sera suivie, dès l'ouverture de la session extraordinaire, d'une déclaration du gouvernement puis d'un vote. Nous avons la volonté, vous le constatez, d'associer la représentation nationale à notre action en Afghanistan.
A ce jour, vingt-quatre de nos soldats sont tombés en Afghanistan, dix d'entre eux lors de l'embuscade tragique du 18 août. Ils sont tombés pour une certaine idée de la dignité humaine et de la liberté à laquelle la majorité du peuple afghan aspire, je vous l'assure. Ils sont tombés pour rendre ce monde plus sûr. Je veux ici rendre, à nouveau, hommage à leur mémoire et à leur courage.
Je veux aussi vous dire toute notre émotion, à Hervé Morin et à moi-même, face à la mort de plusieurs dizaines de civils afghans le vendredi 22 août. Tout doit être fait pour que ce type d'accident ne se reproduise pas. Que ce bombardement ait été mené à la demande de forces américaines et afghanes n'y change rien, pas plus que la tactique des talibans utilisant des civils comme boucliers humains. Tragique sur le plan moral, ce type de bavure est désastreux sur le plan politique car il renforce le rejet des forces étrangères par la population.
Face à cette tragédie, nous devons être irréprochables et fidèles à la stratégie définie par nos alliés à Bucarest, et avec toute la communauté internationale lors de la Conférence de Paris. Et, contrairement à ce qui a pu être dit ou écrit ici ou là, cette stratégie-là est claire. Je voudrais maintenant vous l'exposer en détail.
Vous le savez, elle n'est pas seulement militaire et ne peut pas être seulement militaire ; il s'agit d'une approche politique d'ensemble mise en oeuvre avec et pour le peuple afghan, avec et pour son gouvernement élu. J'insiste sur ce point : la France, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, est présente en Afghanistan avec un mandat des Nations unies et le plein appui du gouvernement afghan. Nous avons été appelés. Nous ne représentons aucun impérialisme ; nous sommes au service de la communauté internationale dans son expression la plus légitime, au service aussi de la population afghane représentée par son gouvernement élu.
La situation en Afghanistan reste préoccupante et dangereuse, malgré des progrès indéniables. Cette situation est loin d'être stabilisée comme le montre, de façon sinistre, la tragédie du 18 août. Une inquiétude profonde est liée à la présence nouvelle et croissante de djihadistes internationalistes, relais d'Al-Qaida. Elle nous rappelle que la situation afghane est liée à la situation régionale. Mais n'oublions pas que ces incidents découlent aussi, comme l'a dit Hervé Morin, du fait que la FIAS et l'armée nationale afghane agissent dans des zones où elles étaient largement absentes jusqu'alors. Evidemment, au fur et à mesure que tout le terrain est couvert, les attaques se multiplient.
S'agissant de la drogue, le bilan est rude. En fait, l'Afghanistan produit 93 % de la culture mondiale de pavot, dans un nombre de zones de plus en plus réduit. Il ne reste plus que cinq régions où l'on cultive du pavot, mais dans ces zones-là, les volumes produits sont de plus en plus importants. Ce commerce bénéficie à de nombreux intermédiaires et aussi aux talibans. Les chefs talibans ne donnent, selon les régions, que 25 à 30 % du bénéfice procuré par la vente du pavot. Mais, soyons honnêtes, les talibans ne sont pas les seuls à en profiter. Parmi nos alliés, dans leurs familles, dans leurs clans, certains en profitent également. La lutte est ainsi difficile et les volumes s'accroissent de façon préoccupante. Nous avons donc décidé de nous attaquer aux précurseurs chimiques et d'empêcher l'usage de ces substances par les laboratoires où elles sont utilisées pour le processus de transformation en héroïne. Alors que, en 2007, les cultures produisaient 8 300 tonnes, la quantité de précurseurs chimiques utilisée était presque du double.
La corruption est également un mal endémique et les Droits de l'Homme connaissent une évolution inquiétante malgré quelques progrès. Nous intervenons pourtant chaque fois que cela est nécessaire. Je tiens tout de même à préciser qu'il n'y a jamais eu de gouvernement afghan - quand il en existait un... - sans corruption. Ne nous imaginons pas que nous allons pouvoir éradiquer instantanément la corruption et offrir à l'Afghanistan une parfaite démocratie occidentale. Nous allons, en revanche, améliorer nos rapports et nous préoccuper de plus en plus de la corruption comme l'a montré la Conférence de Paris. Aucun des intervenants n'a manqué de souligner la nécessité de la combattre. Et les associations de défense des Droits de l'Homme, les ONG afghanes, les agences des Nations unies ont toutes souligné ce point dans la réunion qui s'est tenue avec la société civile, quinze jours avant la Conférence de Paris. Mais la corruption ne sera pas éradiquée avant longtemps.
Considérer que ces difficultés anéantissent les efforts qui ont été les nôtres et ceux de nos alliés depuis 2001 serait toutefois une erreur. Ce serait surtout une faute d'y trouver la justification d'un renoncement. Notre place en Afghanistan est aux côtés du peuple afghan et de nos alliés - dont vingt-cinq de nos partenaires européens. Nous la tenons pour consolider les succès obtenus. En matière d'éducation, plus de 6 millions d'enfants sont scolarisés, dont près de 2 millions de petites filles qui étaient interdites d'école avant l'intervention de 2001. En matière sanitaire, 83 % de la population ont accès à des soins, même s'ils sont de qualité très variable. Notre modèle, dans ce domaine, reste l'hôpital français de Kaboul qui va s'étendre puisque le gouvernement a fourni un terrain. Initialement réservé aux soins destinés aux femmes et aux enfants, il dispensera des soins divers - chirurgie et médecine - à toute la population.
S'agissant de démocratie, l'Afghanistan a organisé des élections présidentielles, parlementaires, et provinciales libres et les plus équitables possible, d'après les observateurs internationaux.
En matière d'infrastructures, 4 000 kilomètres de route ont été construits. Mais, pour ce faire, il faut que la zone soit sécurisée. Un effort militaire préalable est nécessaire car la rébellion attaque dès qu'un chantier s'ouvre. Nos ONG et nos agences doivent, autant que faire se peut, être représentées par des Afghans, mais ils deviennent eux-mêmes des cibles. Pour construire des routes, il ne suffit donc pas de dérouler et d'étaler du goudron.
Encore deux ou trois chiffres pour souligner les progrès accomplis : 10.000 personnels de santé, dont la moitié de femmes, ont été formés depuis 2002. C'est considérable puisqu'il n'existait auparavant en Afghanistan aucun système de soins ailleurs que dans les grandes villes. En 2006, 123.000 femmes enceintes ont bénéficié de soins prénataux, contre 8.000 en 2003. Or, pour convaincre une femme enceinte en Afghanistan de se faire suivre médicalement, il faut attendre des mois et enchaîner générosité et persuasion. Au bout d'un certain temps, sept ans d'après mon expérience, on voit arriver - et c'est un triomphe - les femmes enceintes qui viennent accoucher à l'hôpital. Les ONG françaises travaillent en Afghanistan depuis de longues années et elles étaient de loin les plus nombreuses lors de la première guerre dans les années quatre-vingt. Elles sont restées, valeureuses et courageuses, déployant tous les jours des trésors de bravoure pour accéder aux populations. Nous ne l'ébruitons pas, mais les enlèvements sont très fréquents en Afghanistan, visant en particulier les membres des ONG qui demeurent héroïquement sur le terrain. Les services de renseignement et ceux du Quai d'Orsay tentent de libérer ceux qui sont pris. Je veux saluer leur travail. Les organisations internationales des Droits de l'Homme sont là, de même que celles du secteur privé afghan.
La Conférence internationale de Paris a réuni 85 délégations, représentant 68 pays et 17 organisations internationales, dont les organisations des Droits de l'Homme. Près de 20 milliards de dollars ont été recueillis, ce qui prouve l'importance que revêt pour le monde entier la stabilisation de cette zone. Nous avons d'ailleurs nous-mêmes doublé notre aide. Mais, surtout, des engagements politiques ont été pris. Une stratégie a été élaborée, renonçant à la solution militaire seule. Il s'agit d'apporter une aide militaire à la solution civile et politique, c'est-à-dire qu'il faut encore sécuriser les régions avant de passer le pouvoir au plus vite à nos amis afghans. Nous ne pourrons pas partir avant.
Des engagements ont été pris par les autorités afghanes pour intensifier les réformes politiques et économiques dans la perspective des élections de 2009 et 2010, qui doivent poursuivre, et même, dans certaines régions, jeter les bases de l'enracinement de la démocratie. Le gouvernement afghan a adopté une loi anti-corruption, et c'est un progrès majeur, même si je ne peux pas vous promettre qu'elle sera appliquée.
De son côté, la communauté internationale s'est engagée à mieux coordonner ses actions, et à rendre son aide plus efficace. C'est la tâche qui attend le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, M. Kai Eide. Il aura un rôle accru de coordination, et ce ne sera pas une tâche facile car les actions se télescopent parfois. Bien sûr, le chemin sera long, mais ce qui compte, c'est que la mise en oeuvre des décisions politiques et stratégiques prises à la Conférence de Paris a déjà commencé.
Tel est le contexte dans lequel est intervenue la décision du président de la République de renforcer notre présence au sein de la FIAS. C'est une décision courageuse qui répond à une haute ambition pour l'Afghanistan et pour la sécurité du monde. Elle est aussi importante pour la France auprès de ses partenaires. Vous nous voyez abandonner vingt-cinq pays européens ? Abandonner la coalition au moment où le réseau d'Al-Qaida s'est étendu au Maghreb, devenu le théâtre d'attentats organisés en son nom ? Il faut au contraire renforcer notre détermination.
A ceux qui annoncent notre défaite, rappelons que l'objectif n'est pas la victoire militaire, mais la création des conditions qui permettront au gouvernement et au peuple afghans de prendre en main leur destin. Au plus vite, même si ce sera progressif.
Comme vous le savez, la France avait posé comme condition au renforcement de sa présence la redéfinition d'une stratégie de l'Alliance en Afghanistan selon quatre critères indissociables, énoncés par le président de la République : un engagement de tous dans la durée ; une politique globale d'aide à la reconstruction ; un transfert progressif des responsabilités de sécurité aux Afghans ; et une stratégie politique impliquant les pays voisins, en particulier le Pakistan. Je voudrais insister sur ce point : la politique actuelle de certains responsables pakistanais comporte trop d'ambiguïtés, trop de zones d'ombre, pour que nous puissions nous en satisfaire. L'évolution récente de ce pays, avec la perspective d'une élection présidentielle le 6 septembre, peut offrir une occasion, à condition que nous sachions l'exploiter, en concertation avec nos alliés. Sur la base de ces quatre points, plusieurs de nos partenaires européens - l'Allemagne, la Pologne, la Belgique, le Royaume-Uni - ont eux aussi accru leur effort militaire.
A ceux qui décrient la "guerre des Américains", je rappelle que la FIAS regroupe quarante pays, parmi lesquels, je le souligne une nouvelle fois, vingt-cinq des vingt-sept pays membres de l'Union européenne. Les Européens représentent d'ailleurs la moitié des effectifs. A ceux qui dénoncent la "guerre de Bush", je rappelle les positions très claires des deux candidats à l'élection présidentielle américaine sur le nécessaire renforcement de la présence en Afghanistan.
Tout, bien sûr, ne se fera pas en un jour. Il est probable, malheureusement, que nous essuierons encore des pertes, même si, Hervé Morin, l'a souligné, nous faisons tout pour minimiser le risque. Mais les motifs d'espérer sont bien plus grands que l'angoisse. Et ils justifient que nous intensifiions nos efforts pour aider ce pays à assurer son relèvement durable. Nous ne sommes pas en guerre contre le peuple afghan, mais pour lui, et contre le terrorisme. Le terrorisme frappe aujourd'hui à Kaboul, et demain, peut-être, plus près de chez nous. Notre action est légitime, elle est légale, et nécessaire.
Q - (Concernant la durée de cette mission en Afghanistan)
Q - ( A propos de la dénomination de cette opération)
R - Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes - Personne ne peut dire combien de temps nous devrons rester, et vous le savez très bien. Lorsque de telles opérations sont engagées, il faut toujours beaucoup plus de temps que prévu au départ pour obtenir la paix. Or nous sommes bien dans le cadre d'une mission de paix des Nations unies mandatée par une résolution du Conseil de sécurité. J'espère que nous ne serons plus en Afghanistan dans quelques années mais ce serait faire la part belle aux ennemis de la démocratie que de donner une date butoir. Nous resterons en Afghanistan le temps qui sera nécessaire au peuple afghan et à sa représentation légitime pour bâtir la démocratie à laquelle ils aspirent et pour renforcer les institutions.
Est-ce une guerre? Non, pas pour nous. C'est une mission de paix à l'appel du Conseil de sécurité des Nations unies, même si elle donne lieu à des affrontements - et il est inutile de le dissimuler au moment où nous venons de l'éprouver douloureusement - qui sont la même chose que la guerre. Mais ce n'est pas une guerre. Nous sommes en mission auprès d'un gouvernement légitime dans un pays légitime. Vous pouvez toujours discuter des définitions. Ce sont celles qui sont retenues dans le cadre des décisions des Nations unies. A qui donc aurions-nous déclaré la guerre ? Aux Afghans ? A M. Karzaï ? Il n'est pas possible de parler de guerre, même si c'est, malheureusement, la même chose.
Ce n'est pas une guerre ! C'est une bataille qui ressemble à une guerre. C'est un affrontement permanent.
Il ne s'agit pas de prôner la seule logique militaire. Il n'est pas question, et je l'ai dit clairement, de s'en contenter. Il faut établir, grâce à une sécurisation suffisante de certaines régions, les conditions pour que les Afghans reprennent leur destin en main, du plus petit projet des ONG à l'armée et à l'administration. Nous le faisons avec nos partenaires européens. Nous nous rencontrons régulièrement : un rendez-vous est d'ailleurs prévu avec les Anglais à Paris dans quelques jours. Encore une fois, la logique militaire à tout crin est hors de question puisque c'est le contraire de ce que nous pensons.
Q - (Concernant le processus de commandement)
Q - (Au sujet des moyens militaires opérationnels)
R - Hervé Morin, ministre de la Défense - Les opérations et leur planification sont pensées par le général qui commande la région Centre, c'est-à-dire, pour le moment, le général français Stollsteiner. Ces missions sont ensuite approuvées - comme c'était le cas précédemment pour le général italien commandant la région Centre - par le général Mac Kiernan, commandant la FIAS.
Nous aurions fait preuve de légèreté, dites-vous, reprenant ainsi les propos du général Stollsteiner. Pour l'ensemble de l'Afghanistan, on compte entre 100 et 150 missions par jour. Quand, dans une vallée, vous menez tous les jours des missions de reconnaissance, de pacification ou de contact avec la population, et que tout se passe bien, cela vous conduit à préparer votre nouvelle mission toujours avec autant de sérieux, mais en pensant qu'il n'y a pas de raison qu'elle soit différente de celle de la veille.
Quant aux moyens technologiques nécessaires, il ne faut pas se faire d'illusion. La hantise du soldat, c'est l'embuscade, le guet-apens. Vous pourrez déployer tous les moyens militaires et d'observation que vous voudrez, la supériorité technologique ne permettra pas d'éviter aux militaires de tomber dans des embuscades. Les équipages des hélicoptères disent eux-mêmes que lorsqu'ils mènent des missions d'observation, si les forces talibanes ne bougent pas, ils ne les voient pas.
Ce n'est donc pas parce que l'on mettra en oeuvre tous les moyens technologiques de la terre que l'on sera pour autant en mesure de protéger totalement nos soldats. Du reste, s'il ne s'agissait que d'une problématique technologique, les Américains devraient être ceux qui connaissent le moins de drames. Or ils ont perdu plus de 500 hommes en Afghanistan.
Nos fantassins ont mené une mission comme en conduisent tous les fantassins, selon les schémas tactiques que l'on apprend dans les écoles de l'armée française : avec des VAB en soutien, des fantassins sont partis à pieds pour aller en reconnaissance en haut d'un col où, à une distance de cinquante mètres, un feu absolument imprévisible a été déclenché contre eux.
A sa demande, je proposerai au président de la République, au début de la semaine prochaine, l'envoi de moyens supplémentaires d'observation. Cependant, ce n'est pas parce que vous aurez des drones et des hélicoptères supplémentaires que vous éviterez que des talibans embusqués dans la montagne ne surgissent.
C'est d'ailleurs la première fois, que les forces françaises ont eu à faire face à une opération tactique qui démontre l'aguerrissement militaire des talibans. A quelques exceptions près en effet, elles étaient plutôt confrontées jusqu'alors à des engins explosifs improvisés, à des attentats suicides et à des escarmouches engagées d'assez loin. Or, c'est bien une opération militaire qui, en l'occurrence, a eu lieu : on a laissé des hommes monter reconnaître le col, fixé immédiatement ceux qui étaient sur "Sper Kunday" et attaqué les éléments de la section du régiment de marche du Tchad pour les empêcher de se porter à leur secours. C'est là un schéma nouveau qui doit être pris en compte par l'envoi de moyens militaires supplémentaires.
Q - (A propos de l'"afghanisation")
Q - (Concernant la situation des forces démocratiques afghanes) - ( A propos de l'éventualité d'une démarche pacifique et non guerrière à la résolution de cette question)
Q - (Au sujet du rôle des tribus patchounes présentes en Afghanistan et au Pakistan)
Q - (A propos des moyens d'observations complémentaires)
R - Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères - Vous avez employé avec raison une expression que je m'efforce pour ma part de traduire dans les faits, celle d'"afghanisation".
Un peu plus de 50.000 hommes c'est peu, comparés aux Soviétiques ont été jusqu'à 160.000. Mais nous profitons de l'expérience des Russes, et il faut reconnaître qu'ils nous donnent des conseils utiles. Ils nous aident d'ailleurs aussi en nous laissant entrer en Afghanistan par leur territoire.
En tout cas, l'afghanisation c'est ce que nous faisons. C'est ainsi que l'on compte aujourd'hui environ 53.000 hommes au sein des troupes afghanes contre 20.000 voilà peu de temps. De même, les opérations de la FIAS sont menées à 90 % non pas encore sous la direction, mais avec des troupes afghanes, et sont planifiées à 50 % avec ces dernières. L'afghanisation est lente, trop lente, mais nous devons, avant de nous retirer, la mener à son terme.
Monsieur Lecoq, je suis d'accord avec votre analyse, mais vous parlez de guerre. Sans vouloir me battre sur les mots, je parlerai quant à moi d'opérations meurtrières, d'opérations de guerre. Pour nous qui n'avons pas déclaré la guerre, qui ne signerons donc pas d'armistice et qui ne ferons pas la paix, nous sommes engagés dans une mission des Nations unies de soutien à un gouvernement. Pour autant, l'horreur de ce que nous venons de décrire serait certainement suffisante pour parler de guerre, sachant ce contre quoi nous devons également lutter : le 17 juillet 2008 le gouvernement de la province de Ghazni a ainsi échappé à une tentative d'attaque suicide commise par un enfant de treize ans, et il est fréquent que des femmes, particulièrement à Kaboul, lancent aussi des attaques suicides. C'est une situation vraiment effroyable qui se développe.
Quant aux talibans, les uns luttent pour leur région, pour leur pays. Dirigés pour la plupart par le mollah Omar, ils ne sont pas partisans de ce que l'on appelle le djihad global, c'est-à-dire qu'ils ne veulent pas répandre l'islamisme à travers le monde. Ils ne font pas partie de la nébuleuse dont j'ai parlé et qui se développe au Maghreb. Ceux-là sont peut-être des interlocuteurs pour le gouvernement de M. Karzaï. Les Britanniques les ont approchés une fois ou deux, et il y a peut-être des possibilités politiques.
Les autres talibans sont, eux, les combattants du djihad global, et il n'y a pas d'autre façon de s'opposer à eux que brutalement.
Les forces démocratiques existent. Elles sont nombreuses, mais elles sont terrorisées. Outre l'armée qui se constitue, nous travaillons à Kaboul avec les élus et les forces démocratiques qui, si elles ne sont pas exactement semblables aux associations politiques de nos pays, représentent l'espoir, et, j'en suis sûr, l'immense majorité du pays.
Résister aux talibans ? Mais le pays le ferait à 80 % s'il le pouvait ! Encore faut-il sécuriser le plus rapidement possible le territoire. Les Afghans ne sont talibans que parce qu'on les y force. Ils gagnent alors dix dollars par jour tandis que le salaire moyen, lorsqu'il y a du travail, est de cinquante dollars par mois.
Plusieurs éléments unissent les Pachtounes, qu'il s'agisse du trafic de drogue, des relations dans la zone tribale avec les Pachtounes du Pakistan ou de la lutte contre les Tadjiks qui a fait, dans les années 90, des dizaines de milliers de victimes dans des batailles rudes et meurtrières. Tous ces éléments, nous les prenons en compte dans la lutte qui majoritairement oppose les Afghans, appuyés par nous, aux régions pachtounes. Pour autant, faut-il s'appuyer sur les Tadjiks ? Cela a été fait une fois, avec les conséquences graves que vous savez.
Quant aux bases arrière, elles se trouvent, tout le monde le sait, en particulier au Pakistan. Or, il n'y a pas de frontière autre que la "ligne Durand". C'est ce que l'on appelle la zone tribale, où l'on fabrique des armes imitant toutes les armes du monde à bon prix et où se déploie un trafic considérable, celui de la drogue passant majoritairement par-là. Avec 51.000 hommes, ce n'est même pas la peine de penser à une solution militaire. Ce ne serait même pas suffisant pour occuper la zone tribale.
Il y a donc là un problème politique majeur que toute la communauté internationale - les Nations unies, l'Europe, les Etats-Unis - doit prendre en charge, en s'intéressant également à ce que feront le prochain président du Pakistan et la coalition - sachant que le gouvernement et même l'armée comportent des éléments qui travaillent avec les talibans.
R - Hervé Morin, ministre de la Défense - Vous avez raison de parler d'"afghaniser" : c'est d'ailleurs bien à cet effet que nous formons l'armée nationale afghane et que nous commençons à lui transférer la sécurité de certaines parties du territoire. C'est ainsi que les forces de sécurité afghanes vont prendre en charge la responsabilité de la sécurité à Kaboul, puis dans les districts autour de la capitale, l'essentiel de la région Centre devant passer sous le contrôle de l'armée nationale et de la police afghanes au cours de l'année 2009. l'objectif est de faire de même progressivement dans d'autres endroits afin de confier entièrement aux Afghans leur propre sécurité.
Cela vous a peut-être échappé, mais voilà deux mois, après l'attaque d'une prison par les talibans près de Kandahar, c'est l'armée nationale afghane qui a mené l'opération contre les talibans, de la même façon que nous aurions pu le faire. Progressivement, elle sera donc capable de mener des opérations militaires.
Je conteste le mot "guerre". Nous ne sommes pas en guerre contre un Etat, contre un peuple. Nous agissons sous mandat des Nations unies, avec trente-neuf pays de la communauté internationale qui luttent conte le terrorisme. Je vous invite d'ailleurs, si vous accompagnez le président Guy Tessier dans le cadre de la mission parlementaire, à vous rendre dans les vallées et pas seulement dans les camps militaires : vous y verrez que la population est heureuse de voir les forces alliées assurer leur sécurité, que les enfants sont aujourd'hui scolarisés, que les familles afghanes peuvent bénéficier de programmes de santé. L'accueil des populations montre que les Afghans aspirent à la paix et à la sécurité. Après quarante ans de drames permanents, les Afghans ont aussi envie de vivre en paix.
Bernard Kouchner l'a souligné, les langues et les dialectes parlés dans les conversations entre talibans captées par les services de renseignement n'appartiennent pas, pour l'essentiel, à l'Afghanistan, ce qui démontre que le recrutement est extérieur au pays. C'est d'ailleurs ce que déclarait l'un des grands spécialistes du terrorisme et d'Al-Qaida interviewé la semaine dernière par le journal Le Monde.
Concernant, enfin, la question des moyens d'observation complémentaires, les forces alliées ont une immense faiblesse depuis 2001, à savoir le manque de moyens héliportés et aéroportés, et la situation est valable pour l'ensemble de l'Afghanistan. Quant aux drones, s'ils constituent un appui utile, ils ne permettront pas de régler la totalité des problèmes de sécurité qui se posent aux forces.
Le président Chirac avait décidé de retirer les forces spéciales d'Afghanistan, mais de nombreux autres pays ont engagé de telles forces sur place. Dans de telles régions, le renseignement humain est plus important que le renseignement technologique, et des forces spéciales capables de couvrir le spectre de toutes les missions pourraient être utiles, notamment à des fins d'anticipation. Cela fait partie de ce que nous étudions et que nous présenterons au président de la République.
Q - (Concernant la situation sur le terrain et la pertinence de mener de telles opérations)
Q - (Au sujet de l'objet même d'une présence militaire française)
Q - (A propos de l'évolution de la situation démocratique afghane)
Q - (Concernant les zones contrôlées par les forces internationales et les Afghans)
Q - (Au sujet de l'information du peuple français de l'évolution de la situation en Afghanistan)
R - Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères - A quoi bon évoquer le Vietnam ? Ce n'est pas du tout la même guerre et si vous pensez que l'on doit se retirer, dites-le clairement ! Mais nous ne pouvons pas nous retirer maintenant : c'est impossible au regard de notre conception de la démocratie comme de nos engagement et de ceux que nous avons pris avec nos alliés.
Mais ce qui peut changer, par rapport à ce qui s'est passé au temps de l'Angleterre ou de l'Union soviétique, c'est que nous formons - et pas contre leur gré - une armée afghane qui comptera 100.000 hommes. Et viendra alors le temps de nous retirer, pas d'un seul coup, pas brutalement, avec l'accord des Afghans. Nous faisons tout cela, qui ne nous amuse pas, avec l'assentiment et même à la demande des Afghans, et avec leur coopération.
Cela étant, l'Afghanistan ne va pas changer du jour au lendemain et ce que vous dites, est tout à fait juste : les choses progressent mais ce mouvement est horriblement lent. Cela étant, comment faire autrement ? Demandez l'avis des femmes afghanes : elles souhaitent que nous restions et moi je les écoute.
Il existe de nombreux critères d'évaluation. Le territoire que nous défendons maintenant avec les Afghans est beaucoup plus important qu'auparavant : avant, nous n'étions présents qu'à Kaboul, désormais nous rayonnons plus largement, même si nous n'allons pas encore jusqu'à l'extrême ouest. Il ne faut en outre pas oublier les territoires Hazaras et iraniens. Il s'agit donc d'une opération horriblement difficile. Ce n'est pas pour cela qu'il faut y renoncer. Au contraire, il faut la réussir et, pour cela, transmettre aux Afghans les responsabilités. Mais j'insiste à nouveau sur la complexité de la situation. J'ai travaillé pendant huit ans dans la province du Wardak, qui est aujourd'hui entièrement talibane. En revanche, alors que les habitants de la province voisine étaient alors très extrémistes, ils soutiennent désormais le gouvernement. Vous le voyez, les choses changent, en fonction des chefs de guerre mais aussi, bien entendu, des efforts faits par le gouvernement.
Une loi contre la corruption a été adoptée, ce qui aurait été inenvisageable il y a quelque temps. Elle ne sera peut-être pas suffisante mais elle marque un progrès.
Les surfaces de drogue ont diminué plutôt qu'elles n'ont augmenté, peut-être produisent-elles davantage... Cela vous fait rire, mais vous avez sans doute la solution !
Il faut informer les Français en permanence sur le monde tel qu'il est, sur l'Afghanistan non pas tel qu'on le voudrait, mais tel qu'il est, tel qu'il se transforme. Je vous propose d'ailleurs de faire venir en France des représentants de la société civile et du gouvernement pour nous dire comment les choses se passent et s'ils souhaitent que nous continuions.
C'est sur proposition française que l'on a considéré en 2003 qu'il n'était pas raisonnable de changer de commandement tous les six mois et que l'on a choisi de confier le commandement militaire à l'OTAN, mais les décisions politiques demeurent celles de l'ONU et sont approuvées par le Conseil de sécurité.
Q - (Concernant la jeunesse des soldats envoyés sur le terrain des opérations)
Q - (Au sujet de la nature de cette mission de paix et de la mise en place d'un Etat afghan stable)
Q - (A propos de l'équipement logistique des troupes françaises)
Q - (Concernant la situation en Géorgie)
R - M. Hervé Morin, ministre de la Défense - Concernant la jeunesse et la formation de nos soldats, je répondrai que les propos du père de Julien résument fort bien l'état d'esprit des militaires. L'un d'entre eux m'a demandé ce matin de vous dire qu'ils sont bien instruits, totalement aguerris, que c'est leur métier et leur vocation, qu'ils voulaient aller en Afghanistan parce qu'ils avaient le sentiment de servir la France. Je l'illustrerai par un seul exemple : c'est parce qu'on leur a appris à se soigner eux-mêmes et qu'ils ont été capables de se prodiguer des soins, notamment d'auto-garrottage, que deux d'entre eux ont pu rester en vie jusqu'à l'arrivée des secours. L'idée qu'ils ne seraient ni formés ni instruits dans la perspective des combats qu'ils ont à mener est donc pour eux presque offensante.
Il y a au moins une différence entre l'Algérie et l'Afghanistan, c'est que la première réclamait son indépendance tandis que les Afghans souhaitent d'abord vivre en paix et en sécurité.
J'indique enfin que nous n'avons pas pour l'instant connaissance de la présence de missiles sol-air capables de détruire nos hélicoptères, mais un hélicoptère peut être abattu avec bien moins qu'un missile...
R - M. Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères - La guerre en Afghanistan n'est pas seule responsable du trafic international de drogue, qui répond d'abord à une demande et vise à alimenter un marché. Mais il est vrai qu'il procure des bénéfices très importants aux talibans comme à tous les trafiquants. L'agence antidrogue de l'ONU, installée à Vienne, combat l'internationalisation de la consommation de drogues. Le problème sera également abordé lors d'une conférence ministérielle qui sera organisée, dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, le 18 septembre prochain. Nous nous intéresserons particulièrement aux routes de la drogue, à la source et aux précurseurs. Mais c'est également un combat difficile.
Des taliban s'infiltrent dans l'armée afghane et les différents services d'intelligence se coordonnent pour combattre ce phénomène, mais les liens entre les familles et entre les régions compliquent la tâche.
Hamid Karzaï a récemment annoncé qu'il serait candidat à la prochaine élection présidentielle et il est pour l'instant seul en lice. Il existe une opposition tadjike ainsi qu'une opposition de la part du président de l'Assemblée nationale, mais ce dernier ne réunit ni les forces, ni l'argent, ni la popularité nécessaires. Pour le moment, le gouvernement tient. On a dit, en effet, que le président Karzaï était affaibli. Mais comment ne serait-il pas ? Sur le terrain, les gens ne se rendent pas compte des progrès qui sont faits, ils vivent encore dans la terreur. Petit à petit, nous gagnons du terrain, des villages, des régions mais ailleurs les habitants se désespèrent car ils sont en guerre depuis près de 40 ans.
S'agissant de la question différente de M. Bayrou, nous avons en effet pris note que le président Medvedev reconnaissait l'Ossétie du sud et l'Abkhazie. Ce n'est pas une bonne nouvelle et nous condamnons fermement cette attitude. Nous considérons que cette décision va bien évidemment à l'encontre du maintien de l'intégrité territoriale de la Géorgie, ce que nous ne pouvons accepter. En arrêtant la guerre, nous avons fait en sorte, et ce n'était pas si mal, d'éviter que les forces russes prennent Tbilissi et ne renversent elles-mêmes le président Saakachvili, mais cela ne saurait nous consoler.
Nous allons donc prendre des mesures qui seront probablement arrêtées lors du Conseil européen du 1er septembre. Il faudra alors adopter une attitude commune des vingt-sept Etats membres, ce qui me paraîtrait plus efficace que les mesures américaines de rétorsion et que les décisions de l'OMC et de l'OTAN. Le président Medvedev a d'ailleurs envisagé lui-même de rompre les relations avec l'OTAN.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er septembre 2008