Interviews de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, à RTL le 22 février 1999 et dans "La Croix" le 24, notamment sur le délai accordé aux belligérants Serbes et Kosovars et l'Agenda 2000.

Prononcé le

Circonstance : Réunion informelle des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne (Conseil européen) à Petersberg près de Bonn (Allemagne), le 26 février 1999

Média : Emission L'Invité de RTL - La Croix - RTL

Texte intégral

ENTRETIEN AVEC "RTL" le 22 février 1999
Q - Vous rentrez de Luxembourg. Les pays du Groupe de contact ont donc accordé un nouveau délai aux Serbes et aux Albanais pour trouver une solution au conflit. Quel est le poids de lUnion européenne dans ces négociations ?
R - LUnion européenne est représentée à travers quatre pays du Groupe de contact. Par ailleurs, elle sexprime et elle soutient. Le président de lUnion européenne, en titre, est aussi membre du Groupe de contact. Il sera dailleurs demain matin à Rambouillet. Il y a donc une très bonne coordination entre les deux.
On ne peut pas dire que ce qui se passe à Rambouillet soit une action de lUnion européenne, mais cest une action, pour une fois, dans laquelle des Européens occupent une place majeure, puisque je rappelle que ce sont Hubert Védrine - notre ministre des Affaires étrangères - et Robin Cook - le ministre des Affaires étrangères anglais - qui coprésident cette réunion, et qui sont vraiment au feu. Ils ont fait un très bon travail. Quoi quil arrive, il faut savoir que nous sommes quand même dans une situation extrêmement difficile.
Q - Il semble que Madeleine Albright et les Américains pèsent dun poids très lourd dans cette affaire?
R - On ne peut pas tout à fait sen plaindre, puisque lon sait que lOTAN est concernée dans cette affaire, quil y a déjà eu des décisions. On sait aussi que, sil ny a pas daccord, il peut y avoir à ce moment-là une intervention militaire. Nous verrons bien.
Je crois quHubert Védrine a dit ce quil fallait dire. Cest une négociation qui se déroule en ce moment-même. Elle est très complexe. On connaît ses données depuis le départ : il faut des renoncements de la part des Yougoslaves, cest-à-dire accorder une autonomie substantielle au Kossovo ; il faut, aussi, des renoncements, des sacrifices de la part des Kossovars : il faut quils acceptent quil ny ait pas de référendum et quils se limitent à lautonomie substantielle. Il faut, aussi, quon accepte la mise en place dune force internationale, et cest un point dachoppement des deux côtés : du côté des Kossovars, puisque, pour eux, cela signifie, en fait, quil faut accepter quil ny ait pas dindépendance ; et aussi du côté des Serbes, avec la force militaire.
Comme vous, jentends des messages un peu contradictoires : on nous dit, du côté des Kossovars, quon sachemine vers un accord. Il ny est pas. Et on nous dit, du côté des Yougoslaves, quil faudrait aller vers cette force militaire, on peut laccepter mais...
Q - Une présence internationale...
R - Présence internationale, à condition quil y ait un bon accord. Je crois que, jusquà demain 15 heures, on va vivre dans un certain suspense. Nous souhaitons cet accord, nous nous battons pour cela. Et Hubert Védrine - comme Madeleine Albright - jouent un rôle très important dans cette affaire.
Q - Sil ny avait pas accord, la situation serait portée au débit de M. Milosevic ?
R - Il faudrait voir dans quelles conditions cela échoue. Si cela échoue - ce qui nest pas notre souhait -, je rappelle quil est prévu quil y ait une intervention, en tout cas elle est possible, si les Serbes ont bloqué. Il faudra donc voir ce qui sest passé. Honnêtement, à lheure où je parle, je préfère mexprimer avec prudence, parce que nous jouons la réussite dans cette affaire et nous ne voulons pas envisager léchec.
Q - Dans lhypothèse dun échec, une action militaire vous semble inévitable ?
R - Alain Richard, notre ministre de la Défense sest déjà prononcé là-dessus : nous verrons bien. Nous évaluerons la situation demain, en fonction du résultat.
Q - A Bruxelles, les négociations sur la réforme de la PAC commencent. Il y a un bras de fer en quelque sorte entre Français et Allemands. Une porte de sortie est-elle envisageable ?
R - Je ne dirais pas quil y a « un bras de fer entre Français et Allemands ». Je dirais quil faut que les Allemands comprennent que, en matière européenne, il ny a de solutions que si les Français et les Allemands sont daccord. Or ce que jobserve, cest que les Allemands nont pas encore éliminé de leur tête - donc de leur discours et donc de leur stratégie de négociation -, lhypothèse dun bouclage de lAgenda 2000 - cest-à-dire du paquet financier qui ne concerne pas que la PAC -, mais qui concerne aussi les fonds structurels, les recettes de lUnion européenne et les dépenses de lUnion européenne. Ils nont pas éliminé de leur tête lhypothèse dun cofinancement de la Politique agricole commune, cest-à-dire dun financement partiel, par les Etats, dune politique qui, jusquà présent, est totalement prise en charge par Bruxelles. Cest une renationalisation de la PAC. De ce point de vue-là, je veux dire aux agriculteurs que nous les comprenons et que nous défendons des intérêts communs. Pour la France, cest un élément fondateur du Pacte européen de 1957, du Traité de Rome. Nous naccepterons pas le cofinancement de la PAC. Les Allemands doivent le comprendre. Ce ne sera pas le seul sujet dont nous allons parler à Bruxelles dans les quatre jours qui viennent, puisque lon doit parler de la réforme de la PAC en détail : quelles baisses de prix etc. Nous nacceptons pas non plus certains baisses de prix excessives. Mais il faut que ce soit compris. Il ny aura pas de cofinancement. Si les Allemands, ou dautres, vont jusquau bout, dans cette idée-là, il ny aura pas daccord sur lAgenda 2000.
Q - Vous revenez précisément de Luxembourg, où vous avez parlé de cet Agenda 2000 dont la PAC fait partie. Votre ton ferme, ce soir, laisse entendre que les choses ne se sont pas bien passées...
R - Elles ne se sont pas mal passées non plus. Nous sommes dans une séquence assez compliquée ; nous avons eu cette réunion des ministres des Affaires étrangères et des Affaires européennes hier, où nous nous sommes contentés - cest vrai -, de mettre face à face des positions nationales. Il ny a pas eu de progrès dans la discussion.
On voit bien aujourdhui, ce que sont les noeuds de la discussion. Stabilise-t-on la dépense agricole ou pas ? Nous le souhaitons. Fait-on une réforme de la PAC ou non ? Nous le souhaitons, mais pas avec des baisses de prix excessives, notamment en matière de lait ou en matière de viande bovine. Va-t-on vers une réforme des fonds structurels qui soit rigoureuse ou pas ? Nous le souhaitons. Résout-on le problème budgétaire allemand ou non ? Nous le souhaitons mais ils ne pourront pas obtenir tout ce quils veulent. Les paramètres sont sur la table.
Maintenant, il y a la discussion agricole. Il faut essayer davancer le plus possible. A mon avis, on aura du mal à conclure, car lAgenda 2000 est global. Et puis, vendredi - jinsiste - , il y a une réunion des chefs dEtat et de gouvernement, un Conseil européen informel, à Bonn, où, je crois, il y aura là une explication politique au sommet. Tout cela nest pas inquiétant en soi, puisque cela prépare à un Conseil européen les 24 et 25 mars. Cest probablement à ce moment-là, soyons francs, que les choses vont se dénouer. Jusque-là, il se peut quil y ait des moment de tension, des moments un peu dramatiques, des moments douverture. Mais tout de même, nous attendons, encore, ces moments douverture.
Q - La démonstration de force des agriculteurs, aujourdhui, à Bruxelles, dans le cadre de ces discussions, est un atout lorsquon est membre du gouvernement ou cela peut-il être un handicap ?
R - Je souhaite que les agriculteurs - je pèse mes mots -, soient avec nous comme nous sommes avec eux. Jai dit que nous refusions totalement le cofinancement, et cela doit être totalement clair. Jai dit que nous refusions certaines baisses de prix excessives, et cela doit être complètement clair. En même temps, nous ne refusions pas le principe dune nouvelle forme de la PAC. Jai entendu dans ce qua dit Luc Guyau : il ne le refuse pas non plus. Tout cela fait quon ne doit pas opposer le gouvernement aux agriculteurs. Nous soutenons certaines revendications car elles sont légitimes. Il ne faudrait pas que les agriculteurs donnent limpression de politiser leur combat, ou quil y ait des méthodes un peu contestables, comme cela a été le cas, il y a plus dune semaine, avec le bureau de Dominique Voynet.
Nous devons rester dans cet équilibre. Soyons ensemble ; cela nous aide tant que cest maîtrisé.
Si ce nest plus maîtrisé, alors cest plutôt un handicap, pour les agriculteurs et pour la France./.
ENTRETIEN AVEC LE QUOTIDIEN "LA CROIX" le 24 février 1999
Q - Les chefs dEtat et de gouvernement de lUnion européenne se retrouvent à Petersberg, non loin de Bonn, pour un sommet spécial consacré aux questions budgétaires, vendredi, le jour même où doit sachever le marathon des ministres de lAgriculture. Le climat est à laffrontement. Pourquoi ?
R - Le sujet au coeur du débat, lAgenda 2000 concerne la répartition des recettes et des dépenses entre les Quinze pour la période 2000-2006. Cela fait six mois que chacun des Etats-membres se contente de répéter ses positions, de rappeler ce que sont ses « vaches sacrées » : le rabais britannique pour Londres, le Fonds de cohésion pour lEspagne, le Portugal, la Grèce et lIrlande, la réforme des ressources propres pour lItalie, le solde net allemand pour Bonn.
Depuis six mois, une seule délégation a vraiment fait des ouvertures : celle de la France. En effet, on nous a dit que le principal problème de lAgenda 2000, cétait le poids de la Politique agricole commune, et on nous a proposé une solution inacceptable : son cofinancement. Nous avons fait une contre-proposition : une baisse progressive du coût de la PAC grâce à un système de dégressivité des aides directes. Nous attendons que les autres Etats-membres aient la même démarche de cohérence. Aujourdhui, une explication franche est devenue souhaitable. Vendredi soir, nous en saurons davantage sur la flexibilité des uns et des autres, la capacité de la présidence allemande à dégager un compromis, la volonté de chacun de conclure en mars.
Q - A Bruxelles ou dans dautres capitales, on dit que la France finira par accepter la renationalisation de la PAC. Est-ce exact ?
R - Il nen est rien. La PAC, est un des éléments fondateurs de laccord originel européen de 1957, le Traité de Rome. Nous avons à lépoque accepté la mise en place du Marché commun, dont les Allemands ont très largement bénéficié, mais aussi obtenu la création de la Politique agricole commune. Nous ne voulons pas toucher à ce pacte fondateur. Toute instillation dune dose de renationalisation est pour nous inacceptable. Cest un préalable politique absolu.
Q - La France avait surpris, lan dernier, en prenant linitiative de proposer une dégressivité des aides directes. Cette initiative et le refus de la renationalisation ne sexpliquent-ils pas par la conviction que notre pays a lagriculture la plus puissante de lUnion européenne ? Elle souffrira moins que les autres dune réduction des aides et, après lélimination dun certain nombre de concurrents de lUnion européenne, elle aura des marchés plus ouverts à lintérieur des frontières communautaires ?
R - En loccurrence, nos intérêts nationaux rejoignent totalement la logique communautaire et la logique communautaire appuie nos intérêts nationaux. Mais notre initiative nest pas égoïste. Elle répond à limpératif de la stabilisation du budget de lUnion européenne, nécessaire à la correction des actuels déséquilibres budgétaires.
Q - LAllemagne préside actuellement lUnion européenne. Comment jugez-vous son action ?
R - Bonn a intérêt à un accord sur lAgenda 2000 avant le Sommet de Berlin du 25 mars : pour lavenir du couple franco-allemand, pour la crédibilité internationale de son nouveau gouvernement et pour lEurope. LAllemagne doit aujourdhui jouer lUnion européenne et cest à elle de mettre sur la table les éléments dun compromis. Nous pensons que nous lavons aidé pour cela. Il est temps quil fasse passer son rôle de président de lUnion européenne avant son intérêt national.
Q - Le couple franco-allemand fonctionne-t-il dans ce cas précis ?
R - Nous avons des échanges très fréquents avec nos amis allemands et nous avons mis en place un groupe franco-allemand au niveau des collaborateurs des chefs dEtat et de gouvernement qui se réunit très régulièrement sur ces questions. Mais il est vrai que nous navons pas encore réussi à trouver laccord franco-allemand qui serait la clé dun accord européen. Dune façon générale, je considère que les propositions de la présidence allemande aboutiraient à un paquet budgétaire beaucoup trop coûteux.
Q - Au début du mois, vous avez dit à Bruxelles quil était temps que lAllemagne sache qui sont ses alliés dans la négociation. Que vouliez-vous dire ?
R - Sur lAgenda 2000, des hauts fonctionnaires allemands et de la Commission européenne mettent sans cesse en avant la PAC et le cofinancement, façon de dire que cest la solution unique au défi budgétaire de lUnion européenne et que cest à la France de payer. Cela témoigne dune méconnaissance profonde des équilibres politiques dans lUnion européenne. On doit comprendre à Bonn et à Bruxelles quen insistant sur le cofinancement, on refuserait de privilégier laccord franco-allemand au risque de faire croire que lAgenda 2000 est une confrontation franco-allemande. Ce serait un contresens historique car lhistoire de lEurope, cest toujours laccord franco-allemand. Il y a une règle du jeu implicite entre Bonn et Paris. Quand un de nos deux Etats estime quil a un intérêt national majeur à défendre, lautre doit le respecter. Il faut que les Allemands comprennent que, pour nous, le refus du cofinancement est un intérêt national majeur./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 février 1999)