Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Les Droits de l'Homme ; ceux des femmes et des hommes. La passion de leur dignité, l'exigence inlassable en faveur de leur intégrité morale et physique, cette révolte instinctive de l'âme contre les pouvoirs qui oppriment. Sans cette passion et ce souci de l'homme et de sa liberté, une diplomatie n'est que procédure. La vocation de la France n'est pas la procédure. Sa vocation, c'est d'être à l'avant-garde des nations qui combattent pour la liberté. Je vous demande, alors que nous allons célébrer à Paris le 60ème anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, d'être fidèles à cet idéal.
Je sais que vous l'êtes, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, vous qui êtes les véhicules d'une certaine idée de la France, ce pays dont vous savez mieux que quiconque qu'il est à nul autre pareil, vous qui êtes les serviteurs zélés de cette France éternelle, à laquelle les Français sont attachés, car elle illustre ce qui fait leur identité profonde : la passion des Droits de l'Homme. Passion de l'universel. Si notre si belle devise de "liberté, égalité, fraternité" résonne encore à travers les siècles et au-delà de la France, c'est bien parce que les révolutionnaires de 1789 avaient pensé les Droits de l'Homme pas seulement pour les Français mais aussi pour le reste du monde, pour tous les hommes, ce que personne n'avait osé faire avant eux. Et le dernier des grands révolutionnaires, le Général de Gaulle, comment disait-il déjà ? "Un pacte vingt fois séculaire lie la grandeur de la France à la liberté du monde". De fait, nous avons eu l'audace de nous proclamer pays des Droits de l'Homme. Mais, que cela nous oblige !
L'Homme donc, toujours. Parmi ces hommes, des géants qui brisent les chaînes. Nous avons rendu hommage cette année à cet immense français, Aimé Césaire, et à sa poésie brûlante contre l'aliénation coloniale ; à Alexandre Soljenitsyne, le torrentiel zek, qui a défié, solitaire, dans une oeuvre à la mesure de cette terre et cette âme russe, une monstrueuse entreprise totalitaire ; à Nelson Mandela, au 90ème anniversaire duquel j'ai eu l'honneur de représenter la France, qui a rassemblé une nation séparée et donné à l'Afrique un nouvel idéal de fraternité. Celui-là, ce ne sont pas que des chaînes qu'il a brisées, il a abaissé des montagnes. Je l'entends encore me dire, n'est-ce pas Denis Pietton, qu'il faut savoir pardonner à ses bourreaux.
Des femmes naturellement. Une femme, Aung San Suu Kyi, inflexible et frêle, maintenue dans l'isolement d'une résidence surveillée par une junte anachronique. Des femmes, des dizaines de milliers de femmes dans les Kivus, violées et martyrisées, et dont j'ai entendu les récits insoutenables. Ne baissons jamais les bras. Face à une junte impavide, nous devons au peuple birman doublement martyrisé par un régime implacable et l'abandon aux conséquences terribles d'une catastrophe naturelle, de rappeler, en particulier au sein des Nations unies, la responsabilité qui incombe à chaque gouvernement de protéger sa population.
Au secours de ces femmes violées par des reîtres et des enfants enrôlés par des bandes armées, nous devons rappeler qu'il n'y aura pas d'impunité, que la justice internationale fera son oeuvre, comme elle a commencé de le faire en RDC avec le transfert à la CPI de Jean-Pierre Bemba, à la suite de trois autres prévenus internationaux. Les crimes dont on les accuse furent commis en RDC. Qu'importe, c'est à La Haye, qu'ils sont retenus, n'est-ce pas Monsieur l'Ambassadeur Gaussot, car les crimes dont on les accuse, par leur ampleur et leur nature, concernent l'humanité entière. Universalité des droits, universalité des crimes.
L'ambition de la France, de notre diplomatie doit être, et notamment aux Nations unies, de soutenir, d'encourager, de promouvoir, de mener le combat pour l'élaboration de normes internationales plus justes. Monsieur l'Ambassadeur Zimeray ne cesse de me le répéter : ne jamais oublier que les Droits de l'Homme sont d'abord du droit. Des normes, des textes, des résolutions, des conventions grâce auxquels chaque jour, des enfants-soldats sont libérés, des femmes prennent connaissance de la reconnaissance de leur dignité. J'en profite pour remercier la direction des Nations unies du Quai d'Orsay : NUOI/H. Mme Bermann, votre direction, les agents qui la composent, sont d'une exceptionnelle efficacité et compétence. Merci, chaque jour, de m'accompagner dans les méandres du multilatéralisme onusien, avec nos ambassadeurs Jean-Maurice Ripert et Jean-Baptiste Mattéi, que je veux aussi remercier. Le rempart du droit est le meilleur secours contre l'oppression ; exiger inlassablement le respect des normes que les Etats se donnent à eux-mêmes, telle est aussi l'exigence d'une diplomatie moderne et ambitieuse. La France participe activement à ce combat.
Au Caucase, par la médiation du président de la République, la France, au titre de la présidence du Conseil de l'Union européenne, le fait en condamnant fermement la violation de l'intégrité et de la souveraineté de la Géorgie. L'Europe porte un modèle unique de paix et de tolérance où les jeux de la puissance ont fait place à un espace de démocratie, de solidarité et de prospérité. Le retour aux réflexes anciens de l'imperium et de la conquête territoriale, suivi de la cohorte de réfugiés, des destructions de villages et de nettoyage ethnique n'est pas supportable.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
C'était il y a exactement un an, dans le cadre du même exercice, que nous avons eu l'occasion de nouer un premier contact. J'avais à coeur de vous présenter mes premières réflexions, mes priorités et orientations, qui visaient à donner corps à la dimension humaniste que Nicolas Sarkozy avait promis à nos concitoyens d'imprimer à son action, une fois élu président de la République, et donc aussi à la politique étrangère de la France, et qu'il a rappelée devant vous ce mercredi.
Un an, c'est long pour un ministre qui doit arbitrer quotidiennement entre mille sollicitations diverses et contradictoires, échapper à la routine, braver les difficultés pour parvenir à conserver le momentum, et contribuer, aux côtés du chef de l'Etat et de Bernard Kouchner, à préserver la crédibilité de l'action politique aux yeux de nos compatriotes qui, comme d'autres en ces temps de globalisation concurrentielle, pourraient choisir de se réfugier dans une attitude désabusée.
Un an, c'est long, et en même temps, c'est un tourbillon ! Une cinquantaine de pays visités. Vous m'avez fait voir le monde, dans ce qu'il a de meilleur comme dans ce qu'il a de pire. Votre mobilisation, votre compétence, votre affection pour les pays dans lesquels vous êtes en poste ont été pour moi des éléments décisifs à chacun de ces déplacements. L'année dernière, devant cette même assemblée, je ne connaissais aucun de vos visages ou presque. Aujourd'hui, que de visages familiers, dont chacun m'évoque des souvenirs prégnants de la diversité des postes que vous incarnez. L'actualité internationale ne nous a jamais déçus, par son imprévisibilité, par ses drames, et parfois aussi par ses bonheurs.
L'an passé, je vous entretenais du conflit entre intérêts et valeurs que sous-tendait le portefeuille que le président de la République m'a fait l'honneur de me confier. Ce paradoxe, cette tension, n'ont cessé d'alimenter le débat public en France, de la visite à Paris d'un chef d'Etat arabe à celle d'un chef spirituel asiatique.
L'année dernière, avant même d'être entrée dans le sujet, je vous disais : défendre les Droits de l'Homme, quitte à transgresser.... J'ai quelquefois bousculé les codes. La passion des Droits de l'Homme, vous disais-je. Et, les Droits de l'Homme n'ont jamais été l'histoire d'une marche triomphale... ni celle d'une cause perdue d'avance. Ils ont toujours connu une grande difficulté d'être. Ils sont l'histoire d'un combat. C'est ce qui rend leur défense belle. Les Droits de l'Homme sont maintenant au centre du débat politique national, vif, alerte, quelquefois injuste.
Car, faut-il considérer que les libérations emblématiques des infirmières et du médecin palestinien ou d'Ingrid Betancourt n'étaient qu'écume à la surface des choses ? Ce serait nier une action aussi déterminée que tenace. Et les combats pour la liberté sont toujours des combats pour des hommes et des femmes. Il n'y pas de combats mineurs, il n'y a que l'aveu souvent d'une impuissance.
D'ailleurs, si la France de Nicolas Sarkozy était ce pays mercantile ou pratiquant la realpolitik sacrifiant ses principes à ses intérêts, à la réputation soumise au soupçon, comme on la caricature parfois, je me demande bien pourquoi nous aurions gagné si brillamment notre réélection au Conseil des Droits de l'Homme à Genève, ou encore l'élection de Nicole Ameline au Comité pour l'élimination des discriminations à l'égard des femmes à New York. La France reste fidèle à son héritage, imperturbablement. Nous jouons un rôle décisif et reconnu au sein des Nations unies. Ainsi, c'est la France qui a porté durant près de trente ans inlassablement aux Nations unies la convention contre les disparitions forcées et qui s'efforce aujourd'hui de permettre son entrée en vigueur dans les meilleurs délais. C'est avec la même abnégation que je me suis impliquée pour obtenir l'adhésion d'une dizaine d'Etats supplémentaires aux Engagements de Paris contre le phénomène des enfants-soldats.
Certes, aucune nation ne peut prétendre d'elle-même être exemplaire pour les autres. Et nous aurions tort de nous donner des brevets de vertu, car on peut toujours mieux faire, y compris en balayant devant notre porte. Les violations des Droits de l'Homme ne peuvent plus être conduites dans le secret de souverainetés opaques.
La France s'est soumise à cet égard, avec la plus grande transparence, à Genève, à ce nouvel examen universel par les pairs. Car, au fond, le génie des démocraties, même du pays des Droits de l'Homme, n'est-il pas de reconnaître leur perfectibilité ? D'ailleurs, je constate que notre pays a amélioré son "rang" auprès de la CEDH, en ce sens qu'il est de moins en moins condamné pour des infractions à ses obligations. Ce n'est pas un quitus définitif, je le sais bien, et ce ne le sera jamais, car on peut toujours mieux faire pour les droits et libertés. Agir pour eux.
Agir ! En un an, j'ai appris, comme je vous l'ai dit, à connaître un grand nombre d'entre vous à travers mes déplacements sur le terrain. Certains de ces voyages étaient "diplomatiques" comme l'on dit, et il le faut bien puisque je suis aussi secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères. Quelques-uns uns ont été des plus émouvants, déstabilisants, prometteurs comme en Haïti, n'est-ce pas, Monsieur l'Ambassadeur Connan. Et même s'ils n'avaient pas pour objectifs les Droits de l'Homme, tous en ont comporté un volet : défendre nos ressortissants, en Indonésie avec Mme Boivineau, au Tchad avec M. Foucher, en Israël avec M. Casa. Défendre nos ressortissants mais les autres aussi, simplement parce qu'ils sont hommes, en Tunisie, en Chine, en Birmanie, au Soudan, en fait partout où il y a des cas individuels que nous avons estimé injustes. Ah ! Ces "cas individuels" ! Quelle patience faut-il pour plaider leur cause ! Quel doigté aussi ! Quel silence au préalable nécessaire, quitte à subir la critique de ceux qui pensent que ce silence est complaisance, alors qu'il n'est que méthode. Mais quelle joie, quel bonheur quand, grâce à nous, grâce à ce procédé, tel journaliste est libéré, tel avocat est libéré, tel dissident est libéré, comme ces trois opposants syriens depuis le sommet de l'UPM. Et jusqu'aux Etats-Unis quand un condamné pour lequel j'ai plaidé a échappé in extremis à la mort, M. Vimont s'en souvient sans doute. Ou quand tel militant des Droits de l'Homme obtient le visa tant attendu, celui-ci depuis Gaza et tel autre depuis Kaboul comme le savent MM. Casa et de Ponton d'Amécourt. Pour tous ces cas, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, vous m'avez aidée à obtenir leur sortie.
Alors, oui, ce sont sans doute des gouttes d'eau dans la mer. Mais pour faire une mer, il en faut des gouttes. Non, je n'oublie pas l'Océan qui reste derrière. Mais, n'oublions pas qu'il y a plus de trente ans, les opposants les plus résolus à l'Empire soviétique se moquaient des accords d'Helsinki. Un Helsinki qui a pourtant conduit très vite à la libération de quelques rares dissidents, premier pas vers l'écroulement du système.
Je suis donc convaincue, au-delà de tous les efforts qui nous restent à accomplir au sein de ce ministère pour être plus directement performants, pour que la dimension des Droits de l'Homme soit prise en compte dès l'amont des décisions et des analyses, et ne soit pas le remords tardif des autres directions géographiques de cette Maison ; quelque chose qui arrive, encore parfois, je vous en fais la confidence.
Nous avons un devoir d'explication, constant, permanent, auprès de notre opinion publique. Il nous faut rendre les choses plus concrètes, plus perceptibles, auprès de ceux qui ne sont pas dans le quotidien de notre travail. C'est la raison pour laquelle je me suis attelée à cette tâche, lourde mais gratifiante, qui consiste à visiter chacune des régions de France avant le soixantième anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, pour expliquer aux Français les objectifs et le contenu de notre action.
D'autres déplacements internationaux, les plus nombreux, étaient des voyages que je qualifierai de "dédiés" et, mieux encore, de "choisis", car je les ai voulus en phase avec les quatre priorités que je vous avais énoncées. Ma liste ne saurait être exhaustive :
- les enfants : je me suis rendue au Darfour. Il a fallu ensuite gérer les errances de l'Arche de Zoé, et les conséquences diplomatiques très lourdes d'un épisode qui a demandé beaucoup d'efforts, grâce à la DFAE de M. Catta, pour être circonscrit à ce qu'il était, l'histoire navrante d'esprits égarés, bien loin de la tragédie réelle qui se poursuit au Soudan. Depuis, j'ai replacé notre Ministère au centre d'un dispositif d'adoption internationale rationalisé et conforme tant à l'éthique qu'à nos engagements internationaux. J'aime sortir des combles du ministère ce type de dossiers pour valoriser le travail de nos agents, à Paris, au Cambodge, en Haïti, et montrer à tout le monde que nous savons faire une diplomatie de proximité, proche des Français et que nous ne sommes pas bon qu'à faire des réunions aux fins fonds de la planète. Autre chantier sur lequel je me suis investie : celui des enfants soldats. Je vous l'ai dit et ce travail n'est pas fini. Nous nous retrouverons donc à New York le 29 septembre pour une nouvelle session de travail.
- les femmes : ce fut l'occasion de mon premier déplacement, en Moldavie, sur le thème de la traite des êtres humains. Et une préoccupation constante : je suis intervenue en faveur de femmes qui, en prenant d'énormes risques, luttent pour que l'égalité avec les hommes soit une réalité tangible, pour que ces droits ne soient pas niés au nom de la tradition ou de la religion. Ayaan Hirsi Ali et Taslima Nasreen sont des voix pour lesquelles j'ai plaidé en faveur de la mise en place d'un fonds européen de soutien. Et je ne vous parle pas des Kivus, ces terres congolaises blessées, remplies des pleurs de femmes déchirées et que le monde oublie.
- la justice pénale internationale : je suis allée au Cambodge pour annoncer un accroissement de l'aide française au Tribunal chargé de juger les responsables du génocide. Je me suis également rendue à La Haye à l'occasion du 10ème anniversaire du Statut de Rome portant création de la Cour pénale internationale. J'y ai réaffirmé ma conviction très forte qu'il ne peut y avoir de paix durable sans lutte contre l'impunité. On ne construit rien de politiquement durable sur l'oubli des victimes. La paix et la réconciliation ne se bâtissent pas dans le sauf-conduit donné aux bourreaux. Croire cela, c'est faire preuve de courte vue. Au Soudan, comme ailleurs.
- la liberté d'expression : j'ai parlé du journalisme et de son lien avec la liberté à Bayeux en octobre 2007 ; à Jérusalem, j'ai eu l'occasion de plaider pour la liberté d'expression à l'occasion de l'événement "Cartooning for Peace" organisé par Plantu. Cette liberté est évidemment encore plus précieuse quand elle se trouve à s'employer dans des contextes de crise ou de conflit.
Je sais que ma façon de concevoir ces déplacements spécifiques a pu parfois vous surprendre, mais elle correspond à une volonté politique : celle d'une compréhension claire et directe par notre opinion publique, comme par les opinions des pays dans lesquels je me rends. Cela impose aussi de votre part de penser en permanence à la nécessité de communiquer.
Nous sommes néanmoins en train, je l'espère, d'inventer une sorte de connivence. Je le souhaite. Quel pourrait être le rôle de notre réseau diplomatique dans le domaine de la défense et promotion des Droits de l'Homme ? Je n'ai, bien entendu, pas inventé cette problématique.
Le récent Livre Blanc sur la politique étrangère et européenne de la France a mis l'accent sur la nécessité d'intégrer au premier des préoccupations françaises la défense des Droits de l'Homme et la promotion de nos valeurs, et j'en remercie Alain Juppé et Louis Schweitzer.
Je suis ravie de constater qu'au moins dans toutes les grandes ambassades, et d'autres moins grandes mais tout aussi importantes, il y a maintenant un agent à la chancellerie diplomatique plus spécialement investi du suivi des Droits de l'Homme. C'est un pas essentiel, mais perfectible.
Mais tout d'abord, ne boudons pas notre plaisir : je voudrais vous remercier pour la réaction que vous avez eue l'an passé à l'idée que j'émettais d'ambassades "Maisons des Droits de l'Homme". A lire votre correspondance, j'ai eu le sentiment d'être entendue, en tout cas d'un grand nombre de postes, et je mentionnerai au passage, mais sans être exhaustive, le travail réalisé par nos ambassades à Damas, Téhéran, Washington ou Bogota. Et bien évidemment au travail qu'accomplissent nos missions à Genève et à New York.
Une ambassade "Maison des Droits de l'Homme", c'est quoi ? c'est notamment une représentation qui :
- a un correspondant chargé de suivre ce dossier ;
- est capable d'envoyer à Paris un point de situation régulier sur l'état des droits dans son pays d'accueil ;
- peut alerter le Département en temps réel des cas litigieux et sensibles ;
- rencontrer les défenseurs locaux des Droits de l'Homme dans une enceinte française ;
- flécher une part de ses programmes de coopération à destination de la promotion des Droits de l'Homme et de l'Etat de droit.
Nous avons déjà fait beaucoup de chemin dans ce sens, mais il faut continuer : mieux en quantité - le nombre d'ambassades qui s'impliquent vraiment - et mieux en qualité. Sur ce dernier point, nous gagnerions, je le crois, à mobiliser tous les services de nos ambassades et pas seulement la chancellerie : je pense notamment à notre réseau culturel, aux magistrats de liaison - quand il y en a - et à nos attachés de sécurité intérieure.
Et puis, l'aspect symbolique est essentiel : il y a encore trop d'ambassadeurs qui délèguent à un collaborateur les contacts qui peuvent "fâcher" les autorités locales dans les pays à système fermé, et j'ai trop souvent vu cela dans un certain nombre de pays pas très éloignés de Paris. J'avoue parfois être surprise par ce que certaines ONG me confient de l'accueil de quelques-uns de nos ambassadeurs - ou plus exactement de l'absence d'accueil de certains. Le soutien aux ONG et aux défenseurs des Droits de l'Homme, dans les pays où ils sont le plus exposés, ressortit au devoir de votre charge. La défense des Droits de l'Homme, c'est aussi la rencontre et le soutien à ceux qui en sont le porte-drapeau courageux : on ne perd rien à tendre la main à ceux qui font progresser les libertés. Au contraire, l'Histoire, avec un grand H, s'en souvient.
Dans tous les pays où se posent les problèmes les plus graves en matière de libertés, ceux qui constituent des systèmes totalitaires, répressifs, autoritaires ou fermés, la référence au "chef" est prédominante. Tant que l'ambassadeur ne s'implique pas dans ces matières, qu'il les délègue à un collaborateur, cela veut dire que la France fait de l'affichage, mais que les affaires importantes sont gérées entre "gens sérieux et qui se comprennent". Cette lecture n'est évidemment pas la nôtre.
Que faisons-nous concrètement pour ces vigies de la liberté ? Notre générosité doit-elle s'arrêter à l'élaboration de normes juridiques, aussi nécessaires fussent-elles ? Nous devons aller plus loin et retrouver cette inspiration des Lumières où les persécutés trouvaient accueil et asile dans cette fraternité des coeurs et des esprits qui distingua le XVIIIème siècle français. Je propose que Paris soit plus que jamais la capitale de la liberté et puisse s'enorgueillir de la création d'une "Villa Médicis" des Droits de l'Homme. Cette nouvelle Académie de France accueillerait, pour de courts séjours, des pensionnaires des Droits de l'Homme, soit pour un projet, soit pour un asile réparateur, lorsque nous obtenons leur libération. Travaillons ensemble à cette idée.
Toujours pour faire bouger les choses, et sans préjudice de l'inventaire que nous allons dresser cet automne, je vous demande également, à l'occasion du soixantième anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, d'organiser une réception à la résidence de France qui soit ouverte à tous les défenseurs locaux des Droits de l'Homme, y compris ceux que vous n'avez jamais reçus.
Vous êtes pour moi, ou vous devriez être quand vous ne l'êtes pas déjà, des informateurs prioritaires dans le domaine des Droits de l'Homme, avant même les agences internationales, les ONG spécialisées, les avocats, les intellectuels qui sont depuis toujours la "mauvaise conscience" des pouvoirs politiques, ou la conscience tout court. C'est votre rôle, c'est ce que j'attends de vous.
Maintenant, devez-vous localement jouer ce rôle tout seuls en tant que représentants officiels de votre pays ? Bien entendu non, et pas seulement en période de Présidence française de l'Union européenne. Il ne faudrait surtout pas que ces démarches européennes soient l'occasion pour vous de camoufler derrière d'autres une démarche jugée gênante par rapport à vos autorités d'accueil : au contraire, vous devez en être un élément moteur, y compris après la période actuelle où nous exerçons la présidence de l'Union européenne.
L'Europe n'a pas de leçons à donner au monde, elle qui a inventé toutes les dérives totalitaires et les conflits les plus meurtriers du XXème siècle. Alors, le risque de démarches européennes, je le connais, c'est l'incantation, mais ne sous-estimons pas pour autant le poids que peut représenter une démarche à Vingt-sept (un bon sixième de la planète, sans autre considération ou pondération liée à la richesse ou à la puissance). L'Union européenne en fait une vingtaine par mois à travers le monde. C'est en même temps beaucoup car cela suppose un lourd travail en amont : proposition du poste, vérification du cas, coordination à vingt-sept... Et si peu : pour une vingtaine de vies brisées mises en lumière, combien d'autres opprimées dans l'ombre et le silence ? Il faut donc persévérer et accentuer notre action.
Moi-même, je ne me lasserai pas d'intervenir régulièrement pour ces défenseurs des Droits de l'Homme comme Emaddedine Baghi, militant iranien, Hu Jia, bloggeur chinois ou U Win Tin, l'un des plus vieux prisonniers politiques birmans.
Ai-je besoin de rappeler que l'Europe s'est dotée dès 1950 de mécanismes profondément novateurs dans le monde de l'après-guerre avec la convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ? Ai-je besoin de souligner que le Traité d'Amsterdam fait des Droits de l'Homme et de la démocratie un des piliers de la politique extérieure et de sécurité commune ?
L'Union européenne joue un rôle majeur au niveau international en matière de défense de la démocratie, de protection et de promotion des Droits de l'Homme :
- elle s'est dotée depuis 1998 de lignes directrices en matière de Droits de l'Homme, qui fixent les grandes lignes de son intervention tant au niveau des capitales que sur le terrain - doctrine, démarches, déclarations, etc. - sur cinq sujets : peine de mort, torture, défenseurs des Droits de l'Homme, enfants soldats et droits de l'enfant.
- L'Union européenne a par ailleurs engagé des dialogues spécifiques sur les Droits de l'Homme, au niveau des experts des capitales, sur les Droits de l'Homme avec la Chine, la Russie et l'Ouzbékistan, mais aussi avec les grands pays proches de nos vues tels que les Etats-Unis ou le Japon. Il est prévu d'ouvrir dans les mois qui viennent des dialogues Droits de l'Homme avec chacun des quatre autres pays d'Asie centrale. Un dialogue sur les Droits de l'Homme avec l'Union africaine a été engagé cette année. D'autres ont été noués dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen avec le Maroc, la Jordanie, l'Egypte, le Liban et la Tunisie. Enfin, de nombreux dialogues sur les Droits de l'Homme sont menés au niveau local, par les chefs de mission des Etats membres de l'UE, comme par exemple en Inde ou au Vietnam. Au total, l'Union européenne entretient une trentaine de dialogues sur les Droits de l'Homme avec des pays tiers et une dizaine d'autres devraient prochainement voir le jour. Parmi ces derniers, nous attendons toujours la réponse de Cuba à l'offre européenne qui lui a été faite en juin.
- Tous les accords de coopération avec les pays tiers (notamment celui entre l'Union européenne et les 77 pays ACP) font, depuis 1995, du respect des Droits de l'Homme une clause fondamentale, dont la violation peut entraîner la suspension de la coopération.
- En outre, elle dispose d'un instrument européen pour la démocratie et les Droits de l'Homme substantiel, doté de 130 millions d'euros par an et qui permet le financement d'actions concrètes en faveur de la démocratie.
- Enfin, l'Union européenne coordonne et, en général, fédère les positions des Etats membres dans les débats notamment au sein des instances onusiennes, que ce soit au Conseil des Droits de l'Homme ou à l'Assemblée générale des Nations unies, et lui permet de faire entendre sa voix, de prendre des initiatives ambitieuses. Un seul exemple permettra de mieux comprendre l'importance de cette fonction unificatrice : l'adoption l'an dernier par l'AGNU d'une résolution historique appelant à un moratoire sur le recours à la peine de mort. Ce résultat n'allait pas de soi.
Mais, me direz-vous, si l'Union européenne s'est imposée comme un acteur de premier plan sur la scène internationale en matière de défense de la démocratie et des Droits de l'Homme, quel rôle peut donc espérer jouer notre pays ? La France a-t-elle encore une singularité à exprimer ? Oui, je le crois, et tel est le second message que je voudrais aujourd'hui vous délivrer.
C'est pourquoi je renouvelle mon souhait que les programmes de coopération de nos postes intègrent pleinement la problématique des Droits de l'Homme et servent ainsi à financer des actions concrètes sur le terrain.
Je suis consciente que les Droits de l'Homme représentent une part croissante de la charge de travail dans de nombreuses ambassades, que l'européanisation de cette problématique conduit bien souvent à la multiplication des demandes de rapport et de démarches en tout genre, et qu'il vous est parfois difficile de répondre à toutes ces sollicitations.
Je sais aussi que, parfois - là où les situations de Droits de l'Homme sont les plus difficiles et où l'action de l'Union européenne doit être la plus résolue, nos effectifs sont réduits face à la tâche à accomplir. Je vous invite donc à ne pas hésiter à recourir davantage à un partage du fardeau avec les autres représentations diplomatiques des Etats membres, en créant par exemple des chefs de file sur certains sujets. Je suis certaine que nos partenaires s'y prêteront volontiers et je vous invite à saisir l'occasion de notre présidence de l'Union européenne pour inaugurer de nouvelles méthodes de travail avec nos partenaires européens.
Je vous demande en particulier d'instaurer de manière systématique, dans les pays hors de l'Union européenne, des réunions mensuelles de l'Union européenne sur les Droits de l'Homme qui soient non seulement l'occasion d'analyser la situation de votre pays de résidence, mais également l'occasion de définir des approches concertées, notamment dans le domaine de la coopération.
Fidèle à la démarche que j'ai choisi de suivre à l'échelle nationale, j'ai voulu me concentrer sur deux priorités immédiates en ces six mois - tellement peu ! - de Présidence française de l'Union européenne.
La priorité que j'accorde à la question des femmes se traduira notamment par l'élaboration de "lignes directrices" qui permettraient aux vingt-sept de se coordonner et de renforcer leur action internationale pour lutter contre les violences faites aux femmes.
J'ai également déterminé une seconde priorité : une action internationale pour promouvoir la dépénalisation de l'homosexualité. Pour la première fois, une déclaration sur cette question sera présentée à l'Assemblée générale des Nations unies à New York, en décembre prochain. J'ai bien entendu les réticences que cela soulève chez nombre d'entre vous compte tenu du contexte local : vous devrez donc expliquer à vos interlocuteurs qu'il ne s'agit pas de trancher des débats de société qui existent dans chaque pays sur les droits liés à l'orientation sexuelle de chacun, qu'il s'agit encore moins de privilégier une orientation par rapport à une autre, mais de préserver un droit fondamental, celui de ne pas être emprisonné ou exécuté au seul motif de cette orientation.
Voilà Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs. La tâche est immense. La fonction cernée de contraintes, les "choses étant ce qu'elles sont" comme disait le Général de Gaulle. Mais quelle oeuvre passionnante ! Quelle chance pour moi de participer à la poursuite de la promotion des Droits de l'Homme. Avec vous. Ensemble. Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er septembre 2008
Les Droits de l'Homme ; ceux des femmes et des hommes. La passion de leur dignité, l'exigence inlassable en faveur de leur intégrité morale et physique, cette révolte instinctive de l'âme contre les pouvoirs qui oppriment. Sans cette passion et ce souci de l'homme et de sa liberté, une diplomatie n'est que procédure. La vocation de la France n'est pas la procédure. Sa vocation, c'est d'être à l'avant-garde des nations qui combattent pour la liberté. Je vous demande, alors que nous allons célébrer à Paris le 60ème anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, d'être fidèles à cet idéal.
Je sais que vous l'êtes, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, vous qui êtes les véhicules d'une certaine idée de la France, ce pays dont vous savez mieux que quiconque qu'il est à nul autre pareil, vous qui êtes les serviteurs zélés de cette France éternelle, à laquelle les Français sont attachés, car elle illustre ce qui fait leur identité profonde : la passion des Droits de l'Homme. Passion de l'universel. Si notre si belle devise de "liberté, égalité, fraternité" résonne encore à travers les siècles et au-delà de la France, c'est bien parce que les révolutionnaires de 1789 avaient pensé les Droits de l'Homme pas seulement pour les Français mais aussi pour le reste du monde, pour tous les hommes, ce que personne n'avait osé faire avant eux. Et le dernier des grands révolutionnaires, le Général de Gaulle, comment disait-il déjà ? "Un pacte vingt fois séculaire lie la grandeur de la France à la liberté du monde". De fait, nous avons eu l'audace de nous proclamer pays des Droits de l'Homme. Mais, que cela nous oblige !
L'Homme donc, toujours. Parmi ces hommes, des géants qui brisent les chaînes. Nous avons rendu hommage cette année à cet immense français, Aimé Césaire, et à sa poésie brûlante contre l'aliénation coloniale ; à Alexandre Soljenitsyne, le torrentiel zek, qui a défié, solitaire, dans une oeuvre à la mesure de cette terre et cette âme russe, une monstrueuse entreprise totalitaire ; à Nelson Mandela, au 90ème anniversaire duquel j'ai eu l'honneur de représenter la France, qui a rassemblé une nation séparée et donné à l'Afrique un nouvel idéal de fraternité. Celui-là, ce ne sont pas que des chaînes qu'il a brisées, il a abaissé des montagnes. Je l'entends encore me dire, n'est-ce pas Denis Pietton, qu'il faut savoir pardonner à ses bourreaux.
Des femmes naturellement. Une femme, Aung San Suu Kyi, inflexible et frêle, maintenue dans l'isolement d'une résidence surveillée par une junte anachronique. Des femmes, des dizaines de milliers de femmes dans les Kivus, violées et martyrisées, et dont j'ai entendu les récits insoutenables. Ne baissons jamais les bras. Face à une junte impavide, nous devons au peuple birman doublement martyrisé par un régime implacable et l'abandon aux conséquences terribles d'une catastrophe naturelle, de rappeler, en particulier au sein des Nations unies, la responsabilité qui incombe à chaque gouvernement de protéger sa population.
Au secours de ces femmes violées par des reîtres et des enfants enrôlés par des bandes armées, nous devons rappeler qu'il n'y aura pas d'impunité, que la justice internationale fera son oeuvre, comme elle a commencé de le faire en RDC avec le transfert à la CPI de Jean-Pierre Bemba, à la suite de trois autres prévenus internationaux. Les crimes dont on les accuse furent commis en RDC. Qu'importe, c'est à La Haye, qu'ils sont retenus, n'est-ce pas Monsieur l'Ambassadeur Gaussot, car les crimes dont on les accuse, par leur ampleur et leur nature, concernent l'humanité entière. Universalité des droits, universalité des crimes.
L'ambition de la France, de notre diplomatie doit être, et notamment aux Nations unies, de soutenir, d'encourager, de promouvoir, de mener le combat pour l'élaboration de normes internationales plus justes. Monsieur l'Ambassadeur Zimeray ne cesse de me le répéter : ne jamais oublier que les Droits de l'Homme sont d'abord du droit. Des normes, des textes, des résolutions, des conventions grâce auxquels chaque jour, des enfants-soldats sont libérés, des femmes prennent connaissance de la reconnaissance de leur dignité. J'en profite pour remercier la direction des Nations unies du Quai d'Orsay : NUOI/H. Mme Bermann, votre direction, les agents qui la composent, sont d'une exceptionnelle efficacité et compétence. Merci, chaque jour, de m'accompagner dans les méandres du multilatéralisme onusien, avec nos ambassadeurs Jean-Maurice Ripert et Jean-Baptiste Mattéi, que je veux aussi remercier. Le rempart du droit est le meilleur secours contre l'oppression ; exiger inlassablement le respect des normes que les Etats se donnent à eux-mêmes, telle est aussi l'exigence d'une diplomatie moderne et ambitieuse. La France participe activement à ce combat.
Au Caucase, par la médiation du président de la République, la France, au titre de la présidence du Conseil de l'Union européenne, le fait en condamnant fermement la violation de l'intégrité et de la souveraineté de la Géorgie. L'Europe porte un modèle unique de paix et de tolérance où les jeux de la puissance ont fait place à un espace de démocratie, de solidarité et de prospérité. Le retour aux réflexes anciens de l'imperium et de la conquête territoriale, suivi de la cohorte de réfugiés, des destructions de villages et de nettoyage ethnique n'est pas supportable.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
C'était il y a exactement un an, dans le cadre du même exercice, que nous avons eu l'occasion de nouer un premier contact. J'avais à coeur de vous présenter mes premières réflexions, mes priorités et orientations, qui visaient à donner corps à la dimension humaniste que Nicolas Sarkozy avait promis à nos concitoyens d'imprimer à son action, une fois élu président de la République, et donc aussi à la politique étrangère de la France, et qu'il a rappelée devant vous ce mercredi.
Un an, c'est long pour un ministre qui doit arbitrer quotidiennement entre mille sollicitations diverses et contradictoires, échapper à la routine, braver les difficultés pour parvenir à conserver le momentum, et contribuer, aux côtés du chef de l'Etat et de Bernard Kouchner, à préserver la crédibilité de l'action politique aux yeux de nos compatriotes qui, comme d'autres en ces temps de globalisation concurrentielle, pourraient choisir de se réfugier dans une attitude désabusée.
Un an, c'est long, et en même temps, c'est un tourbillon ! Une cinquantaine de pays visités. Vous m'avez fait voir le monde, dans ce qu'il a de meilleur comme dans ce qu'il a de pire. Votre mobilisation, votre compétence, votre affection pour les pays dans lesquels vous êtes en poste ont été pour moi des éléments décisifs à chacun de ces déplacements. L'année dernière, devant cette même assemblée, je ne connaissais aucun de vos visages ou presque. Aujourd'hui, que de visages familiers, dont chacun m'évoque des souvenirs prégnants de la diversité des postes que vous incarnez. L'actualité internationale ne nous a jamais déçus, par son imprévisibilité, par ses drames, et parfois aussi par ses bonheurs.
L'an passé, je vous entretenais du conflit entre intérêts et valeurs que sous-tendait le portefeuille que le président de la République m'a fait l'honneur de me confier. Ce paradoxe, cette tension, n'ont cessé d'alimenter le débat public en France, de la visite à Paris d'un chef d'Etat arabe à celle d'un chef spirituel asiatique.
L'année dernière, avant même d'être entrée dans le sujet, je vous disais : défendre les Droits de l'Homme, quitte à transgresser.... J'ai quelquefois bousculé les codes. La passion des Droits de l'Homme, vous disais-je. Et, les Droits de l'Homme n'ont jamais été l'histoire d'une marche triomphale... ni celle d'une cause perdue d'avance. Ils ont toujours connu une grande difficulté d'être. Ils sont l'histoire d'un combat. C'est ce qui rend leur défense belle. Les Droits de l'Homme sont maintenant au centre du débat politique national, vif, alerte, quelquefois injuste.
Car, faut-il considérer que les libérations emblématiques des infirmières et du médecin palestinien ou d'Ingrid Betancourt n'étaient qu'écume à la surface des choses ? Ce serait nier une action aussi déterminée que tenace. Et les combats pour la liberté sont toujours des combats pour des hommes et des femmes. Il n'y pas de combats mineurs, il n'y a que l'aveu souvent d'une impuissance.
D'ailleurs, si la France de Nicolas Sarkozy était ce pays mercantile ou pratiquant la realpolitik sacrifiant ses principes à ses intérêts, à la réputation soumise au soupçon, comme on la caricature parfois, je me demande bien pourquoi nous aurions gagné si brillamment notre réélection au Conseil des Droits de l'Homme à Genève, ou encore l'élection de Nicole Ameline au Comité pour l'élimination des discriminations à l'égard des femmes à New York. La France reste fidèle à son héritage, imperturbablement. Nous jouons un rôle décisif et reconnu au sein des Nations unies. Ainsi, c'est la France qui a porté durant près de trente ans inlassablement aux Nations unies la convention contre les disparitions forcées et qui s'efforce aujourd'hui de permettre son entrée en vigueur dans les meilleurs délais. C'est avec la même abnégation que je me suis impliquée pour obtenir l'adhésion d'une dizaine d'Etats supplémentaires aux Engagements de Paris contre le phénomène des enfants-soldats.
Certes, aucune nation ne peut prétendre d'elle-même être exemplaire pour les autres. Et nous aurions tort de nous donner des brevets de vertu, car on peut toujours mieux faire, y compris en balayant devant notre porte. Les violations des Droits de l'Homme ne peuvent plus être conduites dans le secret de souverainetés opaques.
La France s'est soumise à cet égard, avec la plus grande transparence, à Genève, à ce nouvel examen universel par les pairs. Car, au fond, le génie des démocraties, même du pays des Droits de l'Homme, n'est-il pas de reconnaître leur perfectibilité ? D'ailleurs, je constate que notre pays a amélioré son "rang" auprès de la CEDH, en ce sens qu'il est de moins en moins condamné pour des infractions à ses obligations. Ce n'est pas un quitus définitif, je le sais bien, et ce ne le sera jamais, car on peut toujours mieux faire pour les droits et libertés. Agir pour eux.
Agir ! En un an, j'ai appris, comme je vous l'ai dit, à connaître un grand nombre d'entre vous à travers mes déplacements sur le terrain. Certains de ces voyages étaient "diplomatiques" comme l'on dit, et il le faut bien puisque je suis aussi secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères. Quelques-uns uns ont été des plus émouvants, déstabilisants, prometteurs comme en Haïti, n'est-ce pas, Monsieur l'Ambassadeur Connan. Et même s'ils n'avaient pas pour objectifs les Droits de l'Homme, tous en ont comporté un volet : défendre nos ressortissants, en Indonésie avec Mme Boivineau, au Tchad avec M. Foucher, en Israël avec M. Casa. Défendre nos ressortissants mais les autres aussi, simplement parce qu'ils sont hommes, en Tunisie, en Chine, en Birmanie, au Soudan, en fait partout où il y a des cas individuels que nous avons estimé injustes. Ah ! Ces "cas individuels" ! Quelle patience faut-il pour plaider leur cause ! Quel doigté aussi ! Quel silence au préalable nécessaire, quitte à subir la critique de ceux qui pensent que ce silence est complaisance, alors qu'il n'est que méthode. Mais quelle joie, quel bonheur quand, grâce à nous, grâce à ce procédé, tel journaliste est libéré, tel avocat est libéré, tel dissident est libéré, comme ces trois opposants syriens depuis le sommet de l'UPM. Et jusqu'aux Etats-Unis quand un condamné pour lequel j'ai plaidé a échappé in extremis à la mort, M. Vimont s'en souvient sans doute. Ou quand tel militant des Droits de l'Homme obtient le visa tant attendu, celui-ci depuis Gaza et tel autre depuis Kaboul comme le savent MM. Casa et de Ponton d'Amécourt. Pour tous ces cas, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, vous m'avez aidée à obtenir leur sortie.
Alors, oui, ce sont sans doute des gouttes d'eau dans la mer. Mais pour faire une mer, il en faut des gouttes. Non, je n'oublie pas l'Océan qui reste derrière. Mais, n'oublions pas qu'il y a plus de trente ans, les opposants les plus résolus à l'Empire soviétique se moquaient des accords d'Helsinki. Un Helsinki qui a pourtant conduit très vite à la libération de quelques rares dissidents, premier pas vers l'écroulement du système.
Je suis donc convaincue, au-delà de tous les efforts qui nous restent à accomplir au sein de ce ministère pour être plus directement performants, pour que la dimension des Droits de l'Homme soit prise en compte dès l'amont des décisions et des analyses, et ne soit pas le remords tardif des autres directions géographiques de cette Maison ; quelque chose qui arrive, encore parfois, je vous en fais la confidence.
Nous avons un devoir d'explication, constant, permanent, auprès de notre opinion publique. Il nous faut rendre les choses plus concrètes, plus perceptibles, auprès de ceux qui ne sont pas dans le quotidien de notre travail. C'est la raison pour laquelle je me suis attelée à cette tâche, lourde mais gratifiante, qui consiste à visiter chacune des régions de France avant le soixantième anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, pour expliquer aux Français les objectifs et le contenu de notre action.
D'autres déplacements internationaux, les plus nombreux, étaient des voyages que je qualifierai de "dédiés" et, mieux encore, de "choisis", car je les ai voulus en phase avec les quatre priorités que je vous avais énoncées. Ma liste ne saurait être exhaustive :
- les enfants : je me suis rendue au Darfour. Il a fallu ensuite gérer les errances de l'Arche de Zoé, et les conséquences diplomatiques très lourdes d'un épisode qui a demandé beaucoup d'efforts, grâce à la DFAE de M. Catta, pour être circonscrit à ce qu'il était, l'histoire navrante d'esprits égarés, bien loin de la tragédie réelle qui se poursuit au Soudan. Depuis, j'ai replacé notre Ministère au centre d'un dispositif d'adoption internationale rationalisé et conforme tant à l'éthique qu'à nos engagements internationaux. J'aime sortir des combles du ministère ce type de dossiers pour valoriser le travail de nos agents, à Paris, au Cambodge, en Haïti, et montrer à tout le monde que nous savons faire une diplomatie de proximité, proche des Français et que nous ne sommes pas bon qu'à faire des réunions aux fins fonds de la planète. Autre chantier sur lequel je me suis investie : celui des enfants soldats. Je vous l'ai dit et ce travail n'est pas fini. Nous nous retrouverons donc à New York le 29 septembre pour une nouvelle session de travail.
- les femmes : ce fut l'occasion de mon premier déplacement, en Moldavie, sur le thème de la traite des êtres humains. Et une préoccupation constante : je suis intervenue en faveur de femmes qui, en prenant d'énormes risques, luttent pour que l'égalité avec les hommes soit une réalité tangible, pour que ces droits ne soient pas niés au nom de la tradition ou de la religion. Ayaan Hirsi Ali et Taslima Nasreen sont des voix pour lesquelles j'ai plaidé en faveur de la mise en place d'un fonds européen de soutien. Et je ne vous parle pas des Kivus, ces terres congolaises blessées, remplies des pleurs de femmes déchirées et que le monde oublie.
- la justice pénale internationale : je suis allée au Cambodge pour annoncer un accroissement de l'aide française au Tribunal chargé de juger les responsables du génocide. Je me suis également rendue à La Haye à l'occasion du 10ème anniversaire du Statut de Rome portant création de la Cour pénale internationale. J'y ai réaffirmé ma conviction très forte qu'il ne peut y avoir de paix durable sans lutte contre l'impunité. On ne construit rien de politiquement durable sur l'oubli des victimes. La paix et la réconciliation ne se bâtissent pas dans le sauf-conduit donné aux bourreaux. Croire cela, c'est faire preuve de courte vue. Au Soudan, comme ailleurs.
- la liberté d'expression : j'ai parlé du journalisme et de son lien avec la liberté à Bayeux en octobre 2007 ; à Jérusalem, j'ai eu l'occasion de plaider pour la liberté d'expression à l'occasion de l'événement "Cartooning for Peace" organisé par Plantu. Cette liberté est évidemment encore plus précieuse quand elle se trouve à s'employer dans des contextes de crise ou de conflit.
Je sais que ma façon de concevoir ces déplacements spécifiques a pu parfois vous surprendre, mais elle correspond à une volonté politique : celle d'une compréhension claire et directe par notre opinion publique, comme par les opinions des pays dans lesquels je me rends. Cela impose aussi de votre part de penser en permanence à la nécessité de communiquer.
Nous sommes néanmoins en train, je l'espère, d'inventer une sorte de connivence. Je le souhaite. Quel pourrait être le rôle de notre réseau diplomatique dans le domaine de la défense et promotion des Droits de l'Homme ? Je n'ai, bien entendu, pas inventé cette problématique.
Le récent Livre Blanc sur la politique étrangère et européenne de la France a mis l'accent sur la nécessité d'intégrer au premier des préoccupations françaises la défense des Droits de l'Homme et la promotion de nos valeurs, et j'en remercie Alain Juppé et Louis Schweitzer.
Je suis ravie de constater qu'au moins dans toutes les grandes ambassades, et d'autres moins grandes mais tout aussi importantes, il y a maintenant un agent à la chancellerie diplomatique plus spécialement investi du suivi des Droits de l'Homme. C'est un pas essentiel, mais perfectible.
Mais tout d'abord, ne boudons pas notre plaisir : je voudrais vous remercier pour la réaction que vous avez eue l'an passé à l'idée que j'émettais d'ambassades "Maisons des Droits de l'Homme". A lire votre correspondance, j'ai eu le sentiment d'être entendue, en tout cas d'un grand nombre de postes, et je mentionnerai au passage, mais sans être exhaustive, le travail réalisé par nos ambassades à Damas, Téhéran, Washington ou Bogota. Et bien évidemment au travail qu'accomplissent nos missions à Genève et à New York.
Une ambassade "Maison des Droits de l'Homme", c'est quoi ? c'est notamment une représentation qui :
- a un correspondant chargé de suivre ce dossier ;
- est capable d'envoyer à Paris un point de situation régulier sur l'état des droits dans son pays d'accueil ;
- peut alerter le Département en temps réel des cas litigieux et sensibles ;
- rencontrer les défenseurs locaux des Droits de l'Homme dans une enceinte française ;
- flécher une part de ses programmes de coopération à destination de la promotion des Droits de l'Homme et de l'Etat de droit.
Nous avons déjà fait beaucoup de chemin dans ce sens, mais il faut continuer : mieux en quantité - le nombre d'ambassades qui s'impliquent vraiment - et mieux en qualité. Sur ce dernier point, nous gagnerions, je le crois, à mobiliser tous les services de nos ambassades et pas seulement la chancellerie : je pense notamment à notre réseau culturel, aux magistrats de liaison - quand il y en a - et à nos attachés de sécurité intérieure.
Et puis, l'aspect symbolique est essentiel : il y a encore trop d'ambassadeurs qui délèguent à un collaborateur les contacts qui peuvent "fâcher" les autorités locales dans les pays à système fermé, et j'ai trop souvent vu cela dans un certain nombre de pays pas très éloignés de Paris. J'avoue parfois être surprise par ce que certaines ONG me confient de l'accueil de quelques-uns de nos ambassadeurs - ou plus exactement de l'absence d'accueil de certains. Le soutien aux ONG et aux défenseurs des Droits de l'Homme, dans les pays où ils sont le plus exposés, ressortit au devoir de votre charge. La défense des Droits de l'Homme, c'est aussi la rencontre et le soutien à ceux qui en sont le porte-drapeau courageux : on ne perd rien à tendre la main à ceux qui font progresser les libertés. Au contraire, l'Histoire, avec un grand H, s'en souvient.
Dans tous les pays où se posent les problèmes les plus graves en matière de libertés, ceux qui constituent des systèmes totalitaires, répressifs, autoritaires ou fermés, la référence au "chef" est prédominante. Tant que l'ambassadeur ne s'implique pas dans ces matières, qu'il les délègue à un collaborateur, cela veut dire que la France fait de l'affichage, mais que les affaires importantes sont gérées entre "gens sérieux et qui se comprennent". Cette lecture n'est évidemment pas la nôtre.
Que faisons-nous concrètement pour ces vigies de la liberté ? Notre générosité doit-elle s'arrêter à l'élaboration de normes juridiques, aussi nécessaires fussent-elles ? Nous devons aller plus loin et retrouver cette inspiration des Lumières où les persécutés trouvaient accueil et asile dans cette fraternité des coeurs et des esprits qui distingua le XVIIIème siècle français. Je propose que Paris soit plus que jamais la capitale de la liberté et puisse s'enorgueillir de la création d'une "Villa Médicis" des Droits de l'Homme. Cette nouvelle Académie de France accueillerait, pour de courts séjours, des pensionnaires des Droits de l'Homme, soit pour un projet, soit pour un asile réparateur, lorsque nous obtenons leur libération. Travaillons ensemble à cette idée.
Toujours pour faire bouger les choses, et sans préjudice de l'inventaire que nous allons dresser cet automne, je vous demande également, à l'occasion du soixantième anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, d'organiser une réception à la résidence de France qui soit ouverte à tous les défenseurs locaux des Droits de l'Homme, y compris ceux que vous n'avez jamais reçus.
Vous êtes pour moi, ou vous devriez être quand vous ne l'êtes pas déjà, des informateurs prioritaires dans le domaine des Droits de l'Homme, avant même les agences internationales, les ONG spécialisées, les avocats, les intellectuels qui sont depuis toujours la "mauvaise conscience" des pouvoirs politiques, ou la conscience tout court. C'est votre rôle, c'est ce que j'attends de vous.
Maintenant, devez-vous localement jouer ce rôle tout seuls en tant que représentants officiels de votre pays ? Bien entendu non, et pas seulement en période de Présidence française de l'Union européenne. Il ne faudrait surtout pas que ces démarches européennes soient l'occasion pour vous de camoufler derrière d'autres une démarche jugée gênante par rapport à vos autorités d'accueil : au contraire, vous devez en être un élément moteur, y compris après la période actuelle où nous exerçons la présidence de l'Union européenne.
L'Europe n'a pas de leçons à donner au monde, elle qui a inventé toutes les dérives totalitaires et les conflits les plus meurtriers du XXème siècle. Alors, le risque de démarches européennes, je le connais, c'est l'incantation, mais ne sous-estimons pas pour autant le poids que peut représenter une démarche à Vingt-sept (un bon sixième de la planète, sans autre considération ou pondération liée à la richesse ou à la puissance). L'Union européenne en fait une vingtaine par mois à travers le monde. C'est en même temps beaucoup car cela suppose un lourd travail en amont : proposition du poste, vérification du cas, coordination à vingt-sept... Et si peu : pour une vingtaine de vies brisées mises en lumière, combien d'autres opprimées dans l'ombre et le silence ? Il faut donc persévérer et accentuer notre action.
Moi-même, je ne me lasserai pas d'intervenir régulièrement pour ces défenseurs des Droits de l'Homme comme Emaddedine Baghi, militant iranien, Hu Jia, bloggeur chinois ou U Win Tin, l'un des plus vieux prisonniers politiques birmans.
Ai-je besoin de rappeler que l'Europe s'est dotée dès 1950 de mécanismes profondément novateurs dans le monde de l'après-guerre avec la convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ? Ai-je besoin de souligner que le Traité d'Amsterdam fait des Droits de l'Homme et de la démocratie un des piliers de la politique extérieure et de sécurité commune ?
L'Union européenne joue un rôle majeur au niveau international en matière de défense de la démocratie, de protection et de promotion des Droits de l'Homme :
- elle s'est dotée depuis 1998 de lignes directrices en matière de Droits de l'Homme, qui fixent les grandes lignes de son intervention tant au niveau des capitales que sur le terrain - doctrine, démarches, déclarations, etc. - sur cinq sujets : peine de mort, torture, défenseurs des Droits de l'Homme, enfants soldats et droits de l'enfant.
- L'Union européenne a par ailleurs engagé des dialogues spécifiques sur les Droits de l'Homme, au niveau des experts des capitales, sur les Droits de l'Homme avec la Chine, la Russie et l'Ouzbékistan, mais aussi avec les grands pays proches de nos vues tels que les Etats-Unis ou le Japon. Il est prévu d'ouvrir dans les mois qui viennent des dialogues Droits de l'Homme avec chacun des quatre autres pays d'Asie centrale. Un dialogue sur les Droits de l'Homme avec l'Union africaine a été engagé cette année. D'autres ont été noués dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen avec le Maroc, la Jordanie, l'Egypte, le Liban et la Tunisie. Enfin, de nombreux dialogues sur les Droits de l'Homme sont menés au niveau local, par les chefs de mission des Etats membres de l'UE, comme par exemple en Inde ou au Vietnam. Au total, l'Union européenne entretient une trentaine de dialogues sur les Droits de l'Homme avec des pays tiers et une dizaine d'autres devraient prochainement voir le jour. Parmi ces derniers, nous attendons toujours la réponse de Cuba à l'offre européenne qui lui a été faite en juin.
- Tous les accords de coopération avec les pays tiers (notamment celui entre l'Union européenne et les 77 pays ACP) font, depuis 1995, du respect des Droits de l'Homme une clause fondamentale, dont la violation peut entraîner la suspension de la coopération.
- En outre, elle dispose d'un instrument européen pour la démocratie et les Droits de l'Homme substantiel, doté de 130 millions d'euros par an et qui permet le financement d'actions concrètes en faveur de la démocratie.
- Enfin, l'Union européenne coordonne et, en général, fédère les positions des Etats membres dans les débats notamment au sein des instances onusiennes, que ce soit au Conseil des Droits de l'Homme ou à l'Assemblée générale des Nations unies, et lui permet de faire entendre sa voix, de prendre des initiatives ambitieuses. Un seul exemple permettra de mieux comprendre l'importance de cette fonction unificatrice : l'adoption l'an dernier par l'AGNU d'une résolution historique appelant à un moratoire sur le recours à la peine de mort. Ce résultat n'allait pas de soi.
Mais, me direz-vous, si l'Union européenne s'est imposée comme un acteur de premier plan sur la scène internationale en matière de défense de la démocratie et des Droits de l'Homme, quel rôle peut donc espérer jouer notre pays ? La France a-t-elle encore une singularité à exprimer ? Oui, je le crois, et tel est le second message que je voudrais aujourd'hui vous délivrer.
C'est pourquoi je renouvelle mon souhait que les programmes de coopération de nos postes intègrent pleinement la problématique des Droits de l'Homme et servent ainsi à financer des actions concrètes sur le terrain.
Je suis consciente que les Droits de l'Homme représentent une part croissante de la charge de travail dans de nombreuses ambassades, que l'européanisation de cette problématique conduit bien souvent à la multiplication des demandes de rapport et de démarches en tout genre, et qu'il vous est parfois difficile de répondre à toutes ces sollicitations.
Je sais aussi que, parfois - là où les situations de Droits de l'Homme sont les plus difficiles et où l'action de l'Union européenne doit être la plus résolue, nos effectifs sont réduits face à la tâche à accomplir. Je vous invite donc à ne pas hésiter à recourir davantage à un partage du fardeau avec les autres représentations diplomatiques des Etats membres, en créant par exemple des chefs de file sur certains sujets. Je suis certaine que nos partenaires s'y prêteront volontiers et je vous invite à saisir l'occasion de notre présidence de l'Union européenne pour inaugurer de nouvelles méthodes de travail avec nos partenaires européens.
Je vous demande en particulier d'instaurer de manière systématique, dans les pays hors de l'Union européenne, des réunions mensuelles de l'Union européenne sur les Droits de l'Homme qui soient non seulement l'occasion d'analyser la situation de votre pays de résidence, mais également l'occasion de définir des approches concertées, notamment dans le domaine de la coopération.
Fidèle à la démarche que j'ai choisi de suivre à l'échelle nationale, j'ai voulu me concentrer sur deux priorités immédiates en ces six mois - tellement peu ! - de Présidence française de l'Union européenne.
La priorité que j'accorde à la question des femmes se traduira notamment par l'élaboration de "lignes directrices" qui permettraient aux vingt-sept de se coordonner et de renforcer leur action internationale pour lutter contre les violences faites aux femmes.
J'ai également déterminé une seconde priorité : une action internationale pour promouvoir la dépénalisation de l'homosexualité. Pour la première fois, une déclaration sur cette question sera présentée à l'Assemblée générale des Nations unies à New York, en décembre prochain. J'ai bien entendu les réticences que cela soulève chez nombre d'entre vous compte tenu du contexte local : vous devrez donc expliquer à vos interlocuteurs qu'il ne s'agit pas de trancher des débats de société qui existent dans chaque pays sur les droits liés à l'orientation sexuelle de chacun, qu'il s'agit encore moins de privilégier une orientation par rapport à une autre, mais de préserver un droit fondamental, celui de ne pas être emprisonné ou exécuté au seul motif de cette orientation.
Voilà Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs. La tâche est immense. La fonction cernée de contraintes, les "choses étant ce qu'elles sont" comme disait le Général de Gaulle. Mais quelle oeuvre passionnante ! Quelle chance pour moi de participer à la poursuite de la promotion des Droits de l'Homme. Avec vous. Ensemble. Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er septembre 2008