Interview de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'Etat chargée de l'écologie, à La Chaîne Info le 8 septembre 2008, sur la fiscalité écologique, le projet d'une taxe sur les poids-lourds transporteurs de marchandises, les péages urbains, la mise en place d'un nouveau fichier de personnes et la préparation des élections régionales en Ile-de-France.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- La fiscalité écologique coince à Bercy et divise les parlementaires UMP, notamment l'extension du bonus-malus automobile à d'autres produits. Alors, à quels produits l'appliquerez-vous, donnez-nous la liste ?
 
D'abord, on ne donne pas la liste !
 
Pourquoi ?
 
Parce que ce qui s'est passé avec le bonus-malus automobile, c'est qu'on l'a annoncé en décembre pour le 1er janvier 2008. Et du coup, fin décembre, au moment de Noël, il y a eu des anticipations sur les ventes de 4x4 et les ventes de grosses Berlines - celles qui allaient avoir un malus - qui a conduit en partie au déséquilibre du bonus-malus. Donc, on ne veut pas... On ne veut pas faire d'effet d'aubaine.
 
On le sait, ce sera l'électroménager ! C'est ça qui pollue, qui crée du fréon !
 
On a des idées plus larges que ça. Ça n'a pas vocation à cibler sur une famille de produits seulement, on cherche...on travaille sur une vingtaine de familles de produits. Pour nous, le bonus-malus, c'est la façon de donner à côté du prix économique qui existe, un prix écologique. Cela a un coût écologique de produire un équipement en particulier et de le faire vivre, et cela n'est pas toujours reflété dans le prix économique. Le bonus-malus c'est ça, c'est afficher un prix écologique, donner un signal aux consommateurs, et ce n'est pas seulement pour telle ou telle catégorie de produits, ça a vocation à se développer, on travaille actuellement sur une vingtaine de familles.
 
 
 
Ça peut toucher les ordinateurs ? Ça peut toucher tout ce qui, d'une manière ou d'une autre, a un impact sur l'environnement, c'est assez large.
 
Les téléphones portables, par exemple, entre les ondes sur la santé et le mercure ?
 
On a vu sortir beaucoup, beaucoup de possibilités dans les médias, certaines sont justes, d'autres sont fausses, et vraiment on s'organise pour avoir un effet de surprise. Ce n'est pas pour faire peur ou pour faire mal aux consommateurs, c'est simplement pour qu'il n'y ait pas d'effet d'aubaine du côté des distributeurs.
 
Alors, si néanmoins il y a des distorsions et que ça coûte plus cher que ça ne rapporte, ce qui a été le cas avec le bonus-malus automobile, est-ce que vous vous engagez à payer le surcoût sur le budget du ministère de l'Ecologie de façon à ne pas grever les finances de l'Etat qui vont déjà mal ?
 
On travaille sur des systèmes, à travers, par exemple, le budget d'une agence comme l'ADEME, pour avoir en effet des cordes de rappel. Mais l'objectif de toute façon, c'est qu'il soit équilibré. J'entends bien les critiques qu'il y a sur le bonus-malus automobile, c'est vrai qu'on n'avait pas anticipé la façon formidable dont ça a marché. En fait, on n'avait pas anticipé que ça marcherait aussi bien...
 
Victime du succès...
 
Victime du succès. Les économistes, sur la base des simples élasticitéprix, nous disaient : avec ce bonus-malus, avec ce montant-là, vous déplacerez 6 à 7 % du marché automobile. Nous, on se disait bien qu'on dépasserait plus, mais on a dépassé 50 %. Pourquoi ? Parce que, les Français, ce n'est pas seulement un signal-prix qu'ils ont vu, c'est un signal éthique ; on est depuis le Grenelle de l'environnement, dans le désir d'action, d'agir en faveur de l'environnement. Et derrière le bonus-malus automobile, il y avait une opportunité d'agir en faveur de l'environnement, donc on a dépassé beaucoup plus que prévu. Du coup, c'est vrai que, transitoirement il y a un déséquilibre. On va d'abord essayer de le rectifier. Et puis on fait attention pour les nouveaux bonus-malus à ce qu'il n'y ait pas déséquilibre. L'objectif c'est : pas de déséquilibre.
 
Changer les comportements, ça peut concerner aussi tous les produits jetables : les briquets, les stylos qu'on jette un peu partout. Ça pourrait toucher ces familles de produits-là également ?
 
Ça c'est une réflexion qu'on a à partir de quelque chose qui s'est fait en Belgique. C'est vrai qu'il y a des produits qu'on appelle "jetables par destination". Le produit à peine fabriqué est déjà jetable, il est fait pour être jetable. L'exemple, c'est la vaisselle jetable. Et ça, ce sont des produits qui posent quand même un problème important.
 
Donc, "taxe pique-nique" comme on dit ?
 
C'est comme cela que ça s'appelle en Belgique. Juste un exemple : en France, on produit 360 kg de déchets par personne et par an. Je vois s'amonceler sur mon bureau des demandes de partout en France, d'élus, d'associations qui ne veulent pas qu'on ouvre une installation de traitement des déchets à côté de chez eux, ou qui en ont une, et qui veulent qu'on la ferme. Très bien. Mais 360 kg de déchets par personne et par an si on n'a pas les moyens de traiter, on va finir comme Naples. Les Japonais, ils ne sont pas plus bêtes que nous, produisent 100 kg de moins par personne et par an. Parce qu'ils ont très efficaces sur la réduction à la source des déchets. Donc, il faut qu'on travaille plus la réduction à la source des déchets, et par exemple qu'on envoie un signal sur ce qui s'appelle les "produits jetables par destination", "jetables par essence".
 
Alors pour toute cette fiscalité écologique, fonctionnerez-vous par ordonnance pour ménager l'effet de surprise jusqu'au bout ou bien le Parlement débattra-t-il de tout ?
 
C'est vrai qu'on a une réflexion en ce moment autour de l'outil des ordonnances. Je rappelle que les ordonnances ça consiste à passer en fait...à faire débattre par les parlementaires une loi d'habilitation.
 
Qui vous permet après...
 
...qui permet après de prendre des ordonnances, donc de garder une part de l'effet de surprise, pour éviter ce que je disais sur le bonus-malus automobile, pour éviter qu'il y ait des effets d'anticipation, et finalement des distributeurs par exemple qui en profitent, quelque part.
 
Donc, c'est quasiment décidé : ordonnances ?
 
C'est une proposition qu'on a, J.-L. Borloo et moi, on est...on préfère...
 
Vous plaidez pour. Y aura-t-il une taxe poids-lourds sur le transport de marchandises ? On l'estime à 1 milliard ?
 
Oui, c'est D. Bussereau qui travaille sur ce sujet. On a un problème en France : nos voisins taxent de plus en plus les camions. Du coup, les camions se reportent sur nos routes sur lesquelles ils ne sont pas taxés. Les camions étrangers ne sont pas taxés sur les routes françaises. En plus, ils ont de très gros réservoirs, donc ils font le plein avant, ils font le plein après, ils ne font pas le plein en France, ils ne payent pas les taxes. Ça pose un problème économique, ça pose un problème écologique, puisque ces camions viennent encombrer nos routes. Il faut qu'on ait une fiscalité qui soit à la hauteur de nos voisins, donc on réfléchit à "une éco-redevance", en fait, sur les routes sur lesquelles il n'y a pas de péages, donc sur les routes hors autoroutes, et ça pourrait...Alors, c'est plutôt c'est 850 millions d'euros.
 
Ça va se retrouver dans le prix des produits, vous allez augmenter l'inflation ?
 
Ça ne se retrouve pas dans le prix... Attendez, en France actuellement, on a les transporteurs routiers nationaux qui payent une taxe, ça s'appelle "la taxe à l'essieu", et les camions étrangers qui n'en payent pas ! C'est quand même mal fait.
 
La prime transport sera étendue aux entreprises de province, sur le modèle de l'Ile-de-France pour les transports en commun, et sur la base du volontariat pour les entreprises qui voudront aider leurs salariés à financer leur automobile. Est-ce que ce système vous convient, et comprenez-vous L. Parisot qui dit : "une taxe de plus ! Une taxe sur des taxes, puisqu'il y a déjà des taxes sur le carburant, c'est insupportable !" ?
 
Il y a une réflexion en cours sur ce sujet, et il faut bien voir quel est le problème. Le problème c'est que ça coûte de plus en plus cher de se déplacer ; on veut être cohérent et laisser la priorité et donner la priorité aux transports en commun, il faut aussi pouvoir envoyer un signal aux Français qui, eux, n'ont pas de transports en commun à proximité. Le prêt à taux zéro sur le bouquet de travaux écologiques et dans les logements coûterait 1 milliards d'euros à l'Etat. La France peut-elle se permettre ce luxe ?! Attendez, ça c'est très important. En France, on a des bâtiments qui sont des véritables passoires énergétiques ; du point de vue énergétique, nos bâtiments c'est une catastrophe et c'est une aberration parce que ça retrouve dans les charges. Vous payez des charges absolument considérables.
 
Alors vous allez obliger les Français à faire des travaux ?
 
Pas comme ça, d'ici demain. Mais sur une période longue, avoir des obligations à terme, de travaux, et se donner les moyens, donner les moyens aux Français de les faire avec un prêt pour ce qu'on appelle "les rénovations lourdes", donc, jusqu'à 30.000 euros de prêt à taux zéro, 30.000 euros, donc, ça fait vraiment des rénovations, puisque c'est 300 euros... jusqu'à 300 euros par mètre carré, et ça permet pour un particulier... Les intérêts sont pris en charge par l'Etat. Le capital vous le remboursez à partir de ce que vous avez économisé sur vos charges. Donc, pour un particulier, vous ne payez pas plus, ce que vous auriez payé sur vos charges pour vos consommations énergétiques, vous le payez pour rembourser le capital. Et au bout de quelques années, parce que ce sont des prêts sur une durée longue, au bout de quelques années, vous êtes propriétaire d'un logement qui a une bien meilleure qualité énergétique qu'au début et vous payez bien moins de charges. C'est bon pour l'environnement, c'est bon pour l'économie. Parce que derrière, il y a des emplois, et il y a toute une activité autour, qui sont des activités non délocalisables, autour de ce type de travaux.
 
Les péages urbains, on dit que vous êtes sceptique ?
 
Sur le principe, c'est intéressant. Je suis très prudente sur la manière dont on le fait. Je prends la région Ile-de-France : il ne faut pas que cela aboutisse au rétablissement de l'octroi - vous savez l'octroi c'était le système de péage aux portes des villes dans l'Ancien Régime - dans lequel en fait on aura une banlieue avec des gens moins aisés, qui paieraient pour entrer dans un centre riche. C'est la critique que j'avais eue vis-à-vis du Tramway. Je trouve que le Tramway c'est très bien pour les gens qui habitent le long du tramway, mais enfin, il y a aussi de l'argent de la région Ile-de-France, donc de tous les Franciliens, qui ont payé pour un Tramway qui, quand même, fait le tour de Paris. Et à l'intérieur de Paris, on a des logements très chers, on a du patrimoine, on a des gens quand même qui ont plutôt plus de moyens en moyenne que les banlieusards. Il y a un moment où il faut aussi s'occuper des banlieusards, c'est ce que je dis.
 
H. Morin proteste contre le fichier Edwige. Êtes-vous choquée par ce fichier ou par le manque de solidarité gouvernementale d'H. Morin ?
 
Je comprends... Enfin, je trouve ça intéressant, je trouve ça normal, qu'il y ait un débat en France, il est très sensible sur la question des fichiers. Il serait intéressant qu'il puisse y avoir un débat sur ces questions de libertés publiques. En revanche, je trouve qu'on devrait rappeler un peu plus les arguments qu'il y a derrière le fichier. Nos fichiers actuels, nos systèmes de fichage datent d'il y a, je crois, 20 ans ou au moins 15 ans. À l'époque, on n'avait pas le même type de délinquance. Là, on a de la délinquance de rue qui se développe, on a de la violence urbaine. Ce sont les nouvelles technologies qui nous aident à être plus efficaces, il faut aussi faire un petit peu confiance aux forces publiques, et se donner les moyens.
 
R. Karoutchi, Y. Jégo, V. Pécresse : qui soutenez-vous pour mener la liste UMP aux régionales de 2010 en Ile-de-France ?
 
J'organise des primaires sur toute la France pour choisir les candidats aux élections régionales.
 
Vous avez une préférence ?
 
Je ne soutiens pas l'un en particulier, surtout pas. J'organise la primaire. J'aurais l'air de quoi si en organisant la primaire, je donnais ma préférence à l'un ou l'autre ! En revanche, je veux qu'on prenne l'Ile-de-France, et je fais tout ce que je peux pour que ce débat soit vraiment positif et crée une dynamique autour du tête de liste que les militants auront choisi.
 
Il y a des primaires pour les régionales, vous êtes pour un président de l'UMP élu par tous les militants ?
 
Je crois qu'on n'a pas de problème de leadership à l'UMP. Le leader c'est N. Sarkozy.
 
Non, mais il n'est plus là, il est président de la République !
 
Enfin, "il n'est plus là", il est là encore, il inspire le mouvement, le leader c'est N. Sarkozy. Le reste, ce sont des problèmes d'organisation.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 8 septembre 2008