Interview de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, à France 2 le 23 mai 2001, sur le projet de loi de modernisation sociale, celui de la réforme du statut de la Corse et sur la préparation de l'élection présidentielle de 2002.

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Texte intégral

F. David Depuis hier, E. Guigou défend à l'Assemblée nationale son texte sur la modernisation sociale. Il semble qu'elle ait quelques difficultés avec une partie de sa majorité plurielle, notamment avec les communistes. Comment regardez-vous ce débat dans l'opposition ? Avec un oeil un peu goguenard ?
- "Ce n'est pas un texte de modernisation sociale, ce serait plutôt de la ringardisation. C'est de la politique spectacle, on utilise la loi pour répondre à un problème particulier parce qu'on a des difficultés dans sa majorité plurielle. Ce n'est pas une bonne utilisation de la loi. Nous vivons une époque nouvelle, nous allons retrouvez, je l'espère, le plein-emploi, parce que nous avons fait confiance à l'économie de marché et aux libertés. Bien évidemment, dans le monde tel qu'il est, il y a des restructurations sociales. On ne peut pas les empêcher. Ce n'est pas le Gouvernement qui fait l'emploi, c'est le consommateur. S'il y a moins de lecteurs à l'Humanité, quotidien communiste, que fait-on ? Au bout du compte, on fait un plan social, tout quotidien communiste que l'on soit. Donc, en réalité, ce qu'on peut essayer de faire, c'est adoucir les plans sociaux, faire en sorte qu'il y ait, puisqu'on va vers le plein-emploi, des mini-licenciements et des maxi-reclassements. Il faut repenser les mécanismes de placement et d'indemnisation du chômage. Si j'étais à la place de M. Jospin, je n'aurais pas fait cela. J'aurais invité les partenaires sociaux à repenser le mécanisme d'assurance-chômage, comme on vient de la faire à titre individuel avec le PARE, de façon à favoriser la formation-reconversion ; j'aurais invité les partenaires sociaux à essayer de trouver un mécanisme d'accompagnement des reclassements et des plans industriels de façon à ce que vous n'ayez pas un plan de reclassement "première classe Danone" - parce que Danone a l'expérience et les moyens..."
Les salariés de Danone ne se contentent pas de ce plan social et les Français les soutiennent.
- "Malgré tout, je crois que le plan social de Danone - on a un peu agité l'épouvantail - est un plan social exemplaire. Je pense aux plans sociaux de plus petites entreprises en province, moins connues, qui font des plans où on fait moins d'efforts. Il faut donc essayé de mutualiser, de rassembler tout cela, de solidariser tout cela. C'est l'affaire des partenaires sociaux. Je les aurais invités à penser à une refonte de l'assurance-chômage, de façon à faire en sorte que lorsqu'il y a un reclassement, il y ait une cellule de reclassement partout pour assurer la formation des hommes et des femmes et pour favoriser le retour à l'emploi dans un autre emploi."
Vous ne pensez pas que la loi, même si elle n'est pas très autoritaire, ne peut pas avoir une vertu pédagogique ?
- "Non, c'est le contraire ! Je crois justement que c'est une loi irresponsable sur le plan pédagogique parce que cela fait croire - et vous le voyez bien avec tous les soubresauts qui agitent l'actuelle majorité plurielle - que le Gouvernement pourrait décider des embauches ou des emplois. Ce n'est pas vrai. S'il faut accompagner sur le plan social, je pense que c'est d'abord l'affaire des partenaires sociaux avant d'être celle du Gouvernement. C'est ce que l'on appelle la refondation sociale."
Visiblement, vous voterez contre ce texte. En revanche, vous avez plutôt joué la carte du pragmatisme en ce qui concerne la Corse, semble-t-il, puisque hier, vous avez voté en compagnie d'une partie de la majorité plurielle. Le MDC n'a pas voté ce texte, l'opposition s'est divisée elle aussi, mais vous, vous avez choisi d'apporter votre voix à ce projet de loi sur la Corse.
- "Oui, parce que je suis profondément régionaliste et que je crois qu'il va bien falloir qu'on fasse nous aussi la révolution régionale qu'ont fait tous les pays autour de nous. Le mal français, c'est la centralisation, le parisianisme, le jacobinisme. Ca suffit ! Il faut laisser respirer les provinces françaises, la Corse, mais pas seulement la Corse ! C'est la raison pour laquelle même si ce texte de loi n'est pas très bon, je l'ai voté par principe. Il n'est pas très bon parce qu'on aurait dû le faire pour l'ensemble des régions françaises. Comme on l'a fait seulement pour la Corse, le Gouvernement a donné le sentiment de récompenser le terrorisme. C'est un verre à moitié plein ou à moitié vide, suivant la manière dont on le regarde. Moi, j'ai essayé de le regarder du bon côté. Avec ce texte, on a mis le pied dans la porte de la révolution régionale. Vous pouvez compter sur moi, notamment dans la prochaine campagne présidentielle, pour poussez fortement la porte de cette révolution. Nous avons besoin d'une grande réforme constitutionnelle. Pas seulement pour la Corse, pour l'ensemble des régions française, de façon à leur donner davantage de pouvoirs - pouvoirs qu'on exerce mal à Paris -, de façon à faire une vraie France plurielle, de la diversité, de l'harmonie de cette diversité. Voilà pourquoi je crois qu'après ce texte rien ne sera comme avant. Dès lors que l'on a voté ce texte, les gouvernements quels qu'ils soient, seront bien obligés de faire une deuxième étape à la régionalisation."
Vous ne craignez pas, comme vos partenaires du RPR, qu'on arrive finalement à une espèce d'éclatement du système français ?
- "C'est de la blague, c'est le prétexte pour ne rien faire. Si vous aimez la liberté, vous êtes obligés d'aimer la diversité. Les Bretons, les Alsaciens, les Parisiens, les Corses, ce n'est pas forcément la même chose. Il y en a marre du moule jacobin, de cet uniforme qui étouffe la vie ! Je veux une France aux couleurs de la vie."
Autre affaire dont on parle beaucoup : c'est - entre guillemets - "l'affaire Montebourg", c'est-à-dire la proposition de ce député socialiste de conduire à une éventuelle traduction du chef de l'Etat devant la Haute Cour de justice, pour les affaires d'emplois fictifs à la ville de Paris. Certains dans l'opposition y voient la main de L. Jospin. C'est votre avis ?
- "Je ne le crois pas. Mais que ceci servent les intérêts des uns et des autres et qu'il y ait, là encore, beaucoup de politique ou de justice spectacle, c'est sûr. Je souhaite que la campagne présidentielle ne soit pas une course de casseroles où on essaie d'accrocher une casserole au Président de la République, puis on essaie d'en accrocher une autre à M. Jospin. Il y a un autre grand débat devant nous, laissons les casseroles au vestiaire."
Vous avez presque déjà lancé votre campagne. Vous vous déplacez beaucoup, vous vous déplacerez beaucoup la semaine prochaine. C'est parce que vous vous dites que dans quelques mois il y aura une espèce de bipolarisation entre les candidats à la présidentielle et que vous aurez moins d'espace ?
- "Non, pas du tout. Je crois qu'il y a une nécessité de réfléchir sur ce qui est, à mes yeux, le grand enjeu de la présidentielle de 2002 : la modernisation de la France, les révolutions qu'il faut faire : la révolution fiscale, la révolution régionale, la révolution de l'Etat, celle de l'éducation... Il faut aller sur le terrain, il faut écouter, il faut parler, il faut comprendre. Nous avons besoin de temps pour cela et c'est la raison pour laquelle je souhaiterais que cette campagne électorale des élections présidentielles qui s'annoncent soit une grand moment de réflexion pour le pays et puis qu'on essaie de réfléchir à ce que, nous aussi, nous devons faire pour être ce grand pays moderne, un peu modèle pour les autres."
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 28 mai 2001)