Texte intégral
Monsieur le Président,
Madame la Commissaire,
Mesdames et Messieurs les Députés,
J'aimerais tout d'abord exprimer notre reconnaissance pour le travail accompli par vos commissions parlementaires et, en particulier, par Mme Hélène Flautre en tant que présidente de la Sous-commission de Droits de l'Homme, qui, en produisant ce rapport fait état de considérations liées aux Droits de l'Homme sur les mesures restrictives prévues dans le cadre des actions et politiques de l'Union européenne.
Il nous faut maintenant examiner, à la lumière de l'expérience acquise, la manière avec laquelle les analyses et les suggestions contenues dans ce rapport pourront servir à nourrir les réflexions sur le sujet.
Tout d'abord, la relation entre le recours aux mesures restrictives et les Droits de l'Homme est un sujet de premier plan qui, récemment encore, a retenu toute l'attention des différents acteurs de la scène internationale. Il me semble utile de rappeler que, dans le cadre de la PESC, le premier objet des mesures restrictives reste le renforcement de la démocratie et de l'Etat de droit, ainsi que le respect des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Pour autant, il est légitime de s'interroger, comme nous le faisons et comme votre rapport nous y invite à nouveau, sur l'impact que de telles mesures peuvent avoir sur les droits fondamentaux des individus qui y soumis.
Ayant ces considérations à l'esprit dans le premier document conceptuel sur les measures restrives ("Principes de base concernant le recours aux mesures restrictives"), le Conseil a veillé au "respect intégral des Droits de l'Homme et de l'Etat de droit" ainsi qu'à la "parfaite conformité avec les obligations qui nous incombent en vertu du droit international". Cet engagement reste évidemment au coeur de nos priorités.
Mais n'oublions pas que le recours aux mesures restrictives de l'Union n'est pas limité à la politique européenne des Droits de l'Homme. Comme d'autres outils de la PESC, le recours aux mesures restrictives s'inscrit dans une mosaïque d'objectifs, dont le maintien de la paix et le renforcement de la sécurité internationales, la sauvegarde des intérêts fondamentaux et le renforcement de la sécurité de l'Union ou encore la promotion de la coopération internationale.
Surtout, ainsi que le rapport le précise, les sanctions font partie d'une approche globale et intégrée d'un pays, qui inclut, en parallèle, le dialogue politique, les mesures d'incitation, la conditionnalité et d'autres instruments de politique extérieure. Aussi, je me réjouis de voir que le rapport converge avec la conception du Conseil qui veut que l'ensemble des instruments mis à sa disposition, y compris les mesures restrictives, doit être déployé d'une manière flexible et réponde dans chaque cas aux besoins identifiés.
Par conséquent, il n'est guère possible de faire une analyse comparative en se limitant aux différents régimes de sanctions avec comme unique critère de comparaison la situation des Droits de l'Homme dans chaque pays. Il est important de ne pas extraire un régime de mesure restrictive de son contexte. Il convient en outre de prendre pleinement en compte les objectifs poursuivis, les évolutions politiques, positives ou parfois moins positives, dans le pays visé. D'autres instruments politiques ou techniques peuvent aussi être mis en oeuvre afin de répondre à la situation dans ce qu'elle a de spécifique. Comme indiqué par le rapporteur dans la préparation de son rapport, il est important de garder à l'esprit que, dans la conception, la mise en oeuvre et l'application des mesures restrictives, il ne saurait y avoir de place pour l'automaticité des mesures restrictives.
Concernant le respect des Droits de l'Homme et la mise en oeuvre de mesures restrictives dans le cadre de lutte contre le terrorisme, permettez-moi tout d'abord de ne pas faire mienne l'appellation de "liste noire" s'agissant des mesures visant certains individus et entités associés à des actes de terrorisme. Il s'agit là d'un mécanisme mettant en oeuvre certaine restrictions qui visent avant tout à prévenir des actes de terrorisme (en particulier en luttant contre tout ce qui peut concourir au financement de tels actes). Ces listes sont connues, publiques tout comme les mesures qu'elles entraînent.
Je veux avant tout insister sur le fait que l'une des conditions de la pérennité de ce système, et je rejoins en cela le rapport qui est présenté aujourd'hui, repose sur deux piliers principaux :
1. leur crédibilité, qui fonde une partie de leur légitimité, et qui implique que l'attention la plus grande soit portée à l'actualisation de ces listes de façon à ce qu'elles reflètent au plus près la réalité de la menace pesant sur la sécurité de l'Union et de ses ressortissants ;
2. leur respect de l'Etat de droit et donc par là même d'un certain nombre de principes fondamentaux (transparence des procédures, possibilité de recours, droits de la défense).
Ces éléments sont évidemment indispensables et le Conseil veille naturellement à ce qu'ils soient respectés.
Il n'en reste pas moins que, compte tenu de la nature des activités concernées, les décisions d'inscription et de radiation se font sur la base d'informations confidentielles. La préservation de la confidentialité de ces sources est la condition indispensable de l'efficacité de notre action en la matière. Les procédures doivent donc être aménagées en tenant compte de cette spécificité, ainsi que de la vocation, je le répète, préventive de ce dispositif.
Le défi auquel nous devons faire face est donc de trouver l'équilibre le plus juste entre ces différents impératifs. Dans ce cadre, il apparaît que la jurisprudence du Tribunal de Première Instance dans les différentes affaires dont il a été saisi, à fixé un certain nombre de lignes directrices. Ces lignes directrices ont guide, depuis lors, la réflexion du Conseil en matière de mesures restrictives.
C'est en particulier dans ce contexte qu'ont été revues certaines des procédures de sanctions autonomes de l'Union et qu'ont été établis des exposés des motifs. L'exposé des motifs précise les raisons pour lesquelles un individu ou une entité est concerné par des mesures restrictives de gel de ses avoirs. Ces éléments sont portés à la connaissance des intéressés qui disposent de deux voies de recours, l'un gracieux devant le Conseil et l'autre contentieux devant les juridictions européennes compétentes.
Je souhaite également rappeler que ces régimes de mesures préventives, qui ne sauraient en aucune façon s'apparenter à une confiscation des biens des intéressés, prévoient un système d'exemptions. Ce système d'exemptions permet de lever partiellement le gel des avoirs d'individus inscrits de façon à couvrir leurs dépenses de base (alimentation, loyers, frais médicaux).
En outre, ce rapport aborde plus précisément le mécanisme d'évaluation des sanctions, demandant ainsi au Conseil d'entamer une évaluation ou une étude d'impact de la politique de l'Union en la matière.
Nous sommes conscients que l'efficacité des mesures restrictives adoptées par l'Union européenne dépend pour une large part de leur mise en oeuvre effective et uniforme par tous les Etats membres. Ainsi, une instance spécifique du Conseil (formation "Sanctions" du Groupe RELEX) a été mise en place en vue d'échanger les expériences et de développer les "meilleures pratiques" concernant la mise en oeuvre et l'application des mesures restrictives. La dernière mise à jour des "meilleures pratiques" a été effectuée fin avril 2008.
In fine, les expériences acquises dans la conception et la mise en oeuvre des mesures dans les différents contextes nourrit continuellement chaque nouveau débat politique sur l'introduction, reconduite ou abrogation d'un régime des sanctions.
Ce débat politique sur le suivi de la politique de sanctions a lieu dans les enceintes et groupes de travail du Conseil à tous les niveaux. Ces organes conduisent des discussions approfondies sur la pertinence, le caractère et l'efficacité anticipée des sanctions éventuelles, en s'appuyant sur les rapports établis par les chefs de mission de l'Union européenne ainsi que sur les observations communiquées par les Etats membres. Ce processus assure donc, entre autre, une analyse préalable de l'impact anticipé des sanctions envisagées, telle que suggérée dans le rapport.
Sur le caractère des sanctions, nous nous félicitons de noter une convergence des vues avec le projet de rapport. Tout comme vous, notre profonde conviction est que les sanctions ciblées sont préférables aux sanctions générales pesant sur des Etats. Le rapport appelle le Conseil et la Commission à suivre une approche mixte. Une telle approche de la "carotte et du bâton" est au coeur des efforts de l'Union afin d'oeuvrer aux développements politiques souhaités dans les pays tiers concernés. A cet égard, on doit noter aussi les efforts considérables et continus de la Commission européenne dans le soutien à la société civile, à la promotion des Droits de l'Homme et de la démocratie ainsi qu'au développement économique de pays tiers.
Nous partageons également votre analyse quant à l'importance de la coopération internationale pour l'efficacité des sanctions. L'expérience a démontré qu'il n'y a aucune chance de succès pour des sanctions s'il n'y a pas d'effort crédible de mise en oeuvre ainsi qu'une coopération internationale. C'est la raison pour laquelle le Conseil s'emploie à obtenir le soutien d'un maximum de partenaires en faveur des nos sanctions autonomes, qui gagnent en efficacité si elles bénéficient de la plus large adhésion internationale.
Nous attribuons surtout la priorité à l'action universelle dans le cadre des Nations unies, et veillons à ce que l'Union mette en oeuvre complètement, efficacement et rapidement les mesures décidées par le Conseil de sécurité des Nations unies. Une procédure d'alignement existe pour les partenaires. La question des sanctions est aussi, dans la mesure du possible, soulevée lors des réunions du dialogue politique avec les pays ciblés et les pays non-sanctionnants, aussi bien que nos partenaires régionaux. Par ailleurs, les dialogues et les consultations sur les Droits de l'Homme prévoient des discussions sur les progrès réalisés dans la concrétisation des objectifs et dans le respect des critères de référence fixés lors de l'adoption des mesures restrictives.
Dans ce projet de rapport, le Parlement européen exprime son souhait d'être associé à toutes les étapes du processus menant à la conception, à la mise en oeuvre et au contrôle des mesures restrictives. Permettez-moi de vous assurer que le Conseil est pleinement conscient du vif intérêt que porte le Parlement européen à la politique de l'Union européenne en la matière et qu'il l'apprécie à sa juste valeur. C'est la raison pour laquelle le Conseil est particulièrement soucieux de veiller à ce que le Parlement européen soit tenu régulièrement informé des événements touchant à ce domaine.
J'aimerais ici aussi saluer aussi l'engagement du Parlement européen pris dans ce rapport de mettre en avant ses contacts parlementaires dans les pays tiers non-sanctionnants afin d'améliorer la compréhension des régimes de sanctions et d'examiner les possibilités d'une action coordonnée pour la promotion de Droits de l'Homme.
Et c'est la raison pour laquelle nous nous félicitons de cette plus value apportée par le Parlement européen en matière de politique de sanctions.
Je vous remercie.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je voudrais commencer par répondre à Mme Flautre, également à M. Romeva et à ceux qui sont intervenus sur la nécessité d'avoir une expertise, d'avoir une évaluation et des études d'impact. Cela me paraît effectivement très important et le Conseil partage le souci de votre assemblée de pouvoir prendre ces décisions concernant des sanctions sur la base des meilleures informations possibles, de les actualiser, et les mesures existantes font à chaque fois l'objet de réévaluations régulières sur la base, justement, d'études d'impact et le Conseil se base sur des rapports des chefs de mission sur place, qui sont le plus à même de juger de leur efficacité.
Par ailleurs, le Conseil a considérablement développé ses consultations avec les organisations non gouvernementales internationales et locales et votre Assemblée a montré aujourd'hui qu'elle a un rôle très important à jouer dans cette évaluation.
Ce qui est cependant vrai aussi, c'est que les sanctions sont un instrument qui doit conserver un caractère politique. Il faut que nous ayons une stratégie au point de vue de la méthodologie, mais on ne peut pas s'enfermer dans une grille, on ne peut pas non plus avoir un caractère d'automaticité - je veux le dire ici de la manière la plus claire et de la manière la plus responsable - donc il y aura toujours une certaine diversité d'appréciation. Pour répondre également à Mme Koppa, qui a une intervention très développée, les sanctions restent un instrument politique. Ce ne sont pas le seul instrument de promotion des Droits de l'Homme. Il y a deux autres instruments qui stigmatisent moins les pays visés mais qui sont également un instrument de promotion des Droits de l'Homme, ce sont des conditionnalités qui sont prévues notamment dans la politique d'élargissement, dans le processus de stabilisation et d'association avec les Balkans ou la politique de voisinage et par ailleurs vous avez des clauses "Droits de l'Homme" qui figurent obligatoirement dans tous les accords conclus par l'Union européenne avec un pays tiers ou un groupe de pays, dont la violation peut conduire à suspendre ces accords.
Je souhaite rassurer Mme Koppa, il n'y a pas d'embargo sur les produits pharmaceutiques, mais un système de contrôle dans la mesure où ces produits sont des biens à double usage et donc soumis au régime de non-prolifération. Le Conseil partage l'avis de ceux, nombreux, qui se sont exprimés sur le fait que les sanctions doivent rester ciblées et ne doivent pas atteindre les populations civiles.
M. Cappato et M. Gawronski ont également soulevé un problème important, et plusieurs orateurs sont revenus sur la question des atteintes à l'environnement. Il se trouve qu'aujourd'hui, les atteintes à l'environnement ne figurent pas au rang des objectifs de la politique extérieure et de sécurité commune, donc il est vrai que qu'il faut réfléchir au fait de savoir si nous ne devrions pas intégrer ces atteintes à l'environnement, dès lors qu'elles constituent une menace soit pour la sécurité internationale, soit pour les droits des populations et les Droits de l'Homme. Il y a donc une réflexion à engager. Je tiens aussi à dire à M. Cappato qu'il y a déjà eu, dans les différents cas évoqués, des "sanctions énergétiques" dans la pratique de l'Union européenne et que cela a déjà existé dans diverses circonstances.
Voilà, je voulais simplement reprendre certains cas dont plusieurs ont évoqué, bien évidemment, des événements récents. Concernant la guerre entre la Russie et la Géorgie. Je dis de la manière la plus claire ici que les sanctions ne peuvent atteindre leur but si elles ont pour conséquence de rompre tout contact avec le pays concerné, en l'occurrence la Russie. Enfin, nous devrions réfléchir aussi au fait de savoir si l'imposition de sanctions dans ce cas serait dans l'intérêt de la Géorgie. Je demande à chacun d'y réfléchir.
Je reviens aussi sur ce qui a été dit sur le processus d'étalonnage. Mme Saks l'a évoqué. C'est un cas qui est effectivement important, notamment en ce qui concerne l'Ouzbékistan, il est vrai pour m'y être rendu en juillet à l'occasion de la Conférence des Ambassadeurs de l'Union européenne en poste en Asie centrale. J'y ai d'ailleurs rencontré Mme Tadjibaïeva, qui est une prisonnière politique, qui a pu être libérée, dont nous espérons que ses conditions de santé vont s'améliorer et qu'elle pourra être soignée correctement, mais j'ai pu voir aussi qu'une bonne politique d'étalonnage permettait effectivement d'enregistrer des progrès et de faire en sorte qu'il y ait un engagement des autorités à mieux satisfaire les critères définis par l'Union européenne et, s'agissant de ce pays, nous y reviendrons au Conseil du mois d'octobre.
En ce qui concerne Cuba, je souhaiterais rappeler à ceux qui l'ont évoqué que les sanctions contre Cuba ont été levées en juin 2008, ce qui n'empêche pas l'Union européenne de maintenir un suivi rigoureux de l'évolution des Droits de l'Homme sur le terrain.
Voilà ce que je souhaitais apporter comme précisions à l'issue de ce débat extrêmement approfondi, riche, et qui montre l'implication nécessaire de votre Assemblée.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 septembre 2008