Texte intégral
N. Demorand.- Un reportage publié ce matin par Paris-Match fait beaucoup parler de lui ; des photos montrent des talibans, ils disent avoir participé à l'embuscade où dix soldats français ont trouvé la mort au mois d'août dernier. Ces hommes exhibent casques, fusils-mitrailleurs et objets divers ayant visiblement appartenu aux soldats français tués. Votre réaction ?
Ma réaction c'est d'abord une pensée pour les familles, qui découvrent le visage des terroristes qui ont tué leurs enfants ; je pense à leur douleur, à leur tristesse. En tant que ministre de la Défense, je pense aussi aux militaires qui sont sur le terrain, et qui découvrent aussi les images de ceux qu'ils combattent et qui menacent leur vie. Et en tant que responsable gouvernemental, je pense aussi, bien entendu, que la presse est libre, et comme elle est libre elle doit être responsable. Est-ce qu'on doit faire la promotion des talibans ? Parce que vous savez que, derrière tout ça, il y a une donnée fondamentale c'est que les talibans savent que la supériorité militaire de l'Otan et de la communauté internationale est manifeste, que nous gagnons du terrain, que nous reprenons des vallées, que nous installons progressivement l'armée nationale afghane en la formant, et que, leur victoire doit être peut-être une victoire à travers la faiblesse de l'opinion publique d'une démocratie occidentale. Et donc, est-ce qu'on doit faire la promotion d'hommes qui ont compris qu'on était dans l'ère de la communication.
Un mot : c'était irresponsable d'après vous, que Paris-Match publie ce reportage ?
Non, Paris-Match fait ce qu'il veut. Je ne remets pas en cause la liberté de la presse. Je constate seulement en tant que responsable gouvernemental, qu'on est dans une espèce de fuite en avant, absolument extraordinaire, qui n'est pas tellement d'ailleurs liée à la presse écrite, qui est liée à la concurrence avec le Net. Le Net est un espace de liberté mais c'est un espace où on dit, on écrit n'importe quoi, où on peut faire partir n'importe quelle rumeur. Et donc, il y a une espèce de compétition et de concurrence aujourd'hui entre la presse écrite qui, compte tenu de ses difficultés ne peut pas être non plus en retard par rapport à ce qui se dit sur le Net. Donc, on voit bien qu'on est... on a un risque de surenchère permanente. Mais je pense aux familles, parce que ces familles je les ai rencontrées, j'ai beaucoup discuté avec elles, je suis allé voir certaines d'entre elles, à leur demande, pour leur dire ce que je savais sur les circonstances de la mort de leurs enfants, et j'imagine que ce Paris-Match-là, elles doivent le vivre directement.
Est-ce que les talibans, dont on voit l'image, et dont on peut lire les propos dans ce Paris-Match ont marqué un point, si j'ose dire, dans la guerre psychologique ? On sait que cette dimension-là existe aussi dans les conflits ?
Oui, c'est ce que je vous disais. C'est une guerre de la communication que mènent les talibans par des opérations de ce genre.
Vous employez le mot "guerre" ?!
De la communication, ai-je dit. On a des talibans qui, comme je vous le disais, ont compris que l'opinion publique occidentale était probablement le talon d'Achille de la communauté internationale qui est présente en Afghanistan. Mais je voudrais quand même rappeler ce qu'étaient les talibans. Parce que quand je lis dans cette interview que si les Français partent, tout ira bien, les talibans c'est un régime moyenâgeux ! C'est le régime qui avait fait du terrorisme sa base internationale. Les talibans, c'est la négation même des Droits de l'homme ! Puis-je rappeler que ce sont des femmes lapidées dans les stades à une mi-temps de football ! Ce sont des petites filles à qui on coupe le bout des doigts parce qu'elles ont du vernis à ongle ! Ce sont des petites filles qui sont interdites de scolarité. C'est un pays, lorsque nous sommes arrivés en 2001, où il y avait 40 km de route, on en a construit 4.000 ; où 10 % des Afghans bénéficiaient de soins de santé. Nous avons aujourd'hui près de 80 % des Afghans qui bénéficient de la santé. Ce sont 6 millions d'enfants qui sont aujourd'hui scolarisés, dont les petites filles...
Pourquoi refuser, H. Morin...
... Ce sont des élections démocratiques qui ont eu lieu en 2003 !
Pourquoi refuser, alors que manifestement on y est, d'employer ce mot "guerre" ?
Parce que, je réfute l'idée du mot "guerre". Je dis qu'une guerre c'est une guerre contre un autre Etat. Une guerre c'est une déclaration de guerre. Nous ne sommes pas en guerre contre le peuple afghan, nous sommes en Afghanistan à la demande du gouvernement Karzaï. Nous ne sommes pas...
Mais est-ce que ce n'est pas, H. Morin, une nouvelle forme de guerre, très contemporaine ?
Laissez-moi terminer ! Nous sommes en Afghanistan, en vertu d'un mandat et de résolutions des Nations unies qui, chaque année, sont renouvelés ; nous y sommes à 39 pays de la communauté internationale, ça n'est pas un pays contre un autre. Nous ne sommes pas en guerre contre le peuple afghan. Nous voulons faire en sorte que, un, l'Afghanistan ne soit pas, comme cela a été le cas avant 2001, la base arrière du terrorisme ; nous voulons assurer un pôle de stabilité dans une zone profondément instable. Je rappelle que les frontières de l'Afghanistan, c'est notamment l'Iran et le Pakistan. Et nous voulons faire en sorte que les valeurs auxquelles nous croyons, nous puissions les défendre en Afghanistan. Il n'y a pas, d'un côté, la défense des Droits de l'homme, lorsque la Flamme olympique passe à Paris, et de l'autre côté, la défense des Droits de l'homme en Afghanistan. Il y a la défense des Droits de l'homme tout court.
Ca ressemble à des images de guerre quand on voit ça !
Il y a des opérations de guerre mais ça n'est pas...
"Prises de guerre", "dépouilles de guerre", "embuscades", on parle bien de ça, non ? !
Oui, mais je n'ai jamais contesté ça. Il y a des opérations militaires qui sont des opérations de guerre. Mais ça n'est pas une guerre au sens d'une guerre d'un Etat contre un autre.
Que vont faire les familles des soldats français tués en Afghanistan, elles doivent s'y rendre la semaine prochaine ?
Nous leur avons proposé, le président de la République leur a proposé... J'ai déjà eu l'occasion d'emmener des familles lorsque nous avons perdu l'année dernière, dans un accident, huit soldats, un accident d'avion dans le Sinaï. Nous le faisons, les familles qui souhaitent venir viennent ; pour la plupart, elles ont répondu favorablement, parce que ça fait partie du processus de deuil, parce que ça fait partie...
C'est un fait sans précédent, si je ne m'abuse.
Non, c'est ce que je vous dis, je l'ai fait, sans que vous en rendiez compte, parce que je l'ai fait sans presse, l'année dernière, il y a quelques mois, en allant dans le Sinaï.
Mais là, le contexte est totalement différent ?
Il s'agit de permettre aux familles de pouvoir mener cette démarche qui doit être la leur, qui est la leur, dans le cadre d'un deuil et d'une souffrance.
Entre la visite du Président Sarkozy, sur place, juste après l'embuscade, et une visite de ce type, celle des familles, est-ce que vous ne craignez pas d'envoyer un message dans cette guerre de communication et de guerre psychologique, dont on parlait tout à l'heure, qui consiste à dire : les soldats français sont une prise de choix, dès lors que l'opinion et tout le monde se mobilise extrêmement fortement ?
Ce ne sont pas les soldats français qui sont une prise de choix ; trois Canadiens sont morts hier, il y a eu une attaque à peu près similaire il y a un mois contre les Forces américaines qui ont perdu dix hommes. Tous les jours ou presque, la communauté internationale présente en Afghanistan perd des hommes. Il n'y a pas de drapeaux. Il y a la lutte des talibans qui veulent réinstaller leur régime moyenâgeux dans un pays qui depuis 40 ans n'a jamais connu la paix et la sécurité.
Allez-vous envoyer des renforts, des Forces spéciales pour les hommes, Drones pour ce qui concerne le matériel ?
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, et comme à chaque fois nous faisons ce qu'on appelle "un retour d'expérience", c'est-à-dire, que nous tirons les conséquences des choses, nous présenterons...nous avons présenté et discuté avec le président de la République de toute cela, et ça sera présenté au Parlement le moment venu.
Donc, la décision n'est pas prise de renforcer la présence militaire française là-bas ?
Nous regardons cela tranquillement. Il y a, comme vous le savez, grâce à la révision constitutionnelle, un débat parlementaire qui aura lieu le 22 septembre prochain.
Que pensez-vous de ce qu'on appelle le moral des troupes ? On peut lire sur Internet, vous y faisiez référence tout à l'heure, un certain nombre d'espaces où des militaires s'expriment, ce que certains appellent "la kakisphère", en référence à "la blogosphère" ? Il y a des doutes, des interrogations. Le moral est bon ?
Vous savez, les militaires qui sont en Afghanistan, ils ont été formés, ils ont subi six mois de formation intense pour se préparer à leur mission, ils ont la passion chevillée au corps, ils sont fiers de ce qu'ils font, il savent qu'ils le font pour la sécurité de la France et des Français, et rien ne leur permet de douter.
Vous êtes sûr ?
Alors là, absolument certain, oui.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 4 septembre 2008
Ma réaction c'est d'abord une pensée pour les familles, qui découvrent le visage des terroristes qui ont tué leurs enfants ; je pense à leur douleur, à leur tristesse. En tant que ministre de la Défense, je pense aussi aux militaires qui sont sur le terrain, et qui découvrent aussi les images de ceux qu'ils combattent et qui menacent leur vie. Et en tant que responsable gouvernemental, je pense aussi, bien entendu, que la presse est libre, et comme elle est libre elle doit être responsable. Est-ce qu'on doit faire la promotion des talibans ? Parce que vous savez que, derrière tout ça, il y a une donnée fondamentale c'est que les talibans savent que la supériorité militaire de l'Otan et de la communauté internationale est manifeste, que nous gagnons du terrain, que nous reprenons des vallées, que nous installons progressivement l'armée nationale afghane en la formant, et que, leur victoire doit être peut-être une victoire à travers la faiblesse de l'opinion publique d'une démocratie occidentale. Et donc, est-ce qu'on doit faire la promotion d'hommes qui ont compris qu'on était dans l'ère de la communication.
Un mot : c'était irresponsable d'après vous, que Paris-Match publie ce reportage ?
Non, Paris-Match fait ce qu'il veut. Je ne remets pas en cause la liberté de la presse. Je constate seulement en tant que responsable gouvernemental, qu'on est dans une espèce de fuite en avant, absolument extraordinaire, qui n'est pas tellement d'ailleurs liée à la presse écrite, qui est liée à la concurrence avec le Net. Le Net est un espace de liberté mais c'est un espace où on dit, on écrit n'importe quoi, où on peut faire partir n'importe quelle rumeur. Et donc, il y a une espèce de compétition et de concurrence aujourd'hui entre la presse écrite qui, compte tenu de ses difficultés ne peut pas être non plus en retard par rapport à ce qui se dit sur le Net. Donc, on voit bien qu'on est... on a un risque de surenchère permanente. Mais je pense aux familles, parce que ces familles je les ai rencontrées, j'ai beaucoup discuté avec elles, je suis allé voir certaines d'entre elles, à leur demande, pour leur dire ce que je savais sur les circonstances de la mort de leurs enfants, et j'imagine que ce Paris-Match-là, elles doivent le vivre directement.
Est-ce que les talibans, dont on voit l'image, et dont on peut lire les propos dans ce Paris-Match ont marqué un point, si j'ose dire, dans la guerre psychologique ? On sait que cette dimension-là existe aussi dans les conflits ?
Oui, c'est ce que je vous disais. C'est une guerre de la communication que mènent les talibans par des opérations de ce genre.
Vous employez le mot "guerre" ?!
De la communication, ai-je dit. On a des talibans qui, comme je vous le disais, ont compris que l'opinion publique occidentale était probablement le talon d'Achille de la communauté internationale qui est présente en Afghanistan. Mais je voudrais quand même rappeler ce qu'étaient les talibans. Parce que quand je lis dans cette interview que si les Français partent, tout ira bien, les talibans c'est un régime moyenâgeux ! C'est le régime qui avait fait du terrorisme sa base internationale. Les talibans, c'est la négation même des Droits de l'homme ! Puis-je rappeler que ce sont des femmes lapidées dans les stades à une mi-temps de football ! Ce sont des petites filles à qui on coupe le bout des doigts parce qu'elles ont du vernis à ongle ! Ce sont des petites filles qui sont interdites de scolarité. C'est un pays, lorsque nous sommes arrivés en 2001, où il y avait 40 km de route, on en a construit 4.000 ; où 10 % des Afghans bénéficiaient de soins de santé. Nous avons aujourd'hui près de 80 % des Afghans qui bénéficient de la santé. Ce sont 6 millions d'enfants qui sont aujourd'hui scolarisés, dont les petites filles...
Pourquoi refuser, H. Morin...
... Ce sont des élections démocratiques qui ont eu lieu en 2003 !
Pourquoi refuser, alors que manifestement on y est, d'employer ce mot "guerre" ?
Parce que, je réfute l'idée du mot "guerre". Je dis qu'une guerre c'est une guerre contre un autre Etat. Une guerre c'est une déclaration de guerre. Nous ne sommes pas en guerre contre le peuple afghan, nous sommes en Afghanistan à la demande du gouvernement Karzaï. Nous ne sommes pas...
Mais est-ce que ce n'est pas, H. Morin, une nouvelle forme de guerre, très contemporaine ?
Laissez-moi terminer ! Nous sommes en Afghanistan, en vertu d'un mandat et de résolutions des Nations unies qui, chaque année, sont renouvelés ; nous y sommes à 39 pays de la communauté internationale, ça n'est pas un pays contre un autre. Nous ne sommes pas en guerre contre le peuple afghan. Nous voulons faire en sorte que, un, l'Afghanistan ne soit pas, comme cela a été le cas avant 2001, la base arrière du terrorisme ; nous voulons assurer un pôle de stabilité dans une zone profondément instable. Je rappelle que les frontières de l'Afghanistan, c'est notamment l'Iran et le Pakistan. Et nous voulons faire en sorte que les valeurs auxquelles nous croyons, nous puissions les défendre en Afghanistan. Il n'y a pas, d'un côté, la défense des Droits de l'homme, lorsque la Flamme olympique passe à Paris, et de l'autre côté, la défense des Droits de l'homme en Afghanistan. Il y a la défense des Droits de l'homme tout court.
Ca ressemble à des images de guerre quand on voit ça !
Il y a des opérations de guerre mais ça n'est pas...
"Prises de guerre", "dépouilles de guerre", "embuscades", on parle bien de ça, non ? !
Oui, mais je n'ai jamais contesté ça. Il y a des opérations militaires qui sont des opérations de guerre. Mais ça n'est pas une guerre au sens d'une guerre d'un Etat contre un autre.
Que vont faire les familles des soldats français tués en Afghanistan, elles doivent s'y rendre la semaine prochaine ?
Nous leur avons proposé, le président de la République leur a proposé... J'ai déjà eu l'occasion d'emmener des familles lorsque nous avons perdu l'année dernière, dans un accident, huit soldats, un accident d'avion dans le Sinaï. Nous le faisons, les familles qui souhaitent venir viennent ; pour la plupart, elles ont répondu favorablement, parce que ça fait partie du processus de deuil, parce que ça fait partie...
C'est un fait sans précédent, si je ne m'abuse.
Non, c'est ce que je vous dis, je l'ai fait, sans que vous en rendiez compte, parce que je l'ai fait sans presse, l'année dernière, il y a quelques mois, en allant dans le Sinaï.
Mais là, le contexte est totalement différent ?
Il s'agit de permettre aux familles de pouvoir mener cette démarche qui doit être la leur, qui est la leur, dans le cadre d'un deuil et d'une souffrance.
Entre la visite du Président Sarkozy, sur place, juste après l'embuscade, et une visite de ce type, celle des familles, est-ce que vous ne craignez pas d'envoyer un message dans cette guerre de communication et de guerre psychologique, dont on parlait tout à l'heure, qui consiste à dire : les soldats français sont une prise de choix, dès lors que l'opinion et tout le monde se mobilise extrêmement fortement ?
Ce ne sont pas les soldats français qui sont une prise de choix ; trois Canadiens sont morts hier, il y a eu une attaque à peu près similaire il y a un mois contre les Forces américaines qui ont perdu dix hommes. Tous les jours ou presque, la communauté internationale présente en Afghanistan perd des hommes. Il n'y a pas de drapeaux. Il y a la lutte des talibans qui veulent réinstaller leur régime moyenâgeux dans un pays qui depuis 40 ans n'a jamais connu la paix et la sécurité.
Allez-vous envoyer des renforts, des Forces spéciales pour les hommes, Drones pour ce qui concerne le matériel ?
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, et comme à chaque fois nous faisons ce qu'on appelle "un retour d'expérience", c'est-à-dire, que nous tirons les conséquences des choses, nous présenterons...nous avons présenté et discuté avec le président de la République de toute cela, et ça sera présenté au Parlement le moment venu.
Donc, la décision n'est pas prise de renforcer la présence militaire française là-bas ?
Nous regardons cela tranquillement. Il y a, comme vous le savez, grâce à la révision constitutionnelle, un débat parlementaire qui aura lieu le 22 septembre prochain.
Que pensez-vous de ce qu'on appelle le moral des troupes ? On peut lire sur Internet, vous y faisiez référence tout à l'heure, un certain nombre d'espaces où des militaires s'expriment, ce que certains appellent "la kakisphère", en référence à "la blogosphère" ? Il y a des doutes, des interrogations. Le moral est bon ?
Vous savez, les militaires qui sont en Afghanistan, ils ont été formés, ils ont subi six mois de formation intense pour se préparer à leur mission, ils ont la passion chevillée au corps, ils sont fiers de ce qu'ils font, il savent qu'ils le font pour la sécurité de la France et des Français, et rien ne leur permet de douter.
Vous êtes sûr ?
Alors là, absolument certain, oui.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 4 septembre 2008