Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur la rencontre ministérielle entre l'Union européenne et cinq pays d'Asie centrale sur les enjeux de sécurité, Paris le 18 septembre 2008.

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Circonstance : Réunion du Forum Union européenne Asie centrale le 18 septembre 2008 à Paris

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Je voudrais vous présenter les ministres des Affaires étrangères des cinq pays d'Asie centrale présents à ce Forum. Je ne vous présente évidemment pas Karel Schwarzenberg, le ministre des Affaires étrangères de la République tchèque, qui va succéder à la France à la Présidence de l'Union européenne à partir de fin décembre. C'est la première fois - ce n'est pas un mince événement - que les 27 ministres de l'Union européenne reçoit les cinq pays de l'Asie centrale. De longs entretiens ont eu lieu depuis hier soir. Nous avons rencontré nos amis, confronté nos vues et appris les uns des autres. Je vous rappelle que ces cinq pays sont enclavés entre la Russie, au nord, la Chine, à l'est et qu'ils ont, au Sud, des frontières communes avec l'Afghanistan et avec l'Iran. La simple évocation de ces noms vous résume un peu la difficulté mais en même temps l'intérêt de cette rencontre.
Nous avons eu des échanges très ouverts et un vrai dialogue sur les sujets d'actualité, par exemple sur le Caucase et sur la Géorgie, ainsi que sur des sujets d'intérêt commun qui concernent l'Asie et aussi beaucoup plus qu'on ne le croit, les vingt-sept pays de l'Union européenne.
Nous avons abordé le trafic de drogue et d'êtres humains, la non-prolifération, la gestion des frontières, la gestion des ressources, au sens le plus large du terme, et le terrorisme.
Vous savez que depuis 2007, sous Présidence allemande et je remercie les Allemands d'avoir fait tant d'efforts et accompli tant de progrès, l'Union européenne a proposé une stratégie pour l'Asie centrale. Avec la Présidence française, nous passons tout simplement - c'était naturel mais difficile - au stade de la mise en oeuvre pratique de cette stratégie.
Ce forum est donc une première. Pour la première fois, les cinq pays d'Asie centrale et les vingt-sept Etats membres de l'Union européenne se retrouvent au niveau ministériel, ensemble, pour analyser les difficiles problèmes de la sécurité. Je rappelle que l'Afghanistan est au centre de tous les problèmes que j'ai cités : la sécurité, la drogue, etc.
Pour l'Union européenne, la sécurité n'est pas un concept pointilliste, sur un chapitre ou sur un autre. C'est un concept global, aussi bien lorsque l'on parle de la gestion des ressources, du trafic de drogue ou du commerce des armes. C'est donc en traitant globalement les risques que nous pouvons essayer de maîtriser les dangers de conflits et les possibilités d'y faire face.
Il s'agit, je crois, d'une approche nouvelle pour la région, en tout cas très différente de celle qui jusque-là avait prévalu. Je rappelle les enjeux avant de donner la parole à tous nos amis. Ces enjeux sont lourds. Il s'agit de la stabilité régionale et là nous pouvons peut-être jouer un rôle de facilitateur. Pourquoi ? Parce que les Vingt-sept ont l'habitude, entre eux, d'affronter les mêmes difficultés qu'affrontent en ce moment les cinq pays d'Asie centrale. Cela n'a pas été simple de mettre ensemble les six pays fondateurs de l'Europe, d'élargir la Communauté à neuf, puis à douze pays, confronter leurs vues et, enfin, créer l'Union européenne. L'Union a ensuite compté quinze et enfin vingt-sept Etats membres.
Nous savons qu'à l'origine de ce type de construction, les problèmes semblent insurmontables, puis, au fur et à mesure, nous trouvons des langages communs. Sans que ce ne soit jamais terminé, il nous semble néanmoins que nous servons d'exemple, un exemple qui dans le monde est aujourd'hui un peu envié et surtout, que l'on tente d'imiter. C'est l'exemple d'une cohésion toujours imparfaite et qui doit sans cesse se poursuivre.
Concernant les trafics illicites, nous avons abordé la question du trafic de stupéfiants. Nous souhaitons que les pays de la région soient capables de mieux gérer leurs frontières et nous sommes prêts à les aider. Il en est de même pour la menace terroriste, prégnante dans cette région, et qui s'alimente à la fois dans le voisinage afghan mais aussi de la difficulté dans la transition démocratique des pays d'Asie centrale depuis leur indépendance. Il faut souligner que les progrès sont certes inégaux mais nets.
Nous avons également parlé de sécurité environnementale, de la gestion et du partage -comme nous avons tenté de le faire - des grands fleuves, des grandes ressources hydrauliques de la région.
Nous avons évoqué le thème de l'énergie. Il faut savoir que l'Asie centrale représente 6 % des réserves mondiales en hydrocarbures. Même si la région est enclavée, elle doit accéder aux marchés internationaux. Les pays de la région ont donc intérêt à développer ensemble une approche commune en terme de sécurité énergétique, de transport de l'énergie - pétrole comme gaz.
Nous avons beaucoup travaillé. Je tiens à remercier mes amis ici présents que je connaissais mais que j'ai eu plaisir à retrouver et à qui je promets que la Présidence du Conseil de l'Union européenne leur rendra visite prochainement. Je vous remercie d'avoir fait partie de cette approche qui s'est avérée audacieuse, car je vous assure que les paroles échangées - chacun des mots avait son poids - correspondaient non seulement à des difficultés nationales - que nous comprenons très bien - mais aussi à la nécessité absolue d'une coopération régionale voire internationale dans le sens où l'Union européenne est éloignée de cette région d'Asie centrale.
Avant de donner la parole à Pierre Morel, représentant spécial de l'Union européenne pour l'Asie centrale, je voulais vous dire que nous sommes extrêmement fiers de ce que nous obtenons à l'issue de ce forum. Hier soir, cette déclaration conjointe n'était pas encore possible, je vous demande donc de vous y reporter parce que c'est un document important quand on sait d'où nous venons les uns et les autres. C'est une déclaration que vous trouverez peut être un peu générale mais elle a un dessein général. En effet, il n'était pas évident que les vingt-sept Etats de l'Union européenne puissent s'entendre avec les cinq pays d'Asie centrale alors que ces deux régions sont géographiquement éloignées, ni que les cinq pays de l'Asie centrale soient d'accord sur une déclaration qui les engage, qui engage l'Asie centrale, l'Union européenne et en fait le reste du monde. C'est peut être un peu prétentieux de vous le présenter de cette manière, mais c'est ainsi que nous le ressentons.
Q - J'aurais deux questions à poser à M. Kouchner. Que pensez-vous de la régression de la démocratie dans les pays d'Asie centrale et la montée de l'islamisme, qui sont deux thèmes cruciaux pour l'avenir des pays de cette région ? Quant à la seconde, je voudrais savoir ce que vous pensez de l'occupation par des membres de l'association "Reporters Sans Frontières" de l'ambassade du Turkménistan à Paris et de leurs revendications ?
R - L'ambassade du Turkménistan a été occupée brièvement par "Reporters Sans Frontières". Nous l'avons constaté et nous leur avons demandé de quitter l'ambassade, ce qui a été fait pacifiquement.
"Reporters sans Frontières" protestait contre l'arrestation de trois personnes qui avaient été mêlées à une affaire concernant en particulier une chaîne de télévision française et dont deux de ces personnes se trouvent encore actuellement en prison.
Les Droits de l'Homme sont un long chemin. Nous ne sommes pas tous au même niveau, les uns et les autres. Mais nous aspirons tous à ce que les Droits de l'Homme constituent l'une des grandes orientations politiques de la région d'Asie centrale comme elles ont été longuement - et de façon extrêmement variée - suivies par les pays de l'Union européenne.
Nous avons en effet mentionné le nom de ces prisonniers qui, selon la justice du Turkménistan, pourraient être libérés. Nous avons donc réitéré cette demande de libération, comme j'avais déjà eu l'occasion de le faire au président lui-même lorsque je me suis rendu au Turkménistan.
Nous avons parlé avec franchise de la démocratie, du terrorisme. Ce sont des sujets qui ne sont pas faciles à aborder y compris pour nous, Européens et pour la France en particulier mais nous l'avons fait. Avec nos amis, nous avons évoqué les problèmes de l'Afghanistan - sans prétendre d'ailleurs être capables de les régler immédiatement -, du trafic de drogue. L'Afghanistan est le premier fournisseur d'héroïne du monde avec près de 93 % de la production mondiale.
C'est un long chemin, c'est un compromis permanent, c'est une écoute de l'autre. Ce n'est jamais satisfaisant pour ceux qui voudraient aller encore plus loin, mais il faut que le document final soit l'objet d'un consensus. Ce fut donc une négociation où chacun s'est exprimé librement, les uns avec les autres et non pas les uns contre les autres. Ce n'était pas si simple car beaucoup de choses pouvaient nous opposer.
Q - J'ai cru comprendre que l'un des buts de ce forum était d'améliorer la stabilité et la sécurité, notamment à travers des partenariats. J'espère que l'ensemble des représentants est d'accord pour penser que l'amélioration de la situation des Droits de l'Homme est un gage de sécurité et de stabilité pour l'ensemble des sociétés. Dans ce cas les représentants ouzbek et turkmène ont-ils l'intention d'adopter des lois qui changeront radicalement la situation de la presse et de libérer les journalistes actuellement emprisonnés ?
R - Je crois que pour améliorer les Droits de l'Homme, il ne suffit pas de les réclamer, il faut créer les conditions pour y parvenir. C'est ce que nous essayons péniblement de réaliser, avec votre soutien en particulier.
Nous avons engagé une coopération judiciaire fondée sur la "règle de trois" avec des juges français, des juges allemands et des juges des pays d'Asie centrale.
Q - (A propos de la situation dans la région du Caucase)
R - Je vous assure que nous en avons parlé abondamment. Cette question a été abordée fréquemment, de façon extrêmement large, en particulier hier soir au dîner où nous avons parlé très ouvertement de la crise en Géorgie. Cela a d'ailleurs été le thème du dîner. Non seulement nous en avons parlé hier, mais nous en avons reparlé aujourd'hui. Nous avons évoqué toutes les étapes de l'application des six points de l'accord entre MM. Medvedev, Sarkozy et Saakachvili.
Evidemment, ces six points doivent être mis en application et nous nous y employons. Vous avez noté que les check points autour de Poti et sur la route ont été levés. Il s'agit là d'une première application de l'accord. Ce n'est certes pas suffisant, nous le savons. Nous avons également conscience de l'imperfection du document. C'est toujours comme cela dans une mission de paix, on n'est jamais satisfait mais il faut que les deux parties trouvent un consensus, c'est assez difficile. Je crois que cela a été fait dans un délai particulièrement bref. Maintenant, il s'agit pour le groupe d'observateurs européens qui est actuellement en voie de constitution - et qui sont déjà plus nombreux que ce que nous croyons - d'arriver avant le 1er octobre pour déclencher le retrait des troupes russes. Ensuite, il y aura une conférence des donateurs qui sera beaucoup plus politique qu'on ne le croit. A la mi-octobre - on discute encore de la date -, à Genève, débuteront les conversations politiques.
Voilà, nous avons parlé de tout cela aujourd'hui. Il y a eu M. Lebedev, le président du comité de direction de la CEI, la Conférence des Etats indépendants. Et puis, il y a eu l'organisation du traité de sécurité collective.
Nous n'avons pas épargné nos efforts pour éviter la langue de bois. Il n'y a pas eu de politiquement correct, il n'y a eu que des échanges politiquement incorrects durant nos entretiens. Ce n'est pas encore fini. "Reporters Sans Frontières" le sait très bien.
Merci beaucoup.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 septembre 2008