Texte intégral
Q - Nicolas Sarkozy a convoqué samedi une réunion avec les quatre dirigeants européens du G8 plus José Manuel Barroso, Jean-Claude Juncker et Jean-Claude Trichet. Quels sont les objectifs de cette réunion ?
R - La France veut être proactive au regard de la crise actuelle. Elle veut prendre des initiatives, quitte à ce qu'elles ne soient pas toutes suivies d'effet, plutôt que d'être accusée d'immobilisme.
Cette réunion a un objectif : préparer les réponses européennes lors de la réunion des ministres des Finances du G7 en marge des réunions d'automne du FMI et de la Banque mondiale, la semaine prochaine à Washington. Elle a également pour objet de préparer la réunion extraordinaire des chefs d'Etat du G8 souhaitée avant la fin de l'année par Nicolas Sarkozy. Tout cela en bonne articulation avec les Etats membres de l'Union européenne, avec les dirigeants desquels le président de la République est en contact.
Q - Vous confirmez donc la tenue d'un G8 extraordinaire. Où se tiendra- t-il ?
R - Ce n'est pas encore décidé. Il pourrait se tenir en novembre aux Etats-Unis qui sont l'épicentre de la crise. D'autres pays seront sans doute invités. L'Inde, comme l'a indiqué mardi dernier son Premier ministre, Manmohan Singh, lors de son entrevue avec Nicolas Sarkozy, et la Chine sont en effet intéressées à la résolution de la crise à juste titre.
Q - Vous avez évoqué des initiatives européennes. Concrètement, quels sont les chantiers prioritaires de l'Union ?
R - C'est d'abord de faire face à l'urgence. Il faut que, selon des modalités qui peuvent être différentes d'un Etat à un autre, nous soyons tous d'accord pour intervenir là où il le faut et quand il le faut pour éviter tout risque systémique. Toutes les banques en Europe ont des relations les unes avec les autres. Ensuite, il faut que les ministres de l'Economie et des Finances approfondissent les solutions concrètes en termes de régulation pour faire des propositions au prochain Conseil européen. C'est le sens de la lettre que le président de la République vient d'adresser à ses collègues.
Q - Mais il faut aussi des initiatives à moyen terme ?
R - En effet, il est urgent d'améliorer l'échange d'information entre la BCE, le système européen de banques centrales, les régulateurs et les directions du Trésor pour que l'on sache, en amont, exactement le niveau d'exposition aux risques des banques, quels sont leurs actifs. Sur ce plan, il faut aller le plus vite possible. Il faut créer des mécanismes d'alerte ex ante.
Nous devons aussi avoir une réflexion pour réviser les règles au niveau européen. Que ce soit sur les fonds propres des banques, sur leur capacité de crédit, sur leurs activités de titrisation et sur leur effet de levier potentiel. Nous devons aussi avoir une réflexion sur les normes comptables. Pour des banquiers, la règle du "mark to market" n'est pas adaptée à la totalité du système financier. Quand les banques transforment des fonds à court terme en engagements à long terme et que les règles les obligent à une valorisation quotidienne de ces engagements, vous vous exposez à une volatilité excessive de la valorisation de l'établissement lui-même. Je trouverais judicieux que la Commission européenne se saisisse de ce problème.
Ensuite, j'observe une coordination intergouvernementale et non communautaire. La Commission me semble désarmée compte tenu du hiatus entre la profondeur de la crise actuelle et l'insuffisance d'intégration et de supervision financière. Nous devons aller au-delà de la feuille de route des ministres de l'Economie et des Finances et accélérer l'intégration.
Q - Mais est-ce possible ?
R - La Géorgie a montré que l'Europe était capable de devenir un acteur politique sur la scène extérieure, dans l'improvisation puisque ce n'est inscrit dans aucun traité. L'Union s'est affirmée de facto. Dans le domaine économique et financier, c'est la même chose. Sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy et de François Fillon, nous avons réagi très rapidement sur Dexia. Mais il eût mieux valu qu'il y ait déjà un dispositif de supervision et d'intégration ainsi qu'un comité ad hoc à Bruxelles pour résoudre ce type de problème.
Q - Mais le sauvetage a pourtant parfaitement fonctionné. Pourquoi créer ce système ?
R - Certes, mais cela a été fait dans l'urgence. De plus, je constate que l'Europe est revenue sur deux dogmes fondamentaux. L'un concernant les règles de concurrence auxquelles nous avons dérogé. Nécessité fait loi. L'autre sur les aides d'Etat. Dès lors, nous ne pouvons pas ne rien faire. Il serait dommage que la Commission ne comprenne pas qu'il faille aller au-delà même des propositions faites il y a un mois.
Q - Doit-on encadrer la rémunération des dirigeants comme le souhaite Nicolas Sarkozy ?
R - Il me paraît logique de le demander. Il faut poser la question des rémunérations et des parachutes dorés. Le prochain Ecofin, sous la présidence de Christine Lagarde, aura à en débattre. Il faut responsabiliser les acteurs. C'est une question de moralisation. Trouvez-vous normal que le patron de Washington Mutual, qui est resté trois semaines à son poste, puisse partir avec 10 millions de dollars d'indemnités. Il faut aussi encadrer un certain nombre de comportements sur les marchés. Il y a eu ces dernières semaines des vagues d'achats à découvert sur certains titres bancaires. Il faut poser la question des agences de notation : comment font-elles leur notation ? Quelles règles ?
Q - Est-il question d'accorder plus de pouvoir de supervision à la BCE, de mettre en place un gendarme européen ?
R - Il n'y a pas d'accord aujourd'hui pour aller vers un système de superviseur intégré au niveau européen et au niveau bancaire. Il y a un certain nombre de régulateurs, notamment dans des petits Etats membres qui préfèrent garder la mainmise sur leur système national, ce que je peux comprendre.
Cela dit, l'Union a besoin de systèmes réactifs, de savoir ce qui se passe rapidement alors qu'on a des groupes financiers transfrontaliers. La BCE a pris un rôle très important dans ce domaine. Ce système fonctionne bien, mais un renforcement des procédures de reporting auprès de la Banque centrale serait souhaitable. Je pense que l'Union ira vers la création d'un "lead supervisor" au sein d'un collège en charge de surveiller un établissement donné pour toute l'Union. Je constate d'ailleurs l'instauration d'un dialogue pragmatique, concret et non idéologique entre la BCE et les autorités nationales sur ce sujet. C'est un progrès considérable.
Q - En parlant de la fin des dogmes européens, pensiez-vous aussi à celui du Pacte de stabilité ?
R - La France respecte la règle d'un déficit budgétaire de moins de 3 % pour 2008 et 2009. Aujourd'hui la priorité est de gérer la crise. J'ajoute que la Commission européenne a indiqué que les dotations faites aux banques dans le cadre d'un plan de sauvetage ne seraient pas comptabilisées dans les normes maastrichiennes. C'est heureux.
Q - Vous avez évoqué une réforme des pratiques de marché et des normes comptables au niveau international. Pensez-vous vraiment que les Etats-Unis vont vous suivre dans cette voie ?
R - La discussion ne sera pas simple. Sur les ventes à découvert, il y a eu accord pour les suspendre s'agissant des valeurs financières. La réforme comptable sera plus dure. Pour l'heure, ils répondent à l'urgence avec le plan Paulson. Mais les élections du 4 novembre placent les Etats-Unis dans un vide administratif. Il leur sera difficile de nous dire quelles mesures la nouvelle administration prendra. Il va falloir attendre.
Il n'en demeure pas moins que les Etats-Unis ont commis une grave erreur en "laissant tomber" Lehman Brothers, ce qui a accentué la crise financière. Ils reconnaissent donc aujourd'hui le besoin d'un meilleur encadrement.
Q - Il y a pourtant urgence à une entente entre Européens et Américains ?
R - Le vrai enjeu est que l'Europe dispose aujourd'hui d'une fenêtre d'opportunité pour faire valoir ce que sont ses normes, ses valeurs en termes de régulation. L'industrie financière doit être au service du financement de l'économie réelle. Il faut le faire d'ici à la fin de l'année. Sinon, les Américains arriveront avec leur propre régulation, comme ce fut le cas avec la loi Sarbanne-Oxley... Or la régulation américaine n'est pas adaptée à notre situation.
Nous devons aussi réfléchir avec eux sur un renforcement des pouvoirs du Fonds monétaire international sur le plan de la surveillance des mécanismes financiers. Je rappelle, à cet égard, que c'était la mission première du FMI.
Q - Vous pensez vraiment que l'Europe peut y parvenir alors que les Etats-Unis disposent d'un droit de veto au FMI ?
R - Ils ne sont plus dans la même situation de force, tant sur le plan économique que géostratégique. C'est dans leur intérêt de revenir du côté du multilatéralisme. Dans le cas contraire, des pays comme la Russie, la Chine, l'Inde ou le Brésil (BRIC) refuseront d'adopter le modèle financier occidental et développeront un système autonome. De même, sur le plan climatique, comment les pays du G7 pourront demander à ces BRIC des efforts et des sacrifices s'ils ne sont pas capables de prendre leurs responsabilités sur le plan de la crise financière ? Le changement des relations diplomatiques entre les Occidentaux et les BRIC est un phénomène majeur.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 octobre 2008
R - La France veut être proactive au regard de la crise actuelle. Elle veut prendre des initiatives, quitte à ce qu'elles ne soient pas toutes suivies d'effet, plutôt que d'être accusée d'immobilisme.
Cette réunion a un objectif : préparer les réponses européennes lors de la réunion des ministres des Finances du G7 en marge des réunions d'automne du FMI et de la Banque mondiale, la semaine prochaine à Washington. Elle a également pour objet de préparer la réunion extraordinaire des chefs d'Etat du G8 souhaitée avant la fin de l'année par Nicolas Sarkozy. Tout cela en bonne articulation avec les Etats membres de l'Union européenne, avec les dirigeants desquels le président de la République est en contact.
Q - Vous confirmez donc la tenue d'un G8 extraordinaire. Où se tiendra- t-il ?
R - Ce n'est pas encore décidé. Il pourrait se tenir en novembre aux Etats-Unis qui sont l'épicentre de la crise. D'autres pays seront sans doute invités. L'Inde, comme l'a indiqué mardi dernier son Premier ministre, Manmohan Singh, lors de son entrevue avec Nicolas Sarkozy, et la Chine sont en effet intéressées à la résolution de la crise à juste titre.
Q - Vous avez évoqué des initiatives européennes. Concrètement, quels sont les chantiers prioritaires de l'Union ?
R - C'est d'abord de faire face à l'urgence. Il faut que, selon des modalités qui peuvent être différentes d'un Etat à un autre, nous soyons tous d'accord pour intervenir là où il le faut et quand il le faut pour éviter tout risque systémique. Toutes les banques en Europe ont des relations les unes avec les autres. Ensuite, il faut que les ministres de l'Economie et des Finances approfondissent les solutions concrètes en termes de régulation pour faire des propositions au prochain Conseil européen. C'est le sens de la lettre que le président de la République vient d'adresser à ses collègues.
Q - Mais il faut aussi des initiatives à moyen terme ?
R - En effet, il est urgent d'améliorer l'échange d'information entre la BCE, le système européen de banques centrales, les régulateurs et les directions du Trésor pour que l'on sache, en amont, exactement le niveau d'exposition aux risques des banques, quels sont leurs actifs. Sur ce plan, il faut aller le plus vite possible. Il faut créer des mécanismes d'alerte ex ante.
Nous devons aussi avoir une réflexion pour réviser les règles au niveau européen. Que ce soit sur les fonds propres des banques, sur leur capacité de crédit, sur leurs activités de titrisation et sur leur effet de levier potentiel. Nous devons aussi avoir une réflexion sur les normes comptables. Pour des banquiers, la règle du "mark to market" n'est pas adaptée à la totalité du système financier. Quand les banques transforment des fonds à court terme en engagements à long terme et que les règles les obligent à une valorisation quotidienne de ces engagements, vous vous exposez à une volatilité excessive de la valorisation de l'établissement lui-même. Je trouverais judicieux que la Commission européenne se saisisse de ce problème.
Ensuite, j'observe une coordination intergouvernementale et non communautaire. La Commission me semble désarmée compte tenu du hiatus entre la profondeur de la crise actuelle et l'insuffisance d'intégration et de supervision financière. Nous devons aller au-delà de la feuille de route des ministres de l'Economie et des Finances et accélérer l'intégration.
Q - Mais est-ce possible ?
R - La Géorgie a montré que l'Europe était capable de devenir un acteur politique sur la scène extérieure, dans l'improvisation puisque ce n'est inscrit dans aucun traité. L'Union s'est affirmée de facto. Dans le domaine économique et financier, c'est la même chose. Sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy et de François Fillon, nous avons réagi très rapidement sur Dexia. Mais il eût mieux valu qu'il y ait déjà un dispositif de supervision et d'intégration ainsi qu'un comité ad hoc à Bruxelles pour résoudre ce type de problème.
Q - Mais le sauvetage a pourtant parfaitement fonctionné. Pourquoi créer ce système ?
R - Certes, mais cela a été fait dans l'urgence. De plus, je constate que l'Europe est revenue sur deux dogmes fondamentaux. L'un concernant les règles de concurrence auxquelles nous avons dérogé. Nécessité fait loi. L'autre sur les aides d'Etat. Dès lors, nous ne pouvons pas ne rien faire. Il serait dommage que la Commission ne comprenne pas qu'il faille aller au-delà même des propositions faites il y a un mois.
Q - Doit-on encadrer la rémunération des dirigeants comme le souhaite Nicolas Sarkozy ?
R - Il me paraît logique de le demander. Il faut poser la question des rémunérations et des parachutes dorés. Le prochain Ecofin, sous la présidence de Christine Lagarde, aura à en débattre. Il faut responsabiliser les acteurs. C'est une question de moralisation. Trouvez-vous normal que le patron de Washington Mutual, qui est resté trois semaines à son poste, puisse partir avec 10 millions de dollars d'indemnités. Il faut aussi encadrer un certain nombre de comportements sur les marchés. Il y a eu ces dernières semaines des vagues d'achats à découvert sur certains titres bancaires. Il faut poser la question des agences de notation : comment font-elles leur notation ? Quelles règles ?
Q - Est-il question d'accorder plus de pouvoir de supervision à la BCE, de mettre en place un gendarme européen ?
R - Il n'y a pas d'accord aujourd'hui pour aller vers un système de superviseur intégré au niveau européen et au niveau bancaire. Il y a un certain nombre de régulateurs, notamment dans des petits Etats membres qui préfèrent garder la mainmise sur leur système national, ce que je peux comprendre.
Cela dit, l'Union a besoin de systèmes réactifs, de savoir ce qui se passe rapidement alors qu'on a des groupes financiers transfrontaliers. La BCE a pris un rôle très important dans ce domaine. Ce système fonctionne bien, mais un renforcement des procédures de reporting auprès de la Banque centrale serait souhaitable. Je pense que l'Union ira vers la création d'un "lead supervisor" au sein d'un collège en charge de surveiller un établissement donné pour toute l'Union. Je constate d'ailleurs l'instauration d'un dialogue pragmatique, concret et non idéologique entre la BCE et les autorités nationales sur ce sujet. C'est un progrès considérable.
Q - En parlant de la fin des dogmes européens, pensiez-vous aussi à celui du Pacte de stabilité ?
R - La France respecte la règle d'un déficit budgétaire de moins de 3 % pour 2008 et 2009. Aujourd'hui la priorité est de gérer la crise. J'ajoute que la Commission européenne a indiqué que les dotations faites aux banques dans le cadre d'un plan de sauvetage ne seraient pas comptabilisées dans les normes maastrichiennes. C'est heureux.
Q - Vous avez évoqué une réforme des pratiques de marché et des normes comptables au niveau international. Pensez-vous vraiment que les Etats-Unis vont vous suivre dans cette voie ?
R - La discussion ne sera pas simple. Sur les ventes à découvert, il y a eu accord pour les suspendre s'agissant des valeurs financières. La réforme comptable sera plus dure. Pour l'heure, ils répondent à l'urgence avec le plan Paulson. Mais les élections du 4 novembre placent les Etats-Unis dans un vide administratif. Il leur sera difficile de nous dire quelles mesures la nouvelle administration prendra. Il va falloir attendre.
Il n'en demeure pas moins que les Etats-Unis ont commis une grave erreur en "laissant tomber" Lehman Brothers, ce qui a accentué la crise financière. Ils reconnaissent donc aujourd'hui le besoin d'un meilleur encadrement.
Q - Il y a pourtant urgence à une entente entre Européens et Américains ?
R - Le vrai enjeu est que l'Europe dispose aujourd'hui d'une fenêtre d'opportunité pour faire valoir ce que sont ses normes, ses valeurs en termes de régulation. L'industrie financière doit être au service du financement de l'économie réelle. Il faut le faire d'ici à la fin de l'année. Sinon, les Américains arriveront avec leur propre régulation, comme ce fut le cas avec la loi Sarbanne-Oxley... Or la régulation américaine n'est pas adaptée à notre situation.
Nous devons aussi réfléchir avec eux sur un renforcement des pouvoirs du Fonds monétaire international sur le plan de la surveillance des mécanismes financiers. Je rappelle, à cet égard, que c'était la mission première du FMI.
Q - Vous pensez vraiment que l'Europe peut y parvenir alors que les Etats-Unis disposent d'un droit de veto au FMI ?
R - Ils ne sont plus dans la même situation de force, tant sur le plan économique que géostratégique. C'est dans leur intérêt de revenir du côté du multilatéralisme. Dans le cas contraire, des pays comme la Russie, la Chine, l'Inde ou le Brésil (BRIC) refuseront d'adopter le modèle financier occidental et développeront un système autonome. De même, sur le plan climatique, comment les pays du G7 pourront demander à ces BRIC des efforts et des sacrifices s'ils ne sont pas capables de prendre leurs responsabilités sur le plan de la crise financière ? Le changement des relations diplomatiques entre les Occidentaux et les BRIC est un phénomène majeur.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 octobre 2008