Interview de M. Gérard Larcher, président du Sénat, à Europe 1 le 2 octobre 2008, sur son engagement à être le président de tous les sénateurs et sur l'activité à venir et le fonctionnement du Sénat.

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Texte intégral

J.-P.   Elkabbach.-   G. Larcher, bienvenue et bonjour. Le sénat américain vient   d'amender, d'adopter le plan de sauvegarde Paulson. Si les   Gouvernements européens créaient un fond spécial de prévoyance   et de soutien, est-ce que les sénateurs français seraient consultés   d'abord et le voteraient ?  
 
Ils doivent être consultés. Le Sénat et le Parlement doivent   naturellement être consultés et associés à des décisions majeures,   notamment, pour nos concitoyens et notre économie. Voilà pourquoi je   souhaite un débat. Et je souhaite que le Sénat prenne toute sa place. A   partir de la semaine prochaine, je prendrai un certain nombre   d'initiatives pour que nous soyons, à notre place, dans notre rôle, en   préparant un certain nombre de propositions.  
 
Est-ce que cela veut dire que ce matin vous dites ici que vous   réclamez un débat sur la crise financière mondiale avec ses   conséquences européennes au Parlement ? 
 
 Le débat (...) indispensable. C'est l'esprit même de la révision   constitutionnelle. Nous y sommes. Eh, bien c'est un rendez-vous   nécessaire.  
 
Vous promettiez dès hier d'être le président de tous les sénateurs, le   président des 343. Est-ce que c'est une promesse faite à l'opposition   de la respecter, de l'associer à toute la vie de la Haute Assemblée ?  
 
Ce n'est pas une promesse, c'est un engagement en direction de tous les   sénateurs, qu'ils appartiennent à la majorité comme à l'opposition,   qu'ils soient écoutés. Et pour les écouter, il y a des lieux qui s'appellent   les commissions, la séance publique, les modes de fonctionnements,   c'est ce que nous allons examiner dans la révision de notre règlement,   c'est aussi un état d'esprit.  
 
Parce que c'est ce qu'on dit quand on arrive. Est-ce qu'on   l'applique et le pratique ?  
 
Je vais l'appliquer. C'est un engagement que j'ai pris publiquement.   J'en serai comptable publiquement.  
 
Par exemple, il est question de passer de six à huit commissions   avec la révision de la Constitution, donc d'en créer deux nouvelles.   L'opposition en obtiendra-t-elle une ?  
 
Le proposition sur laquelle nous réfléchissons et sur laquelle d'ailleurs   j'ai déjà échangé avec les présidents des groupes d'opposition, c'est que   ce soit plutôt dans chacune des commissions que l'opposition puisse   s'exprimer, faire connaître son point de vue, faire ses propositions et   pourquoi pas qu'un certain nombre de propositions soient adoptées par   la majorité du sénat, parce que je crois que chacun doit contribuer au   contrôle, à la législation, à la prospective.  
 
Face aux socialistes J.-P. Bel qui a fait, lui, le plein des voix de la   gauche, vous avez été élu dès le premier tour avec 8 voix de plus   que la majorité absolue 173, c'est-à-dire au-delà de l'UMP. Cette   nouvelle majorité sénatoriale, est-ce qu'elle a passé un accord de   circonstance pour vous faire élire ou c'est un pacte pour les trois   années qui viennent ? 
 
J'entends pour ma part m'engager dans une forme de contrat de   mandature avec bien sûr la majorité sénatoriale, mais aussi contrat de   mandature dans la manière dont nous nous comporterons,   collectivement, majorité et opposition, dans la liberté de chacun.  
 
Est-ce que cela veut dire qu'aujourd'hui vous entamez une   présidence du Sénat qui sera politique, avec un P majuscule ?  
 
Elle sera politique, parce que le rôle du Sénat, c'est une assemblée   politique, où les groupes politiques d'ailleurs devront trouver une place   mieux reconnue, plus affirmée et le président du sénat est naturellement   apolitique.  
 
Quand le doyen S. Dassault a annoncé hier votre élection comme   deuxième personnage de l'Etat, à qui et à quoi vous avez pensé   spontanément ?  
 
Tout d'abord, à mes parents qui étaient de l'autre côté de la lucarne et   qui...  
 
Les deux...  
 
Oui, mon père et ma mère. Pour eux, c'était sans doute un moment un   peu particulier de leur vie comme de la mienne. J'ai pensé aussi en   1986, quand à tout juste 37 ans, j'étais au bureau d'âge. C'est-à-dire au   côté de celui qui allait être élu.  
 
C'est-à-dire le benjamin.  
 
Oui et quand le doyen d'âge s'appelait Monsieur J. Montalembert, un   personnage un peu hors du temps et hors du commun.  
 
Qui était avec vous ? Il y en avait un autre qui était à son service...  
 
Eh oui, il y avait J.-L. Mélenchon. Voyez que nous incarnions, à gauche   comme à droite, une nouvelle génération.  
 
Parce que vous êtes de droite et vous affirmez que vous êtes de   droite.  
 
Je suis un gaulliste, un gaulliste préoccupé par la question sociale et   c'est peut-être une simplification de parler de gauche et de droite. Mais   je suis clairement dans la majorité qui soutient le président de la   République et le Gouvernement.  
 
C'est votre femme qui pourrait raconter tout le chemin accompli.   Le "vétérinaire de Rambouillet" est passé par plusieurs étapes et   obstacles. Je lisais Libération. Il paraît que vous ressemblez à P.   Noiret qui s'intéressait beaucoup aux chevaux. Vous aussi.  
 
Oui, d'ailleurs, je l'avais rencontré dans ce cadre-là avec J. Rochefort   son ami à l'époque. Les chevaux ont été et demeurent ma passion, mais   l'art vétérinaire c'est aussi une manière de faire des diagnostics et de   proposer des traitements. Il n'est pas inutile qu'en politique aussi, on   soit en capacité de poser des diagnostics et d'avoir le courage des   traitements.  
 
C'est peut-être pour cela que vous avez la réputation d'être un bon   négociateur social et un bon chasseur, c'est vrai cela ?  
 
C'est surtout un passionné de chiens d'arrêt, les spécialistes sauront ce   que cela veut dire un épagneul breton.  
 
Oui, qu'est-ce que cela veut dire un chien d'arrêt ?  
 
C'est un chien qui arrête le gibier, qui a tout un art, et ce qui me plaît   c'est l'art de ces chiens sélectionnés par des générations.  
 
Il faudrait voir aussi les gestes que vous faites en en parlant.   Pendant trois ans, du haut de votre fauteuil sur ce que l'on appelle   "le plateau", vous aurez plusieurs batailles à mener. D'abord, celle   de l'image ; la mode est à la caricature du Sénat. Selon le journal   Le Monde de l'autre jour, "le pays où la vie est moins chère".
 
Dans tous les cas, le Sénat doit aujourd'hui tout simplement être   reconnu. Qu'on ne se pose pas la question "à quoi sert le sénat dans   trois ans", dans trois ans. Je me suis engagé hier à la transparence. Au-delà   des mots, "transparence" ça veut dire quoi ? Cela veut dire tout   simplement que nos concitoyens seront informés des modes de   fonctionnement de notre Assemblée, que je serai exigeant pour moi-même   comme pour les autres, en n'oubliant jamais que nous sommes   au service de la démocratie, au service du pays et c'est notre mission   que nous assumerons.  
 
Le Gouvernement s'oppose aux indemnités des dirigeants de   banque et d'entreprise qui s'en vont. Ceux de Dexia, par exemple,   est-ce que vous êtes d'accord ?  
 
Je pense que comme ministre du Travail, j'ai démontré que l'exigence   en cette matière ne souffrait aucune faiblesse.  
 
Le Sénat représente les collectivités territoriales, G. Larcher. Le   président de la République, qui n'est pas le seul, estime qu'il y en a   de trop et qu'il faudra en réduire le nombre progressivement. Le   département, la région, la région ?  
 
Qu'ai-je dit hier ? Que le Sénat serait source et acteur de propositions   en matière de collectivités territoriales. Donc, la semaine prochaine,   j'annoncerai - ce n'est plus un scoop, tout à fait, puisque je l'annonce ce   matin - que nous mettrons en place une mission, une mission   d'information où majorité et opposition auront toutes leur place pour   que nous fassions des propositions. Nous sommes constitutionnellement   les représentants des collectivités territoriales de la République.   J'entends que le Sénat assume pleinement cette responsabilité   constitutionnelle non pas dans un suivisme, mais comme un acteur de   propositions.  
 
C'est-à-dire qu'on entend ce matin que les sénateurs, à travers ce   que vous dites, veulent mettre à profit les pouvoirs que leur donne   la révision de la Constitution.  
 
La révision de la Constitution élargit les pouvoirs du Parlement. Dans   deux jours, nous fêterons le 50ème anniversaire de la Constitution de la   Vème République. Un nouveau Parlement est en train de naître, c'est   d'ailleurs l'enjeu des trois ans qui viennent et cet enjeu-là nous le   gagnerons ensemble.  
 
Est-ce que vous vous battrez pour réduire les dépenses et les   budgets et obtenir des budgets équilibrés en 2012, comme cela a été   promis et comme on a l'impression qu'on n'est pas en train de   suivre ce chemin ?  
 
C'est sans doute une des propositions de mission. Je l'ai là aussi dit   publiquement, mais ce qui compte aujourd'hui, c'est de traverser la   crise financière, ce qui nécessite une capacité de mobilisation, de   rassemblement. Ce qui ne veut pas dire qu'automatiquement tout fera   consensus, mais du sens des responsabilités tant pour la majorité que   pour l'opposition.  
 
Comment vous jugez ce qui est en train de se faire ou comme   réponse à la tourmente financière qui est créée par des   irresponsables aux Etats-Unis ? Comment jugez-vous l'action des   Français et des Européens ?  
 
Comment je juge le capitalisme anglo-saxon ? Je pense que le   capitalisme doit être régulé.  
 
Pas autorégulé ?  
 
L'autorégulation c'est Lehman Brothers....  
 
On en voit les... la faillite.  
 
On en voit les effets. La régulation est pour moi tout à fait essentielle,   elle est dans les convictions politiques profondes que je porte depuis   des années. D'ailleurs, le capitalisme franco-rhénan est un capitalisme   de régulation, pas simplement financier mais aussi social. Et donc, ce   modèle-là, me semble-t-il, nous devrons au G8 faire un certain nombre   de propositions. Les institutions mondiales en charge des finances ne   pourront pas rester dans une espèce d'attitude où seuls les marchés   réguleraient l'ensemble.  
 
La France veut, paraît-il, créer un fonds de secours européen pour   répondre à tout risque de faillite bancaire. Est-ce que ce n'est pas   une manière d'encourager les mauvais gestionnaires des banques,   des assurances, des entreprises ? Vous faites toutes les conneries   possibles, et après, on efface tout.  
 
Je crois qu'il faut réguler, c'est comme les fonds d'ajustement à la   mondialisation. Par contre, on n'efface rien et, à partir du moment où   on entre dans un système de régulation, il y a aussi la contrepartie des   éventuelles sanctions et des décisions au titre de la régulation, parce que   ceux qui nous ont conduits là, doivent être sanctionnés.  
 
Vous êtes attendus sur vos rapports avec Matignon, surtout avec   l'Elysée. Pour vous, qu'est-ce que veut dire l'indépendance ?   J'entendais un certain nombre de sénateurs de gauche dire : est-ce   qu'il va aller chercher ses ordres à l'Elysée ? Est-ce que c'est votre   cas, est-ce que c'est votre tempérament ?  
 
La majorité soutient le Gouvernement, le Gouvernement doit être   ouvert à sa majorité. En ce qui concerne le président du Sénat, parce   que nous sommes une institution qui ne procède pas de l'élection   présidentielle, parce que nous ne sommes pas une Assemblée nationale   bis, la liberté est notre culture.  
 
Oui, oui, oui mais le président du Sénat est assis chaque semaine au   petit déjeuner de la majorité à l'Elysée. Comment peut-il faire   entendre sa voix, sa différence, son indépendance ?  
 
Le croissant partagé n'est pas un alignement.  
 
Merci. Les nouveaux élus, quelle que soit leur étiquette, veulent en   découdre, et vous leur avez dit d'être fier d'être sénateur.   Aujourd'hui ce n'est pas facile.  
 
Ils seront fiers d'être sénateurs parce que nous serons un Sénat à la   rencontre des Français et des territoires.  
 
On suivra vos promesses et on verra comment vous les appliquez.  
 
Et je rendrai comptes.  
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 2 octobre 2008