Déclaration de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement des transports et du logement, sur l'action gouvernementale pour les voies navigables et la modernisation de la batellerie, Paris le 11 février 1999.

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Circonstance : Assemblée générale du comité des armateurs fluviaux, le 11 février 1999

Texte intégral

Monsieur le Président,
Messieurs les parlementaires et élus,
Messieurs les Présidents et Directeurs,
Mesdames, messieurs,
Monsieur le Président, je vous remercie de votre invitation qui me permet de bien indiquer que pour moi, les transports terrestres, cest un triptyque Rail-Route-Fluvial, chaque mode ayant ses qualités et ses limites. Cest la bonne articulation entre les modes qui constitue la voie à suivre.
Comme vous lavez souligné, Monsieur le Président, 1998 marque une nette reprise du transport fluvial de marchandises avec un trafic en tonnes-kilomètres en augmentation de plus de 9 % par rapport à 1997 et un trafic en tonnes qui a un peu augmenté après plusieurs années de baisse.
Cette augmentation remarquable, est supérieure à celle connue par les autres modes terrestres. Elle illustre les potentialités du transport fluvial.
La hausse de trafic est bien sûr le résultat de lamélioration de la situation économique générale et de facteurs en partie conjoncturels.
Mais elle est aussi le fruit des efforts de modernisation entrepris par tous les transporteurs qui ont su répondre à la demande de leurs clients, quils soient traditionnels ou nouveaux. La diversification des marchés et le fait que la hausse de trafic porte sur de multiples frets : combustibles, produits agricoles, produits pétroliers et métallurgiques, conteneurs, etc... en est la preuve.
Je suis persuadé que le transport fluvial possède encore des réserves de développement et quil peut jouer un rôle significatif dans le rééquilibrage en faveur des modes de transports alternatifs au transport routier.
A quelles conditions ? Cest ce que je voudrais préciser devant vous tant en ce qui concerne lavenir du réseau des voies navigables que celui de la profession.
Notre premier grand axe dorientation est de donner à la voie deau la place quelle mérite dans un réseau moderne dinfrastructures de transport.
1. A cet égard, la première priorité est de fiabiliser le réseau existant pour renforcer lefficacité du transport fluvial.
Lobjectif est connu : il sagit de restaurer et de moderniser en une dizaine dannées le réseau où se concentre la majeure partie du trafic de marchandises, constitué par les voies à grand gabarit et une partie du réseau à gabarit « Freycinet ».
Grâce en particulier à laugmentation, en 98 et 99, de la dotation du fonds dinvestissement dans les transports terrestres et les voies navigables (FITTVN), Voies navigables de France est désormais en mesure datteindre cet objectif en rythme annuel de dépenses.
Ainsi les axes les plus chargés, en particulier les canaux du Nord et Dunkerque-Escaut, la Seine, le Rhin, la Saône et la Rhône font lobjet dune accélération des programmes de fiabilisation et de modernisation.
Lannée 1998 aura vu lachèvement par la Compagnie nationale du Rhône (CNR) des travaux daménagement de la Saône jusquà la plate-forme de Pagny et de mise à grand gabarit de la section reliant lécluse de Niffer sur le Rhin au port de Mulhouse.
En 1999, un effort particulier sera fait au titre des opérations inscrites aux contrats de plan Etat-régions pour la modernisation des voies de grand gabarit en Lorraine et dans le Pas-de-Calais. Les travaux de la digue fluvio-maritime dans le port de Sète seront également bien avancés.
2. La deuxième priorité concerne la valorisation du potentiel de développement local que représente nos voies navigables.
Sils ne sont pas absents des voies très fréquentées par les bateaux de marchandises, comme sur la Seine, les enjeux touristiques sont sans doute déterminants pour lavenir dune grande partie du réseau à petit gabarit où le transport tient une place moins importante.
Dans ce domaine également, les orientations définies font lobjet dapplications concrètes, comme lillustrent les programmes ambitieux lancés sur le canal du Midi et dans la vallée du Lot, ou sur le point de lêtre en ce qui concerne le canal du Rhône au Rhin à la suite du CIADT du 15 décembre dernier.
Au total, près de 882 MF ont été consacrés en 1998 à la restauration, à la modernisation, à lentretien et à lexploitation des voies navigables par lEtat, VNF, la CNR et les collectivités territoriales.
En 1999, les programmes dinvestissement atteignent 943 MF. La majeure partie des opérations concernent évidemment le réseau confié à VNF, pour lequel les dépenses sont passées de 562 MF en 1996 à 904 MF cette année, soit une augmentation de 60 %.
3. La préparation des prochains contrats de plan Etat-régions fournit le cadre pour développer cette démarche et accroître leffort dinvestissement de la collectivité nationale sur le réseau.
Une implication des collectivités territoriales et de lensemble des acteurs locaux dans le devenir du réseau est en effet indispensable. Il sagit là dune mutation profonde consistant à établir un constat partagé des enjeux très diversifiés du réseau navigable, et à en tirer les conséquences en privilégiant les logiques de partenariat, avec des retombées très concrètes en termes de création de richesse et demploi dans des régions parfois en difficulté.
Les représentants de lEtat proposeront systématiquement aux régions des plans daction et des programmes dinvestissement dans le domaine des voies navigables, dans le cadre dune approche multimodale articulant les différents moyens de transport.
Laccent sera mis non seulement sur des programmes daccélération des travaux de fiabilisation et de modernisation des voies, mais aussi sur le développement des équipements indispensables à une meilleure intégration du transport fluvial dans les chaînes logistiques. Une attention particulière sera ainsi portée aux plates-formes portuaires et aux embranchements fluviaux.
Pour la période de sept ans des contrats de plan, lobjectif est par conséquent de réaliser la majeure partie du programme de restauration du réseau prioritaire, en intégrant les aménagements logistiques indispensables pour que les chargeurs puissent tirer tout le bénéfice dune infrastructure en bon état.
Sur le plan financier, cela implique un effort supplémentaire, qui doit être réparti équitablement entre lEtat, les partenaires locaux et VNF.
Laugmentation significative des ressources du FITTVN consacrées à la voie deau, de 350 MF en 1997 à 450 MF en 1999, est le gage de cette ambition.
Je ne doute pas quun débat constructif puisse avoir lieu avec les partenaires locaux autour du devenir de notre réseau et des moyens à y consacrer.
4. Pour préparer lavenir, il faut enfin intégrer les projets de liaisons fluviales à grand gabarit dans les démarches concertées de planification et de programmation des infrastructures.
Le parlement a commencé au début de lannée lexamen du projet de loi dorientation et daménagement durable du territoire, dans laquelle nous nous inscrivons pleinement.
Pour le secteur des transports, le projet de loi prévoit lélaboration dun schéma de services collectifs de transports de personnes et dun schéma de transports de marchandises, appelés à se substituer aux schémas directeurs sectoriels.
Ces schémas sinscrivent dans une approche résolument nouvelle consistant à définir les services à rendre et non seulement les équipements à réaliser, à valoriser les atouts de chaque mode en organisant leur complémentarité et enfin à effectuer des choix cohérents en matière de financement des infrastructures.
Comment sintègre les projets de liaisons fluviales à grand gabarit dans cette démarche ?
En ce qui concerne la liaison Seine-Nord, chacun sait, ici, que le projet consiste à réaliser un nouveau canal à grand gabarit sur le tronçon central entre Compiègne et le canal Dunkerque-Escaut et à améliorer les caractéristiques du canal Dunkerque-Escaut et de lOise :
- Pour le tronçon central, une concertation sur le choix du fuseau du tracé sest conclue par un rapport que le Préfet de la région Picardie ma remis en juin 1998.
- Laménagement du canal à grand gabarit Dunkerque-Escaut est quant à lui étudié sur les plans techniques et économiques, en particulier en ce qui concerne le relèvement des ponts.
- Enfin la problématique de mise à niveau de lOise aval concerne dune part laménagement du chenal, avec un impact plutôt positif sur lécoulement des crues, dautre part le relèvement ou la reconstruction de certains ponts.
Selon les différents scénarios daménagement évalués par le maître douvrage, lestimation du coût global du projet varie de 12 à 25 milliards de francs.
Compte tenu de lampleur de linvestissement, jai donc demandé que la rentabilité socio-économique du projet soit étudiée de manière particulièrement rigoureuse. Cest pourquoi les analyses socio-économiques ont été complètement réactualisées, à partir dune méthodologie adaptée au mode fluvial.
Sur la base des résultats de ces différentes études qui sont disponibles depuis peu, je souhaite maintenant que ces acquis soient utilisés pour avoir une approche globale et intermodale de cette opération, et élaborer un scénario réaliste daménagement.
A cette fin, jai confié au Conseil général des ponts et chaussées une mission dévaluation et de proposition.
Jattends les résultats de cette expertise au printemps, pour préparer les décisions gouvernementales sur les futures étapes du projet, dans le cadre de lélaboration du schéma de services de transports de marchandises et des prochains contrats de plan Etat-régions.
Sagissant de Seine-Est, jai demandé à VNF de remettre rapidement les résultats définitifs des études de cadrage, dont lessentiel est achevé.
Il est en effet important que les analyses effectuées puissent également nourrir les débats engagés avec les collectivités territoriales dans le cadre de la préparation des schémas de service.
Vous pouvez constater, Monsieur le Président, que les pouvoirs publics construisent peu à peu des perspectives claires et réalistes pour notre réseau de voies navigables. Naturellement, tout ceci doit pouvoir sappuyer sur tous les acteurs : chargeurs, courtiers, transporteurs, gestionnaires de ports, qui constituent les chaînes logistiques dans lesquelles sinscrit le transport fluvial.
Jen viens au deuxième grand axe dorientation, il sagit daccompagner la modernisation de la profession
1. En effet, 1999 est une année importante pour le transport fluvial de marchandises.
Chaque acteur concerné doit en effet prendre ses responsabilités et agir tout au long de cette année pour que la fin du tour de rôle ne soit pas un traumatisme pour la profession mais quau contraire elle soit porteuse de perspectives nouvelles pour le transport fluvial et permettre à chacun de poursuivre et de développer son activité dans des conditions satisfaisantes.
La batellerie artisanale a pour sa part exprimé, par la voie de ses représentants professionnels, son souhait de sen tenir au calendrier de sortie du tour de rôle prévu au 1er janvier 2000 par les décisions bruxelloises.
Cest pour cette raison que nous avons choisi dassurer une transition progressive, conduite avec les professionnels, et que léchéance du 1er janvier 2000 a été conservée, cest-à-dire quelle est désormais très proche. Il ne sagit pas dattendre passivement cette date mais de mettre à profit les mois à venir pour sorganiser, se structurer, se former.
Jai, pour ma part, souhaité quun plan dadaptation spécifique soit élaboré à partir des conclusions déposées par M. lIngénieur Général Hossard pour permettre notamment à chaque batelier de trouver sa voie à cette échéance.
Il est souhaitable que tous les acteurs concernés - artisans, armements, courtiers, chargeurs - avec VNF et lEtat, formalisent les actions quil convient dengager cette année.
Cette formalisation pourrait consister en un « contrat de modernisation du transport fluvial ». Jattends des partenaires concernés quils nhésitent pas à proposer des dispositions novatrices dans ce cadre et quil y ait un réel engagement autour de démarches dorganisation préfigurant dès à présent les futures relations commerciales, et ceci avec le soutien des pouvoirs publics.
A cet égard, la disparition anticipée du tour de rôle en Belgique et aux Pays-Bas a dores et déjà provoqué des contrecoups sur laffrètement en France. Les artisans bateliers sont inquiets de cette situation et recherchent dès maintenant des réponses constructives à cette situation, je puis les assurer de lentier soutien du ministère et de Voies navigables de France dans cette difficile période de changement.
LEtat va renforcer sa mission de régulation. Sur le plan juridique, outre la publication imminente des décrets approuvant les contrats types au tonnage, à temps et de sous-traitance, une large consultation sera lancée dans les prochaines semaines pour lélaboration des dispositions devant se substituer à la loi du 12 juillet 1994 et fixer le cadre de lexploitation commerciale du transport fluvial de marchandises dans un nouveau contexte.
Parallèlement, un effort particulier sera consacré à la mise en place dun dispositif dobservation économique et sociale du transport fluvial, qui pourrait notamment concerner lévolution du rapport entre la demande de transport et loffre de cale, ainsi quà lamélioration des mesures de contrôles au titre de police de la navigation.
Sur le plan financier, lEtat et VNF confirment cette année encore leur soutien au transport fluvial.
Les aides à la profession sont maintenues, avec pour objectif de favoriser la transition vers la fin de rôle. Les crédits publics de lordre de 35 MF seront donc consacrés en priorité à la modernisation des bateaux existants, à lorganisation commerciale et à la formation des artisans, ainsi quau départ à la retraite des artisans les plus âgés.
Dans cette optique, une action importante visant à poursuivre le déchirage paraît inadaptée aux enjeux de la modernisation du transport fluvial. Après les actions nationales et communautaires qui ont contribué à largement diminuer le cale, il ne faudrait pas, en ayant une approche un peu malthusienne comme la parfois la commission européenne, se retrouver avec une offre insuffisante ou inadaptée.
Sera également poursuivi le programme daide à la création dembranchements fluviaux, qui apporte aux transporteurs des volumes de trafics importants, et à léquipement des ports publics. Les enveloppes prévues atteignent près de 25 MF.
Le même souci de créer un cadre favorable au transport fluvial sapplique à la recherche de lamélioration des interfaces entre le maritime et le fluvial.
Sur ce point, une attention particulière sera portée à létude des modalités de desserte fluviale du projet « port 2000 », à travers un terminal fluvial dédié aux conteneurs. Un groupe de travail associant les ports du Havre et de Paris, les professionnels et les services du ministère a été mis en place à cet effet. Port 2000 est un grand projet maritime, ce doit être aussi un grand projet fluvial.
2. Les bateaux à passagers constituent quant à eux un secteur dactivité dont il est moins souvent question que celui du transport de marchandises. Il est néanmoins très important sur le plan économique et en termes demploi, comme vous lavez souligné.
Sur le plan réglementaire, ont été adoptés en 1998 un arrêté sur la composition des équipages et un arrêté agréant des organismes de formation des agents de sécurité, qui répondent aux attentes des exploitants.
Par contre, il est exact que des solutions satisfaisantes nont pas encore été mises en oeuvre quant à lencadrement des sorties scolaires et pour régler les difficultés rencontrées à Paris par les bateaux à passagers qui reçoivent du public à quai.
Concernant les sorties scolaires, un accord de principe a été obtenu du ministère de léducation nationale mais des difficultés subsistent quant à la mise en oeuvre. Nous avons relancé les services du ministère de léducation nationale pour que ce problème soit résolu au plus vite.
Quant aux bateaux à passagers à Paris, des solutions ont été recherchées mais nont pu encore aboutir, compte tenu de la position de la préfecture de police sur la réglementation à appliquer à ces bateaux lorsquils reçoivent du public à quai. Une nouvelle approche a été adoptée par mes services et devrait être soumise aux professionnels intéressés très rapidement avant que soient reprises les négociations interministérielles.
Pour accélérer le règlement de ces problèmes, jinterviens auprès de mes deux collègues.
3. En matière de relations sociales et demploi, les démarches engagées ont donné de bons résultats et doivent être poursuivies.
Je me félicite en premier lieu de la bonne concertation entre le ministère et le Comité des armateurs fluviaux sur le projet de réglementation communautaire relative au temps de repos, au temps de conduite et à la composition des équipages, en cours délaboration par la Commission européenne.
Les objectifs dharmonisation et de sécurité poursuivis au niveau communautaire sont positifs mais, il est important en effet de veiller à ce que la réglementation tienne compte des réalités diverses de la navigation, notamment en France, et nimpose pas le standard rhénan qui correspond à des conditions de navigation et dexploitation spécifiques, même sil peut constituer une base de travail intéressante.
Par ailleurs, le transport fluvial est actuellement lun des secteurs exclus du champs dapplication de la directive de 1993 concernant certains aspects de laménagement du temps de travail.
Afin doffrir à tous les travailleurs de ce secteur, salariés et indépendants, les mêmes garanties de protection en terme de santé et de sécurité et de permettre une concurrence loyale entre les divers modes de transport, le Gouvernement souhaite que le temps de travail des travailleurs du transport fluvial fasse également lobjet dune réglementation européenne.
Concernant enfin la demande dextension des accords de juillet 1998 relatifs à la durée et à lorganisation du travail dans la navigation intérieure, le ministère de lemploi et de la solidarité a été consulté et une réponse vous sera apportée très prochainement.
En guise de conclusion, Monsieur le Président, je vous propose de regarder le passé pour mieux appréhender lavenir.
Dans un passé lointain désormais le transport fluvial a connu un âge dor, érigé depuis à létat de mythe par certains, objet de nostalgie pour dautres. Le passé plus récent a surtout été marqué par le déclin entraînant le désintérêt et la dégradation du réseau, en même temps que la tentation de considérer que de grands projets - toujours repoussés - pouvaient à eux seuls tenir lieu de politique.
Aujourdhui le Gouvernement marque sa volonté darrêté la dégradation du réseau existant et den faire un enjeu pour le développement de notre territoire.
Il sefforce parallèlement de donner à la voie deau sa place dans les débats sur les grands équipements du Pays, de manière objective, réaliste et responsable.
Je suis certain que tous les professionnels du transport fluvial sassocieront à cette démarche pour montrer que ce mode de transport est un transport davenir.