Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, à France-Inter le 14 octobre 2008, sur le projet pour une "croissance verte", les engagements du Grenelle de l'environnement au niveau industriel, la mise en place d'une contribution "climat - énergie", et la crise financière.

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Circonstance : Examen du projet de loi de programme relatif à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, à l'Assemblée nationale le 14 octobre 2008

Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand - Le débat sur le Grenelle cède la place à celui sur les mesures exceptionnelles de soutien à l'économie en cette période de crise financière. Simple péripétie ou, comment dire, événement révélateur de ce vieux débat entre la priorité à l'écologie ou la priorité à l'économie ?
Ce n'est pas une péripétie que le Parlement se saisisse, enfin soit saisi, par le Gouvernement de ce plan d'urgence, présenté par l'Union européenne et par le président Sarkozy. Permettez-moi d'en dire quand même un mot, parce que, on était face à un risque de désastre économique et social quasi planétaire ; les plans américains n'avaient pas produit les effets escomptés alors que la crise était d'origine américaine. Et je ne peux que constater que l'Union européenne, et ses près de 500 millions d'habitants, sous l'autorité du président Sarkozy, a, en 15 jours, monté un plan qui nous éloigne, je pense très sérieusement, de ce risque. C'est quand même, je crois, la première fois depuis très très longtemps que, face à une crise pareille, l'Europe de manière coordonnée, sous une présidence française, au fond, est en train de, alors, je ne sais pas si on peut dire sauver le monde, mais enfin en tous les cas, d'influencer non seulement l'Europe mais le reste de la planète.
Elle est née, là, l'Europe politique ?
En tous les cas, c'est la démonstration que, lorsque l'Europe, lorsqu'il y a une présidence qui voit clair, qu'on coordonne l'action, qui est urgente - il faut dire quand même les choses, l'urgence l'exigeait - qu'on tape juste, fort, précisément en faisant la véritable analyse, eh bien oui, l'Europe est dans ce cas-là absolument décisive.
Alors, dites-moi votre analyse de cette question de l'écologie et de l'économie. Parce que, très souvent on entend que l'écologie, au fond, est un luxe et c'est un luxe qu'on ne pourrait pas avoir les moyens de se payer en temps de crise. Que répondez-vous à ça ?
Je ne réponds même plus, parce que je crois que c'est passé de mode ce genre de...
Vraiment ?
Oui, vraiment. Tout le monde a très bien compris que l'adaptation au changement climatique va doper la croissance. J.-P. Fitoussi avait fait un très bel article là-dessus. Je crois que personne ne conteste que la croissance verte, c'est-à-dire l'adaptation de nos bâtiments - publics, privés, entreprises -, l'adaptation de nos usines, l'accélération de grandes infrastructures ferroviaires, les canaux, l'évolution de nos industries vers une société sobre en énergie et respectueuse de la planète, est un acte de croissance. De surcroît, il se trouve que la France a plutôt des compétences puissantes en matière d'eau, en matière de déchets, en matière d'énergie. Donc, vraiment, vraiment, vraiment, personne, au fond, ne discute que cette transition qui passe par la relance d'investissements rentables, publics ou privés, est absolument nécessaire.
Une question de prospective : on parle beaucoup, suite à cette crise du monde tel qu'il en ressortira, ressortira transformé, le monde que dessine le Grenelle de l'environnement, vous le voyez quand dans les rails, vraiment adopté pleinement ?
Je le vois tous les jours. Alors, c'est tous les jours un petit peu.
Tous les jours est une bataille, j'imagine, mais...
Non, non, non...
...ce monde de la croissance verte, c'est quoi, dans dix ans, quinze ans ?
Non, c'est maintenant, c'est maintenant. On a signé il y a un mois le TGV Paris-Bretagne, le contournement de Nîmes, la déclaration d'utilité publique pour enfin ce Grand canal Seine Nord, qui va transférer une partie massive de camions sur les canaux ; c'est le bonus-malus écologique. Un sondage Sofres disait que 60 ou un peu plus, près de 80 % des Français considéraient que ça avait changé leur comportement, ça avait changé le comportement de leur entreprise, de leur entreprise, et de leur collectivité, enfin de leur commune, pour dire les choses simplement. Donc, on voit bien que cette évolution... Il n'y a pas une journée, ou je ne vois pas une initiative, dans tous les domaines - dans tous les domaines ! - qui prospère. Tout le monde sait très bien que le green business est là, et tout le monde... Alors, chacun le fait à sa manière : dans les comportements quotidiens... Moi je suis très, très, très frappé de cette évolution en un an.
Et la taxe carbone c'est pour quand ?
Il y a deux taxes carbone, si j'ose dire. Il y a la taxe carbone européenne, alors ça, c'est - j'espère que la directive sera adoptée et qu'elle sera adoptée en décembre. Elle sera en efficacité en 2012. Plus exactement son caractère payant obligatoire. En ce qui concerne la France, on met en place une conférence de consensus pour regarder la contribution "climat-énergie". Contribution "climat-énergie" ce n'est pas tout à fait la même chose, mais ça ressemble à ça. L'idée générale c'est de compenser, de donner un prix, d'une certaine manière, à l'énergie, différent du prix actuel, et de le compenser par d'autres avantages, de façon à ce que ce soit neutre. C'est très difficile pour dire les choses honnêtement, personne ne conteste sa difficulté, personne ne conteste d'ailleurs son intérêt. Donc, comme il est indiqué, avant Noël, nous démarrerons la conférence de consensus de toutes les parties, et puis on étudiera ça dans le courant de l'année prochaine.
Et ça pourrait arriver dans une traduction législative concrète à quel moment, à vue de nez, enfin s'il y a une fourchette ?
Non, sincèrement je ne peux pas vous dire, il faut vraiment qu'on regarde ces choses sérieusement. L'idée générale, pour qu'on comprenne bien, de quoi s'agit-il ? Il s'agit de donner un signal prix au fond aux énergies fossiles. On voit bien que le pétrole, tout d'un coup, monte à 140 puis il redescend à 86, alors que, assez raisonnablement, dans les dix ou vingt ans qui viennent, en tout état de cause, on va être sur une raréfaction majeure et il faut, de toute façon, nous désintoxiquer du pétrole pour des tas de raisons, à la fois financières, géopolitiques, etc., etc. Bien. Donc, l'idée c'est d'avoir un signal prix, mais en même temps attention au pouvoir d'achat, comment on s'assure qu'on rend autant de pouvoir d'achat que...Bon. Voyez, c'est difficile avec des catégories socioprofessionnelles ou sociales qui sont très différentes. Donc, l'idée on la comprend bien, elle a été défendue dans le cadre du pacte...
Mais politiquement et socialement, c'est très compliqué, c'est ça ce que vous voulez faire comprendre ?
D'abord, techniquement c'est compliqué. Tout le monde est d'accord sur la neutralité totale, bon. Et puis, pour tout vous dire, il n'y a pas une recette, donc, on a dit qu'on étudierait à fond. J'aime bien le processus des conférences de consensus, qui consiste à aller regrouper toutes les informations de scientifiques disponibles, et mettre des gens très différents autour de la table pour essayer de trouver une solution commune.
Pensez-vous que la crise financière va avoir des conséquences longues, durables, sensibles, sur l'économie réelle ?
Ecoutez, très franchement, oui, probablement, probablement. De quelle ampleur ? Je suis incapable de l'apprécier. Mais je ne veux pas être obsédé, mais très franchement, la croissance verte est le projet économique et industriel de notre pays. Cette bataille est mondiale ; la Chine s'est lancée, d'une manière absolument déterminée, dans cette bataille ! On le voit en matière automobile. Elle est où la bataille automobile ? Elle est sur le design aujourd'hui, elle est sur la puissance des moteurs, elle est sur l'accélération aux 1.000 mètres ? Pas du tout. Elle est sur le transport, dans des conditions d'agrément ou de confort, mais avec des voitures complètement "décarbonées". Or, là, on a une vraie bataille industrielle, et le Grenelle, enfin tout ce qui va autour, c'est l'outil de conquête industrielle de notre pays.
Et donc, à vous entendre, de réponse à la crise ?
Absolument.
Source Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 14 octobre 2008