Texte intégral
Q - Bienvenue sur le plateau du "blog politique". Vous êtes secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, autant dire que cette semaine a été un petit peu chargée. Vous êtes aussi bloggeur ; on voit d'ailleurs quelques images de votre blog sur l'écran. Un blog que vous tenez à jour, puisque jeudi soir, à peine rentré du Conseil européen, vous écriviez déjà quelques pages. A l'issue de ce Conseil, vous dites que "L'Europe du statu quo est morte". Cela veut dire que l'Europe a rencontré Nicolas Sarkozy ou que Nicolas Sarkozy a rencontré l'Europe ?
R - Les deux. L'Europe a rencontré Nicolas Sarkozy et Nicolas Sarkozy a rencontré l'Europe. Des crises ont affecté l'Europe : une crise internationale avec le conflit entre la Géorgie et la Russie, une crise financière, une crise économique ... Tous ces éléments font qu'il y aura un avant et un après. On a renouvelé certaines méthodes et certaines procédures. On a fait preuve d'inventivité et d'innovation pour avoir des dialogues plus francs, plus directs, et sortir d'une certaine langue de bois. Donc, au bout du compte, je pense effectivement que quelles que soient les orientations, le statu quo n'est plus de mise. L'Europe sera condamnée à avancer et à reprendre les innovations qui ont été faites dans cette période de gestion de crise.
Q - Vous dites aussi : "Rien ne s'est passé comme prévu". Pourtant on savait que les Vingt-sept allaient souscrire au plan qui avait été fixé dimanche dernier à Paris par l'Eurogroupe pour sauver le système bancaire. Qu'est-ce qui ne s'est pas passé comme prévu ?
R - Rien ne s'est passé comme prévu dans la mesure où, au début de la Présidence française, nous ne pouvions pas savoir que cette présidence allait être dominée par les crises internationales et surtout par une crise économique et financière de cette dimension.
Dans le déroulé du Conseil, ce qui ne s'est pas passé comme prévu, c'est que nous sommes allés au-delà de ce que l'on pouvait attendre en terme de coordination et d'accord sur un diagnostic partagé. Vous dîtes qu'il était entendu que les vingt-sept endossent ce qui avait été défini par les chefs d'Etat et de gouvernement dans le cadre de l'Eurogroupe, cela n'était pas évident.
Q - C'est un peu une Europe à deux vitesses qui se met en place ?
R - Non, c'est nouveau et c'est là où il n'y a plus de statu quo. C'est une Europe avec une coopération sur le plan économique et financier entre des pays qui ont des responsabilités plus fortes les uns que les autres, comme les membres du G7 ou d'autres enceintes internationales, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la France, l'Italie. Ensuite, certains pays, ce n'est pas une nouveauté, possèdent une monnaie commune et ont une coordination budgétaire, une banque centrale en commun...
Q - ... et imposent leurs règles du jeu...
R - Non, c'est là qu'il faut jouer la solidarité. C'est ce qui est intéressant dans la séquence. Il y a eu des coopérations étroites entre les pays que j'ai indiqués. Une coopération étroite sur une idée lancée par le président Zapatero lors de la réunion de l'Eurogroupe, ainsi qu'une coordination et une coopération avec le Royaume-Uni qui est pourtant en dehors de l'Euro. Les Vingt-sept ont ensuite partagé des orientations politiques, avec une solidarité forte entre l'Eurogroupe et ceux qui sont hors de la zone euro. Je trouve que pour les Européens, c'est une avancée majeure. C'est une double avancée, d'une part parce qu'il y a plus de coordination, plus de gouvernement économique et financier dans le cadre de l'Eurogroupe - ce que nous, Français, demandions depuis quelques années toutes sensibilités confondues - et, d'autre part, parce qu'il y a une réelle solidarité entre la zone euro et les autres partenaires. Quelque chose de nouveau est en train de se nouer, sans que ce soit à deux vitesses.
Q - On va maintenant regarder la première question d'internaute : "Parmi les Vingt-sept, qui est généralement le plus agréable et le plus conciliant dans les négociations ?"
R - Il n'y a pas de règles générales. Cela change en fonction des dossiers ou des périodes. Il y a une tradition qui voudrait que nos amis du Bénélux, notamment nos voisins luxembourgeois soient aidant... C'est vrai qu'ils favorisent le compromis, mais, sur des questions institutionnelles, ils sont parfois extrêmement fermes. Il y a toujours cet axe privilégié franco-allemand, mais sur des questions industrielles, nous pouvons parfois avoir des divergences. On dit que les nouveaux Etats membres sont parfois difficiles, mais on voit que dans la majorité des cas, ils sont assez légitimistes. L'accord économique trouvé sur la crise, à vingt-sept, en est un exemple.
Q - Mais là, les moins accommodants sur la crise économique, c'était les Tchèques...
R - Oui, au départ, mais à l'arrivée, il y a eu un signe de la part des Tchèques et le Premier ministre a salué le président du Conseil, Nicolas Sarkozy. C'est cela qui fait du Conseil européen un moment vivant : ce qui commence parfois dans la tension peut finir dans la compréhension. Il n'y a pas de règles générales. C'est ce qui fait tout le mystère de l'Europe et sa grande richesse. Chacun veut aboutir au compromis, je n'ai jamais vu non plus d'irréductibles.
Q - Vous avez des appréhensions sur la Présidence tchèque qui suivra la Présidence française ?
R - Je crois que nos amis tchèques sont conscients de leurs responsabilités. Ils voient bien que nous sommes dans une situation institutionnelle difficile depuis le "non" Irlandais. Je crois en leur sens des responsabilités. C'est un grand pays symbole de la chute du communisme qui va assurer la Présidence de l'Union européenne. Je pense qu'ils savent qu'ils ont une responsabilité historique et qu'ils pourront être, avec le soutien de l'ensemble des partenaires, à la hauteur des événements. Je crois que cela va bien se passer.
Q - On est à mi-chemin de cette Présidence française. Si on fait le bilan des quatre priorités que s'était fixées la France avant que la crise vienne mettre son nez dans la présidence : le Pacte pour l'immigration, c'est fait. En revanche le Paquet énergie-climat, c'est-à-dire la lutte contre le changement climatique, cela pose un peu plus problème ?
R - C'est un enjeu extrêmement important. C'est notre mode de développement qui est en jeu. Ce n'est pas la crise financière qui fait que les impératifs liés au climat et à l'énergie doivent passer au second plan. Je dirais même au contraire : cela rend plus urgent le changement du modèle de développement. Mais c'est difficile parce que les économies européennes ne sont pas toutes au même stade de développement et n'ont pas toutes la même structure énergétique. Il faut tenir compte de la spécificité énergétique de chacun...
Q - Ce serait la Pologne avec son charbon ?
R - La Pologne avec son charbon, mais d'autres pays aussi, comme la Hongrie ou la Lituanie qui est devant une impasse sur le plan énergétique avec la fermeture d'une centrale nucléaire qui lui a été imposée lorsqu'elle a adhéré à l'Union, pour des raisons de sécurité parfaitement légitimes. Ces pays ont un certain nombre de problèmes. Pour autant, l'Europe doit rester leader sur le plan mondial dans le cadre du développement durable et ce qui se passe actuellement rend encore plus nécessaire cette adaptation.
Q - Les deux autres points sont l'agriculture et la défense. Il y aura des accords avant la fin de l'année ?
R - En ce qui concerne l'agriculture et au vu des travaux importants qui ont été faits par Michel Barnier, je pense que l'on aura un accord sur le bilan de santé de la Politique agricole commune au Conseil Agriculture du mois de novembre. Chacun voit bien, compte tenu de la crise alimentaire, que le modèle européen doit être préservé.
En ce qui concerne la politique de la défense, je crois que le conflit entre la Russie et la Géorgie a montré qu'il était nécessaire de réviser la stratégie de sécurité européenne et de l'adapter à de nouvelles menaces, à de nouveaux risques. Il y a également un certain nombre de programmes opérationnels, notamment des programmes aéronavals et aéroportés, qui pourront être mis en oeuvre, je l'espère, au mois de décembre.
Q - On va passer à la deuxième question d'internaute : "Vous suivez peut-être ça de loin, mais quel est votre favori pour remplacer François Hollande au PS ?"
R - Je m'interdis bien évidemment de porter tout jugement sur la situation du parti socialiste, ce ne serait pas digne de ma part. J'y ai des amis. Je suis avec attention, en tant que citoyen, ce qui s'y passe. Ce qui me paraît important, c'est qu'il y ait une adaptation par rapport aux réalités économiques et sociales et à l'évolution de la mondialisation.
Q - Vous voulez vous présenter aux élections européennes qui sont dans votre terrain de prédilection avec une étiquette UMP face à... ?
R - Non.
Q - Vous ne voulez pas d'avantage investir le champ politique ?
R - Non, c'est très clair dans mon esprit. Si j'avais dû avoir un engagement politique, je l'aurai eu il y a quelques années déjà. C'est quelque chose que je ne ferai pas.
Q - Et vous pensez que l'ouverture a apporté quelque chose à la présidence de Nicolas Sarkozy, ou était-ce un effet d'annonce ?
R - Je crois sincèrement que cela n'était pas un effet d'annonce. L'ouverture a apporté en terme de sensibilité sur un certain nombre de sujets, sur la politique européenne, sur des sujets d'ordre intérieur, des sujets éthiques... Je crois que cela a joué. Après, il y a les réalités économiques et sociales qui ont fait également ce qu'est aujourd'hui le président de la République. La situation montre que les réformes sont nécessaires et qu'il faut les continuer pour s'adapter à un monde nouveau et difficile. De plus, on le voit bien avec les crises, l'intervention et la régulation, qui sont plutôt des thèmes de gauche, se retrouvent aujourd'hui dans le discours du président de la République. Je crois donc qu'il y a eu un enrichissement mutuel.
Q - Bien, troisième question d'internaute : "Ne pensez vous pas que vos compétences manqueront à l'Europe, si vous décidez de vous retirer au moment, où l'Irlande fait tout pour la déstabiliser ?"
R - Je suis à la disposition du président de la République. On ne décide pas de son poste, de son affectation. Ce dont j'ai envie, c'est de continuer à servir la France et l'Etat compte tenu de mon profil et de mon recul par rapport à l'engagement politique actif. Et je ferais ce que le président de la République me dira de faire.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 octobre 2008