Texte intégral
Depuis quand connaissez-vous Alfred Sirven ?
Depuis 1985. C'était un gaulliste, engagé dans la Résistance. Il a demandé à me voir pour le compte de son patron pour lequel il faisait du lobbying, Loïk Le Floch-Prigent, qui était alors à Rhône-Poulenc. En 1986, nous allions rentrer au gouvernement, avec un programme clair de privatisations. Le Floch-Prigent avait fait un texte disant que, pour lui, les privatisations étaient une chance pour les entreprises publiques. Il voulait rester à la tête de Rhône-Poulenc. Je serais incapable de dire combien de fois par la suite j'ai revu Alfred Sirven, quelqu'un pour lequel j'avais de la sympathie. Il a refait surface en 1993, au moment de la constitution du gouvernement Balladur.
Comment s'est déroulée la privatisation d'Elf ?
J'ai toujours considéré qu'Elf était un élément important de la politique nationale et que se défausser de cette carte était une erreur monumentale. François Mitterrand était de cet avis. Mais Edouard Balladur et Alain Madelin voulaient privatiser. De plus, Edouard Balladur considérait Le Floch comme une pièce importante du dispositif socialiste et il pensait qu'Elf pouvait être une source de financement du PS. Il a remplacé Le Floch par un de ses proches, Philippe Jaffré, parce qu'il voulait couper les vivres aux socialistes, mais aussi parce qu'il voulait s'assurer qu'il n'y aurait pas de soutien d'Elf à un de ses concurrents à l'élection présidentielle.
Vous pensez à Jacques Chirac...
Peut-être avait-il cette pensée. Jacques Chirac avait des amis chez Elf. André Tarallo est l'un d'eux. Ils sont de la même promotion de l'ENA.
Comment saviez-vous qu'Elf était " une pompe à finances " ?
Cela se murmurait dans Paris. On savait de temps en temps que des gens étaient "recasés", recyclés chez Elf... mais personne ne se doutait de l'ampleur des choses. D'ailleurs, comment pouvait-on s'en douter ? Les fonds d'Elf devaient être contrôlés. La question qui se pose est de savoir si des fonds considérables ont pu échapper aux contrôles et comment.
Dans votre propre entourage, certains de vos collaborateurs ont été salariés par Elf, via Sirven. Etiez-vous au courant ?
Alfred Sirven venait me voir, et nous discutions de choses et d'autres, mais jamais je n'ai parlé affaires avec lui. Il a tissé sa toile, assez habilement du reste, a fait du lobbying et semble s'être assuré les services de gens dans mon entourage. Je l'ai découvert récemment. Si je l'avais su à l'époque, je n'aurais pas laissé développer ces choses-là.
Quand vous rencontriez François Mitterrand en secret dans la villa de Louveciennes du docteur Raillard, Sirven était-il là ?
Evidemment non. Je n'avais pas besoin de lui pour rencontrer le président de la République.
Avez-vous voyagé à bord d'avions d'Elf sous le nom de code Fernandel ?
C'est ridicule ! Absurde !... Oui, j'ai voyagé une ou deux fois en Afrique à bord d'avions d'Elf, quand j'étais ministre. Mais si la question est : " Avez-vous utilisé ces avions lors de campagnes électorales ? ", la réponse est non.
Toujours en Afrique, les juges de l'affaire Falcone s'intéressent aux ventes d'armes en Angola... Au début des années 90, vous étiez plutôt partisan de Jonas Savimbi, l'opposant de l'Unita, puis vous avez soutenu le général Dos Santos, celui qui a acheté les armes via Falcone. Les juges soupçonnent ensuite une sorte de " renvoi d'ascenseur "...
C'est vrai, j'avais davantage de sympathie pour Savimbi alors que Dos Santos sortait d'une période marxiste. J'ai reçu Dos Santos à Paris et il m'a proposé de servir de médiateur entre lui et Savimbi lorsqu'il est venu en visite officielle, cela ne m'a pas tenté. Mais Monsieur Falcone, que je ne connais pas, n'a joué strictement aucun rôle là-dedans. Point final. La conséquence de cette affaire de prétendu " trafic d'armes " dans lequel je n'ai rien à voir, je la prévois, hélas ! Le régime angolais, reconnu par l'ONU, qui jusque-là a accordé à la France d'importantes concessions pétrolières, va décider de passer dans le camp américain. Bien sûr, ce n'est pas le problème des juges ! Mais c'est le problème de la France. On a déjà failli perdre le Gabon, il s'en est fallu d'un cheveu, on va perdre l'Angola. Aucun chef d'Etat africain ne croira que le gouvernement français ou le président de la République ne sont pas capables de dire à des juges français qu'ils vont trop loin.
Pourtant, ces magistrats ont mis à jour, en marge des contrats pétroliers ou d'armes en Afrique, des mécanismes de corruption...
En quoi cela nous concerne-t-il ? Est-on chargé de faire la morale au monde entier ? Vous croyez que les Américains se gênent pour négocier leurs contrats ?
Les juges du dossier Falcone s'intéressent à un versement d'un million et demi de francs à l'association France Afrique Orient, qui était dans les mêmes locaux que Demain la France, votre mouvement politique. Connaissiez-vous ces versements ?
Demain La France était une association loi 1901 qui avait pour objet de défendre les relations franco-africaines. En tant qu'association, elle avait le droit de recevoir des dons de qui elle voulait. A-t-elle bénéficié d'une aide d'un million et demi ? Je n'en sais rien. Quant à Demain la France, ce mouvement politique n'a, bien entendu, reçu aucun centime de cette association.
Les enquêteurs du dossier Falcone s'intéressent aussi à un prêt au RPF de 4 MF, versé par Marthe Mondoloni, qui travaille au Gabon. Ils soupçonnent ces fonds d'être liés à ceux de Falcone...
Mm e Mondoloni a suffisamment d'argent et reste libre d'en faire ce qu'elle veut. Les juges ont des idées préconçues. Ce prêt est un prêt réel ! Je les défie de prouver le contraire. Ils ont saisi les comptes du RPF ainsi que la liste des deux mille donateurs. Est-ce que Falcone et Gaydamak font partie de ces listes ? Non ! C'est pourtant facile à vérifier. Cela fait deux mois que j'ai écrit au juge pour que l'on nous rende ces documents ! C'est quand même un parti politique ! Seulement, au lieu d'instruire à charge et à décharge, ils instruisent uniquement à charge. C'est inacceptable.
Où va-t-on dans une démocratie si ceux qui sont chargés de faire appliquer les règles ne les respectent pas eux-mêmes.
Etes-vous partisan de la suppression du juge d'instruction ?
Les juges devraient s'interroger. Il y a une école de pensée en France qui est pour la suppression du juge actuel et qui est favorable à l'introduction d'un système anglo-saxon, où le procureur instruit à charge face à une défense plus forte. Par ailleurs, les décisions judiciaires européennes vont aussi dans le sens d'un droit anglo-saxon, qui est basé davantage sur la jurisprudence que sur la loi. Je ne me réjouis pas de ces évolutions, je pense que cela va à l'encontre des valeurs juridiques de notre civilisation latine et romaine.
Comment expliquez-vous que votre nom soit cité dans autant d'affaires, en particulier en Afrique où les casinos détenus par des Corses sont nombreux ?
Les Français d'origine corse ont joué un rôle important dans ce qui était l'empire, dans l'administration, la justice, l'éducation. Il y a depuis une sympathie réelle entre les Corses et les Africains. J'ai toujours aidé les Africains et je n'ai jamais été intéressé par les affaires, chacun le sait. Pour le reste, que des Corses possèdent des casinos, c'est licite. Assez d'attaques ou d'insinuations de ce type ! C'est à la limite de la discrimination condamnée par la loi.
Pensez-vous qu'Alfred Sirven, lorsqu'il sera à la barre du tribunal, fera " sauter vingt fois la République " ?
Ce sont des mots. Sirven est un patriote, quelqu'un de courageux. Pendant qu'il n'était pas là, on l'a chargé de tous les maux de la terre. Maintenant qu'il est là, les choses vont être différentes. Chacun devra assumer ses responsabilités. De là à mettre en péril la République...
(source http://www.rpfie.org, le 2 mars 2001)
Depuis 1985. C'était un gaulliste, engagé dans la Résistance. Il a demandé à me voir pour le compte de son patron pour lequel il faisait du lobbying, Loïk Le Floch-Prigent, qui était alors à Rhône-Poulenc. En 1986, nous allions rentrer au gouvernement, avec un programme clair de privatisations. Le Floch-Prigent avait fait un texte disant que, pour lui, les privatisations étaient une chance pour les entreprises publiques. Il voulait rester à la tête de Rhône-Poulenc. Je serais incapable de dire combien de fois par la suite j'ai revu Alfred Sirven, quelqu'un pour lequel j'avais de la sympathie. Il a refait surface en 1993, au moment de la constitution du gouvernement Balladur.
Comment s'est déroulée la privatisation d'Elf ?
J'ai toujours considéré qu'Elf était un élément important de la politique nationale et que se défausser de cette carte était une erreur monumentale. François Mitterrand était de cet avis. Mais Edouard Balladur et Alain Madelin voulaient privatiser. De plus, Edouard Balladur considérait Le Floch comme une pièce importante du dispositif socialiste et il pensait qu'Elf pouvait être une source de financement du PS. Il a remplacé Le Floch par un de ses proches, Philippe Jaffré, parce qu'il voulait couper les vivres aux socialistes, mais aussi parce qu'il voulait s'assurer qu'il n'y aurait pas de soutien d'Elf à un de ses concurrents à l'élection présidentielle.
Vous pensez à Jacques Chirac...
Peut-être avait-il cette pensée. Jacques Chirac avait des amis chez Elf. André Tarallo est l'un d'eux. Ils sont de la même promotion de l'ENA.
Comment saviez-vous qu'Elf était " une pompe à finances " ?
Cela se murmurait dans Paris. On savait de temps en temps que des gens étaient "recasés", recyclés chez Elf... mais personne ne se doutait de l'ampleur des choses. D'ailleurs, comment pouvait-on s'en douter ? Les fonds d'Elf devaient être contrôlés. La question qui se pose est de savoir si des fonds considérables ont pu échapper aux contrôles et comment.
Dans votre propre entourage, certains de vos collaborateurs ont été salariés par Elf, via Sirven. Etiez-vous au courant ?
Alfred Sirven venait me voir, et nous discutions de choses et d'autres, mais jamais je n'ai parlé affaires avec lui. Il a tissé sa toile, assez habilement du reste, a fait du lobbying et semble s'être assuré les services de gens dans mon entourage. Je l'ai découvert récemment. Si je l'avais su à l'époque, je n'aurais pas laissé développer ces choses-là.
Quand vous rencontriez François Mitterrand en secret dans la villa de Louveciennes du docteur Raillard, Sirven était-il là ?
Evidemment non. Je n'avais pas besoin de lui pour rencontrer le président de la République.
Avez-vous voyagé à bord d'avions d'Elf sous le nom de code Fernandel ?
C'est ridicule ! Absurde !... Oui, j'ai voyagé une ou deux fois en Afrique à bord d'avions d'Elf, quand j'étais ministre. Mais si la question est : " Avez-vous utilisé ces avions lors de campagnes électorales ? ", la réponse est non.
Toujours en Afrique, les juges de l'affaire Falcone s'intéressent aux ventes d'armes en Angola... Au début des années 90, vous étiez plutôt partisan de Jonas Savimbi, l'opposant de l'Unita, puis vous avez soutenu le général Dos Santos, celui qui a acheté les armes via Falcone. Les juges soupçonnent ensuite une sorte de " renvoi d'ascenseur "...
C'est vrai, j'avais davantage de sympathie pour Savimbi alors que Dos Santos sortait d'une période marxiste. J'ai reçu Dos Santos à Paris et il m'a proposé de servir de médiateur entre lui et Savimbi lorsqu'il est venu en visite officielle, cela ne m'a pas tenté. Mais Monsieur Falcone, que je ne connais pas, n'a joué strictement aucun rôle là-dedans. Point final. La conséquence de cette affaire de prétendu " trafic d'armes " dans lequel je n'ai rien à voir, je la prévois, hélas ! Le régime angolais, reconnu par l'ONU, qui jusque-là a accordé à la France d'importantes concessions pétrolières, va décider de passer dans le camp américain. Bien sûr, ce n'est pas le problème des juges ! Mais c'est le problème de la France. On a déjà failli perdre le Gabon, il s'en est fallu d'un cheveu, on va perdre l'Angola. Aucun chef d'Etat africain ne croira que le gouvernement français ou le président de la République ne sont pas capables de dire à des juges français qu'ils vont trop loin.
Pourtant, ces magistrats ont mis à jour, en marge des contrats pétroliers ou d'armes en Afrique, des mécanismes de corruption...
En quoi cela nous concerne-t-il ? Est-on chargé de faire la morale au monde entier ? Vous croyez que les Américains se gênent pour négocier leurs contrats ?
Les juges du dossier Falcone s'intéressent à un versement d'un million et demi de francs à l'association France Afrique Orient, qui était dans les mêmes locaux que Demain la France, votre mouvement politique. Connaissiez-vous ces versements ?
Demain La France était une association loi 1901 qui avait pour objet de défendre les relations franco-africaines. En tant qu'association, elle avait le droit de recevoir des dons de qui elle voulait. A-t-elle bénéficié d'une aide d'un million et demi ? Je n'en sais rien. Quant à Demain la France, ce mouvement politique n'a, bien entendu, reçu aucun centime de cette association.
Les enquêteurs du dossier Falcone s'intéressent aussi à un prêt au RPF de 4 MF, versé par Marthe Mondoloni, qui travaille au Gabon. Ils soupçonnent ces fonds d'être liés à ceux de Falcone...
Mm e Mondoloni a suffisamment d'argent et reste libre d'en faire ce qu'elle veut. Les juges ont des idées préconçues. Ce prêt est un prêt réel ! Je les défie de prouver le contraire. Ils ont saisi les comptes du RPF ainsi que la liste des deux mille donateurs. Est-ce que Falcone et Gaydamak font partie de ces listes ? Non ! C'est pourtant facile à vérifier. Cela fait deux mois que j'ai écrit au juge pour que l'on nous rende ces documents ! C'est quand même un parti politique ! Seulement, au lieu d'instruire à charge et à décharge, ils instruisent uniquement à charge. C'est inacceptable.
Où va-t-on dans une démocratie si ceux qui sont chargés de faire appliquer les règles ne les respectent pas eux-mêmes.
Etes-vous partisan de la suppression du juge d'instruction ?
Les juges devraient s'interroger. Il y a une école de pensée en France qui est pour la suppression du juge actuel et qui est favorable à l'introduction d'un système anglo-saxon, où le procureur instruit à charge face à une défense plus forte. Par ailleurs, les décisions judiciaires européennes vont aussi dans le sens d'un droit anglo-saxon, qui est basé davantage sur la jurisprudence que sur la loi. Je ne me réjouis pas de ces évolutions, je pense que cela va à l'encontre des valeurs juridiques de notre civilisation latine et romaine.
Comment expliquez-vous que votre nom soit cité dans autant d'affaires, en particulier en Afrique où les casinos détenus par des Corses sont nombreux ?
Les Français d'origine corse ont joué un rôle important dans ce qui était l'empire, dans l'administration, la justice, l'éducation. Il y a depuis une sympathie réelle entre les Corses et les Africains. J'ai toujours aidé les Africains et je n'ai jamais été intéressé par les affaires, chacun le sait. Pour le reste, que des Corses possèdent des casinos, c'est licite. Assez d'attaques ou d'insinuations de ce type ! C'est à la limite de la discrimination condamnée par la loi.
Pensez-vous qu'Alfred Sirven, lorsqu'il sera à la barre du tribunal, fera " sauter vingt fois la République " ?
Ce sont des mots. Sirven est un patriote, quelqu'un de courageux. Pendant qu'il n'était pas là, on l'a chargé de tous les maux de la terre. Maintenant qu'il est là, les choses vont être différentes. Chacun devra assumer ses responsabilités. De là à mettre en péril la République...
(source http://www.rpfie.org, le 2 mars 2001)