Déclaration de Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, sur la création artistique et internet et la lutte contre le piratage, Paris le 29 octobre 2008.

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Circonstance : Présentation du projet de loi "création et internet" au Sénat le 29 octobre 2008

Texte intégral


Monsieur le Président,
Messieurs les rapporteurs,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous soumettre aujourd'hui vise à ce que la France saisisse pleinement la chance inédite que représente Internet pour la Culture, aussi bien pour sa démocratisation que pour tirer parti du potentiel de développement économique qu'elle recèle.
Aujourd'hui, plus d'un Français sur deux dispose d'un accès à Internet haut débit, et 62% de ceux qui sont âgés de plus de 11 ans se connectent au moins une fois par mois. Dans quelques années, chacun devrait pouvoir accéder librement, facilement et rapidement à un catalogue presque illimité de films, de titres de musique, bientôt d'oeuvres littéraires, mais aussi d'expositions virtuelles, de captations de pièces de théâtre, d'opéras.
Il est de notre responsabilité de faire en sorte que cette nouvelle offre se développe dans sa richesse et sa diversité, au bénéfice de l'ensemble de nos concitoyens : consommateurs, créateurs, entreprises de toutes les filières des industries culturelles et des réseaux de communication. Elle ne doit donc, en aucun cas, aboutir à exproprier de leurs droits certains acteurs au bénéfice d'une frange peu scrupuleuse ou inconsciente des internautes.
Des progrès remarquables ont été accomplis, au cours des deux dernières années, par les opérateurs qui offrent légalement accès à la musique et aux films sur Internet.
Plus de 3 200 films et plus de 3 millions de morceaux de musique sont aujourd'hui disponibles auprès des plates-formes de téléchargement, des chaînes de télévision, ou encore des fournisseurs d'accès à Internet. Certaines de ces offres sont gratuites, financées par la publicité ; d'autres sont payantes mais forfaitaires et permettent, notamment en matière de musique, de télécharger de façon permanente, pour quelques euros par mois, au sein de catalogues de plusieurs centaines de milliers de titres.
Le coût de cette offre pour le consommateur décroît donc rapidement, y compris pour le cinéma puisqu'il est possible pour un foyer de consulter un film pour moins de 5 euros, ou plusieurs dizaines de films pour moins de 10 euros par mois.
Il ne sera toutefois possible de faire des réseaux numériques un outil de distribution des biens culturels qui présente toutes les qualités en matière de sûreté, de richesse et de coût, que si les droits de propriété intellectuelle y sont respectés.
Nous devons pour cela lever le principal obstacle : le piratage des oeuvres sur Internet, commis sur une très grande échelle dans notre pays qui détient un triste record mondial. Un milliard de fichiers ont en effet été piratés en France en 2006, et il est probable qu'un internaute sur six environ se livre au piratage de façon régulière dans le cadre des réseaux de pair-à-pair.
Pendant des années, nous nous sommes demandés si ce phénomène représentait une réelle menace pour les créateurs et les entreprises qui les soutiennent. Nous avons dépassé désormais le stade de l'interrogation. Nous sommes à l'heure du constat. Et il est accablant :c'est à un véritable désastre économique et industriel que nous sommes en train d'assister, désastre qui se traduit également sur le terrain du renouvellement et la diversité de la création.
Le marché de la musique enregistrée est le plus atteint, avec une baisse de 50% en valeur au cours des cinq dernières années, assortie d'un fort impact sur l'emploi (30% des effectifs des maisons de production) et sur la création : de nombreux contrats d'artistes ont dû être résiliés et le nombre de nouveaux artistes « signés » chaque année a diminué de 40%.
Le cinéma s'engage sur la même pente : il y a déjà, à l'heure actuelle, autant de téléchargements illégaux journaliers - 450 000 - que d'entrées en salles. Et le marché de la vidéo a perdu un quart de sa valeur, comparable à celle de la musique enregistrée, au cours des quatre dernières années - alors même que le prix moyen des nouveautés diminuait d'un tiers.
L' année où un film français a rencontré un succès historique en salles, devrait être une année de forte hausse de la fréquentation : or ce n'est pas le cas. Tous les exploitants de salles s'en inquiètent sérieusement, car ils ont, ces dernières années, énormément investi pour rénover leurs équipements, qu'il s'agisse de multiplexes ou de petites salles rurales. Les producteurs, en particulier les PME de la production indépendante dont l'économie repose en grande partie sur le crédit, voient se renchérir les coûts des crédits bancaires.
Et, indépendamment même du contexte de crise financière, certains s'inquiètent de leur capacité d'accès au crédit, parce que l'importance des actes de piratage rend la valeur des actifs des films de plus en plus risqués pour les établissements bancaires.
Quant au livre, après avoir découvert, à la Foire de Francfort, les prouesses technologiques qui seront bientôt proposées au public, même la lectrice assidue, fervente partisane de l'objet livre que je suis a peine à croire que ce secteur n'entrera pas à son tour dans l'ère numérique. Il serait en tout cas coupable de notre part de feindre de l'ignorer. Et il est de notre devoir de prendre préventivement toutes les mesures nécessaires pour éviter que cette filière, à son tour, pâtisse des effets ravageurs du piratage.
La situation des créateurs et des entreprises françaises ne serait pas si alarmante si l'effondrement du marché des biens « physiques », CD et DVD, était compensé par l'essor des ventes dématérialisées. Mais, à l'heure qu'il est, ce naufrage n'est absolument pas rééquilibré, dans aucun secteur, par les ventes numériques. En effet, alors que dans la plupart des grands pays aux habitudes de consommation comparables aux nôtres, ces ventes décollent - elles désormais déjà plus de 25% du marché aux Etats-Unis - le taux dépasse péniblement 7% dans notre pays.
La France, qui figure dans le peloton de tête des nations au palmarès du piratage, est donc parallèlement l'une des lanternes rouges des ventes numériques.
Après un Oscar, une Palme d'or, un Pritzker Price et un Prix Nobel de littérature en 2008, la France aurait pu se passer de cette sinistre médaille.
Situation d'autant plus paradoxale que les Français n'ont jamais autant plébiscité la création nationale, comme en témoignent la part de marché du cinéma français et la vitalité de la jeune chanson française.
Situation d'autant plus tragique lorsque l'on sait que la culture occupe, dans notre PIB et dans l'emploi salarié, une part qui est presque sans équivalent dans le monde : près de 2,5% de la richesse nationale et près de 500 000 emplois, dont plus la moitié dans les industries culturelles - audiovisuel, cinéma, disque, livre et médias.
Il y a donc urgence à endiguer cette hémorragie des oeuvres sur Internet qui laissera bientôt exsangues la création et l'économie de la culture. Urgence pour cela à responsabiliser davantage l'internaute et à extraire celui qui pirate de la sphère d'irréalité, de la bulle d'apesanteur, dans laquelle il évolue aujourd'hui.
Le déni de la réalité auquel se livre, volontairement ou non, le pirate, est double.
Il consiste d'abord à méconnaître les conséquences de son comportement pour les autres - créateurs et entreprises des industries culturelles.
En effet, la disparition progressive de la rémunération du travail et des investissements indispensables à la création et à la diffusion des oeuvres, ne peut rester sans conséquences sur la situation des artistes et des salariés et, par voie de conséquence, sur la diversité culturelle et en définitive sur le richesse de l'offre dont disposera, à terme, l'amateur de musique ou de films.
Mais cette mise à l'écart du réel porte également sur les conséquences du piratage pour sa propre personne.
Il convient en effet de rappeler que la loi pose d'ores et déjà le principe de la responsabilité de l'abonné à Internet, qui est tenu par l'article L. 335-12 du code de la propriété intellectuelle de veiller à ce que son accès au réseau ne fasse pas l'objet d'une utilisation qui méconnaisse les droits de propriété littéraire et artistique. Certes, le manquement à cette obligation n'est assorti d'aucune conséquence pratique.
Il n'en demeure pas moins qu'elle figure dans les dispositions pénales du code, et qu'il n'est pas exclu qu'elle puisse servir de fondement à une action répressive, voire à une demande de réparation sous forme de dommages et intérêts.
Surtout, l'internaute qui pirate en mettant à disposition ou en téléchargeant des oeuvres protégées se rend coupable du délit de contrefaçon. A ce titre, il tombe sous le coup de sanctions pouvant aller jusqu'à 3 ans de prison et 300 000 euros d'amende, sans préjudice d'éventuels dommages et intérêts.
Un internaute qui pirate peut donc, en principe, se trouver traduit devant le tribunal correctionnel, avec tous les désagréments que cela comporte pour la vie privée : visite domiciliaire, saisie du matériel informatique, publicité de la procédure... Mais parce que ces sanctions paraissent disproportionnées et inadaptées au cas du piratage dit « ordinaire », les ayants droit répugnent aujourd'hui à y recourir : les actions engagées se limitent à quelques centaines à ce jour.
Pourront-ils s'offrir encore longtemps le luxe d'hésiter, s'ils devaient constater que les pouvoirs publics renoncent à mettre en place une solution alternative, à la fois mieux proportionnée à l'enjeu et plus efficace car praticable sur une grande échelle ?
Cette solution, le principe en a été envisagé en concertation avec les artistes et les industries culturelles dès l'élection du Président de la République, ce qui a eu pour effet de modérer les contentieux jusqu'à ce jour.
Nul doute que les procédures pénales se multiplieraient. C'est le cas en Allemagne, où les tribunaux pénaux sont saisis actuellement de plusieurs dizaines de milliers d'actions.
Je veux mentionner, enfin, les dangers du piratage qui concernent plus particulièrement les jeunes ou très jeunes internautes.
En effet, s'ils manient l'outil numérique avec une virtuosité souvent supérieure à celle de leurs parents, ils n'en demeurent pas moins particulièrement vulnérables dans leur navigation sur un Internet affranchi de toute régulation. Or, on constate sur les réseaux de pair-à-pair une offre illégale massive de films pornographiques ou violents présentés sous les apparences de films grand public. Pour se limiter à un seul exemple, celui du réseau E-donkey, 60% des fichiers d'« Astérix aux Jeux olympiques » et du « Renard et l'enfant », ou encore 45% des fichiers de « Bienvenus chez les Ch'tis », sont en réalité des films pornographiques.
L'existence d'une offre pirate porte donc une atteinte grave, pour laquelle il n'existe pas de parade technique, à la protection des mineurs, que seule l'offre légale est susceptible de garantir.
Il y a donc urgence à sortir de cette situation, aussi dangereuse pour les internautes que dramatique pour les créateurs et les industries culturelles françaises :
D'une part, dans l'intérêt des internautes, qui risquent des poursuites pénales et sapent la diversité et le renouvellement d'une offre culturelle dont ils sont pourtant de plus en plus avides ;
D'autre part, pour rétablir l'équilibre, aujourd'hui rompu dans les faits, entre deux droits fondamentaux : le droit au respect de la vie privée des internautes, d'une part, et le droit de propriété et le droit moral des créateurs et des entreprises sur les oeuvres culturelles, d'autre part.
La méthode suivie par le Gouvernement pour répondre à ce double objectif repose sur la conviction que, pour être efficaces, les solutions mises en oeuvre doivent faire l'objet d'un très large consensus préalable entre les acteurs de la Culture et de l'Internet.
C'est le sens de la mission que j'ai confiée le 5 septembre 2007 à Denis Olivennes, alors Président-directeur général de la FNAC, une mission destinée à favoriser la conclusion d'un accord entre les professionnels de la musique, du cinéma, de l'audiovisuel et les fournisseurs d'accès à Internet.
Le résultat, vous le connaissez, c'est l'accord historique signé au Palais de l'Élysée, le 23 novembre 2007, par 42 entreprises ou organisations représentatives de la Culture et de l'Internet. Cet accord s'est encore renforcé depuis avec 5 nouveaux signataires. Ce sont donc près de 50 acteurs de la culture et de l'Internet qui se sont rassemblés autour d'un plan d'action, en deux volets.
Rendre l'offre légale facilement accessible, plus riche, plus souple :
D'abord, les maisons de production de disques se sont engagées à retirer les mesures techniques de protection « bloquantes » - les fameux « DRM » - des oeuvres françaises. Ces dispositifs empêchent par exemple de consulter un même titre sur plusieurs lecteurs : l'ordinateur, le baladeur, l'auto-radio, etc.
Les DRM devaient disparaître, aux termes des accords de l'Elysée, un an après la mise en oeuvre du présent projet de loi, pour laisser à celui-ci le soin de produire ses effets. Toutefois, à l'issue d'un dialogue particulièrement constructif avec les pouvoirs publics, les maisons de disques - et notamment la première d'entre elles, UNIVERSAL - viennent de décider d'anticiper de plus d'un an la concrétisation de leur engagement : elle sera effective immédiatement, la semaine prochaine.
C'est un geste très significatif en direction des consommateurs, que je tiens à saluer comme il le mérite. Il démontre la pleine prise de conscience, de la part des industries de la musique, du lien entre piratage et offre légale. Cette prise de conscience, il faut désormais la faire partager aux pirates.]
Ensuite, le délai d'accès aux films par les services de " vidéo à la demande " (VOD) sera ramené, dès l'application de la présente loi, au même niveau que celui du DVD, c'est-à-dire à 6 mois après la sortie du film en salle. Puis, les discussions interprofessionnelles devront aboutir, dans un délai maximum d'un an, à un raccourcissement encore plus conséquent de l'ensemble des « fenêtres », qui tiendra compte de ce qui peut être observé dans les autres pays européens.
Je souhaite, bien entendu, que ces engagements soient mis en oeuvre le plus tôt possible : pourquoi pas, d'ailleurs, de façon anticipée par rapport au calendrier prévu par les accords de l'Elysée. J'ai noué un dialogue à cette fin avec les filières du cinéma [et de la musique].
Je salue à cet égard les amendements adoptés par votre commission des affaires culturelles. Ils visent à donner aux engagements de la filière cinématographique dans le domaine de la chronologie des médias, et à leur mise en oeuvre, un cadre juridique plus précis et une visibilité plus importante, notamment pour les consommateurs, tout en respectant l'autonomie des acteurs économiques.
En effet, il est fondamental à mes yeux que les internautes puissent percevoir, sans tarder, la contrepartie tangible de l'approche plus responsable d'Internet que nous voulons promouvoir à travers le présent projet de loi, approche que le Président de la République a résumé d'une formule dans laquelle chacun peut se reconnaître : « un Internet civilisé ».
Le second volet des accords de l'Elysée porte sur la lutte contre le piratage de masse : celle-ci doit changer entièrement de logique. La nouvelle approche que vous propose le Gouvernement dans le présent projet de loi est, d'une part, préventive et graduée, puisqu'aucune sanction ne pourra intervenir au premier acte de piratage. Elle vise, d'autre part, à décriminaliser le piratage, puisqu'une éventuelle sanction ne passera plus nécessairement par le juge - même si elle demeurera, bien entendu, placée sous son plein contrôle.
Quel est, sur ce second point des accords de l'Elysée, le dispositif du projet de loi « Création et Internet » ?
La base juridique sur laquelle il repose existe déjà, je l'ai mentionnée : il s'agit de l'obligation de surveillance de l'accès Internet, mise à la charge de l'abonné. Le projet du Gouvernement vise en fait à préciser le contenu de cette obligation, et à mettre en place un mécanisme de réponse dite « graduée » en cas de manquement de la part de l'abonné.
Je m'attarde un instant sur cette question. C'est bien de la responsabilité de l'abonné dont il s'agit, et non de celle du pirate, qui peut être notamment un autre membre du foyer familial. Ainsi les parents, titulaires de l'abonnement, pourront se voir avertis des conséquences d'actes de piratage commis par leurs enfants.
J'insiste, d'abord, sur le fait qu'un tel dispositif connaît de nombreux précédents dans notre droit. C'est par exemple le cas en matière d'infractions routières : le titulaire du certificat d'immatriculation est redevable de l'amende, même s'il n'est pas lui-même l'auteur d'un excès de vitesse, dans la mesure où il commet au moins un « défaut de surveillance » de son véhicule ou de l'usage qui en est fait.
Je crois, ensuite, qu'il est à la fois naturel et efficace qu'il incombe aux parents de relayer, au sein du foyer familial, en direction de leurs enfants, la pédagogie exercée à leur égard par les pouvoirs publics, dans le cadre de la « réponse graduée ».
Cette réponse prendra une forme qui, dans un premier temps, sera purement préventive puis, dans un second temps, transactionnelle et, enfin, pourra éventuellement déboucher sur une sanction de nature administrative, prononcée par une autorité indépendante chargée de la gestion du mécanisme mais placée sous le contrôle du juge judiciaire.
Que se passera-t-il pour l'abonné, très concrètement, en cas de piratage d'une oeuvre à partir de son accès à Internet.
La première phase, celle de la constatation des faits, ne connaîtra aucun changement par rapport à la situation actuelle.
Aujourd'hui en effet, il appartient aux ayants droit de repérer les actes de piratage sur Internet - par l'intermédiaire des agents assermentés des sociétés de perception et de répartition de droits (SPRD) et de leurs organisations professionnelles.
Pour ce faire, ces structures utilisent des traitements automatisés qui collectent les « adresses IP », sortes de « plaques d'immatriculation », permanentes ou provisoires, des ordinateurs.
Ces traitements automatisés, je tiens à le souligner, font l'objet d'une autorisation délivrée par la CNIL, dans un cadre juridique qui a été précisé par une décision SACEM du Conseil d'Etat, intervenue au printemps 2007.
Sur la base des constats dressés par les agents assermentés, les ayants droit saisissent le juge.
Celui-ci adresse alors une injonction au fournisseur d'accès Internet, afin que celui-ci établisse la correspondance entre, d'une part, l'adresse IP dont il a été saisi et, d'autre part, le nom de l'abonné présumé auteur de la contrefaçon. Puis se déroule la procédure judiciaire.
Si le projet de loi est adopté, les ayants droit se verront offrir une alternative :
soit saisir une autorité administrative indépendante sur le fondement du manquement de l'abonné à son obligation de surveillance, à l'encontre des pirates « ordinaires ».
L'objectif du Gouvernement est que l'efficacité du mécanisme pédagogique et gradué géré par l'autorité administrative, dissuade les ayants droit de recourir à la voie pénale.
Je tiens à souligner ce point : la voie administrative n'entraîne pas la disparition de la voie pénale, mais vient la compléter.
Il n'est en effet pas envisageable de priver les ayants droit, par principe, du recours direct au juge, dans la mesure notamment où certains actes de piratage, par leur ampleur, les moyens employés, ou encore le but poursuivi, ne pourraient recevoir de réponse adéquate que sous la forme d'une sanction pénale ou de dommages et intérêts. Il appartiendra donc aux ayants droit de choisir la modalité la plus adaptée.
La procédure administrative, à la fois rapide et peu coûteuse, s'imposera naturellement dans les cas de piratage « ordinaire », ludique, qui constituent l'immense majorité des cas.
Qu'en sera-t-il alors, de ce que certains qualifient de double peine, c'est-à-dire du risque de voir une même personne sanctionnée à la fois par le juge pénal sur le fondement du délit de contrefaçon, et par l'autorité administrative dans le cadre du manquement à l'obligation de surveillance ?
A titre préliminaire, je tiens à souligner que la difficulté ainsi soulignée n'est pas de nature juridique. La jurisprudence constitutionnelle admet qu'un même fait soit passible de sanctions administratives et de sanctions pénales.
C'est notamment le cas pour les sanctions prononcées en matière d'infractions bancaires ou boursières, dont la lourdeur est sans commune mesure avec ce que prévoit le présent projet de loi pour les pirates de l'Internet.
C'est aussi le cas, bien entendu, des sanctions disciplinaires prononcées à l'égard d'agents publics, dès lors que le comportement condamnable tombe également sous le coup d'incriminations pénales.
Le gouvernement estime toutefois qu'un cumul de sanctions, pénale et administrative, sur la tête d'une même personne n'est pas souhaitable et doit être évité, car il n'est pas compatible avec le souci de prévention et de décriminalisation qui sous-tend le projet « Création et Internet ».
Pour autant, je l'ai dit, il n'est pas envisageable - notamment du point de vue constitutionnel - de priver les créateurs et les entreprises de l'accès au juge, s'ils souhaitent recourir à cette voie. Les solutions adoptées devront donc être de nature essentiellement pratique.
D'abord, à l'occasion de la demande formulée auprès de la CNIL pour autoriser les traitements automatisés leur permettant de repérer les infractions, les ayants droit s'engageront à n'utiliser les constats ainsi dressés que dans le cadre de l'une ou l'autre voie - pénale ou administrative : ils organiseront ainsi un « aiguillage à la source » entre les deux procédures.
Ensuite, il convient d'insister sur le fait que les ayants droit, qui saisiront l'autorité administrative à partir de l'adresse IP d'un ordinateur, ne connaîtront jamais l'identité de l'abonné mis en cause. La loi ne prévoit en effet aucun retour d'information, en directions des auteurs de la saisine, de la part de la Haute Autorité compétente pour la traiter.
Celle-ci demeurera, pour les ayants droit, une « chambre noire », un « écran » qui viendra s'interposer entre eux-mêmes et l'identité de l'abonné - ce qui, je tiens à le souligner, n'est pas le cas avec le tribunal correctionnel.
Quel sera le rôle de l'autorité administrative, à laquelle sera confiée le traitement des constats dressés par les agents assermentés ?
Cette autorité administrative indépendante sera l'Autorité de régulation des mesures techniques (ARMT), créée à l'initiative de votre Haute Assemblée en 2006 afin de veiller à l'interopérabilité des mesures techniques de protection et au respect de l'exception pour copie privée. Elle est actuellement présidée par Jean MUSITELLI, conseiller d'Etat. Pour mieux refléter l'étendue de ses nouvelles compétences, elle sera rebaptisée Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet.
La Haute Autorité ne pourra agir qu'à partir des constats dressés par les représentants des ayants droit. Elle ne disposera donc d'aucune faculté d'auto-saisine ni a fortiori d'aucune compétence de surveillance des réseaux de communication électronique.
La Haute Autorité enverra d'abord aux pirates des messages d'avertissement pédagogiques - dénommés recommandations. Ces messages ne font pas grief et s'analysent comme de simples rappels à la loi.
Le formalisme de ces messages sera également gradué. En effet, après le courrier électronique, la Haute Autorité fera usage de la lettre remise contre signature, de façon à s'assurer que l'abonné a bien pris connaissance du comportement qui lui est reproché.
Ce point est important : les parents seront ainsi nécessairement avertis des actes de piratage qui pourraient être commis à leur insu par leurs enfants, ou les entreprises des agissements de leurs collaborateurs.
Une phase préventive - que le droit ne permet pas jusqu'à présent - précédera donc une éventuelle sanction, et elle la précèdera nécessairement : en effet, l'infraction ne sera constituée qu'après renouvellement du manquement dans l'année qui suit la réception de l'avertissement.
Or, la visée pédagogique et préventive de ce mécanisme est essentielle et constitue le coeur du projet du Gouvernement. Une récente étude réalisée en Grande-Bretagne et publiée en mars 2008, fait ressortir que 70% des internautes cesseraient de télécharger dès le premier message d'avertissement et 90% dès le second.
Ces estimations sont cohérentes avec les taux relevés aux Etats-Unis, où une solution du même ordre a déjà été mise en oeuvre à la suite d'accords passés entre ayants droit et certains fournisseurs d'accès Internet sur les réseaux câblés
Un bilan de cette expérience a permis de constater que 70% d'internautes renoncent au téléchargement dès le premier message d'avertissement, 85 à 90% avec le deuxième et 97% à réception du troisième avertissement qui peut prendre la forme - au choix du fournisseur d'accès - d'une lettre recommandée ou d'un appel téléphonique
La Haute Autorité pourra ensuite, en cas de manquement répété de l'abonné, prendre à son encontre une sanction administrative qui consistera en une suspension de l'accès Internet.
La suspension de l'abonnement sera assortie de l'impossibilité de souscrire pendant la même période un autre contrat auprès de tout opérateur, de façon à éviter la « migration » des abonnés d'un fournisseur à un autre.
Ce point est essentiel car les opérateurs de communication qui feront diligence pour mettre en oeuvre les décisions de la Haute Autorité ne doivent pas être pénalisés par rapport à ceux qui se montreraient mois coopératif dans le but de capter de façon déloyale la clientèle de leurs concurrents.
En principe, la suspension de l'abonnement est d'une durée de trois mois à un an. Mais la Haute Autorité pourra proposer à l'abonné une transaction : en s'engageant à ne pas renouveler son comportement, il pourra ramener la durée de la suspension entre un et trois mois.
Cette phase transactionnelle, qui instaure un dialogue entre la Haute Autorité et l'abonné, accentue encore l'aspect pédagogique du mécanisme.
Nous sommes bien entendu conscients des difficultés spécifiques que pourrait poser ce dispositif aux entreprises ou à d'autres personnes morales, notamment publiques, comme les universités. Le projet de loi prévoit donc, lorsque la suspension de l'accès pourrait avoir des effets disproportionnés, que la Haute Autorité pourra recourir à des mesures alternatives à la suspension. L'employeur pourra ainsi être invité par la Haute Autorité à prendre des mesures de type « pare-feux » pour éviter le piratage par les salariés à partir des postes de l'entreprise.
De telles techniques sont d'ailleurs, d'ores et déjà, très largement mises en place dans les collectivités privées ou publique d'une certaine taille.
L'injonction de prendre de telles mesures pourrait également être utilisée par la Haute Autorité dans les cas - a priori très rares ou inexistants - où il pourrait s'avérer techniquement impossible ou particulièrement complexe et coûteux de suspendre l'accès à Internet sans suspendre également les services de téléphonie et de télévision.
Afin de garantir le respect des mesures de suspension, les fournisseurs d'accès Internet seront tenus de vérifier, à l'occasion de la conclusion de tout nouveau contrat, que leur cocontractant ne figure pas sur le répertoire des personnes dont l'abonnement a été suspendu.
La Haute Autorité pourra décider de prendre des sanctions pécuniaires d'un montant maximal de 5 000 euros à l'encontre des fournisseurs d'accès qui s'abstiendraient de procéder à ces vérifications, ou qui ne mettraient pas en oeuvre les mesures de suspension qu'elle décide.
Bien entendu toutes les sanctions - la suspension de l'abonnement Internet, les mesures alternatives à cette suspension, aussi bien que les sanctions pécuniaires - sont susceptibles de recours devant le juge judiciaire.
Enfin, le texte précise les conditions, classiques, dans lesquelles le titulaire de l'accès à Internet pourra s'exonérer de sa responsabilité : force majeure, ou détournement frauduleux de son accès par un tiers. Il encourage également les abonnés à prendre des mesures de sécurisation de leur poste, sur le modèle de ce qui existe déjà en matière de « contrôle parental ». En effet, la mise en oeuvre d'un tel dispositif figurant sur une liste de moyens efficaces dressée par la Haute Autorité, vaudra exonération de responsabilité.
Telle est donc l'économie générale du mécanisme pédagogique et gradué envisagé par les accords de l'Elysée, qu'il vous est proposé de traduire dans la loi.
Un débat assez vif s'est engagé devant les médias et l'opinion publique sur ce projet. Il y a des revendications légitimes de part et d'autre et nous devons les prendre en compte. Plusieurs arguments, en revanche, que j'ai entendus, me semblent parfaitement caricaturaux et d'autres franchement inquiétants.
Je m'attarderai donc successivement, pour conclure mon propos, sur trois questions ou objections soulevées au sujet de ce projet de loi.
Je veux évoquer, en premier lieu, cette question ayant été particulièrement discutée, le choix comme « mesure ultime » de la suspension de l'abonnement Internet de préférence, par exemple, à une amende.
D'abord, cette solution a été choisie pour manifester très clairement la volonté du gouvernement de décriminaliser le piratage ordinaire, et d'instaurer à cet effet une procédure totalement différente de celle qui est suivie devant le juge correctionnel. Une sanction de nature pécuniaire, également prononcée par le juge, aurait brouillé ce message.
Ensuite, le rapport direct entre le comportement en cause - à savoir, l'utilisation inappropriée de l'accès Internet - et la nature de la sanction est de nature à renforcer encore l'efficacité pédagogique de celle-ci.
En outre, le caractère non pécuniaire de la sanction permet d'éviter de créer une inégalité devant le piratage entre les abonnés qui seraient en mesure d'acquitter facilement leurs amendes et ceux qui se trouveraient dans une situation matérielle plus difficile.
Enfin, je tiens à répondre à ceux qui voient dans la suspension de l'abonnement à Internet une atteinte aux droits de l'homme, et plus précisément à la liberté de communication, dont seul le juge pourrait prendre la responsabilité.
Ma première remarque à cet égard sera très simple : la résiliation de l'abonnement Internet est déjà prévue - et qui s'en étonnerait - dans les contrats passés par les fournisseurs d'accès avec leurs abonnés, pour les cas où ceux-ci ne s'acquittent pas de leurs factures ou bien se livrent à un usage inapproprié. Il n'est besoin, pour mettre en oeuvre cette résiliation, ni du juge, ni de l'autorité administrative, mais simplement d'une mise en demeure adressée par le prestataire lui-même.
Ainsi donc, le préjudice économique infligé aux fournisseurs d'accès par les mauvais payeurs pourrait, sans l'ombre d'un doute, justifier la résiliation unilatérale de l'abonnement, tandis qu'une suspension du même abonnement, prononcée dans le cadre d'une procédure contradictoire, par une autorité administrative indépendante, pour sanctionner le préjudice porté aux industries culturelles, violerait gravement les droits de l'homme ! On croit rêver !
En second lieu, à supposer que la disposition permanente, à domicile, d'un accès à Internet puisse être regardée comme une liberté fondamentale, comment méconnaître le fait qu'aucun droit n'est inconditionnel : il doit être concilié avec les autres libertés et ne saurait être invoqué pour les violer impunément.
La Cour de justice des communautés européennes a ainsi souligné, tout récemment, la nécessité de concilier les droits des artistes et des industries culturelles avec la liberté de communication sur les réseaux numériques. Et la Cour de cassation a jugé que le respect du droit des auteurs ne constitue pas une entrave à la liberté de communication, à la liberté d'expression ou à celle du commerce et de l'industrie.
Concilier le droit de propriété et le droit moral des créateurs avec la liberté de communication n'est pas porter atteinte à celle-ci, c'est au contraire lui donner toute sa portée.
Il n'y a rien là de très original. La nécessité d'assurer en permanence un équilibre entre des droits et libertés par nature antagonistes est déjà au coeur de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, et notamment de son article 4 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits ».
Mais il est, manifestement, nécessaire de rappeler aujourd'hui que l'environnement numérique n'abolit pas les principes les plus élémentaires qui gouvernent la vie en société et l'Etat de droit depuis maintenant plusieurs siècles.
En réalité, poser comme principe qu'aucune action efficace ne peut être entreprise contre le piratage en dehors du juge, est à la fois absurde, rétrograde et contradictoire. Cette thèse aboutit en effet à livrer l'internaute au juge pénal, dès le premier téléchargement illégal et sans aucune possibilité de lui adresser des avertissements.
Surtout, cette conception archaïque et répressive de la lutte contre le piratage a pour résultat pratique de la rendre impossible.
C'est un combat d'arrière-garde, livré au détriment des artistes et des industries culturelles. Il est d'autant plus condamnable qu'il a récemment emprunté le détour, à Bruxelles, d'un débat ésotérique portant sur des directives techniques relatives aux télécommunications, dont l'instrumentalisation et la déformation permet à ses auteurs d'entretenir une confusion préjudiciable au bon déroulement du débat démocratique que les Français attendent - et dont vous êtes, mesdames et messieurs les sénateurs, les acteurs et les garants.
J'en viens à présent à la deuxième objection la plus fréquemment soulevée : la Haute Autorité violerait la vie privée, elle serait préposée au fichage des internautes et à la surveillance généralisée des réseaux.
Quel paradoxe ! En effet dans les autres pays qui pratiquent l'envoi de messages d'avertissement aux internautes voire la suspension de l'accès à Internet - Etats-Unis, Norvège, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni depuis quelques semaines - cette politique se passe entièrement de l'intervention publique.
Elle est purement contractuelle et résulte d'accords entre les fournisseurs d'accès et les ayants droit.
La particularité de « l'approche française », c'est justement d'interposer entre les parties en présence - ayants droits, fournisseurs d'accès et internautes - une autorité indépendante, qui assure la prévention du piratage tout en protégeant le secret de la vie privée.
Ainsi que je l'ai déjà indiqué, la Haute Autorité sera seule à pouvoir se procurer sur l'abonné les données personnelles - nom et coordonnées postales et électroniques - strictement nécessaires à l'envoi des messages d'avertissement.
L'identité du pirate demeurera donc cachée aux ayants droit. A cet égard, la procédure devant la Haute Autorité sera donc plus protectrice du secret de la vie privée que celle qui se déroule dans le prétoire du juge.
Au sein de la Haute Autorité, la commission qui traitera les dossiers présentera toutes les garanties d'impartialité et d'indépendance : elle sera exclusivement composée de magistrats et disposera d'agents publics dont l'absence de liens avec les intérêts économiques en cause aura été vérifiée par des enquêtes préalables.
La procédure suivie devant la Haute Autorité, qui sera détaillée dans un décret en Conseil d'Etat, répondra à toutes les exigences du « procès équitable » au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Quant aux données nécessaires pour mettre en mouvement le mécanisme de prévention, ce sont celles qui sont d'ores et déjà collectées par les créateurs et les entreprises culturelles pour mener leurs actions judiciaires, à savoir les adresses IP. Aucune donnée nouvelle, je le répète, ne sera relevée par les agents assermentés pour dresser les constats nécessaires à la mise en oeuvre de la « réponse graduée ».
J'en viens à présent à une troisième et dernière objection : cette loi serait dictée par les « majors », accrochées à la défense de « privilèges » obsolètes.
Ceux qui prétendent cela n'ont pas dû discuter avec beaucoup d'artistes ! Le projet de loi dont vous débattrez a reçu le soutien massif des créateurs et des entreprises du cinéma, de la musique et de l'Internet. Et tout particulièrement des petites et moyennes entreprises de la culture, de ces entreprises indépendantes qui sont les premières victimes du piratage parce que ce sont elles qui prennent le plus de risques, en soutenant de jeunes talents.
Ces PME qui représentent, dans l'industrie musicale par exemple, 99% des entreprises, 67% de l'emploi et 44% du chiffres d'affaires.
Ces structures indépendantes, qui sont au coeur du dynamisme et de la diversité de notre scène artistique et de la scène européenne, se sont réunies jeudi et vendredi dernier, au Muséum d'histoire naturelle, pour dresser leurs perspectives d'avenir dans le cadre des premières « Arènes européennes de l'Indépendance ».
Toutes ont conclu que cet avenir resterait bouché tant qu'elles seraient expropriées de leurs droits sur Internet. Elles ont apporté un soutien massif au projet de loi qui vous est présenté aujourd'hui.
Cette loi n'est donc pas la « loi des majors », c'est la loi de tous les créateurs et de toutes les industries culturelles, qui sont dans leur immense majorité des PME.
Ce n'est pas la loi des artistes les plus réputés, mais celle des jeunes talents.
Ce n'est pas une loi pour les PDG des multinationales, mais pour les centaines de milliers d'acteurs des filières économiques concernées, du technicien à l'artiste, de l'auteur au producteur en passant par le réalisateur et le diffuseur.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, ce qui se joue à travers ce projet de loi, au-delà des enjeux de diversité culturelle et d'emploi, c'est la place que nous entendons réserver aux artistes au sein de notre société.
Les créateurs ont-ils, comme tous nos concitoyens, le droit de vivre de leur travail ? Lorsque les Comédiens du Français se mirent à oublier l'obligation qui leur était faite de verser aux auteurs un neuvième des recettes de leurs spectacles, Beaumarchais eut ce mot : « On dit aux foyers des spectacles qu'il n'est pas noble aux auteurs de plaider pour le vil intérêt, eux qui se piquent de prétendre à la gloire. On a raison : la gloire est attrayante; mais on oublie que, pour en jouir seulement une année, la nature nous condamne à dîner trois cent soixante-cinq fois ». Elégante façon de rappeler que même les purs esprits ont des besoins tout à fait triviaux.
Car Beaumarchais, père de la première société de défense des auteurs, avait bien compris que c'était par le droit de propriété et le droit moral sur ses oeuvres que l'artiste pourrait enfin s'affranchir de sa condition de laquais ou de courtisan. Et c'est effectivement ainsi qu'il a acquis son indépendance économique et, par là-même, sa liberté de créer.
Le droit d'auteur a eu depuis - je ne vous apprends rien - des porte-parole aussi prestigieux qu'Hugo ou encore Vigny. Et la France n'a jamais cessé de le défendre, chaque fois qu'il était menacé. Lorsque les appareils de reproduction mécanique ont fait leur apparition, nous avons inventé la rémunération pour copie privée et le droit de reprographie.
Lorsque l'explosion des radios libres a fait de la diffusion radiophonique le vecteur essentiel d'accès à la musique pour les jeunes, nous avons inventé la « rémunération équitable ».
Souhaitons-nous abdiquer, sur Internet, les droits que nous défendons ardemment, depuis des siècles, dans le « monde réel » ? Souhaitons-nous les voir s'évanouir à la même vitesse que progressent les technologies ? Quel est le prochain droit dont Internet ne souhaitera pas s'embarrasser ? Pourquoi pas, par exemple, le droit au respect de la vie privée ? La liberté d'expression et de communication, si elle était absolue sur les réseaux numériques - et au nom de quoi ? - ne nous donnerait-elle pas la possibilité de nous y livrer, sans contrainte, à la diffamation ?
En deux mots : est-ce aux technologies de nous dicter leurs règles, ou bien est-ce à nous de leur imposer celles que notre société a choisi de se donner à elle-même ?
Ce que vous soumet ce projet de loi n'est donc rien moins qu'un choix de société.
Un choix soutenu par les Français dans leur immense majorité : un sondage IPSOS réalisé au printemps démontrait que 74% de nos concitoyens approuvaient le mécanisme envisagé et que 90% des pirates étaient prêts à modifier leur comportement.
Un choix qui fait école, puisqu'au Royaume-Uni ont été signés le 24 juillet dernier des accords inspirés de ceux de l'Elysée et que la « réponse graduée » y est déjà entrée dans les faits. Et nombreux sont les autres pays européens à avoir manifesté leur intérêt pour les expériences française et britannique.
Ce choix que je vous propose, quel est-il ? C'est le choix d'une société qui ne sacrifie pas la protection qu'elle doit à ses artistes - comme à tous ses membres - sur l'autel d'une licence mal comprise ; une société fidèle aux combats qu'elle a portés pendant des siècles et qui ont fait d'elle un Etat de droit ; une société qui n'a pas peur de l'internationalisation et de la numérisation des échanges, parce que le jour n'est pas venu où elle renoncera à ce qu'elle est.
Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 3 novembre 2008