Déclaration de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, sur les mesures à prendre pour renforer la transparence et améliorer les échanges d'informations en matière fiscale.

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Circonstance : Conférence sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales internationales, à Paris le 21 octobre 2008

Texte intégral

Je suis aujourd'hui très heureux de vous accueillir à Bercy pour cette réunion exceptionnelle dont mon collègue Peer Steinbruck et moi-même avons pris l'initiative.
Je vous remercie très vivement de votre présence, alors que vos agendas sont très denses en ces temps particulièrement agités. J'y vois un signe très encourageant sur notre volonté commune d'obtenir rapidement des progrès pour plus de transparence et un combat efficace contre la fraude.
Bien au-delà de l'affaire du Liechtenstein, qui nous a tous touchés, c'est un combat déterminé contre la fraude fiscale, et donc contre tous ceux qui la facilitent et l'encouragent, que je voudrais vous proposer aujourd'hui.
Je vous le dis d'entrée : le succès de notre réunion dépend de notre capacité à prendre des actions concrètes, à envoyer un message politique fort et univoque.
o Nous ne pouvons plus accepter que des Etats, des territoires prospèrent sur la fraude.
o Nous ne pouvons plus tolérer que l'image du système financier international soit vérolé par des poches d'opacité, de secret excessif, d'absence de régulation.
o Nous ne pouvons pas accepter que, à l'heure où nous engageons massivement l'argent des contribuables dans des plans de sauvetage du système financier, celui-ci continue à offrir des havres fiscaux.
La fraude fiscale est un fléau.
C'est un fléau budgétaire.
Les montants investis offshore font tourner la tête même si les estimations peuvent paraître hésitantes ou fragiles. Ce sont en tout cas des trilliards d'euros assurément qui sont placés dans des paradis fiscaux ou des Etats à secret bancaire excessif !
Nous pourrions d'ailleurs explorer les moyens d'avoir une connaissance plus précise des ces montants...
J'entends dire que notre collègue irlandais, à la suite d'une campagne de son administration fiscale contre les comptes offshore, a collecté en un an près d'un milliard d'euros ! L'argent de la fraude fiscale nous est dû ! Nous n'avons plus les moyens de ne pas le récupérer.
C'est un fléau social aussi.
Car la fraude profite toujours aux mêmes et pénalise ceux qui respectent les règles. Elle mine la confiance des citoyens honnêtes dans le système fiscal. Elle est une source intolérable d'injustice. Elle frappe les pays développés que nous sommes mais est tout aussi intolérable dans les pays en voie de développement.
Enfin, la fraude fiscale prospère sur le même terrain que le blanchiment, le financement du terrorisme, la corruption d'agents publics, la course à la dérégulation des activités financières : le secret et l'absence de transparence. Une juridiction ne peut plus prétendre être transparente pour l'un mais pas pour l'autre. On est transparent ou on ne l'est pas.
Vous l'aurez compris, mais vous le saviez, je suis déterminé à trouver avec vous des moyens pour cessent ces pratiques, comme l'a indiqué encore ce week end le Président Sarkozy aux Etats-Unis.
Avant de discuter de ce que nous pouvons faire, je veux commencer par rappeler brièvement ce qui a été fait.
Il y a plus de 12 ans que les travaux sur les paradis fiscaux ont été entamés par L'OCDE, et je l'en remercie. Ils se poursuivent aujourd'hui encore au sein du Comité des Affaires Fiscales et du Forum des pratiques dommageables, présidé par la France.
Des standards ont été établis et ils sont aujourd'hui internationalement reconnus. Des standards de transparence et d'échange de renseignements. Il existe un modèle d'accord d'échange de renseignements et, dans le modèle de convention fiscale, un article permettant de lever le secret bancaire et les autres obstacles à l'échange. Ces standards ont même été endossés par la plupart des paradis fiscaux qui avaient été listés en 2000 et qui devaient s'engager à les appliquer.
Certaines juridictions ont même commencé, trop lentement à les appliquer. Comme plusieurs d'entre vous, je signerai ainsi prochainement des accords d'échange de renseignement avec Jersey et l'Ile de Man. Mais ces progrès sont insuffisants.
Ils sont insuffisants car seulement six territoires se sont engagés dans cette voie. Et encore l'ont-ils fait trop timidement.
Qu'ont fait les autres ? Rien, ou presque.
Certains n'ont toujours pas souscrit aux principes de l'OCDE et continuent de figurer sur la liste noire !
D'autres, plus nombreux, ont pris des engagements mais ne les tiennent pas : les îles Caïmans, les Bahamas, Saint Kitt et Nevis, certaines îles du Pacifique comme Samoa et la liste est encore longue de ces territoires qui offrent des zones d'opacité et qui facilitent la fraude.
Mais au-delà des territoires qui avaient été listés par l'OCDE en 2000, des centres financiers offshores ont prospéré sur le secret et l'absence de transparence.
Les autorités de certains de ces pays ont même refusé de rencontrer le Commissaire à la fiscalité, M. Kovacs, lorsqu'il a souhaité leur parler de la directive épargne !
Et puisqu'il faut tout se dire, avouons que, au sein même de l'OCDE, nous avons du travail à faire.
Je regrette que certains Etats à secret bancaire aient refusé de venir aujourd'hui alors que nous les avions invités.
Nous ne pourrons demander au reste du monde de bouger si nous ne faisons rien nous-mêmes. Comme l'a dit le secrétaire général de l'OCDE lors de l'affaire du Liechtenstein, le secret bancaire doit être une relique du passé. Et ceci doit aussi être vrai pour la Suisse ou certains de nos partenaires européens qui ne sont pas venus aujourd'hui.
Alors que faire ?
Il est temps d'agir et je crois que notre réunion aujourd'hui est le début d'une action collective résolue et déterminée.
Peer Steinbrück et moi avons souhaité tenir cette réunion il y a plusieurs mois, avant que la crise financière n'éclate.
Si cette crise donne un coup de projecteur à notre réunion, il faut que nos travaux s'inscrivent dans la durée et que notre détermination ne faiblisse pas lorsque la crise elle-même se résorbera.
Il faut d'abord dire et répéter que, politiquement, nous ne tolérerons plus cette situation. Le message doit être politique et il doit être sans ambigüité.
Il faut ensuite considérer les actions concrètes que nous pouvons mettre en oeuvre :
A cet égard, je peux vous indiquer que j'ai proposé, sur le plan interne français, plusieurs mesures pour durcir les procédures de contrôle fiscal dont certaines s'apparentent à des dispositifs que certains d'entre vous avez déjà mis en oeuvre. Je souhaite notamment doubler les délais de prescription lorsque la fraude est réalisée via un paradis fiscal, augmenter les amendes en cas de fraude internationale et surtout donner plus de moyens d'enquête à mon administration...
Au-delà de l'arsenal répressif contre les fraudeurs, nous devons aussi agir à la source : nous devons prendre des mesures contre les territoires qui refusent de coopérer.
Les mesures peuvent être fiscales bien sûr. Je pense soit à l'exclusion de certains régimes de faveur - régime des fusions, abattement applicable aux dividendes, exonération des plus-values des particuliers - soit à l'application de régime pénalisants, comme l'augmentation de la retenue à la source sur les revenus versés à des personnes situées dans ces Etats.
Ne nous leurrons pas : nous savons que ces mesures ont un effet limité. Elles existent déjà d'ailleurs dans la plupart de nos pays avec le résultat insuffisant qu'on leur connaît. Mais plus nombreux nous serons à les mettre en oeuvre, plus elles seront efficaces.
Alors voyons comment nous pouvons collectivement renouveler notre approche.
Nous pourrions par exemple décider de ne plus coopérer avec des territoires qui nous refusent ce que nous demandons légitimement.
La plupart d'entre nous ont une convention fiscale avec Singapour qui en tire grand profit pour attirer les investisseurs.
Ne faut-il pas annoncer que nous allons renégocier ces conventions et, à défaut d'obtenir le standard OCDE sur l'échange d'information, dénoncer ces conventions ?
Bien sûr, nous devons aussi ne pas conclure de nouvelles conventions fiscales sans que le standard OCDE soit satisfait. Faisons le par exemple savoir sans ambigüité à Hong Kong.
Nous pouvons aussi agir encore plus radicalement en décidant d'identifier et de nommer ceux qui ne respectent pas les règles. Sans doute est-il temps de revoir la liste de l'OCDE des paradis fiscaux et de l'élargir à tous les pays qui offrent un secret excessif, y compris au sein de cette organisation.
Nous pourrons alors considérer des mesures non fiscales contre les territoires et même les institutions financières qui ne respecteraient pas les règles du jeu.
Peut-on accepter que les banques, dont nous finançons la survie, réalisent une partie importante de leurs profits dans leurs filiales situés dans des juridictions opaques ?
A l'heure où les Etats-Unis obtiennent d'une grande banque suisse les informations sur 20 000 citoyens américains, ne pouvons-nous espérer la même chose ?
Il faut rechercher un donnant-donnant avec nos entreprises.
Cette nouvelle approche est radicale, vous l'avez compris. Nous devons échanger, partager nos expériences et, ensemble, rechercher les actions qui nous permettront d'avancer. Je n'ai esquissé ici que quelques pistes qui nécessiteront d'être explorées.
A partir de ce constat, que j'espère largement partagé et qui recoupe le document de contexte qui vous a été transmis il y a quelques jours, je souhaite que nous puissions entamer une discussion fructueuse afin de pouvoir présenter, à la fin de cette conférence, un front uni, quant à notre volonté de lutter plus efficacement encore contre la fraude et l'évasion fiscales internationales.
A cet effet, nous vous avons proposé un projet de relevé de conclusions autour duquel pourrait s'articuler nos débats.
Avant d'entrer dans le vif de la discussion, je vais laisser la parole à Peer Steinbrück. Je la donnerai ensuite au secrétaire général de l'OCDE, Angel Gurría, pour qu'il nous fasse un bref constat de la situation actuelle du point de vue de son Organisation.
Et je reprendrai brièvement la parole pour lancer nos discussions sur le projet de relevé de conclusions.
Source http://www.comptes-publics.gouv.fr, le 23 octobre 2008