Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec RTL le 5 novembre 2008, sur la réaction de la France à l'élection de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis et portée sur la politique étrangère américaine.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie.- B. Obama sera donc le 44ème Président des Etats-Unis. Sa victoire soulève beaucoup d'espoirs. Qu'est-ce que cette victoire apporte, de manière positive ou négative, pour la France et pour les intérêts de celle-ci, ce qui est votre charge B. Kouchner ?

Beaucoup d'espérance, d'abord une immense joie. C'était une campagne formidable, c'est une victoire exceptionnelle. Beaucoup d'espérance donc, et très précisément...

C'était le candidat de la France ?

On n'avait pas le droit de dire jusque-là quel candidat on avait choisi dans sa tête et dans son coeur. Maintenant, on peut le dire.

Qui aviez-vous choisi ?

Ce n'est pas discourtois pour monsieur McCain, qui a fait une très belle campagne, mais quand même, c'était mieux d'imaginer un certain nombre de scénarios communs qui ne seraient pas seulement des scénarios américains, qui seraient ou non suivis par l'Europe, mais des scénarios partagés, des propositions, un partenariat. Voilà ce que cela, j'espère, inaugure. En tout cas, c'est ainsi que B. Obama l'entendait, lorsqu'il est venu en France et qu'il nous a dit espérer beaucoup dans cette coopération entre l'Europe et les Etats-Unis.

Beaucoup de dossiers de politique étrangère seront, bien entendu, maintenant au coeur du dialogue...

Enorme !

...que l'Europe entretiendra avec les Etats-Unis et la France. Avec les Etats-Unis, B. Obama a annoncé son intention de retirer rapidement les troupes combattantes d'Irak. Il voudrait qu'à l'été 2010, plusieurs bataillons soient partis d'Irak. Ceci vous parait-il possible et souhaitable ?

Je vais vous répondre, mais d'abord je ne crois pas que B. Obama va se consacrer à la politique extérieure tout de suite. Il y a une double crise aux Etats-Unis : une crise politique, une crise économique, une crise morale. Et puis, il y a bien sûr deux guerres, vous avez raison.

L'Irak et l'Afghanistan...

Je pense qu'il ne faut pas attendre de lui des gestes spectaculaires dans l'immédiat. En particulier à propos de l'Irak, ce fut une réflexion très intéressante, d'abord, en disant qu'en Irak les choses allaient mieux, mais elles ne sont pas terminées. Et puis, qu'en Afghanistan il fallait mettre d'autres troupes et il a parlé donc d'un transfert de certaines troupes américaines qui combattent en Irak vers l'Afghanistan. Je ne pense pas que ce soit la seule solution, car je ne crois pas - et le Président américain, le nouveau Président américain, mais nous verrons bien, je crois, ne le pense pas non plus - il n'y aura pas de solutions militaires en Afghanistan. Il faut sécuriser les régions où enfin, nous, c'est-à-dire toutes les forces alliées en Afghanistan, pourront passer le pouvoir, la responsabilité aux Afghans.

Vous marquez déjà là peut-être une forme, une différence d'approche sur le dossier afghan, puisque vous avez choisi de parler...

La différence, c'est que nous pourrons en discuter avec Monsieur Obama.

Lui souhaite envoyer davantage de troupes américaines en Afghanistan, mais donc sans doute demander à ses alliés de faire aussi un effort militaire. Ça, la France n'y est pas forcément prête ?

Oui, il l'a en effet suggéré fortement. Et je répète que si la sécurisation est nécessaire dans les zones très particulières, il ne faut certainement pas nourrir l'ambition de sécuriser à la fois tout l'Afghanistan. Si la sécurisation est nécessaire, c'est pour passer la main, c'est pour que les Afghans prennent leur responsabilité et ce sera une discussion tout à fait intéressante avec monsieur Obama. Nous avons d'ailleurs préparé un document transatlantique, que dès que possible, nous proposerons - d'ailleurs il s'y attend, nous en avons déjà parlé - nous le proposerons à monsieur B. Obama, sur ce sujet comme sur bien d'autres. Mais le sujet de l'Afghanistan est évidemment tout à fait urgent, pour nous comme pour eux. Je vous rappelle qu'il y a 25 pays, 25 nations européennes qui combattent ensemble aux côtés de Afghans.

L'annonce, la volonté de B. Obama de retirer les troupes combattantes américaines d'Irak à l'été 2010, ceci vous paraît-il envisageable, réaliste ?

Je l'espère. Il faut aussi pour cela que les Irakiens puissent prendre leurs affaires en main. Il y a une différence, c'est ce que l'on appelle le "sofa" c'est-à-dire les règles d'engagement et la responsabilité des troupes qui resteraient en Irak, ce "sofa" n'est pas encore signé. Et il est essentiel de savoir exactement ce que feraient des troupes qui, monsieur Obama l'a dit aussi, resteraient pour former les troupes irakiennes. Il reste une zone un peu incertaine jusqu'à fin décembre. Mais en effet, on pourra, je crois, retirer des troupes combattantes et que l'armée irakienne, comme d'ailleurs l'armée afghane, prenne ses responsabilités lorsqu'ils seront capables de le faire. Cela va venir, mais dans les mois qui viennent, pas immédiatement.

Un autre dossier important vous attend, c'est le dossier iranien. L'impression qui domine c'est que l'Iran poursuit sa marche vers l'acquisition de la technique nucléaire pour en faire peut-être une arme. Ce dossier est en panne aujourd'hui B. Kouchner ?

Pas du tout en panne. Ce qui est en attente, c'était à la fois l'attente d'un gouvernement israélien et puis en attente de l'élection américaine. L'élection américaine, heureusement, et très bien, vient d'être terminée. Simplement, ce qui est différent avec B. Obama, c'est que lui est pour le dialogue. C'est un mot essentiel. Cela veut dire qu'on ne va pas seulement faire pression sur l'Iran, mais que le dialogue qui avait commencé avec les Américains à Genève, il y a quelques semaines, ce dialogue sera certainement tenté et même obstinément tenté par le nouveau Président américain. Ça change un tout petit peu les rapports et les perspectives, pas seulement des perspectives guerrières, mais des perspectives d'entente.

Avez-vous l'impression, ce matin, que ce sera plus facile de dialoguer aujourd'hui avec l'Amérique que ça ne l'était hier ?

Sans aucun doute. Mais cela ne veut pas dire que le Président Obama - on peut l'appeler comme ça maintenant - ne sera pas responsable du plus grand pays du monde et du plus puissant, et qu'il en aura conscience. Les démocrates ont toujours fait ça. Ils ne cessent pas, sous prétexte qu'ils sont plus ouverts sur le dialogue, plus ouverts sur les questions sociales, qu'ils vont faire une assurance maladie, ce n'est pas pour ça qu'ils ne se sentent pas toujours investis d'une mission ou d'une responsabilité, en tout cas, internationale et même mondiale. Je crois que B. Obama n'y échappera pas et c'est avec cela qu'il faut composer. Et donc l'Europe - pour la première fois, lui, il sait vraiment où est l'Europe - et ses 27 pays pèseront, peut-être aussi avec l'Asie, dans le dialogue. Le dialogue est possible, il est même offert d'ores et déjà et je ne pense pas que le monde soit simplement américain, on l'a vu pour le dollar, on l'a vu pour la crise économique, tout ça est en train de se bouleverser et de se recomposer.

Vous faites le pari d'une Amérique plus ouverte et plus attentive au discours des Européens ?

Je fais le pari d'un vrai partenariat, et non pas d'un suivisme entre l'Europe qui, enfin, existe et les Etats-Unis, pour régler ou pour tenter de régler, petit à petit - ce sera long - les problèmes du monde. Et je fais confiance à B. Obama pour s'attacher aussi au développement et ne pas oublier, dans cette crise économique qui nous fait valser les milliards et les dizaines de milliards et les milliers de milliards, d les pays pauvres et leur donner une place dans les nouvelles institutions. Ce multilatéralisme, travailler à plusieurs et ne pas avoir des certitudes solitaires, eh bien, ce multilatéralisme doit absolument être construit avec les Américains et je pense qu'avec B. Obama, ce sera mieux. En tout cas, c'est notre espoir, et apparemment, la joie partout.

D'un mot, que retiendrait vous de G. Bush ?

Qu'il aurait pu faire mieux.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 novembre 2008